DOROTHÉE
TRUDEL
PREMIÈRE PARTIE
V
Dorothée Trudel avant sa
conversion
Si les paroles et l'exemple de sa mère
furent très salutaires à
Dorothée Trudel, ils ne suffirent pas tout
de suite à changer son coeur. Elle tenait de
la nature de son père ; avec les traits
de son visage, elle avait hérité de
lui une violence qui la faisait souffrir. Dans sa
jeunesse, elle se contentait de dire :
« Je n'y puis rien, c'est un
défaut de race. »
Mais sa parfaite droiture et le sentiment du
devoir la préservèrent des
écueils et des dangers de la jeunesse.
Extérieurement, c'était une belle et
svelte jeune fille. Pourtant dans son coeur
déjà à cette époque
habitait une crainte de Dieu, profonde, solide,
telle qu'on en rencontre rarement aujourd'hui,
surtout chez des personnes qui se tiennent pour
converties et ne le sont pas réellement.
La différence capitale qui la
séparait des autres jeunes filles de son
âge, c'était sa grande
moralité, la pureté de son coeur,
L'impureté, l'immoralité, ce
péché si profondément
enraciné de nos jours qui détruit et
mine des milliers de créatures humaines, qui
s'installe aussi bien dans les familles pauvres,
où le manque de ressources est souvent la
cause de misères de toutes sortes, que dans
les cercles riches où l'on se réjouit
de façon plus savante, cette plaie hideuse
de notre époque, elle l'avait en
abomination. Car celle qui ironiquement plus tard
fut appelée la « sainte
Dorothée », avait appris à
connaître l'existence du Dieu
Saintqui voit dans le secret et
rend à chacun selon ses oeuvres. Et plus
tard, développant en elle ce sentiment, elle
se posera à tout instant cette
question : « Puis-je faire cela en
présence de Dieu ? »
De nature, elle était vaniteuse,
preuve en soit ce qu'elle disait plus tard à
une jeune fille qui s'accusait devant elle de
légèreté : « Tu
n'es pas, à beaucoup près, aussi
vaine que je l'étais avant ma
conversion ; je me rappelle, en effet, que le
samedi, en me coiffant, lorsque j'avais
terminé les quatre larges tresses qui
étaient alors à la mode, je ne me
contentais pas de me regarder dans un miroir, il
m'en fallait un second derrière moi...
(1) »
Dorothée Trudel n'était donc
pas encore convertie : ses petits
défauts de jeunesse, elle ne les mettait pas
au rang de péchés. Il était
nécessaire que Dieu, d'une certaine
façon, attirât son attention sur l'une
de ses légères
fautes pour qu'une première et grande
transformation s'accomplît en elle. C'est en
effet ce qui eut lieu.
Désirant détourner ses enfants
de tout ce qui est contraire à une conduite
pieuse, madame Trudel défendait à
Dorothée la danse, à laquelle elle
était très portée. Mais
celle-ci lui désobéissait souvent sur
ce point, non qu'elle dansât avec les
garçons du village ; elle repoussait
bien plutôt leurs avances, et l'un d'eux
ayant un jour voulu l'embrasser, elle fit, pour lui
échapper, un effort tel qu'elle en conserva
une faiblesse au dos. Elle considérait cet
effort comme la cause première de la maladie
qui la rendit plus tard bossue. Elle aimait, en
revanche, beaucoup à danser avec une amie
qui demeurait chez sa mère, et l'avait fait
souvent le dimanche, ce qui était contraire
à la volonté expresse de sa
mère.
Cette jeune fille mourut subitement et
laissa Dorothée inconsolable.
VI
Première conversion de
Dorothée Trudel
À la vue du départ inattendu de sa
jeune amie, Dorothée Trudel se reprocha
amèrement de ne lui avoir jamais
parlé de ses intérêts
éternels. Elle comprit qu'elle aurait pu
avoir, avec cette jeune fille, des occupations plus
sérieuses que la danse. C'est d'ailleurs ce
qu'elle nous fait remarquer dans une lettre
écrite la dernière année de sa
vie :
« Cela m'affligea si
profondément, dit-elle, que je souhaitais de
n'être plus qu'en Jésus et de
n'assurer plus mon plaisir qu'en mon Sauveur. Je
commençais à me convertir ; mais
au lieu d'ouvrir mon coeur à ma mère,
je me renfermais dans mon chagrin, je luttais
désespérément pour le pardon
de tous mes péchés ; je fus
bientôt épuisée à force
de pleurer, et tombai malade. Enfin, je
déclarai à ma mère que mon
plus lourd péché
c'était d'avoir souvent
dansé le dimanche ; sur quoi, elle me
consola très charitablement
(2). »
Cette première crise dans la vie de
Dorothée est entièrement
déterminée par le sentiment du
péché. Elle est due d'abord à
une cause extérieure, puis à des
causes intérieures. La première
secousse fut pour elle la mort impressive de sa
jeune amie. Puis, tout naturellement, après
quelques réflexions, Dorothée se posa
la question des questions : si Dieu me
rappelait à Lui, comme mon amie, serais-je
prête ? Sa conscience,
déjà si délicate, ne put
répondre affirmativement ; des fautes,
que jusqu'alors elle avait jugées
légères, prirent à ses yeux
une importance de plus en plus grande, une
gravité qu'elle n'avait jamais
soupçonnée. Le poids en devint
même intolérable. Elle dut se
réfugier dans les bras miséricordieux
du Sauveur. Mais cela ne lui suffit pas ; il
lui fallut faire un pas plus
difficile encore : s'accuser devant sa
mère d'avoir dansé malgré sa
défense. Alors seulement la paix rentra dans
son coeur. Les crises semblables ne sont pas
rares : l'aveu du péché à
son Dieu n'enlève rien à la
souffrance qu'il vous cause ; il importe de le
révéler aux hommes. Hélas que
de gens un tel aveu n'arrête-t-il
pas !
Cependant cette crise affaiblit de plus en
plus Dorothée Trudel ; mais la maladie
épura son âme, en la menant presque
jusqu'aux portes du tombeau. « Je devins
si malade, nous dit-elle, que tout le monde crut
que j'allais mourir. Le médecin,
demandé par mon père, me
déclara atteinte de phtisie. Alors je
suppliais les miens, puisque je devais mourir, de
n'avoir plus recours au médecin, mais de
laisser faire le mal, car je serais morte avec
plaisir. Seulement, les pensées de Dieu ne
sont pas nos pensées : mon état
s'améliora. Il me resta cependant ma douleur
au dos ; ma belle stature
dépérit alors ; je devins un
être recourbé, amaigri, tout à
fait desséché. Ceux
qui m'avaient vue deux ans
auparavant, ne pouvaient plus me,
reconnaître...
(3) »
Immédiatement après son
rétablissement, la crise transforma les
relations de Dorothée Trudel avec ses jeunes
amies. Tant qu'avait duré sa maladie, elle
n'avait pu recevoir personne à cause de sa
grande faiblesse. Quand elle revit ses amies, elle
leur raconta dès le premier jour ce qui
s'était passé en elle, ajoutant que,
si elles comptaient se réunir comme par le
passé pour répéter des
bavardages, elle ne se sentirait plus libre de se
joindre à elles ; que, en revanche,
elle était très disposée
à les voir pour parler des choses concernant
le salut.
C'est ainsi que s'accomplit en
Dorothée Trudel une première grande
transformation. Elle avait vingt-deux ans. Sa
personne, bien que petite et contrefaite, n'avait
rien de disgracieux. Habillée de noir et
couverte de la grande pèlerine qui lui
descendait jusqu'à la
ceinture, elle conserva, dans
tout son être un frappant cachet de, modestie
et de distinction.
VII
Maennedorf
Jusque là, Dorothée Trudel avait
habité avec ses parents à
Hombrechtikon, le petit village de montagne
où elle était née. Mais un peu
plus tard, après la mort de sa mère
survenue en 1840, son oncle de Hollande, venu
quelques mois auparavant, la prit chez lui à
Maennedorf, à quelques lieues de là,
sur le bord du lac de Zurich, avec son frère
et ses deux soeurs. Ils y vécurent ensemble
dix ans et un mois, jusqu'au 28 avril 1850.
C'est là que, sur le conseil de son
oncle, elle renonça à son
métier de tisseuse de soie, trop fatigant
pour une personne infirme, et entreprit la
fabrication des fleurs artificielles.
Un neveu de Dorothée fonda vers le
même temps, un atelier de passementerie dans
lequel il occupait nombre
d'ouvriers et d'ouvrières ; plusieurs
logeaient et prenaient pension dans
l'établissement même, et
Dorothée eut bientôt, dans cette
maison industrieuse, sa place toute trouvée.
Elle s'occupait comme une tendre mère, du
bien matériel et spirituel des ouvriers.
Pleine d'énergie, d'ardeur et de sympathie,
elle passa là par des luttes et des
déceptions nombreuses, et souvent encore il
lui arriva de s'aigrir contre ceux qui
résistaient à ses conseils et
à son influence.
Il faut ajouter que, sitôt
arrivée à Maennedorf, elle
s'était mise à fréquenter
assidûment le culte des frères
moraves, qui réunissait les gens pieux du
village ; bientôt, elle fut connue dans
ce milieu par sa décision et son zèle
religieux.
Maennedorf, ce village dont le souvenir est
encore sur tant de lèvres et dans tant de
coeurs, ce petit coin privilégié de
la terre qui vit des centaines de malheureux
réunis dans une même prière,
dans un même élan de
foi, de confiance et d'amour, - Maennedorf, nom
à jamais gravé dans l'histoire, -
où se poursuit encore la même oeuvre
avec le même esprit, - c'est là que
Dorothée Trudel atteignit sa
trente-septième année, l'année
décisive de sa vie, - c'est là
qu'elle entreprit, par la force des
événements, l'oeuvre qui lui a
survécu parce que c'était l'oeuvre du
Seigneur, c'est là qu'après six
années d'une activité sans bornes
elle s'éteignit dans le rayonnement de sa
foi inébranlable et de son ardent amour des
âmes.
Nous aurions aimé, avant d'achever
ces pages, vivre quelques heures de la vie de ce
petit village du bord du lac de Zurich, pour
laisser du moins à la physionomie de
Dorothée Trudel quelque chose de la nature
où elle vécut, de l'air qu'elle
respira, des maisons où s'exerça son
immense charité, mais surtout quelque chose
de cette vie spirituelle dont l'intensité ne
diminuait pas, grâce à son âme
d'élite, entièrement,
consacrée à son Dieu
VIII
Les réunions plymouthistes
On parlait beaucoup, dans le petit cercle que
Dorothée Trudel fréquentait, d'une
nouvelle réunion plymouthiste, fondée
depuis peut à Zurich et où disait-on,
l'enseignement était plus intéressant
et plus spirituel que dans la réunion
morave. Après avoir résisté un
temps à l'attrait de cette apparition
nouvelle, elle se décida enfin à y
céder. Elle aimait à raconter cette
expérience, voici à peu près
en quels termes :
« Avide d'entendre quelque chose
de nouveau, J'allai donc prendre place dans cette
petite assemblée. Nous avions à
Maennedorf toujours les mêmes frères
pour nous édifier, et dans notre
église la prédication avait un
caractère très vague et
général ; aussi n'avais-je,
depuis des années, entendu expliquer la
Bible qu'à un seul point de vue, et cela
encore d'une manière assez monotone. Celui
qui dirigeait ce jour-là
la réunion lut, dans le chapitre XXIV de la
Genèse, l'histoire du mariage d'Isaac. Il
allégorisa ce beau récit, y faisant
voir l'union de l'âme avec le Sauveur et
insistant sur le rôle d'Eliézer, qui
représentait à ses yeux
l'activité du Saint-Esprit préparant
l'âme à se décider pour Christ.
Tout cela était pour moi très
nouveau ; ce fut une fête spirituelle,
comme je n'en avais jamais eue ; je bus les
paroles du prédicateur. Quand le discours
fut achevé, voyant qu'on se préparait
à prendre la Cène, je gardai ma
place, car je me trouvais heureuse au milieu de ces
frères.
Mais voilà que, lorsque vînt
mon tour, celui qui offrait le pain et le vin me
laissa intentionnellement de côté, ce
qui m'attrista et m'inquiéta fort. Il
s'approcha ensuite de moi et me dit :
« Ne vous connaissant pas, je ne pouvais
vous donner la Cène dites-moi, avez-vous
reçu le Saint-Esprit » Cette
question m'embarrassa d'abord ; je me sentais
confuse d'être ainsi interpellée et de
voir ma qualité, d'enfant
de Dieu suspectée, au lieu qu'à
Maennedorf j'étais connue pour une des plus
zélées. Je répondis pourtant
avec franchise qu'on ne m'avait pas beaucoup
parlé du Saint-Esprit, mais que je croyais,
avoir par le sang de Christ, le pardon de mes
péchés. « Ce n'est pas
là ma question, me fut-il
répondu ; il faut que vous sachiez si
vous avez reçu le Saint-Esprit ; et
celui qui l'a reçu le sait ; lisez
seulement à ce sujet le premier chapitre des
Éphésiens et le huitième des
Romains... » Je connaissais bien ces deux
chapitres, et restai vivement impressionnée
par ce court entretien. Ce que souvent j'avais
vaguement supposé m'était devenu
clair : il y avait des lacunes dans ce qui
m'avait été enseigné, et mon
développement spirituel s'en était
ressenti. Mon retour fut occupé d'une seule
pensée il faut, me disais-je, à tout
prix arriver à une pleine
clarté.
« Rentrée à la
maison, je me couchai en même temps que les
autres, mais quand tout le monde se fut endormi, je
me relevai et passai la nuit en
prières et en supplications, luttant avec
mon Dieu pour obtenir les lumières qui me
manquaient. J'étais pleine
d'anxiété, mais en même temps
d'espoir ; je connaissais la
fidélité de mon Dieu et savais qu'il
m'exaucerait (4). »
Les réunions plymouthistes de Zurich
venaient de mener Dorothée Trudel sur le
chemin d'une deuxième conversion, qui devait
compléter la première, tout en la
fortifiant. C'étaient des horizons nouveaux
et ignorés qui s'ouvraient devant elle.
Malgré son premier abandon à son
Sauveur, elle n'eut pas de peine à
reconnaître tout ce qui lui manquait encore.
La continuation consciente de l'oeuvre du
Saint-Esprit en nous, par conséquent la
sanctification, elle ne les avait pas
expérimentées. La
régénération n'avait pas suivi
la conversion. Un tel vide, après quinze
années où l'on s'est efforcé
de vivre avec le Seigneur, aurait pu amener
chez tout autre que
Dorothée un découragement, une
lassitude, qui sait ? le doute ou la
défaite ! Mais Dorothée Trudel
avait de l'énergie : sa nuit
passée en prières en fait
déjà preuve, et dans la suite elle
sut le montrer jusqu'à l'évidence.
N'avait-elle pas encore vivante devant les yeux,
l'image de sa mère, toujours vaillante,
jamais lassée ? Certes l'horizon
pouvait s'obscurcir, la route devenir sombre et
parsemée d'épines... malgré
tout, l'espérance de sa mère
triomphait en elle. « Je connaissais la
fidélité de mon Dieu, et savais qu'Il
m'exaucerait. »
L'exaucement allait être
accordé au prix d'une seconde crise plus
intense encore que la première.
IV
Deuxième conversion de
Dorothée Trudel
C'est à cette époque que vint se
placer une nouvelle expérience spirituelle
qui transforma la vie de Dorothée. Elle y
attachait une très grande
importance ; c'est à peu près en
ces termes qu'elle l'a racontée plus d'une
fois à ses nombreux amis :
« Un de mes principaux sujets de
préoccupation, au temps où j'habitais
chez mon neveu, était sa conversion. Il
avait un caractère emporté, et, tout
en ayant une conduite honorable et des habitudes de
piété, il aimait le monde et ne
connaissait pas la vie nouvelle. Je l'avais souvent
exhorté, et je priais journellement pour
lui.
« Un matin (il pouvait être
neuf heures), assise près de la
fenêtre de ma chambre, je l'entends frapper
une porte en prononçant des paroles
violentes. Je me remets alors à prier pour
lui, m'écriant : « 0
Dieu ! quand enfin convertiras-tu ce pauvre
Jacob ! » À peine avais-je
parlé qu'à mon tour j'entendis, ces
mots : « Convertis-toi
toi-même avant de vouloir convertir les
autres ! » Ces paroles
étaient prononcées d'une voix
solennelle, pleine de douceur et de reproche, qui
me pénétra de telle sorte que, je
restai là comme
foudroyée et
anéantie. Ma vie entière passa en un
clin d'oeil devant moi, tout y était
souillure et péché ; mon orgueil
et ma recherche de moi-même en particulier
m'accusaient d'une manière terrifiante. Tout
ce que j'avais fait m'apparaissait comme
anéanti, et moi-même j'étais
pulvérisée. Il me semblait qu'on me
mettait à nu. En même temps, je vis
comme passer sous mes yeux toute ma Bible. Sur
chaque page resplendissait un seul mot : Moi
l'Éternel, moi, c'est moi, il n'y en a pas
d'autre que moi !
« Je restai pendant longtemps dans
un état de trouble profond, au point que ma
soeur crut que j'avais perdu la raison.
« Cet état dura plusieurs
jours : je m'échappais souvent de la
maison et allais errer dans la forêt :
c'est là qu'après de longues
angoisses la clarté se fit enfin dans mon
âme. La conviction que Jésus le
Crucifié ne m'abandonnerait pas me rendit la
paix.
« Revenue à moi-même,
je me trouvais dans un état de paix et de
bonheur, de béatitude et
de ravissement difficile à décrire.
Je vivais dans un autre monde, dans une communion
intense et non interrompue avec mon Dieu ; la
vie terrestre me paraissait presque impossible et
je me sentais transformée. Au bout de trois
semaines, j'étais encore tellement
absorbée par l'intensité de ma vie
intérieure, que je dus demander à
Dieu de faire diminuer la vivacité des
impressions que j'éprouvais, pour me mettre
à même de vaquer à ma
tâche journalière
(5). »
Qu'ajouter à ces lignes si simples et
si émouvantes qui ne les rabaisse ! On
y sent vibrer un coeur qui est entré enfin
en communion avec son Dieu.
« Convertis-toi toi-même avant de
vouloir convertir les autres », cet appel
direct de la conscience, nettement. exprimé,
et entendu, a porté ses fruits. La lutte de
l'égoïsme, de la propre justice a pris
fin. Et c'est maintenant le rayonnement infini, la
joie débordante, la vie intérieure
avec toute l'intensité
d'un premier ravissement !
Dorothée Trudel a achevé sa
conversion. Jugeant sévèrement son
passé, elle reconnut que, pendant les quinze
années qui avaient suivi sa première
conversion, elle avait conservé beaucoup de
recherche propre et d'orgueil spirituel.
Désormais, elle n'a plus qu'à se
reposer sur son Dieu. Sa fidélité ne
la trompera pas. Il est à remarquer que
partout et toujours, durant la première
crise comme dans toute sa vie, c'est la confiance
en Dieu qui l'a fait triompher, cette confiance
dont sa mère lui avait donné un si
bel exemple !
Et cependant, pourquoi rester dans le
ravissement ? Malgré toute son
intensité, il finira bien par
disparaître : car la vie a
été donnée à l'homme
pour l'activité et non pour
l'oisiveté ou l'extase. À lui de
conserver, de développer, de fortifier sa
vie intérieure, ses impressions et ses joies
par un service reconnaissant envers son Dieu.
Dorothée Trudel le comprit ; elle
n'était ni paresseuse, ni
nonchalante. Pressée de rentrer, au
contraire, en pleine activité, elle demanda
à Dieu de diminuer la vivacité de ses
impressions. Alors, pleine d'humilité et
débordante d'amour, elle reprit
courageusement sa tâche avec foi et
reconnaissance.
Dès lors, l'influence qu'elle
exerçait déjà sur son
entourage et en particulier sur la jeunesse
employée dans la maison de son neveu
s'accentua de plus en plus et de cette
époque datent des changements
décisifs dans mainte existence.
Un de ses amis qui l'a connue dès sa
jeunesse, écrivait : « Celui
qui allait voir Dorothée Trudel vers 1850,
lorsqu'elle était occupée dans
l'atelier de passementerie de son neveu, remarquait
en elle, à côté d'une
vigoureuse intelligence et d'une rare
perspicacité, une faim et une soif de
connaissance et de grâce, avec un amour pour
les âmes qui surmontait tous les obstacles.
Elle ne se contentait pas de connaître les
vérités du salut, mais s'empressait
de les mettre en pratique et de
conformer toute sa conduite aux convictions,
qu'elle avait acquises.
(6) »
Magnifique témoignage qui vient
déjà appuyer fortement la
réalité de la conversion de
Dorothée Trudel et sa profondeur.
Mais qu'avons-nous besoin de donner de tels
témoignages ? Toute la vie de
Dorothée Trudel, à partir de cette
crise mémorable, convainc, fût-ce le
plus incrédule, de la présence du
Saint-Esprit dans une âme, l'âme
même qu'on eût cru là plus
faible et la plus méprisable. Les faits
rendront leur témoignage. Et, si l'on peut
juger de la réalité d'une conversion
par les paroles, surtout par les actes qui la
suivent et par une vie intime, plus que tout autre,
Dorothée Trudel, chemin faisant, nous
touchera par ses discours, nous convaincra par ses
oeuvres et forcera notre admiration par sa vie
intérieure sans cesse renouvelée
auprès de son Dieu !
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