Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



UN SIÈCLE DE MISSION A MADAGASCAR



CHAPITRE X

NOUVELLES ÉPREUVES
LA PREMIÈRE CONFÉRENCE INTERMISSIONNAIRE

Les Missions à l'oeuvre à Madagascar allaient avoir à passer par de nouvelles et douloureuses épreuves. Les passions politiques qui agitaient certains cercles de France allaient avoir des répercussions de plus en plus graves sur la marche des églises et des écoles dans la grande île africaine.

À la fin de 1905, on nommait Gouverneur général à Madagascar un sectaire farouche, M. Augagneur, qui se crut autorisé à faire dans son gouvernement colonial des expériences philosophiques rapides et violentes, sans aucun souci de l'intérêt du pays ni de ses habitants.

Il commença par interdire l'Union chrétienne de jeunes gens de Tananarive qui s'était fondée en 1898 et que M. Bianquis avait cherché à développer par l'envoi en France d'un Malgache particulièrement instruit, Ravelojaona, afin de l'initier aux méthodes suivies en Europe pour la direction des groupes de jeunes gens. D'importantes sommes avaient été recueillies et une grande propriété achetée dans un quartier très central de la capitale. Personne ne pouvait supposer un instant que l'autorisation d'ouvrir le nouveau local pût être refusée.
Or, contrairement à toutes les prévisions, M. Augagneur, dans une lettre à M. Delord, datée du 8 octobre 1906, l'informait que la création de cette Union de jeunes gens était illégale et qu'il en exigeait la dissolution immédiate.
Puis, à la date du 23 novembre, un nouvel arrêté sur l'enseignement paraissait au journal Officiel de la Colonie.

Cet arrêté imposait aux écoles libres des conditions d'existence extrêmement rigoureuses.
Il distinguait trois sortes d'établissements privés :

1° Les établissements dirigés par des Français et ouverts aux enfants européens ;
2° Les écoles à l'usage des indigènes dirigées soit par des européens, soit par des indigènes dûment diplômés ;
3° Les garderies d'enfants : c'était le nom, quelque peu méprisant, donné désormais aux anciennes écoles d'églises, dirigées par des maîtres non brevetés.

Ces garderies, recevant des enfants jusqu'à 12 ans inclus, ne pouvaient être autorisées que « là où, dans un rayon de 6 kilomètres, il n'existait ni école officielle, ni école privée, ni garderie ».
Ainsi l'existence antérieure d'une école ou d'une garderie de la Mission catholique devait empêcher légalement la création, dans un rayon de 6 kilomètres, d'une garderie protestante.
Mais l'article qui apportait l'innovation la plus grave à l'état antérieur était celui-ci :

« ART. 17. - En aucun cas, les écoles privées ou les garderies ne peuvent être établies dans un temple ou un édifice public consacré au culte. »

Or, les 2.800 écoles ou garderies d'enfants que les missions protestantes possédaient encore à Madagascar étaient presque toutes - sauf dans les localités de quelque importance - établies dans les temples. Et il n'existait, en général, aucun local convenable dans lequel on pût les transporter.

L'article 20 exigeait que, pour les écoles, la situation fût régularisée dans les deux mois. Or l'arrêté a été pris à l'entrée de la saison des pluies, saison où, pendant cinq mois, il est matériellement impossible de construire.

La mission protestante française possédait encore, à ce moment-là, près de 90 écoles reconnues et plus de 200 garderies d'enfants, en tout 300 établissements environ (elle en avait eu 500 peu d'années auparavant). Sur ce nombre, il n'y en avait pas 20 fonctionnant dans des locaux spéciaux.

Il est facile de comprendre dans quel trouble ces prescriptions imprévues jetèrent les missionnaires, d'autant qu'une circulaire soi-disant explicative aggrava encore les conditions draconiennes de l'arrêté, réduisant pratiquement à dix jours le délai de deux mois accordé aux écoles privées pour se mettre en règle.
Les écoles catholiques se trouvaient, de fait, beaucoup mieux traitées que leurs concurrentes.

En effet, le protestantisme étant la religion générale des Hova et des Betsiléo avant l'occupation, française, chaque village avait son temple, appartenant à la population. L'administration semblait considérer tous ces temples comme propriétés de la colonie. Les catholiques, venus plus tard, ont dû acheter, ou se faire donner des terrains pour y construire leurs églises et écoles ; ils les avaient fait immatriculer à leurs noms ; c'étaient des propriétés privées.
Or, aux termes de la circulaire, « la division d'un temple pour consacrer une partie à une école ou à une garderie ne sera pas autorisée, si le temple ou l'église sont propriétés de la colonie ; si le temple ou l'église appartiennent à des particuliers, la division pourra être autorisée ».

D'autre part, « jamais la demande de prorogation ne sera accueillie si, dans un rayon de six kilomètres, il existe un établissement d'enseignement publie ou privé, ou une garderie fonctionnant dans les conditions régulières ».

Voici, à titre d'exemple, et sur un point déterminé, la conséquence de ces deux mesures combinées.
Le district d'Andohalo, aux portes de Tananarive, comprenait une population protestante de 12.000 âmes, fournissant 1.000 élèves à ses quinze écoles, dont onze maîtres brevetés. Ces quinze écoles étaient toutes établies dans des temples. Elles devaient donc se fermer au profit de deux écoles catholiques existant dans le district et dont les locaux étaient la propriété des Pères. Ces deux écoles pouvaient à peine recevoir 100 élèves à elles deux. Il n'y avait pas, dans ce district, une seule école officielle.

Et tout ceci n'était peut-être pas le plus grave.
De plus en plus, dans les régions non encore christianisées, l'administration interdisait tout exercice du culte et, par conséquent, la prédication même de l'Évangile en dehors des locaux consacrés au culte. Or ces locaux n'existaient pas et ne pouvaient pas exister dans des régions païennes ! L'autorisation d'en construire n'était d'ailleurs accordée que si elle était demandée par une partie notable de la population indigène, et après enquête faite sur le nombre et la situation des requérants, enquête aboutissant toujours à un refus.

On refusa à un missionnaire le droit de louer ou d'acheter à ses frais des maisons dans une province païenne pour y prêcher l'Évangile. C'était la négation formelle d'un droit considéré comme imprescriptible, car il est solidaire de la liberté de conscience elle-même : le droit de manifestation des convictions religieuses.

Le nombre des enfants fréquentant les écoles privées fut réduit brusquement de 200.000 environ à 25.000. Les nouvelles écoles officielles créées ne purent recueillir plus de huit à neuf mille de ces enfants désireux de s'instruire et qu'on condamnait à l'ignorance obligatoire. Il devint un crime d'essayer d'apprendre à lire à un jeune Malgache.

Les Missions et les églises indigènes firent des efforts inouïs pour essayer de conserver quelques-uns de ces établissements scolaires, si nécessaires au développement de la jeunesse. Mais, par tous les moyens, on essaya de les décourager.

Ce qu'on voulait par toutes tes dispositions, c'était rendre le recrutement des écoles de Mission à peu près impossible : autorisations rarement accordées ; recrutement diminué du fait des stages dans les écoles officielles exigés pour l'entrée dans les carrières libérales ou même professionnelles ; maîtres enlevés aux Missions par l'appât de salaires cinq à six fois supérieurs.
On cherchait en même temps à faire fermer, sous les prétextes les plus futiles, les lieux de culte, surtout dans les régions éloignées.

Le surintendant de la Mission norvégienne exprimait ses doléances dans une note écrite en, 1907:

« 1° Trente temples, disait-il, dans le district de Vangaindrano, ont été fermés en novembre 1905. Huit ont été fermés à la même époque dans le district d'Ambondrona, sans que l'administration ait jamais indiqué les raisons de ces mesures.
« Dans plusieurs localités, l'administration a fait planter des cactus devant la porte d'entrée des édifices.

« 2° Défense a été faite aux évangélistes de se livrer à aucune propagande religieuse.

« 3° Plusieurs fidèles ont été mis en prison pour avoir été surpris, faisant leur culte quotidien en famille avec deux ou trois voisins.

« 4° Au début de 1906, il y avait 279 écoles d'églises avec 15.000 élèves dans le Vakinankaratra. Il y reste une seule école d'église avec 60 élèves.
« Des 43 temples de la Mission luthérienne de Fort-Dauphin, 42 furent fermés en 1906 ; au bout de deux ans de lutte, cinq seulement de ces 42 purent être ouverts à nouveau. »

Ce qui fut plus dangereux encore, ce furent les tentatives d'immixtion de l'administration dans les affaires intérieures de l'église.

À plusieurs reprises, à Tananarive dans l'église d'Ambohitantely, puis à Ambatolampy, à l'occasion de différends survenus entre certains membres de la communauté et les anciens responsables, l'administration soutint les mécontents, fit fermer les temples, entretint visiblement les conflits. Il fallut des années de luttes et de démarches pour que ces questions fussent enfin réglées, et les temples rendus définitivement à l'exercice régulier du culte.

Une campagne de conférences anti-religieuses fut entreprise avec l'appui à peine déguisé du Gouvernement général. Elle n'eut qu'un succès médiocre.
Une grande séance au théâtre municipal se termina même par un fiasco complet. Quand on voulut faire approuver par deux ou trois cents jeunes gens malgaches, pourtant triés sur le volet, un voeu demandant au Gouverneur général la suppression des écoles privées, il y eut chez eux, pour la plupart anciens élèves de ces écoles, un sursaut de conscience. Deux seulement se levèrent : le reste protesta.

Ce qui fut remarquable, c'est la façon dont l'église malgache, dans son ensemble, résista à cette attaque, dans laquelle le Gouvernement général d'alors mit toute son ingéniosité et parfois même tout le poids de son autorité. Il y eut des défections, mais en petit nombre.
L'oeuvre continua à s'étendre.

La Mission protestante française avait rapidement compris la nécessité de décentraliser l'oeuvre. Elle avait hérité de la Mission de Londres plusieurs districts ayant tous leur tête à la capitale et s'allongeant sur des centaines de kilomètres. Elle avait réoccupé tout d'abord des stations anglaises abandonnées comme Tsiafahy, à 22 kilomètres au sud de Tananarive, Fihaonana, à 60 kilomètres au nord-ouest, Ambohibeloma, à 60 kilomètres environ à l'ouest et Ambositra, à mi-chemin de Fianarantsoa, capitale du Betsiléo. Puis elle avait créé des stations toutes nouvelles. La première avait été établie dès 1898 par M. Siméon Delord à Ambatomanga, à 32 kilomètres au sud-est de la capitale et seulement à 3 heures de marche de la première grande forêt bordant le plateau central malgache. À celle-là s'ajouta ensuite la station de Mahereza, nom donné par M. Rusillon au village qu'il créa de toutes pièces, à peu près à mi-chemin entre Tananarive et Ambohibeloma. Il la dota d'un orphelinat et d'un atelier professionnel.

MM. Péchin et Warnet lancèrent bientôt une pointe plus hardie vers l'ouest et fondèrent la station de Miarinarivo, tout près du lac volcanique de l'Itasy, à cent kilomètres à l'ouest de la capitale. M. Martin avait aussi bâti une maison missionnaire à Anosibé, à six heures de marche au sud d'Ambatomanga ; mais cette nouvelle demeure fut bientôt endeuillée par la mort si prématurée de Mme Martin, dont le corps repose là-bas, sous de grands eucalyptus plantés par son mari.
Enfin la station d'Ambatolampy, à 40 kilomètres au sud de Tsiafahy, fut due à l'initiative de M. Maroger, et se développa rapidement.

Mais tout cet effort ne parut bientôt plus suffisant aux membres de la Mission protestante française. La côte avait déjà eu quelques missionnaires. Tamatave avait joui en particulier du ministère de M. Hartley. Mais depuis la conquête, les quelques chrétiens de cette région avaient été laissés à eux-mêmes ; on trouvait seulement une station de la Mission anglicane à Andevorante, à 90 kilomètres au sud de Tamatave. Déjà, les premiers délégués du Comité de Paris, MM. Boegner et Germond, en 1899, puis M. Péchin, en 1900, avaient été frappés de l'importance de l'oeuvre qui semblait s'imposer à Tamatave aux soins de la Mission française. Enfin, en 1905, M. et Mme Escande furent officiellement chargés de reprendre tout ce travail de la côte est en visant avant tout l'évangélisation de la région au nord de Tamatave, jusqu'à Maroantsatra et même éventuellement jusqu'à Diego. Nous verrons plus loin avec quel succès cette oeuvre s'est développée.

Une autre initiative plus heureuse encore fut celle montrée par M. H. Rusillon qui, dans un premier voyage accompli sous les auspices du Comité de Mission indigène de l'Isam-Enim-Bolana, en 1905, avait été surpris de la grandeur de la tâche qui s'offrait au protestantisme malgache dans l'immense région de la côte nord-ouest, depuis l'île de Nosi-Bé jusqu'à Soalala, à l'ouest de Majunga, et de ce port à Maevatanana. Il trouva là plus de 100.000 indigènes encore à peine entamés par la prédication de l'Évangile.

Le Comité de Mission indigène avait envoyé deux ou trois évangélistes Imeriniens. Mais la haine séculaire existant entre les Imeriniens et les Salakava avait entravé régulièrement leur action, et le découragement avait bientôt pesé sur l'âme de ces quelques représentants de l'Évangile, trop isolés et trop peu secondés par une administration qui se fit, sous le gouvernement de M. Augagneur, l'auxiliaire brutale du paganisme. Beaucoup de petites annexes, que les évangélistes malgaches avaient malgré tout réussi à créer, furent fermées d'office ; toutes les petites écoles d'église, où quelques Sakalava et quelques Tsimihety commençaient à apprendre à lire, furent supprimées et non remplacées.

Il fallait aller au secours des quelques chrétiens qui, malgré ces difficultés, avaient su rester fidèles. M. Rusillon repartit, au nom de la Mission de Paris cette fois, au commencement de 1907, et se rencontra à Marovoay avec M. Chazel venant de France. Ce voyage d'enquête fut parfois pénible. On sentait chez les représentants de l'autorité une mauvaise volonté évidente. On chercha à détourner la population des missionnaires. Des chrétiens se virent infliger de fortes amendes, uniquement parce qu'ils avaient reçu chez eux les deux missionnaires français, ou leur avaient offert un peu de nourriture. Mais, comme l'écrivait M. Rusillon, « que peuvent de pareilles mesures quand elles sont prises contre des gens qui ont une idée au coeur et que pousse leur conscience ? » De tous côtés et même d'endroits distants de plusieurs centaines de kilomètres de la route suivie par les deux délégués du Comité des Missions de Paris, des lettres suppliantes arrivaient pour qu'on vînt visiter ceux qui désiraient passer des ténèbres à la lumière.

La Conférence de 1908, après avoir entendu le rapport de ses deux délégués, décida de commencer une oeuvre nouvelle au nord-ouest, à Marovoay, sur les bords de la petite rivière du même nom, à 80 kilomètres au' sud de Majunga.
Il y trouva une forte colonie imerinienne et Betsileo se montant à près de 3.000 âmes, plus un millier d'Indiens musulmans chiites, et une cinquantaine de Sakalava. Ceux-ci avaient plus ou moins abandonné la place devant l'immigration de gens des hauts plateaux et s'étaient retirés vers l'ouest. À l'est de Marovoay s'étendait tout le district de Port-Bergé, qui se remplissait de plus en plus de Tsimihety venus de Mandritsara. Au nord, c'était la région de Majunga où s'étaient donné rendez-vous les races les plus diverses, Sakalava, gens du centre, Makoa africains, Comoriens islamisés, Indiens, etc.

M. Rusillon dut d'abord parcourir en tous sens le pays qui s'offrait à lui et où quelques Pères du Saint-Esprit cherchaient déjà à l'entraver dans son travail. En 1911 il dut rentrer en France. M. Mondain le remplaça et put acheter le terrain sur lequel devait s'édifier la station missionnaire.
Le prochain chapitre montrera à quel point cette oeuvre nouvelle répondait à une nécessité.
Les autres missions protestantes s'étendaient elles aussi. Les Quakers allaient à Ankavandra, puis sur la côte ouest, à Maintirano, au milieu de tribus Sakalava particulièrement réfractaires. Ils furent souvent troublés par toutes sortes de circonstances adverses. Ayant réussi à convertir quelques Sakalava, et à amener trois d'entre eux à s'offrir comme évangélistes, ils se mirent en devoir d'instruire plus à fond ces trois jeunes hommes. Mais l'un d'eux périt dans un incendie et un second devint lépreux. Les sorciers virent là une marque de la colère des idoles nationales. Pendant la guerre mondiale le missionnaire chargé de cette station, M. Ryan, mourut dans le torpillage du navire qui le ramenait à Madagascar.
Au Betsiléo, on entreprit une propagande active parmi les Tanala, ou habitants des forêts, et autour de Mananjary.
Le Comité de Missions indigène augmenta le nombre de ses agents, surtout dans le pays Sihanaka, autour du lac Alaotra.

L'action anti-religieuse exercée par M. Augagneur et son administration n'eut, en fait, que fort peu de résultats. Pendant les années 1907 et 1908, il y eut une éphémère diminution dans le nombre des auditeurs et des communiants ; la Mission de Londres accusa environ 2.000 auditeurs de moins et la Mission de Paris passa elle aussi de 27.000 à 25.000.
Mais, dès l'année 1909, les chiffres se relevaient et, en 1910, la Mission de Londres voyait ses églises se remplir de nouveau de 50.000 auditeurs et la Mission de Paris en recueillait plus de 32.000 et 36.700 en 1911. Les mêmes phénomènes furent observés dans les autres Missions, avec Plus ou moins d'ampleur.

L'ère des difficultés administratives n'était pourtant pas close. On allait bientôt se heurter à un obstacle assez imprévu, provenant du manque de statut légal en ce qui concernait les églises et surtout les assemblées synodales destinées à les relier entre elles.

Depuis 1863, les paroisses voisines se réunissaient tous les premiers lundis du mois ; depuis 1868, le synode général, appelé Isan-Enim-Bolana, et les synodes locaux (Isan-Efa-Bolana (1)) avaient régulièrement fonctionné ; des sociétés d'activité chrétienne, une société biblique, une société de mission indigène, émanation directe du synode général s'étaient constituées et avaient vécu sans encombre de nombreuses années.
Or, le 23 octobre 1911, le Gouverneur général de Madagascar adressait à M. Griffith, missionnaire de la Société de Londres à Tananarive, une lettre par laquelle il l'informait qu'il avait prescrit au parquet d'effectuer une enquête sur les Associations de jeunesse chrétienne de la ville de Tananarive et de la province de l'Imerina, fonctionnant depuis plus de vingt ans dans les Églises malgaches.

« L'enquête, dit M. Picquié, a révélé qu'elles se réunissent dans divers temples, qu'elles ont, trois fois par an, une assemblée générale « pour divers actes de piété » ; que l'association a un bureau « pour organiser les réunions et donner quelques conseils » ; qu'elle est placée sous la direction et le contrôle de pasteurs indigènes et de missionnaires français et anglais « qui constituent un Comité » ; qu'il n'y a pas de cotisation fixe, mais qu'il se fait, au cours des réunions, des quêtes « dont le produit est employé pour secourir les fidèles dans le malheur, pour nourrir les fidèles qui viennent de la campagne et pour les besoins de la Société ».

Sur quoi, la lettre concluait :
« De tout ce qui précède, il résulte bien que les deux Sociétés constituent une organisation en vue d'un but commun et permanent, qui est le caractère fondamental de l'Association. Il existe entre les membres de ces Sociétés un lien résultant de leur participation habituelle aux réunions de l'Association.

« L'absence de statuts délibérés en commun et de caisse commune ne leur enlève pas le caractère d'Association.

« En conséquence, les articles 291 et 292 du Code pénal sont applicables à ces Sociétés qui ne sont ni autorisées, ni reconnues par le Gouvernement.

« J'ai donc l'honneur de vous faire connaître que ces deux Associations doivent se dissoudre immédiatement. Toute réunion de tout ou d'une partie seulement de leurs membres donnerait lieu, à l'avenir, à des poursuites judiciaires. »

Le même jour, 23 octobre, le Gouverneur général écrivait à un autre missionnaire de la même Société, M. Evans, au sujet de ce qu'il appelait l'association illicite des 57 temples, et qui n'était en réalité que le Synode annuel des églises du district d'Ambatonakanga (un des districts ayant à Tananarive leur « église mère », et s'étendant sur une partie de la banlieue). Aux yeux de M. Picquié, « ces réunions possédaient tous les caractères des Associations illicites visées par les articles 291 et 292 du Code Pénal ; elles constituaient une organisation en vue d'un but commun et déterminé : un Comité fixant les époques et lieux de réunion ; les assemblées étant tenues à la suite d'une entente, et les fidèles ou les délégués des 57 temples y assistant ; des fonds étant versés au profit de l'oeuvre poursuivie ; enfin, le but de l'association étant de « s'occuper d'objets religieux », cas visé par l'article 291 du Code Pénal... »

« Jusqu'à présent, poursuit le Gouverneur, l'association des 57 temples n'a pas été autorisée ; d'autre part, j'estime qu'elle ne peut l'être, car elle constituerait un groupement d'indigènes qu'il n'est pas possible, en l'état actuel du pays, d'admettre à discuter et à se concerter dans un but et à des occasions autres que l'exercice proprement dit d'un culte.

« Je vous prie, en conséquence, de prendre les mesures nécessaires pour qu'à l'avenir aucune réunion totale ou partielle de cette Société ne soit plus tenue. S'il en était ainsi, Je me verrais dans l'obligation de poursuivre les chefs, directeurs et administrateurs de cette Association, conformément à l'article 292 du Code pénal. »

Par la manière dont elles étaient rédigées, par les arguments qu'elles invoquaient, ces deux lettres n'intéressaient pas seulement les districts de la Société de Londres dirigés par MM. Griffith et Evans. C'était tout le fonctionnement administratif des églises protestantes qui était menacé, puisqu'on refusait aux indigènes le droit de former une association quelconque et de se réunir pour tout autre objet que la célébration proprement dite du culte.

Devant une pareille atteinte portée à la liberté religieuse, les missionnaires protestants de Tananarive devaient se sentir solidaires : non pas seulement ceux des missions les plus directement touchées, mais aussi les luthériens norvégiens et anglicans. Ils se réunirent, en effet, pour échanger leurs vues, constatèrent aussitôt leur unanimité et chargèrent M. Escande, comme président de la Mission protestante française, d'être leur porte-parole auprès du Gouverneur général.

M. Picquié ne fit aucun difficulté de reconnaître qu'il n'avait pas eu à se plaindre des missions. Il rendit hommage à la parfaite loyauté des missionnaires étrangers aussi bien que français et des prédicateurs indigènes. Il se retrancha seulement derrière les textes légaux qui, suivant lui, ne permettaient la constitution d'aucune association religieuse à Madagascar.

Le 8 novembre, les représentants des cinq missions se réunissaient de nouveau, et, après avoir entendu le récit que M. Escande leur fit de l'entrevue, ils arrêtèrent et signèrent les termes d'une lettre commune au Gouverneur général, lettre mettant en lumière le véritable caractère des associations incriminées et montrant la gravité des conséquences qu'aurait une semblable interdiction si elle était maintenue. Elle rappelait qu'en France, le gouvernement de la République a laissé les Synodes officieux se réunir librement, plus de vingt ans avant le vote et la promulgation des lois d'Association et de Séparation. « Le Synode, disaient les missionnaires, fait non seulement partie intégrante de nos Églises ; il en est la plus haute expression ; il est l'Eglise. » Et ils ajoutaient :

« Vous comprendrez facilement, Monsieur le Gouverneur général, que nous protestions respectueusement mais fermement auprès de vous, contre les deux mesures précitées, et que nous vous demandions de bien vouloir laisser à nos Églises les organisations qu'elles ont possédées depuis leur fondation jusqu'au 23 octobre dernier, et cela jusqu'à ce qu'une loi, ou un décret, ou un arrêté vienne organiser l'exercice du culte public à Madagascar. »

Le Gouverneur répondit le 14 décembre acceptant de surseoir à l'application des mesures envisagées jusqu'à décision du ministre, mais en demeurant inébranlable sur la question de principe.
« J'ai l'honneur, dit-il, de vous faire connaître qu'il ne m'est pas possible de revenir sur les mesures que j'ai adoptées et qui me sont dictées par le respect de la loi et par le souci de mon administration du pays... »

Heureusement le ministre des colonies, saisi du différend, comprit la gravité de la question qui se posait et la nécessité d'arriver à une solution qui tint compte des situations acquises et qui ménageât les susceptibilités en jeu.

Un projet de décret, sorte d'adaptation, à Madagascar de la loi de séparation des Églises et de l'État votée en France, en 1905, fut rédigé dès le début de 1911 et le décret promulgué, après certaines modifications plus ou moins heureuses, à la date du 11 mars 1913.
Ce document mettait fin à l'arbitraire dont nos églises avaient tant souffert jusque-là, et permettait aussi de régler définitivement certains litiges qui avaient douloureusement agité nos fidèles, comme à Ambatolampy.

Un jugement fortement motivé de la Cour d'appel de Tananarive, à la date du 9 décembre 1915, vint fixer la situation légale des collectivités protestantes. Il reconnaissait l'autorité des synodes et accordait la jouissance des temples contestés au groupements acceptant la direction de ces synodes. Par cela même, toutes les dissidences furent comme étouffées et la paix intérieure régna presque partout.
Le décret n'est pourtant pas libéral, au moins dans certaines de ses dispositions les plus importantes. C'est ainsi que l'article 6 donne au Gouverneur général la faculté de refuser l'autorisation d'ouvrir un Temple si, dans un, rayon de huit kilomètres, il y a déjà cinq édifices consacrés au culte et si le nombre des fidèles intéressés au culte est inférieur à quatre-vingts.

Dans l'esprit du rédacteur de cet article, ces dispositions étaient faites en faveur des Églises : elles limitaient le pouvoir jusque-là illimité des Gouverneurs, en même temps qu'elles les autorisaient et les incitaient même à accepter les demandes faites à peu près dans tous les cas, n'envisageant un refus que dans des circonstances rares et nettement justifiées. L'administration, par horreur des responsabilités, les a totalement transformées en un prétexte à refus à peu près constant des demandes de collectivités ne remplissant pas à la fois les deux conditions indiquées dans la loi comme simples motifs de non-autorisation éventuelle. Le mot français « peut » a été traduit par « doit », ce qui est à peu près le contraire. Et le mot « intéressés au culte » qui, dans le texte primitif, était expliqué par l'expression très précise « de tout âge et de tout sexe » a été souvent compris comme désignant des adultes, ce qui a amené des complications sans fin. Quelle monstruosité, en fait, que d'exiger, dans une région semi-désertique, quatre-vingts adultes vraiment chrétiens dans un rayon de cinq, kilomètres avant de les autoriser à avoir un culte public ! Espérons que plus tard un règlement d'administration viendra mettre fin à de pareilles interprétations, absolument restrictives de la liberté de culte et entièrement contraires à la volonté du législateur.

La promulgation de cet important décret sur la législation cultuelle précéda de peu l'arrivée à Madagascar de la plus imposante des délégations que les Églises d'Europe aient jamais envoyées dans la grande île.
Chacune des grandes Sociétés de Missions à l'oeuvre à Madagascar avait désigné trois délégations. Pour la Mission de Paris, les délégués furent MM. Daniel Couve, directeur-adjoint de la Société, Adrien De Jarnac et Pierre de Seynes.
Il s'agissait avant tout de manifester mieux que par le passé l'union profonde de tous ceux qui, venus de pays différents et appartenant à des organismes ecclésiastiques de tendances très diverses, depuis les Anglicans ritualistes jusqu'aux Quakers, en passant par les Luthériens stricts, les Presbytériens, et les Congrétionalistes, veulent cependant travailler d'un commun accord à l'évangélisation de Madagascar. Dans de grandes réunions tenues à Tananarive en octobre 1913 et que présida M. Couve, on affirma cette union des coeurs et cette unité dans la diversité qui est la caractéristique du protestantisme. On fit plus que d'affirmer : la conférence de 1913 fut le point de départ d'une nouvelle période dans l'histoire de l'oeuvre des Missions évangéliques à Madagascar, période marquée par une collaboration étroite et méthodique entre les diverses sociétés.
On procéda à une répartition fraternelle des diverses régions de Madagascar entre les sept missions, de façon à éviter autant que possible les causes de frottement et à intensifier l'action vraiment conquérante.

La continuité de cet effort de coopération fut assurée par la création d'un Comité intermissionnaire destiné à étudier les mesures nécessaires pour l'occupation progressive de toute l'île au nom de Jésus-Christ, à agir le cas échéant comme conseil d'arbitrage, et à rester en relations avec le comité de continuation de la Conférence universelle des Missions d'Edimbourg.

Dès l'année suivante, le Comité intermissionnaire prenait la charge du Collège évangélique Paul-Minault, qui devenait ainsi, à la capitale, un témoignage vivant de l'entente et de la collaboration intime des Missions protestantes.
Il remit aussi à l'étude, dès cette époque, la fondation d'une grande Union chrétienne de jeunes Gens ; mais il fallut, hélas ! attendre encore dix ans pour voir la réalisation de ce projet : n'étions-nous pas à l'aurore de l'année 1914 ?


Table des matières


1. Ces mots marquent la fréquence des réunions de ces Assemblées ; Isan-Enim-Bolana signifie Tous les six mois ; Isan-Efa-Bolana, Tous les quatre mois.

 

- haut de page -