L'HOMME
BANNI D'EDEN
MÉDITATION VIII.
LE NOM D'EVE. - LES ROBES DE PEAU.
« Et Adam appela sa femme Eve, parce
qu'elle devait être la mère de tous
les vivants. Et l'Éternel Dieu fit à
Adam et à sa femme des robes de peau et les
en revêtit. »
Gen. III, 20-21.
Parmi les traits d'histoire qui nous sont
conservés dans les pages des livres saints,
il en est peu de plus touchants que la maladie et
la guérison miraculeuse du pieux
Ézéchias, roi de Judas. Il venait
d'être délivré par la puissance
de l'Éternel de la main du fier et
belliqueux Sanchérib, dont le discours
orgueilleux de Rabsaké lui avait fait
craindre toute la fureur. Heureux et reconnaissant
de voir que le Dieu d'Israël avait
exaucé son ardente prière, il
s'était rassis sur le trône de ses
pères un instant ébranlé. Mais
une autre épreuve l'attendait :
« En ce temps-là
Ézéchias fut malade à la mort,
et Ésaïe le prophète, fils
d'Amots, vint vers lui et lui dit : Dispose de
ta maison, car tu t'en vas mourir et
tu ne vivras plus. Alors
Ézéchias tourna son visage contre la
muraille et fit sa prière à
l'Éternel et dit : Souviens-toi
maintenant, je te prie, ô
Éternel ! comment j'ai marché
devant toi en vérité et en
intégrité, et comment j'ai fait ce
qui t'était agréable. Et
Ézéchias pleura
abondamment ».
Il pleure, incertain si sa prière sera
entendue ; son coeur se fond de tristesse et
d'angoisse ; car le salut de tout le peuple de
Dieu, qu'il a arraché à
l'idolâtrie et qui est menacé d'une
guerre d'extermination, semble dépendre de
sa vie, et il se voit enlever à la fleur de
ses jours.
Que ne puis-je vous rendre l'esprit de cette
touchante et pieuse élégie par
laquelle il exhale sa douleur !
« Je disais : au midi de mes jours
mes jours sont tranchés !
Déjà il me faut entrer aux portes de
la mort ; le reste de mes années m'est
refusé. Je ne contemplerai plus
Jéhova, Jéhova sur la terre des
vivants. Je ne verrai plus aucun des hommes, aucun
des habitants de la terre. Le temps de ma vie est
passé ; il a été
transporté loin de moi comme une cabane de
berger. Mes jours sont tranchés le matin
comme le fil du tisserand, et avant le soir
tu m'as enlevé. Mes os sont brisés
comme par la force du lion. Je soupire comme
l'hirondelle. Je gémis comme la colombe. Mon
oeil défaillant s'élève encore
à toi, Jéhova !
Jéhova ! délivre mon
âme ! - Mais que dirai-je encore ?
Il l'a dit, il l'a fait ! Je passerai dans
l'amertume de mon âme le temps qui me sera
laissé ».
Cependant celui qui avait été, de par
l'Éternel, un messager de mort, se
présente encore à
Ézéchias, et, messager de bonnes
nouvelles, il annonce la délivrance. La voix
d'Ésaïe s'est encore fait
entendre :
« Ainsi a dit l'Éternel, le Dieu
de David ton père : J'ai exaucé
ta prière ; j'ai vu tes larmes, voici,
je vais ajouter quinze années à ta
vie, et je délivrerai de la main des
Assyriens et toi et celle ville ».
À ces mots Ézéchias ressaisit
sa lyre ; mais qu'ils sont différents
ses accords ! « Seigneur ! ta
Parole est la vie même. Tu m'as
relevé, tu m'as fait revivre. Tu as
changé en paix la grande amertume de mon
coeur. Tu as ouvert tes bras, tu as embrassé
mon âme, afin qu'elle ne tombât pas
dans l'abîme, parce que tu as jeté
arrière de toi tous mes
péchés. Le sépulcre ne te
célèbre pas ; la mort ne
proclame point ta louange ; ceux qui
descendent dans l'abîme n'éprouvent
plus ta fidélité ; mais celui
qui vit, celui qui vit te célébrera
comme je le fais aujourd'hui. Le père
annoncera à ses enfants ta
vérité. L'Éternel est ma
délivrance ! Que mes cantiques
retentissent donc dans la maison de
l'Éternel tous les jours de ma vie
(Ésaïe, ch.
38.) »
.
Il peut vous sembler, mes frères, que ces
douces pensées, que ces actions de
grâces pour une
délivrance signalée
dans laquelle l'Éternel déploya toute
sa bonté, ne sont guère en harmonie
avec le sujet de nos méditations, puisque
nous avons à contempler le premier homme
courbé sous le poids de cette condamnation
qui a fait le sujet de notre dernier discours.
Cependant c'est la situation même de l'homme
déchu qui nous a rappelé le souvenir
d'Ézéchias ; non qu'Adam se soit
humilié comme lui, ait prié comme lui
et ait vu comme lui la délivrance de
l'Éternel ; mais c'est que, sous le
poids même de la condamnation qui tombe
justement sur lui, il est néanmoins encore
un monument de la miséricorde et de la
longanimité du Seigneur ; comme
Ézéchias il voit se prolonger une vie
dont il devait s'attendre à voir tarir la
source sous les coups de la malédiction du
Très-Haut ; comme
Ézéchias il devrait entonner une
hymne de reconnaissance et d'amour.
Il reste, il est vrai, condamné avec toute
sa race. La terre est maudite à cause de
lui ; il en mangera les fruits avec
douleur et à la sueur de son front tous
les jours de sa vie. Il partagera avec sa compagne
les souffrances et l'amertume d'une vie que le
péché a empoisonnée. Mais
est-ce là tout ce à quoi il devait
s'attendre lorsque, après son crime, il
fuyait honteux et tremblant à la voix de
l'Éternel ? Non, sans doute. La
sanction de l'ordre qu'il a violé
était : du jour que tu en mangeras
tu mourras de mort. Or ce jour, ce jour
terrible est arrivé. Adam souffre, il est
vrai, l'exécution de la sentence dans
la séparation de son
âme d'avec Dieu, ce qui est la mort
spirituelle. Il porte, il est vrai, dans son corps
le germe de dissolution qui plus tard produira en
lui les maladies et la mort. Mais encore est-ce
tout ce qu'Adam avait à redouter de la juste
colère de l'Éternel ? Puisqu'il
a péché, puisqu'il est déchu,
puisqu'il a manqué le but de son être,
trompé le dessein que Dieu avait en le
créant, ne devait-il pas s'attendre à
ce que cette mort, gage terrible du
péché, le frapperait
aussitôt ; qu'un Dieu offensé le
ferait rentrer dans le néant d'où il
l'avait tiré, ou que plutôt, le
bannissant pour jamais de sa présence, il le
dévouerait sans délai aux
misères éternelles de ces êtres
qui « sont retenus dans des chaînes
d'obscurité et réservés pour
le jour grand et terrible du juste jugement de
Dieu ? »
Au lieu de cela qu'éprouve-t-il ? Il
voit d'abord un Dieu lent à la colère
qui lui adresse les questions les plus propres
à réveiller dans sa conscience le
sentiment clair et douloureux de son
péché, et à susciter dans son
coeur la repentance qui est le chemin de la vie, -
un Dieu qui condescend à lui donner les
motifs de sa sentence. Et que lui annonce cette
sentence ? Une mort immédiate ? la
destruction ? le néant ?
Non ! « La terre sera maudite
à cause de toi... »
Cette terre n'ouvre donc pas sa bouche pour
l'engloutir ! « Tu mangeras l'herbe
des champs ; tu mangeras ton pain à la
sueur de ton visage... » II y a donc
encore du temps, un sursis pour le coupable !
Sa compagne doit
« enfanter ses fils
dans la douleur... » Adam aura donc des
fils ! La créature de Dieu qui a
mérité la perdition et la ruine est
donc encore appelée à communiquer
à d'autres, à des milliers de
générations futures l'existence que
Dieu lui a donnée, et que, dans sa grande
miséricorde, il ne lui reprend
pas !
Adam qui d'abord était resté muet
devant son juge, Adam qui était
atterré sous le poids de la colère
divine et dont la malédiction du
Très-Haut avait atteint l'âme
tremblante et déjà
dévorée de remords, Adam, à
l'ouïe de la sentence que Dieu prononce, voit
la miséricorde percer à travers les
termes de la condamnation ; derrière le
nuage des malédictions divines il
aperçoit une pâle
lumière ; il y attache sa vue ; un
rayon d'espérance pénètre dans
son coeur ; il lève sur sa compagne,
sur celle qu'il vient d'accuser durement de toute
la faute du péché, et qu'il n'osait
plus regarder qu'avec la honte du crime, il
lève sur elle un regard où se
peignent l'affection et un espoir nouveau :
Tu es Eve (1),
lui dit-il, oui, tu seras
la mère de tous les vivants.
Ah ! mes frères ! s'il y avait eu
en Éden un Esaïe pour nous conserver
les actions de grâces de notre premier
père, comme il nous a transmis celles du roi
De Juda, n'entendrions-nous
pas encore l'hymne d'Adam comme
celle d'Ézéchias ? Les accents
d'Éden le céderaient-ils à
ceux de Sion ? Oui, au lieu de ces mots concis
qui suivent immédiatement la sentence de
condamnation : Adam appela sa femme Eve
parce qu'elle devait être la mère de
tous les vivants ; au lieu de ce peu de
mots, nous aurions entendu ce pécheur,
épargné par la main de la
destruction, répandre son coeur, encore
brisé à cause de sa chute profonde,
en ferventes actions de grâces :
« Tu es Eve, tu donneras la vie ; tu
seras mère ; tu communiqueras cette
existence, que Dieu nous conserve, à des
millions d'êtres que Dieu veut encore
bénir, qu'il veut encore aimer, qu'il veut
sauver. Des générations innombrables
connaîtront le bonheur de l'existence,
vivront sur cette terre, savoureront les douceurs
des relations sociales, se transmettront les unes
aux autres les privilèges que nous allons
leur laisser ; le but de notre
miséricordieux Créateur sera atteint.
Ce monde n'est pas détruit ; notre
chute est profonde, mais n'est peut-être pas
irréparable ; n'avons-nous pas
déjà une promesse de salut pour
l'avenir ? O profondeur des desseins d'amour
de l'Éternel ! O merveilles de sa
bonté infinie ! »
Mais il nous semble entendre quelqu'un demander
avec tristesse : Comment Adam aurait-il senti
et parlé de la sorte ? Quel est donc le
sujet de ses actions de grâces ? Quelle
joie peut lui faire éprouver la
pensée qu'Eve sera la mère de
tous les vivants ?
Quoi ! était-ce un bonheur pour celui
dont l'âme était souillée, dont
le coeur était froissé sous la
malédiction divine, dévoré de
l'amertume du péché, portant
déjà le germe de destruction et de
mort qui le fera rentrer dans la poudre ;
était-ce un bonheur pour un tel être
de penser qu'il communiquerait aux
générations futures une
déplorable existence, une vie
souillée, remplie par conséquent de
tous les maux, de toutes les souffrances qu'enfante
le péché ; une vie sans but,
sans point d'appui, détachée de sa
source ; une vie remplie de ruines et de
misères sans nombre ; une vie dont les
passions impures qui fermentent dans le coeur de
l'homme, comme un volcan impétueux, devaient
faire le théâtre de l'injustice, de la
violence, de la haine, des guerres, de la tyrannie,
de l'orgueil, de l'impureté de tous les
désenchantements les plus amers ; une
vie que l'on commence dans les pleurs et que l'on
termine dans les maladies, l'agonie, la
mort ?
Au lieu de voir dans le triste privilège de
léguer à d'autres une telle vie un
sujet d'espérance et de joie, Adam ne
devait-il pas au contraire y voir le comble de son
malheur ? Ne devait-il pas verser des larmes
amères sur le sort de sa malheureuse
postérité et s'écrier en
donnant à sa compagne un nouveau nom :
Oh ! pourquoi es-tu Eve ? Pourquoi Dieu
t'accorde-t-il le sinistre privilège
d'être la mère de tous les
vivants ?
Hélas ! vous n'auriez que trop raison
de parler de la sorte, mon cher
frère, si en effet Adam n'avait
aperçu dans l'avenir qu'une suite de
générations d'hommes naissant dans la
souillure, vivant dans le péché,
retournant dans la poussière, rendant compte
à un Dieu offensé de tous les crimes
de leur vie. - Mais ne vous y trompez pas ; le
premier auteur de tant de maux, le séducteur
n'a-t-il pas été maudit ? Sa
sentence n'a-t-elle pas été
prononcée avant celle qui atteignit
Adam ? « La prospérité
de la femme ne devait-elle pas briser la tête
du serpent » et sortir victorieuse de ce
combat qui allait s'engager entre l'empire des
ténèbres et le royaume de la
lumière ?
La promesse d'un Rédempteur faite à
Adam fut probablement beaucoup plus explicite
qu'elle ne l'est dans les termes obscurs que nous
venons de citer. Quoi qu'il en soit, Dieu en avait
dit assez pour relever les espérances du
pauvre pécheur qui sans cela eût
succombé sous les coups de sa justice. Nous
avons, dans la première partie de la
Genèse, sinon des preuves, du moins des
inductions suffisantes pour nous convaincre que,
même avant les promesses claires et positives
faites à Abraham, aux patriarches, aux
prophètes, les hommes craignant Dieu eurent,
dès les temps les plus reculés, une
espérance qui ne devait point les
décevoir, bien qu'ils se trompassent sur le
temps de l'accomplissement des promesses. - Ainsi
nous voyons Eve s'écrier, en mettant au
monde son fils premier-né, en qui elle
croyait voir se réaliser ses
espérances : J'ai acquis
l'homme l'Éternel, l'homme
Dieu (2).
Ainsi, nous voyons les premiers enfants d'Adam
instituer des sacrifices dont la signification ne
saurait être douteuse pour quiconque
connaît l'esprit de l'Ancien-Testament et ses
rapports avec le Nouveau. Ainsi encore nous voyons
Lémec, animé de l'espérance de
ses ancêtres, donner à son fils
Noé ce nom qui signifie repos, et
s'écrier, en faisant une allusion
évidente à la sentence
prononcée en Éden :
« Celui-ci nous consolera de la peine et
du travail que nous souffrons à cause de la
terre que l'Éternel a
maudite. »
Voilà, mes frères, l'espérance
qu'Adam avait transmise à ses
descendants ; voilà l'espérance
qui relevait son coeur abattu et qui, au sein de
l'amertume dont son âme était remplie,
lui faisait trouver quelque bonheur à donner
à sa compagne le nom d'Eve et à
l'appeler la mère de tous les vivants.
- Dans ce sens elle ne devait pas seulement
être la mère de ceux qui vivraient
dans les misères d'une terre maudite, mais
aussi de ceux qui vivraient par l'accomplissement
des promesses, qui vivraient par un
Rédempteur, qui vivraient en Dieu, qui
vivraient pour l'éternité !
-
Oh ! mes frères en
Jésus-Christ ! nous qui vivons et qui
portons en nos coeurs l'espérance qui ne
confond point et les gages de la vie
éternelle, ne bénirons-nous pas, avec
Adam, ce Dieu de longue patience, qui, depuis six
mille années, laisse subsister une terre
souillée afin d'y recueillir la moisson de
ses rachetés ? - Oui, que tous les
enfants d'Adam qui vivent pour le ciel, que les
enfants d'Adam, déjà parvenus
à la vie éternelle s'unissent pour
célébrer, avec ce pécheur
d'Éden, les miséricordes de
l'Éternel, et pour le bénir de ce que
celle par qui le péché fut introduit
dans le monde, au lieu d'être
anéantie, pût être
appelée Eve, la vie, la mère de
tous les vivants !
Il est dans notre texte une autre preuve de la
bonté de Dieu envers des pécheurs
qu'il avait l'intention miséricordieuse de
sauver, au moment même où il les
condamne. - Dès que l'homme eut
péché il eut honte de sa
nudité devant Dieu. Il avait perdu son
innocence, sa pureté, et la souillure se
manifeste par la convoitise qu'accompagne la honte
et le remords. En vain il a recours à un
misérable expédient pour voiler sa
nudité ; les feuilles du figuier ne
sauraient cacher sa misère à Celui
« qui sonde les coeurs et dont les yeux
sont comme des flammes de feu ».
Adam est resté sans excuse devant son
Juge ; à l'ouïe de la sentence qui
le condamnait il a eu la bouche fermée.
Mais, ô bonté incompréhensible
de Dieu qui se manifeste jusque dans ses
jugements ! Celui qui vient de condamner le
pécheur veut lui-même couvrir la honte
de sa nudité.
Et l'Éternel Dieu fit à Adam et
à sa femme des robes de
peau et les en revêtit.
Que si, sans entrer dans un système
d'allégories que nous n'approuvons pas, nous
avons été forcés de voir, dans
la honte que l'homme éprouva de sa
nudité après son crime, l'effet
immédiat du péché et la preuve
que son âme était
dépouillée de son innocence et de sa
gloire, ne devons-nous pas voir, dans ces
vêtements dont l'Éternel couvre la
honte de sa créature, plus encore que ne
comportent les termes de l'historien sacré,
qui rapporte toutes ces scènes d'Eden telles
qu'elles devaient paraître à
l'âge de l'enfance du monde où elles
eurent lieu, et sans jamais en indiquer le sens
plus profond ?
Sans doute nous verrons d'abord, dans les paroles
qui nous occupent, la tendre sollicitude et la
condescendance d'un Père qui revêt sa
créature déchue comme il revêt
les lys des champs. Il ne l'abandonne pas ; il
s'intéresse encore à elle ; il
en prend soin ; il lui donne sa nourriture et
lui indique le moyen de se faire des
vêtements. Mais ne nous arrêtons pas
à la lettre qui tue et à la
matière qui ne profite de rien.
Souvenons-nous que c'est le péché qui
a rendu nécessaires ces vêtements dont
Dieu couvre la nudité du
pécheur ; sachons y voir un premier
remède contre le péché, la
première marque des grâces
spirituelles du Seigneur.
Voici les raisons qui paraissent devoir conduire
à cette conclusion. On s'est naturellement
demandé d'où pouvaient provenir ces
robes de peau dont Dieu
revêt Adam et sa compagne. Dès la
création les fruits sont assignés
à l'homme pour sa nourriture ;
après la chute il lui est dit :
« Tu mangeras l'herbe des
champs... », et ce n'est qu'après
le déluge qu'il est permis à l'homme
de se nourrir de la chair des êtres vivants,
ce à quoi il n'était certainement pas
destiné. Ces robes de peau ne pouvaient donc
pas provenir d'animaux tués pour la
nourriture de l'homme. Il est, d'un autre
côté, peu probable qu'il en ait
tué dans le but unique de se revêtir
de leur dépouille. Ces considérations
ont conduit la plupart des théologiens
à conclure qu'un sacrifice solennel avait eu
lieu en Éden, que le sang des victimes avait
été répandu pour ratifier la
promesse miséricordieuse d'un
Réparateur du mal, et que de là
provenaient ces vêtements de peau.
J'avoue que cette opinion ne saurait être
prouvée. Mais n'est-elle pas rendue
très probable par le fait que nous ne voyons
nulle part la première institution des
sacrifices, et que cependant les premiers enfants
d'Adam, Abel et Caïn, offrent des sacrifices
à l'Éternel, l'un les prémices
de la terre, l'autre les prémices de ses
troupeaux ?
D'où leur était venue l'idée
d'adorer ainsi, à la manière de
pécheurs troublés dans leur
conscience, un Dieu offensé ? Ne
fallait-il pas que leur père leur eût
appris le sens des sacrifices ? De plus, ne
voyons-nous pas constamment dans l'ancienne
alliance toutes les promesses solennelles de Dieu
scellées par le sang des victimes qui
préfiguraient, jusqu'à
l'accomplissement des temps, la grande Victime de
propitiation ? Ne nous est-il pas dit dans
cette Parole de Dieu, dont nous ne saurions assez
sonder les profondeurs que « l'Agneau a
été immolé dès la
fondation du monde ? » Oui, mes
frères, j'aime à voir les
grâces de la Rédemption
annoncées en figures au premier
pécheur d'entre les hommes.
J'aime à voir les bénédictions
de l'Évangile s'unir aux malédictions
qu'appelle le premier péché qui
souille la terre. J'aime à voir cette
chaîne non interrompue des promesses de la
grâce de Dieu, unissant, à travers
tous les siècles, Éden et Golgotha,
le premier Adam et le second Adam, la chute et la
Rédemption !
J'aime à penser que le nom de Jésus,
de « l'Agneau de Dieu qui ôte les
péchés du monde », ce nom
si cher à toute âme d'homme qui a
péché, ce nom qui renferme tout ce
qu'il y a dans les cieux d'amour, de
miséricorde, de tendres compassions, j'aime
à penser que ce nom de Jésus, attendu
par l'espérance ou reçu par la foi,
préfiguré par les sacrifices ou
commémoré par la cène, a
été dans tous les siècles
l'espoir des pauvres pécheurs, l'attente de
la postérité déchue
d'Adam.
Ainsi la victime même qui fut immolée
en Éden comme le sceau de la promesse de
Dieu, la victime même dont le sacrifice monta
vers les cieux en oblation de bonne odeur,
revêtit de ses dépouilles nos premiers
parents, couvrit devant Dieu la
honte de leur nudité, et leur
représenta admirablement ce manteau de la
justice du Sauveur que chante Esaïe, et sans
lequel tout pécheur se trouvera
éternellement nu et confondu devant son Juge
suprême, ce vêtement sans lequel un des
conviés du Seigneur, étant
entré dans la salle des noces, fut
ignominieusement jeté dans les
ténèbres du dehors.
Ainsi déjà le premier pécheur
en Éden, comme plus tard Esaïe sur les
monts de la Judée, quoiqu'il vit moins
clairement que le prophète
évangélique le grand salut de
l'Éternel, pouvait, s'élevant
au-dessus de sa honte et de sa misère,
échappant au poids accablant des
malédictions divines, porter ses regards
vers un lointain avenir et répéter ce
chant de délivrance : « Je me
réjouirai en l'Éternel et mon
âme s'égaiera en mon Dieu, car il m'a
revêtu des vêtements du salut, il m'a
couvert du manteau de la justice ».
Mes frères, tel est le grand salut que nous
vous annonçons. Pour vous, comme pour Adam,
comme pour tout pécheur, il n'y en a pas
d'autre. Ah ! souvenez-vous que vous
êtes tous pécheurs comme lui,
condamnés comme lui, et que, si vous
êtes trouvés « nus et non
pas vêtus », rien ne saurait
couvrir votre nudité devant les yeux du
juste Juge au grand jour des
rétributions.
Êtes-vous revêtus ? La justice de
Christ couvre-t-elle devant Dieu vos
péchés et vos transgressions ?
Ou bien seriez-vous encore assez insensés
pour avoir recours aux
feuilles de figuier, aux lambeaux
souillés de votre propre justice ? En
vain, en vain, chercheriez-vous en vous-mêmes
ou dans le monde entier les moyens de voiler vos
iniquités et vos misères ; elles
paraîtront, à votre éternelle
confusion, à la face de Dieu, des anges et
des hommes, si vous ne venez en Golgotha
« humiliés et repentants, recevoir
de Jésus l'efficace de ce sang qui purifie
de tout péché ».
O Jésus ! ô mon Sauveur, unique
espoir des pécheurs depuis Adam jusqu'au
dernier des mortels sur la terre, nous te
bénissons de ce que tu nous as
revêtus, de ce que tu as souffert la honte
qui était notre partage, de ce que tu as
répandu le sang de la nouvelle alliance, de
ce que ton nom seul fait tressaillir notre coeur
d'espérance et de joie ! Oh !
veuille, par ta grâce, mettre le comble
à tes bienfaits en ne permettant pas
qu'aucun de nous ait le malheur de
« négliger un si grand salut, ni
de fouler aux pieds le Fils de Dieu en tenant pour
une chose profane le sang de l'Alliance »
par lequel seul nous pouvons échapper
à la condamnation ! Que tant d'amour ne
soit pas inutile ! « Convertis-nous
et nous serons convertis, sauve-nous et nous serons
sauvés, car tu es notre
espérance ! »
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