L'HOMME
BANNI D'EDEN
MÉDITATION III.
LES ATTRAITS DE LA TENTATION. - LA NATURE DU
PÉCHÉ.
« Et
la femme voyant que le fruit de l'arbre
était bon à manger, et qu'il
était agréable à la vue, et
que cet arbre était désirable pour
donner de la science, en prit du fruit et en
mangea, et elle en donna aussi à son mari
avec elle, et il en mangea. »
Gen. III, 6.
Nous sommes entrés, par une
méditation précédente, dans
cette scène de séduction qui se passe
en Éden. Nous avons vu, par les nombreux
témoignages de l'Écriture, que Satan
fut l'auteur de la tentation, qu'il
s'efforça de faire pénétrer
dans l'âme innocente d'Eve le doute et
l'erreur, tantôt par une question captieuse,
tantôt par une dénégation
téméraire et blasphématoire de
la vérité de Dieu. Nous avons cru
entrevoir aussi dans les réponses de la
femme ce premier trouble qui précède
le mal, cet ébranlement d'une âme qui
chancelle sur le bord de l'abîme, retenue par
la crainte, poussée par la puissance de la
tentation.
Continuons. Entrons de nouveau en
Éden ; nos premiers parents n'en sont
pas encore bannis. Mais, hélas !
pourquoi faut-il qu'en arrêtant nos regards
sur eux et sur les derniers efforts de la
tentation, ce soit pour être témoins
des triomphes du prince des ténèbres
et de la cause des malheurs et de la ruine de
l'homme !
Nous avons déjà eu lieu de vous faire
observer que la nature de la tentation
présentée à Eve, en
Éden, était la seule qui pût
avoir de dangereux attraits pour des êtres
spirituels et purs. Les degrés par lesquels
la femme descend dans l'abîme du
péché et la force qui l'y pousse sont
en parfaite harmonie avec une triste
expérience que nous avons tous faite maintes
fois. Donnons une sérieuse attention au
récit de l'historien sacré ; il
nous concerne tous ; il semble qu'il
dépeigne à l'avance une scène
qui se passe trop souvent dans notre pauvre
vie.
Et la femme vit que le fruit de l'arbre
était bon à manger et qu'il
était agréable à la vue et
désirable pour donner de la science ;
ou, selon les expressions simples et
naïves de l'original, « la femme vit
que l'arbre était pour la nourriture, et un
désir aux yeux, et aimable pour donner la
science (ou plutôt la sagesse, l'intelligence
(1)) ».
Si nous voulions traduire ces idées dans un
langage plus métaphysique,
nous trouverions qu'elles renferment ce que l'on
considère comme les trois
éléments qui constituent la
perfection : la bonté, la
beauté et la vérité.
La bonté, dans ce qui flatte le
goût ; la beauté, dans ce qui
délecte la vue ; la
vérité, dans ce qui donne la science
ou la sagesse. - Et remarquez qu'en recherchant
cette perfection, la femme obéissait
à un mouvement que Dieu lui-même avait
imprimé à sa nature. Oui,
c'était la destination éternelle de
l'homme d'aimer, d'admirer, de s'approprier tout ce
qui est bon, tout ce qui est beau, tout ce qui est
vrai. C'était sa destination de grandir dans
cette perfection qu'il possédait
déjà par sa nature, mais qui
pouvait se développer à l'infini par
son union avec celui qui est la Bonté, la
Beauté, la Vérité, la
Perfection souveraine.
C'était donc en lui seul et dans l'harmonie
de leur volonté avec sa volonté que
nos premiers parents devaient chercher la
perfection. Le commandement que Dieu leur avait
donné avait pour but, en les plaçant
sous la dépendance et la
responsabilité, de les conduire à
cette perfection. Il devait les unir à leur
Créateur et leur donner la conscience de
tout ce qu'il y a de bon, de beau, de vrai dans le
monde moral, aussi bien que dans le monde visible
qui était leur demeure.
Mais, hélas ! un doute a
pénétré dans l'âme d'Eve
déjà coupable par cela
même ; la Parole de son
Dieu n'est plus sa lumière et l'unique objet
de sa confiance ; elle va chercher hors de
Dieu le bien, le beau, le vrai ; que
dis-je ? elle pense le trouver dans l'objet
même dont la jouissance lui est
défendue sous peine de mort, dans la
désobéissance, dans le
péché !
Dès lors tout est changé dans les
objets des désirs de la femme, parce que
tout est changé dans son coeur ;
dès lors nous ne voyons plus dans sa
recherche, d'une fausse perfection et d'un faux
bonheur que ce que l'apôtre Jean appelle
« la convoitise de la chair, la
convoitise des yeux et l'orgueil de la
vie. »
Ce n'est pas sans dessein que nous faisons ce
rapprochement ; il semble que les paroles de
Jean sont une traduction exacte de celles de
Moïse : la bonté, que la
femme pense follement trouver dans un objet dont
Dieu a maudit la jouissance, n'est plus que
« la convoitise de la chair ; la
beauté (ou, selon l'original, un
désir aux yeux) n'est plus que
« la convoitise des
yeux » ; enfin la
vérité (ou la sagesse, la
science qui doivent y conduire), n'est plus que
« l'orgueil de la
vie. »
Mes frères, prenez-y garde ! Vous
surtout, âmes nobles et
élevées, qui, n'éprouvant que
dégoûta la pensée de
péchés grossiers et avilissants,
recherchez des jouissances dignes de vous dans les
choses qui vous paraissent bonnes, belles,
vraies ; - souvenez-vous que rien, rien n'est
tel hors de Dieu ; souvenez-vous qu'au
contraire tout est mauvais, tout
est laid, tout est faux, quelles que soient les
apparences, dans les choses qui sont en opposition
avec la Parole souveraine de l'Éternel. -
C'est une des ruses les plus subtiles du
démon et de notre propre coeur que de nous
persuader, sur de trompeuses apparences, que
certaines choses sont bonnes, propres
à nourrir notre bonheur, lors même que
peut-être elles sont en désharmonie
avec la volonté de Dieu et clairement
défendues dans sa Parole. Il est tant
d'illusions et de prétextes qui trop souvent
nous aveuglent et nous portent à vouloir
juger, par notre propre expérience,
de la valeur de telle action vers laquelle nous
sommes entraînés par un penchant
naturel, au lieu de nous en tenir uniquement
à ce que prononce la règle
infaillible !
Nous sommes entourés d'arbres « de
la connaissance du bien et du mal »,
d'objets sur lesquels Dieu a déposé
l'anathème de sa loi, et que les ruses du
démon et les sophismes de notre coeur
servent trop souvent à revêtir
à nos yeux d'une bonté apparente. Or,
si nous y portons une main téméraire
et rassurée par l'erreur, qu'est-ce qui nous
retiendra sur le bord de l'abîme ?
À l'instant d'une tentation vive et
puissante, qu'est-ce qui nous sauvera si l'action
vers laquelle déjà nous sommes
irrésistiblement entraînés nous
apparaît encore appuyée de mille
motifs plausibles et louables ? Sans aucun
doute nous nous livrerons à cette action,
à cette jouissance sur la foi d'un mensonge,
et quand nous reviendrons à
nous-mêmes nous serons
avertis par l'amertume du péché que
nous avons mis la main sur un objet maudit de Dieu,
et qu'au lieu d'avoir savouré un fruit
bon pour la nourriture, nous avons
été entraînés vers la
ruine par la convoitise de la
chair !
Il y a quelque chose de bien admirable, de bien
digne de la créature de Dieu dans cet amour
du beau que possède l'homme, dans ce
goût exquis par lequel il en juge et qui,
avant sa chute, lui préparait de si nobles
jouissances. Heureux l'homme si jamais il n'avait
séparé dans son esprit ce qui est
beau de ce qui est bon ! C'est à cet
amour du beau que nous devons les sublimes
productions du génie ; heureux si elles
étaient aussi pures que belles ! C'est
à ce don précieux que nous devons
même la douce admiration que nous inspirent
les oeuvres et les perfections de Dieu ;
heureux si cette admiration eût
été toujours un culte pur comme le
culte d'Éden !
Mais, hélas ! ici encore les hommes
n'ont que trop bien imité la première
femme ; ils ont cherché le beau hors de
Dieu, hors de l'harmonie de leur volonté
avec sa volonté. Et dès lors
où est la véritable
beauté ? Il n'y a de beauté que
dans la pureté de l'innocence. Eve avait pu
mille fois arrêter ses regards avec une pure
admiration sur tous les arbres dont Dieu avait
embelli sa demeure, et sur
celui-là même auquel il avait
attaché son commandement ; mais
maintenant chacun de ses regards sur cet objet
agréable à la vue n'est plus
qu'un impur désir, comme l'appelle
Moïse, une convoitise, comme l'appelle
saint Jean.
Telle est aussi notre position au milieu des objets
dont nous sommes entourés et qui avaient
été créés pour notre
jouissance. Hélas ! depuis que nous
sommes pécheurs, ce qui est à nos
yeux revêtu des formes et des couleurs de la
beauté n'est souvent qu'une
malédiction. Prenons-y garde et veillons sur
nous-mêmes ; souvenons-nous que le
péché ne s'offre pas toujours
à nous sous son hideux aspect, mais le plus
souvent sous des formes pleines de beauté,
de charme, d'entraînement ;
souvenons-nous que sous ces fleurs captivantes sont
cachés le crime et l'enfer ;
souvenons-nous que dès que ce qui
plaît aux regards alimente la convoitise, il
y a péché.
Eve était tombée avant d'avoir
porté une main coupable sur l'objet de la
défense de son Dieu ; elle était
tombée, car elle avait ouvert son coeur
à la convoitise. La tentation n'est pas le
péché ; mais, dès que
l'objet de la tentation est, comme pour Eve,
« un désir aux yeux »,
ce désir est, devant Celui qui sonde les
coeurs, le péché même.
« Celui qui regarde une femme d'un oeil
de convoitise a déjà commis
adultère avec elle en son coeur »,
et il en est de même de tous les autres
péchés. - Ainsi le mal qui est en
l'homme, et qui a corrompu toutes ses
facultés, fait de sa
vue même, du plus utile
et du plus admirable des organes dont Dieu ait
orné son corps, de celui par lequel il
pouvait se livrer avec enthousiasme à son
amour du beau, - le mal qui est en nous en a fait
le plus dangereux instrument de
séduction ; ainsi le
péché souille les dons de Dieu, les
détourne de leur destination, flétrit
tout ce qui est beau, et transforme nos plus nobles
jouissances en impure convoitise des
yeux !
Enfin, c'était aussi un
élément de la perfection vers
laquelle l'homme devait tendre que cet amour du
vrai, ce besoin de connaître, cet élan
vers le développement infini des
facultés de son intelligence. Ce don
l'eût conduit à de nobles
résultats, à de pures jouissances,
à un bonheur sans mesure, s'il l'avait
exercé en Dieu, s'il l'avait employé
à avancer dans la connaissance de ses
oeuvres, de ses perfections adorables. Mais
hélas ! ce beau don devint sous
l'influence du tentateur un élément
d'orgueil ; il y attacha sa promesse fatale et
trop bien accomplie : Vos yeux seront
ouverts, vous serez comme des dieux, connaissant le
bien et le mal.
Et avec cette parole s'insinue dans le coeur de la
femme le doute, l'erreur, l'orgueil, une coupable
ambition qu'elle va satisfaire en foulant aux pieds
la défense expresse de son Dieu. Oui, c'est
encore hors de Dieu, c'est au prix de sa ruine et
de celle de sa postérité qu'elle veut
apprendre à connaître la nature du
bien et du mal ! - Que ses enfants
ont bien marché sur ses
traces ! Quel usage l'homme fait-il de sa
noble intelligence ? Quel est le but vers
lequel le savant dirige les résultats de ses
recherches, de ses travaux, de ses veilles ?
vers Dieu, ou vers le monde ? vers la gloire
de Dieu, ou vers la gloire qui vient des
hommes ? à son avancement dans la
connaissance et l'amour de Dieu, ou à la
satisfaction de son orgueil et de sa
vanité ?
La Parole divine a prononcé :
« II n'y en a point qui cherche Dieu, ils
se sont tous égarés. »
Voyez le jeune homme, voyez la jeune personne, chez
qui les dons de l'intelligence viennent de
naître, mais pour qui tout dans le monde et
dans la nature est encore nouveau ; - quel est
l'aliment dont ils nourrissent cette
intelligence ? Dieu, ses oeuvres, ses
perfections, son amour ? non, mais le monde et
ses charmes, et ses séductions, et ses
fausses joies, et les déceptions du coeur,
et cette trame impure de la vie humaine où
ils entrent bouillant de désirs, de
curiosité d'espérance, brûlant
de tout connaître, ambitionnant tout
excepté Dieu et sa vérité, et
n'arrivant jamais qu'à un sentiment de vide
et d'amertume, misérable fruit de
l'orgueil de la vie !
Telle est, mes frères, l'histoire du premier
péché, et l'histoire de tous les
péchés de l'homme. - Tels sont les
attraits qui séduisirent Eve, et les
degrés par lesquels elle se précipita
dans la ruine. Persuadée par « le
père du mensonge » que le
fruit de l'arbre
« est bon, » elle y
attache un regard de convoitise, puis elle
désire connaître le mal. - Dès
lors le mal est consommé ; - les
barrières de la crainte, de l'amour, de la
reconnaissance, de la soumission sont
tombées avec sa foi.....
Elle prit du fruit et en mangea !
Ce n'est plus là que la manifestation
matérielle du péché qui
déjà existait dans son coeur. Un
apôtre a tracé pour notre instruction
le chemin que parcourut Eve, et que parcourent tous
les pécheurs : « Chacun est
tenté quand il est attiré et
amorcé par sa propre convoitise (ses
désirs) ; puis quand la convoitise a
conçu elle enfante..... le
péché ; et le
péché, étant consommé,
produit ..... la mort ! »
Mais hélas ! ce n'est pas tout. Il est
de la nature du péché de se
communiquer de proche en proche et de propager ses
ravages comme la gangrène. Eve est
tombée, mais non pas seule ; elle
entraîne dans sa ruine le compagnon de sa vie
qui partage ainsi sa désobéissance et
son péché. - Dès qu'elle eut
manqué le but de son être envers Dieu,
elle ne tarda pas à devenir infidèle
à sa destination à l'égard de
son mari.
Dès que l'âme se détourne de
Dieu, dès que le coeur n'est plus droit
devant lui et sanctifié par sa communion,
tous les rapports entre les hommes participent
à cette corruption. Les affections les plus
intimes, les rapports les plus doux et les plus
légitimes se tournent en pièges.
Souvent alors nous sommes assez
malheureux pour communiquer à ceux que nous
aimons le plus le poison qui est dans notre
coeur ; premier et amer châtiment de
notre infidélité ! - Ainsi Eve
devait être pour Adam une compagne, une
aide ; elle devait embellir pour lui le
séjour d'Éden ; ajouter le
charme de sa présence au bonheur dont il
jouissait, et partager l'amour pur qui les unissait
l'un à l'autre et tous deux à leur
Créateur. Ils devaient, en un mot, trouver
l'un dans l'autre un doux encouragement à la
fidélité, à
l'obéissance envers leur Dieu. Telle avait
été leur union jusqu'au moment fatal
où le péché entra dans le
coeur de la femme.
Mais dès lors, - ô amertume et
malédiction du péché ! -
dès lors Eve devient la séductrice de
son mari, qui, à son tour, fut le complice
du crime de sa femme.
Je ne sais si elle est vraie l'idée
ingénieuse et douce du chantre d'Eden,
qu'Adam ne se dévoua au crime et à la
misère que pour partager le sort de sa
compagne bien aimée, quel qu'il dût
être ; mais, quoi qu'il en soit, son
péché n'en est pas moins grand. Le
mal n'en est pas moins maudit et la tentation
n'entraîne pas moins la ruine, pour nous
être présentée par une main qui
nous est chère.
Hélas ! pourquoi faut-il que la vie
humaine reproduise si souvent, jusque dans ses
moindres détails, la scène de
séduction et de péché qui se
passa en Éden ! Combien d'êtres
unis par les plus doux liens, d'êtres qui
devaient trouver les uns chez les autres un appui,
un encouragement à la fidélité
et a l'amour de Dieu, une
consolation dans les peines et les épreuves
de la vie, un instrument de
bénédiction entre les mains de leur
Père, n'ont trouvé les uns dans les
autres, au lieu de tout cela, qu'une occasion de
péché, qu'une séduction, et se
sont entraînés mutuellement dans
l'abîme de désobéissance et de
malheur qu'ils devaient se faire
éviter !
Ah ! qu'il est infortuné et coupable
celui qui devient ainsi l'artisan des maux de son
compagnon de voyage ! Est-il moins malheureux
celui qui, ou par amour du péché, ou
par une criminelle déférence pour un
être aimé, devient infidèle
à son Dieu, « aime et sert la
créature au lieu du Créateur qui est
béni éternellement ».
Mes frères, vous que Dieu a unis sur la
terre par les liens du sang ou de
l'amitié ; vous surtout, époux
chrétiens, évitez l'un et l'autre de
ces malheurs et l'un et l'autre de ces crimes. Que
le souvenir des péchés d'Éden
soit gravé dans votre âme ! Vivez
pour vous aimer ; mais soyez, avant tout,
fidèles à votre Dieu ; que son
amour sanctifie votre amour ; que
l'obéissance à ses lois soit le
fondement de votre affection, bien convaincus que
tout attachement dont Dieu n'est pas le lien n'est
qu'une source de souillure et d'amertume.
Il est donc tombé le roi de la
création, celui qui était l'image de
Dieu ? Il vient de commettre, de concert avec
la compagne que Dieu lui avait donnée, le
premier péché qui ait souillé
la terre qu'il
habitait !
Mais, demandera-t-on, est-ce donc là tout le
péché d'Adam, ce péché
dont il est tant parlé, qui remplit une si
grande place dans la théologie des Juifs et
des chrétiens, ce péché sur
lequel on a écrit tant de volumes et auquel
on attribue tous les malheurs de
l'humanité ? Les conséquences
d'un péché en lui-même si
insignifiant peuvent elles donc avoir
été si terribles ?
Cette objection vient uniquement de notre ignorance
sur la nature du péché. Nous ne
connaissons le bien et le mal dans leur vraie
nature que par la Parole de Dieu.
Ce que cette Parole nous ordonne est bien ; ce
qu'elle nous défend est mal, d'une
manière absolue et indépendamment de
l'objet du bien et du mal. Telle est, pour des
chrétiens, la seule règle de
morale.
En effet, Dieu veut régner en souverain sur
le coeur et sur la volonté de toutes ses
créatures douées d'intelligence et
d'affections, comme il règne par sa
puissance sur toute l'étendue de cet
univers. Mais par quel moyen Dieu manifeste-t-il
à sa créature sa volonté
souveraine ? Uniquement par sa Parole.
Dès qu il a parlé l'homme
connaît son devoir ; sa
dépendance et sa responsabilité lui
sont clairement révélées. - Or
s'il obéit à cette parole, s'il reste
dans la dépendance, s'il met sa
responsabilité à couvert, il fait le
bien, il est dans l'ordre. Mais si, foulant aux
pieds cette parole, il tend à une
orgueilleuse indépendance, renie sa
responsabilité, viole l'ordre établi,
il entre alors dans la vie du
crime et de la révolte, il devient coupable
de lèse-divinité, il brise les liens
qui l'unissaient à son Dieu, il se soustrait
à la domination de son Créateur pour
se livrer à une autre domination, celle d'un
monde ennemi de Dieu, ou du démon ennemi de
l'homme, ou de son égoïsme et de son
orgueil qu'il met sur le trône de son coeur
où Dieu devait régner.
Ainsi le péché est dans le coeur,
dans la volonté, indépendamment de
l'objet du péché. Telle chose
pourrait me paraître en elle-même
indifférente ou même bonne, que je
dois m'en abstenir avec crainte si Dieu y a
placé l'anathème de sa Parole.
Tel est, mes frères, le péché
d'Adam. Il ne faut pas en chercher la cause dans
l'arbre de la connaissance du bien et du mal ;
il n'y eut là que l'occasion du crime, parce
que Dieu, pour des raisons à nous inconnues,
y avait attaché son commandement.
Il faut chercher le péché dans le
coeur et dans la volonté de nos premiers
parents. Voilà pourquoi je vous faisais
observer que, dès qu'Eve avait conçu
le désir de violer l'ordre donné,
elle avait déjà péché,
elle était criminelle.
Apprenez donc à connaître la nature du
péché qui est en abomination aux yeux
de Dieu. Souvenez-vous que « Dieu n'a
point égard à ce à quoi
l'homme a égard ; car l'homme regarde
ce qui est devant ses yeux, mais
l'Éternel regarde au coeur ».
Écoutez l'apôtre Paul nous donnant en
un seul mot la définition du
péché d'Adam. Il consiste dans la
DÉSOBÉISSANCE d'un seul homme par
lequel plusieurs ont été rendus
pécheurs.
La désobéissance,
voilà le péché.
Aussi, remarquez que la tentation portait
précisément sur ce point, comme nous
l'avons vu dans notre précédente
méditation. Le mal eut lieu en Eden, au
moment où nos premiers parents
cessèrent de croire l'ordre de Dieu et la
sanction de mort qu'il y avait attachée.
L'incrédulité fut la racine de tout
mal moral ; elle conduisit à l'orgueil
et au mépris de la loi divine, puis à
la violation matérielle de son ordre.
Sachez-le donc, ô vous qui vivez dans un
éloignement habituel de Dieu, vous dont le
coeur, et la volonté, et les affections, et
les pensées ne sont pas habituellement sous
la domination de Dieu et de sa Parole ;
sachez-le, fussiez-vous les plus honnêtes
gens du monde, ne connussiez-vous jamais aucune
violation expresse des lois de Dieu, vous
êtes pourtant, par le seul fait que votre
coeur s'est détourné de lui et de la
soumission à sa Parole, dans un état
habituel de péché ; chaque
instant de votre vie et chaque battement de votre
coeur est un péché !
Loin donc de nous étonner de la rigueur avec
laquelle est puni le péché d'Adam,
parce qu'il nous paraît peu important en
lui-même, tirons de là une
conséquence tout opposée ;
apprenons, par le terrible châtiment de ce
péché, ce que sont aux yeux de Dieu
ces actions que dans notre
ignorance nous appelons de petits
péchés, des fautes
légères. des faiblesses. Ah !
c'est parce que nous sommes nés dans la
corruption que nom considérons ainsi des
péchés commis contre la
Majesté du Très-Haut, contre la
sainteté de Dieu. Quoi ! faut-il donc
que nos infractions de la loi sainte de
l'Éternel soient de grands crimes,
même aux yeux des hommes, pour mériter
son indignation et les coups de sa
justice ?
Mais, au reste, assez de raisonnements. Disons avec
Calvin que Dieu seul est juge compétent de
ce péché commis en Eden, parce que
lui seul en a connu la vraie nature et
l'énormité. Il l'a puni des plus
terribles châtiments. Sa Parole fait remonter
a ce péché l'origine du mal qui
souille la terre et des misères sous
lesquelles elle gémit. Et qui est-ce qui
osera élever vers le ciel un front superbe
et dire à Dieu « qu'il n'est pas
juste quand il parle et trouvé pur quand il
juge (
Ps. 51.) ? »
O Éternel ! Éternel notre
Dieu ! du sein de la misère et de
l'amertume du péché nous nous
écrierons plutôt : « Tu
es juste, juste quand tu condamnes, juste quand tu
maudis ! »
Loin de vous élever contre l'arrêt du
Tout-Puissant, jugez de la grandeur du
péché par la terrible grandeur de ses
suites ! O jour affreux où le
péché vint provoquer la justice du
Saint des saints, souiller un monde
pur, corrompre le coeur de l'homme
fait pour aimer son Dieu, obscurcir de
ténèbres la lumière
céleste d'Éden, répandre par
torrents sur une terre en deuil la
malédiction et la misère ! - O
Adam ! ô roi de la
création ! il me semble te voir
savourer l'amertume de ton péché,
répandre des larmes de sang sur la perte de
cette couronne d'innocence et de gloire, qui ornait
ton front maintenant souillé et
confondu !
Pour la première fois tu arroses de tes
larmes cette belle terre d'Eden, que tu vas perdre
sans retour avec la faveur de Dieu. Mais quels
n'eussent pas été ta douleur et ton
désespoir, si tu eusses pu voir toutes les
générations futures, s'engouffrer
dans l'abîme de souillure et de mort que tu
venais de creuser, - si tu eusses pu voir à
l'avance ce nuage infect de péché que
chaque siècle fait monter vers les cieux, en
témoignage de condamnation, - si tu eusses
pu entendre les foudres de la justice divine
retentir sur une terre jadis brillante d'innocence
et de beauté, - si tu eusses pu entendre les
sanglots et voir les souffrances et les malheurs de
chaque génération d'hommes, - si tu
eusses pu entendre « le
gémissement de la création
entière assujettie à la
vanité », - si tu eusses pu voir
les ravages et les désordres de ce
péché qui ne trouve de remède
que dans la mort du Fils éternel de Dieu, -
si tu eusses pu voir ce Rédempteur
charitable expirant sous les coups de la justice
divine et dans les angoisses de la mort seconde, -
si tu eusses pu entendre le retentissement de
la trompette du jugement
redoutable qui mettra fin aux choses
présentes, - si tu eusses été
témoin des tourments sans fin et sans mesure
des réprouvés !....
Mes bien-aimés frères, je
m'arrête devant ces abîmes ; nous
avons assez parlé du péché
d'Adam ; parlons de nos propres
péchés.
Ah ! souvenons-nous que, si nous souffrons
pour le péché qui souille la terre,
c'est pour nos propres péchés que
nous sommes condamnés. - Souvenons-nous que,
si « par un seul homme le
péché est entré dans le monde,
et par le péché la mort, la mort a
régné sur tous les hommes parce
que tous ont
péché ».
Tous ont péché !
Voilà ce que nous dit la Parole de
l'éternelle vérité ;
voilà ce que nous crie notre
conscience ; voilà ce que proclame
chaque regard que nous jetons sur notre vie. -
Oh ! sentons, déplorons nos
péchés avec autant de regret, de
douleur, d'amertume et de repentance que dût
en éprouver Adam lorsqu'il fut banni
d'Éden. Pleurons sur nos
misères ; - foulons aux pieds cet
odieux orgueil qui voudrait nous les voiler, nous
éloigner de la repentance, de l'humiliation,
du sentiment de notre redoutable
responsabilité. - Repoussons avec horreur
l'insinuation du perfide ennemi qui voudrait nous
dire : Vous ne mourrez nullement, et
nous promettre, comme à Eve, la funeste
récompense de l'orgueil et du mépris
de sa loi. Humilions-nous tous ensemble devant
notre Dieu ; puis....
O bonheur ! après vous avoir
montré le mal, nous pouvons, de la
part de Dieu, vous offrir le remède. -
Heureux ministres de la nouvelle alliance, heureux
messagers de la bonne nouvelle ; nous pouvons,
nous devons diriger vos pensées et vos
espérances. non plus vers Eden
fermé et maudit, mais vers Golgotha,
où meurt pour nous « le second
Adam », où
s'élève pour nous l'arbre de vie,
où « le sang de Christ prononce
pour nous de meilleures choses que le sang
d'Abel ».
Là, mes frères, vous qui croyez au
Fils pour avoir la vie, là succède
pour vous la bénédiction à la
malédiction, le pardon au châtiment,
la vie à la mort. Écoutez cette
substitution de la grâce au châtiment
proclamée par la Parole de Dieu :
« Car, si par l'offense d'un seul
plusieurs sont morts, beaucoup plus
tôt la grâce, qui est d'un seul homme,
savoir Jésus-Christ, a abondé sur
plusieurs. Car, comme par la
désobéissance d'un seul homme
plusieurs ont été rendus
pécheurs, ainsi, par l'obéissance
d'un seul, plusieurs seront rendus justes. Mais
où le péché a abondé,
la grâce a abondé par-dessus ;
enfin que, comme le péché a
régné par la mort, ainsi la
grâce régnât par la justice pour
conduire à la vie éternelle par
Jésus-Christ, Notre Seigneur
(Rom. 5, 15,
20.) ».
Aujourd'hui, aujourd'hui encore une autre
voix s'élève dans ce
temple pour nous proclamer cette douce et
précieuse vérité. -
Aujourd'hui le grand Réparateur du
péché, Jésus-Christ s'offre
lui-même à vous avec tous les fruits
de son sacrifice et de sa mort, avec son pardon,
les richesses de sa grâce, les trésors
de la vie éternelle
(2). Êtres
immortels, hommes pécheurs,
hâtez-vous ; tandis que la vie vous est
offerte saisissez la vie ! Et pourquoi
mourriez-vous, ô maison
d'Israël ?
Grâces, grâces à toi, ô
mon Dieu, de ce que tu as trouvé un
remède si efficace à nos maux !
Grâces à toi de ce qu'au lieu de la
condamnation et de la mort tu nous apportes la
bénédiction et la vie ?
Grâces à toi de ce que tu nous as
tirés d'un abîme de misère pour
faire de nous les objets de ton amour infini, les
enfants de la dilection, les héritiers d'un
éternel bonheur !
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