Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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UN SIÈCLE DE MISSION A MADAGASCAR



CHAPITRE XI

LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE ET SES CONSÉQUENCES
À LA CONQUÊTE DES RÉGIONS CÔTIÈRES

C'est au moment même où s'ébauchaient tous ces plans qu'éclata l'épouvantable cataclysme mondial de 1914, qui ébranla toute l'oeuvre missionnaire, en tarissant ses ressources, en la privant du concours de plusieurs de ses collaborateurs parmi les plus jeunes et les plus ardents, et en jetant le trouble dans le coeur des chrétiens indigènes, désorientés tout d'abord par cette terrible manifestation de haine entre nations dites chrétiennes.

« C'est une chose incompréhensible pour moi, écrivit un jeune élève africain, que de voir les peuples qu'on nous disait si sages et qui viennent de Dieu, se détruire entre eux. » Un autre allait jusqu'à dire que pour lui c'était certainement la fin du monde qui arrivait, tellement cette catastrophe lui semblait affreuse.
La violence de la tempête fit toutefois ressortir à nouveau la solidité des fondements posés.

Grâce à leurs efforts désintéressés, les missionnaires avaient su inspirer confiance à leurs fidèles et ils arrivèrent à éclairer ces derniers sur les causes profondes de l'immense conflit.

On nous permettra de nous citer nous-mêmes en donnant ci-après un extrait de notre brochure sur « Nos indigènes mobilisés ».
« Très peu de temps après les premiers combats, et avant même que l'on eût officiellement parlé de l'envoi de troupes malgaches en Europe, la pensée de s'engager directement au service de la France naquit spontanément au coeur de certains des jeunes gens instruits dans les grandes écoles protestantes de Tananarive (École Normale et École Paul-Minault). Et, au premier appel, il y eut de nombreux engagements de jeunes indigènes qui savaient pourquoi ils partaient et quelle cause ils allaient soutenir. Au contact de l'Évangile, leur coeur, leur conscience s'étaient éclairés encore mieux que leur esprit, et ils étaient tout prêts à vibrer à ces grandes notions de justice, de vérité, de défense des faibles qui sont comme l'essence même de l'enseignement de Jésus-Christ.

« Je ne songeais nullement à m'engager, écrivait, peu de temps après son incorporation, un des élèves d'une des écoles de Tananarive, mais j'ai été emporté par ce désir invincible de servir la patrie ; car, lorsque le droit et la justice sont foulés aux pieds par les méchants, il est impossible que le coeur des jeunes ne s'enflamme pas d'une sainte ardeur. »

« Et un autre proclamait sa volonté de tout supporter pour la grande cause dont il avait saisi toute l'importance en adressant aux siens une lettre dont nous extrayons le court passage suivant :

« Je vous donne l'assurance que je saurai remplir jusqu'au bout mon devoir d'enfant adoptif de la France, et montrer ainsi que dans ma poitrine d'adolescent bat un coeur d'homme. »

« Un trait révélateur de l'état d'âme de l'élite malgache pendant les premiers mois de la guerre, a été l'engagement volontaire contracté par le vieux pasteur d'Ambositra, Rajafetra. Dès le début, il voulait partir, afin d'aider du mieux qu'il le pourrait ceux qui avalent déjà répondu à l'appel de la France. Il n'était plus assez fort pour se mettre à apprendre la manoeuvre du fusil. Mais il pouvait soigner le corps et, avant tout, l'âme de ses compatriotes dirigés vers le front.

« Dans une conversation que nous eûmes avec lui à Tananarive, juste avant qu'il ne partît, il nous dit que l'armée alliée était pour lui comme un prolongement de l'Eglise, puisque les soldats combattaient pour cette justice qu'on prêchait au temple.

« M. Péchin, missionnaire de l'Église d'où est parti Rajafetra, écrivait :
« De nombreux Malgaches sont déjà partis comme tirailleurs ou comme artisans, cordonniers, tailleurs, dactylographes. Notre Église d'Ambositra, elle aussi, est heureuse de payer son tribut.« Le Dr Ramamonjisoa, membre du Conseil de l'Eglise, a été invité à travailler à Madagascar parmi les troupes indigènes pendant la durée de la guerre. Comme père de six enfants, il aurait pu être exempté, néanmoins il n'a pas hésité à répondre affirmativement à l'appel qu'on lui adressait. Il vient de partir pour Diégo, laissant sa famille à Ambositra. »

Nos indigènes ont été durant la guerre de véritables missionnaires dans les contrées les plus diverses. Leur foi naïve, mais ferme, leur piété simple et fervente, leur empressement à se réunir entre eux pour prier et leur courage devant la mort firent très souvent impression sur ceux qui purent les voir.

En Allemagne, en Autriche, parmi les troupes d'occupation, aussitôt arrivés dans le pays, ils se préoccupent de chercher un lieu de culte protestant et, quand ils l'ont trouvé, d'en obtenir l'usage pour leurs réunions religieuses. À Landau, ils sont accueillis chez un pasteur retraité. À Semandria, en Serbie, le jour de Noël, quelques protestants malgaches et français, y compris le médecin-chef de la formation, se réunissent pour un culte en commun. En Hongrie, dans la ville de Neusatz, ce sont des tirailleurs malgaches qui apportent à la grande église réformée (2.500 paroissiens) la révélation de l'oeuvre des Missions.

D'autres édifièrent leurs aumôniers européens par la manière dont ils acceptèrent la mort loin des leurs, sur le champ de bataille ou sur un lit d'hôpital.

Citons ces paroles écrites par un ancien élève de l'École Paul-Minault, au sujet de la mort d'un camarade tué au front :
« Secrétaires de l'Intendance de Rochefort, nous partîmes quatre volontaires pour le front. L'un des nôtres est mort bravement le 8 mai, faisant son devoir jusqu'au bout en donnant sa vie pour la France. Son corps est livré à la corruption, mais son sacrifice contribuera à la victoire. Pour moi, le suis toujours prêt à remplir mon devoir et à suivre l'exemple de mon camarade. Si le dois mourir, ce sera pour la France. Promettez-moi de ne pas me pleurer. »

Voici d'autre part comment le pasteur Matossi, alors aumônier des hôpitaux de Menton, raconte la mort d'un Malgache du nom de Ravelojaona :
« Ravelojaona était en traitement dans un hôpital de contagieux ; c'était mon meilleur interprète malgache. Il était toujours souriant, « toujours joyeux » comme dit saint Paul. La joie qu'il avait de me voir se lisait dans ses grands yeux d'enfant. Quand le quittais l'hôpital, une fois notre tournée faite, il me remerciait avec effusion non seulement pour lui, mais aussi pour les camarades qui avaient reçu ma visite.

« Son état empira rapidement, il dut s'aliter. Il était dans une grande salle avec neuf camarades qui, à part deux exceptions, un mahométan et un catholique, étaient tous protestants. Il y avait là quatre Malgaches, deux Tahitiens et un Néo-Calédonien, presque tous formés par la Mission de Paris.

« Un jour Ravelojaona, se sentant plus mal, me demanda la communion. Cela lui donnerait, disait-il, des forces s'il fallait mourir. Et ce fut impressionnant, ce service de Sainte Cène dans cette salle. Comme ses camarades de souffrance n'étaient pas admis au nombre des communiants, ils n'y prirent point part, mais, tout le temps que dura cette simple cérémonie, ils restèrent debout, tête découverte, au pied de leur lit et, au moment de la prière, ils cachèrent tous leur tête dans leurs mains.

« Deux jours après, vers cinq heures du matin, la mort approchait à grands pas. Alors (Je tiens ces détails du médecin-chef lui-même) Ravelojaona appela un de ses camarades de chambre et lui demanda de lire pour lui quelques passages préférés du Nouveau Testament, puis de lui chanter un cantique et enfin de prier. Quand il eut termine, les lèvres du mourant remuèrent encore quelques instants comme s'il priait, puis s'arrêtèrent... Dieu venait de le rappeler à lui. C'était le matin de Noël.

« Le jour des obsèques, devant le piquet d'honneur, beaucoup de ses camarades étaient réunis. Les infirmières et, les femmes de journée qui travaillaient à l'hôpital avaient, contrairement à l'habitude, voulu assister à la levée du corps ; elles pleuraient à chaudes larmes en m'entendant commenter ces paroles : « Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur. Éternel, que je meure de la mort du juste et que ma fin soit semblable à la sienne ! »
Que de faits semblables on pourrait citer ! (1)

D'autre part, une si terrible conflagration ne pouvait pas ne pas troubler certains esprits et amener au jour les secrets désirs, les ambitions longtemps refoulées, d'une jeunesse aussi naïve que romantique. Quelques étudiants en médecine avaient fondé une petite société plus ou moins clandestine, d'abord sans but bien défini ; mais s'étendant, le mouvement finit par prendre, surtout au Betsiléo, une allure à la fois païenne et révolutionnaire : quelques énergumènes ne parlaient de rien moins que de délivrer Madagascar du joug européen ! Tout cela n'aurait eu aucun rapport avec l'histoire des églises si les propagateurs n'avaient prétendu agir au nom des principaux pasteurs et prêtres catholiques indigènes que, dans des listes forgées à plaisir, ils présentaient comme leurs chefs occultes.

Le « complot » fut découvert. Le 22 décembre 1915, des arrestations eurent lieu à Ambalavao, au sud de Fianarantsoa, suivies, deux jours après, par celles, beaucoup plus sensationnelles, des trois pasteurs les plus connus de Tananarive, MM. Rabary, Razafimahefa et Ravelojaona, du père catholique indigène Venance, et des frères Julien et Raphaël, tous deux frères indigènes de la doctrine chrétienne. En quelques jours, plus de quatre cents arrestations furent opérées. L'opinion publique européenne s'affola. Les bruits les plus exagérés circulèrent. L'état de siège fut proclamé dans l'île, ce qui était donner au mouvement une importance qu'il n'avait jamais eue.

On organisa, pour frapper l'imagination, un vaste procès dans la grande rotonde occupant tout le centre du palais de l'ancien premier ministre malgache. Les débats furent publics. Ils firent nettement ressortir, ainsi que l'exprima si bien, aussitôt après, un publiciste français M. Henry Joly (2), qu'il ne s'agissait dans l'affaire « que d'excitation à un complot, d'un complot en rêves pour ainsi dire ». Rien de plus inconsistant que la soi-disant société secrète, rien de plus imprécis, de plus ondoyant que son but, variable suivant les sections et les individus.

Des peines légères auraient dû suffire. Mais il fallait compter avec l'opinion des colons qui exigeait du sang. Une répression sanglante eût été pourtant la plus grave des fautes et eût risqué de compromettre à tout jamais l'oeuvre de la colonisation française, en séparant par un fossé infranchissable la masse indigène des représentants de la France. Les énergiques efforts de nos missionnaires pour éclairer le Gouverneur général réussirent à empêcher la catastrophe. Les peines d'une excessive sévérité qui furent appliquées montrèrent à quel diapason la peur et la colère étaient montées chez le plus grand nombre des Européens. Il y eut dix condamnations aux travaux forcés à perpétuité, quatre à vingt ans, huit à quinze ans, quatre à dix ans et huit à cinq ans.
Sept prévenus étaient acquittés dont trois des quatre pasteurs protestants arrêtés, et les trois prêtres catholiques mis en cause.

En tête de la liste des condamnés le plus durement frappés se trouvait le pasteur Ravelojaona, venu à Paris en 1904-1906 pour s'initier aux fonctions de secrétaire d'Union chrétienne, en même temps que pour s'assimiler plus complètement la langue, la civilisation et la mentalité françaises. Sur de fausses dénonciations, le tribunal avait cru devoir le considérer comme le véritable instigateur de la société secrète. En vain, l'accusé avait protesté avec la plus grande énergie ; en vain ses missionnaires, qui l'avaient suivi de près depuis quinze ans, avaient sans réserve témoigné en sa faveur : Ravelojaona était condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Mais à peine le verdict était-il rendu que ses accusateurs, pris de remords, se rétractaient. Malgré la constatation du faux témoignage, il fallut deux jugements successifs pour qu'enfin Ravelojaona fût acquitté, avec des considérants le lavant de tout soupçon de participation à la société secrète.

Ce douloureux incident n'entrava en aucune manière le développement de l'oeuvre d'expansion du Christianisme.
En effet, dans les années 1917-1920 la marche en avant de l'Évangile prit, dans les régions côtières tout au moins, une allure bien plus rapide que par le passé.

La tourmente mondiale, et les difficultés si inattendues que cette tourmente avait Soulevées avec elle, n'arrêta nullement le développement des oeuvres nouvelles du Boina, de Diégo, de Tamatave, prises résolument en main par la Mission protestante française, ou celle du pays Antsihanaka, faite en commun par la Mission de Londres et le Comité missionnaire indigène de l'Isan-Enim-Bolana.

En 1913, juste à la veille de la guerre, du poste de Marovoay, à quatre-vingts kilomètres au sud de Majunga, poste à peine fondé puisque la station missionnaire n'était pas encore construite, dépendaient seulement douze annexes, parmi lesquelles l'église de Majunga elle-même. Or dès 1918, en plein cataclysme, il devenait nécessaire de dédoubler le district. M. Rusillon dans son rapport pour cette dernière année de la guerre, faisait connaître à ses collègues que 14 nouveaux lieux de culte avaient été ouverts dans les douze mois écoulés, portant le nombre total des annexes à 60. Aussi fallut-il fonder, à Majunga, une deuxième station, où M. Beaulieu s'installa dès 1919. La progression dans le nombre des collectivités de fidèles a continué et, en fin 1924, on en comptait 154, dont 92 pour le district de Marovoay et 62 pour celui de Majunga.
Diégo-Suarez voyait un développement semblable. M. Parisot premier missionnaire placé à Diégo, n'y avait trouvé, en 1914, qu'une quinzaine de lieux de culte. En 1925 son successeur doit s'occuper de tout près de cent annexes.

En 1914, M. Escande se félicitait de la fondation d'une quatorzième annexe dans son district de Tamatave. En 1917, revenant après trois ans d'absence il découvrait toute une floraison nouvelle d'églises nées spontanément dans la région de Vatomandry. Et M. Ferrand, chargé en 1923 de ce district, terminait son rapport relatif à l'année 1924 par les lignes suivantes :

« La construction de la grande école de station sera bientôt terminée, elle pourra contenir 270 élèves. Nous espérons que beaucoup de ces enfants instruits par nous deviendront plus tard des collaborateurs pour l'évangélisation de la côte Est. Il nous faut des agents nombreux ; actuellement, au sud comme au nord de Tamatave, des Églises nouvelles se créent comme par enchantement. Les Betsimisaraka s'éveillent, et leurs progrès, quoique très superficiels encore, sont véritablement troublants, à cause du nombre infime de nos collaborateurs capables de diriger ce mouvement pour amener ce peuple au véritable Évangile.

« Dans la région de Vatomandry, un seul évangéliste, avec l'aide de deux ou trois collaborateurs bénévoles, a pu créer en cinq ou six ans, 36 lieux de culte. À Maroantsetra, il n'y a plus d'évangéliste depuis près de quatre ans et cependant l'unique Église du chef-lieu a maintenant 14 annexes autorisées, nées sous la simple impulsion de laïques. Partout des foyers s'allument, mais ils ne peuvent être soigneusement entretenus et régulièrement visités, cela par manque de personnel indigène, et à cause de l'insuffisance d'un seul missionnaire, chargé déjà aujourd'hui de la direction de 124 Églises. »

À ce zèle pour la conquête manifesté par les chrétiens malgaches, a correspondu un esprit de libéralité remarquable. De plus en plus les églises cherchent les moyens d'atteindre l'autonomie financière.

« L'année 1924, écrivait M. Forget, a été marquée dans le district d'Ambositra par un événement important. Les Églises du Betsileo ont pris, toutes ensemble, d'un bel élan, la résolution de ne plus demander de subsides à la Mission et de réaliser dès juin 1925 l'autonomie financière de nos 105 annexes. »

« Nous avons eu de grandes réunions chaque fois qu'une église a pris pour conducteur un jeune élève de l'École pastorale ou un ancien évangéliste. Ce fut pour moi une occasion de jeter un regard dans la vie des Églises ou dans celle de leurs conducteurs. Trop souvent les replis intérieurs des consciences malgaches nous sont inconnus. Il est bon qu'une fenêtre s'ouvre qui nous permette d'y jeter un coup d'oeil. On est tout étonné alors de constater que les Malgaches vibrent beaucoup plus que nous ne le pensons. Dans le silence de la vie de l'âme, il s'opère à l'insu des hommes, un travail réel, sérieux et profond.

« Les Malgaches sont en général peu expansifs, du moins avec nous Européens ; aussi sommes-nous tentés de croire que leur vie est toute de surface. Non, chez eux aussi, la conscience est vivante ; on peut même dire que, comme chez tous les primitifs probablement, les impressions ressenties, les émotions, les épreuves, les rêves même, les frappent fortement et ont une action décisive sur l'orientation de leur vie. Cela, nous ne le savons pas toujours, mais incidemment, dans un discours, il nous est donné de l'apprendre. C'est ainsi que j'ai su comment un tel avait relevé de ses ruines son Église et groupé les protestants apeurés, au temps des persécutions. J'ai appris qu'un autre, très sourd et que je pensais un peu simple d'esprit, avait été longtemps l'instituteur de son village, il y a bien des années. Ailleurs, j'ai entendu Rabary raconter ses impressions d'enfant, quand son père était mpitandrina à Imerina-Imady, et j'ai été ému de l'entendre dire ces mots qui dans sa bouche avaient une saveur inattendue : « Depuis l'âge de vingt ans, j'aime Jésus. »

Quelques mois après un missionnaire parlant des réunions tenues à Ambositra à l'occasion du cinquantenaire de la fondation de l'Eglise donnait un aperçu saisissant des progrès réalises dans ce demi-siècle.

« Ces réunions, disait-il, ont duré de 8 h. 30 à 16 h. 30 environ, avec une interruption, de deux heures chaque fois pour déjeuner. Les églises d'Europe supporteraient difficilement, je crois, de pareilles séances, qu'il faut endurer patiemment, assis sur des bancs assez durs, au milieu de courants d'air violents, ou au contraire dans une atmosphère trop renfermée, portes et fenêtres étant closes, dans un temple contenant au moins 1.200 personnes. Il nous est arrivé, ces dernières années, d'avoir des auditoires beaucoup plus nombreux, débordant, hors du temple, et remplissant la cour et les deux étages de la Maison du Centenaire ; mais jamais nous n'avons eu d'auditoire plus rayonnant et plus enthousiaste. Ce jour était en effet une date glorieuse pour le Betsiléo. Il y a cinquante ans, il n'y avait pas un seul chrétien dans la région et maintenant nos statistiques accusent l'existence de 30.000 protestants, dont 2.500 communiants. Il y a cinquante ans, il n'existait pas une seule église ici, et maintenant il y en a 109. (En 1895, après la tourmente, lorsque les missionnaires français vinrent à Ambositra, sur les 50 églises existantes, il n'en restait plus qu'une seule.) Il y a cinquante ans, il n'existait qu'un seul conducteur malgache, tandis qu'aujourd'hui nous avons 90 agents (dont 26 pasteurs, 33 catéchistes, 23 instituteurs brevetés à la campagne, 8 garderies). Il y a cinquante ans, l'instruction était un sujet de terreur ; les parents se figuraient que les enfants envoyés à l'école étaient volés pour être envoyés en Europe ; aujourd'hui, au contraire, rien que dans Ambositra même, nos deux écoles de garçons et de filles réunissent chaque matin plus de 1.000 enfants dont les uns commencent à épeler l'alphabet, et les autres se préparent aux deux examens du brevet. Voilà des faits nombreux dont les habitants d'Ambositra (Hovas et Betsiléo) ont le droit d'être fiers. C'est avec raison qu'ils peuvent remercier Dieu, et dire comme le Psalmiste au retour de l'Exil : « L'Éternel a fait pour nous de grandes choses. »

C'est vers la même époque que la Mission protestante française dans un élan de foi, qu'on pourrait presque appeler téméraire, eu égard à ses ressources si limitées en moyens financiers et en personnel, amorça deux importants prolongements de son oeuvre déjà si démesurément étendue, l'un au nord-est dans la région d'Antalaha, l'autre au sud-est dans celle de Mananjary.

Depuis quelques années le missionnaire de Diégo avait fait déjà de temps à autre des tournées de visite dans la première de ces régions, où, dans plusieurs endroits, des planteurs indigènes venus des Hauts-Plateaux, avaient tenté d'organiser de petites églises locales. Mais l'on sentait le besoin d'une véritable direction pour ces troupeaux animés souvent de plus de zèle extérieur que de véritable connaissance de l'évangile. Le nombre de ces petits foyers de lumière allait d'ailleurs en grandissant d'année en année, et bientôt tout un champ de travail nouveau vint s'offrir de lui-même à notre Mission.

La Conférence chargea M. Becker, alors missionnaire à Diégo, de faire un minutieux voyage d'enquête pour étudier la question et choisir le lieu le plus favorable à l'établissement d'une nouvelle station. Et voici ce que disait à ce propos le journal des Missions de juillet 1927 (p. 449) : « Une décision importante de la Conférence est celle qui a fixé à Antalaha la nouvelle station missionnaire de la côte nord-est et le centre du district intermédiaire entre celui de Tamatave et de Diégo-Suarez.

« Cette détermination n'a pas été prise sans une étude prolongée... M. Becker a employé toute une année à étudier sur place l'organisation de ce nouveau district et l'emplacement le plus favorable pour y mettre le missionnaire. Il y a quelque chose d'émouvant à voir, la Conférence de nos missionnaires, si réduite en nombre, accepter cependant les tâches nouvelles qui s'imposent à elle, et répondre à des appels qu'elle ne se sent pas le droit de repousser. »

C'est dans le même esprit d'obéissance à Dieu que notre Société envisagera, à peu près à la même époque, l'éventualité d'une extension de l'oeuvre dans la région de Mananjary. Ce nouveau pas en avant fut la conséquence de la flamme qui brûlait au coeur de M. Groult dont l'activité scolaire déployée d'intense façon dans la direction de l'École Normale de Fianarantsoa, ne satisfaisait pas entièrement l'esprit de conquête. Inlassablement, M. Groult pendant les mois de vacances de son école, sema la bonne semence dans ce grand district où en 1926 il avait déjà réussi à organiser 15 églises nouvelles, outre celle de Mananjary, datant d'avant la conquête française. Mais il qualifiait alors ces premiers fruits de son travail de « pauvres lumignons dans une nuit épaisse », tout en ajoutant : « Il y a partout une grande aspiration vers l'Évangile : ce qu'il nous faudrait, ce sont des hommes, des conducteurs. Il y a des étendues immenses qui n'ont jamais vu un missionnaire. La vérité est qu'il faudra un jour ou l'autre, se résoudre à placer un missionnaire à Mananjary. Il y aura alors un district presque aussi grand, que l'Imerina et qui deviendra vite aussi florissant que ceux du nord. »

Le 14 août 1928, M. Groult revenait sur la question en constatant qu'il avait déjà pu ouvrir trente annexes, en dépit des désastres causés par un cyclone qui avait jeté par terre une vingtaine de temples, dont dix-huit avaient été rebâtis rapidement par les fidèles eux-mêmes. « Ces petites églises de la grande dispersion, presque des orphelines, auxquelles je ne puis donner qu'une parcelle de mon temps et dont je m'occupe surtout par correspondance, s'étonnent que la Mission protestante française ne leur donne pas les mêmes soins et le même amour qu'aux églises du Nord, et ne leur envoie pas un missionnaire à demeure. »

M. Groult dut attendre près de neuf ans encore, avant de voir la question de cette nouvelle station à fonder, aboutir en principe. Au début de 1937, en effet, M. Schlcesing, accompagné de M. Kaltenbach, vint visiter Madagascar avec une mission officielle du Comité de Paris, et lors de la conférence générale qui se tint à Tananarive en avril, un vote fut émis concernant la nécessité de donner le plus tôt possible au district de Mananjary le missionnaire réclamé avec tant d'insistance par celui qui depuis quinze ans s'efforçait d'apporter dans la région la lumière de l'Évangile. Le Comité de Paris ratifia ce vote et avait bien espéré passer rapidement à la période des réalisations. La nouvelle guerre de 1939 vint malheureusement l'obliger à remettre à plus tard cette création nouvelle.

Cet accroissement constant de l'oeuvre de la Mission de Paris, dont l'ouverture de la nouvelle station d'Antalaha, et les débuts de celle de Mananjary furent les marques les plus évidentes, put se constater à peu près dans toutes les régions côtières.

Au nord-ouest, dans le Boina, les progrès furent un peu plus lents qu'à l'est et cela pour plusieurs causes. En premier lieu, dans les années 1931 à 1936, il y eut une certaine perturbation dans le personnel missionnaire ayant charge de l'oeuvre. Pendant de longs mois, une institutrice, Mlle Becker, demeura seule dans cet énorme district, presque aussi grand que le douzième de la France entière, avec des moyens de communications à peu près inexistants (sauf en ce qui concerne la route reliant Majunga à la capitale). Successivement, MM. Peyrot et Mondain furent chargés, tout en habitant Tananarive, de veiller à la bonne marche des deux cents et quelques églises dépendant directement de la Mission protestante française, sans compter les quelque quatre-vingts lieux de culte, dont le Comité d'Évangélisation indigène de Tananarive (Isah-Enim-Bolana) garde la responsabilité financière, tout en laissant aux missionnaires du Boina la direction générale.

En second lieu, les progrès de 1925 à 1930, ainsi qu'on a pu le constater dans les pages précédentes, avaient été très rapides, et il était nécessaire de consolider les annexes récemment fondées, avant de se lancer dans de nouvelles créations. Malgré cela, l'oeuvre grandit peu à peu, et en 1943 en pouvait compter 250 temples dans la région, dont la Mission française avait la charge entière. Le nombre des établissements scolaires s'était aussi accru, et à Majunga même, un, grand internat commencé par M. Dautheville (continué par M. Mondain, pendant un intérim de quelques mois fait en 1936), fut achevé par M. de Visme et put abriter 32 internes, ce qui permit de développer davantage la préparation aux examens officiels.

Le District de Tamatave fut, pendant la même période, lui aussi, le théâtre de succès réjouissants, en dépit de circonstances, à vues humaines, tout à fait défavorables. Tout d'abord, en 1927, une très sérieuse catastrophe s'abattit sur la partie centrale du district, détruisant un grand nombre de lieux de culte et semblant mettre en péril toute l'oeuvre de la région.
En effet, le jeudi 3 mars 1927, se déchaînait sur la côte est un terrible cyclone dont Tamatave fut le centre et qui, faisant de nombreuses victimes, transforma la station missionnaire, les quatre temples protestants et les deux écoles de la mission, en un monceau de ruines. Dans toute la région, plus de 40 temples furent également détruits, Il semblait qu'un coup fatal eût été ainsi porté à l'oeuvre religieuse dans tout le pays côtier.

Or il n'en fut rien. Le dimanche 13 mars (10 jours après la catastrophe) eut lieu le premier culte malgache convoqué après le désastre, sur le terrain de la Mission, au milieu du chaos formé par les débris des immeubles renversés. Les différentes églises de la ville étaient largement représentées. Depuis des années, des rivalités de prestige, de castes et de rang social, avaient séparé trois de ces communautés, en dépit des efforts incessants des missionnaires qui s'étaient succédé au poste de Tamatave. Or à la fin de ce culte, les anciens de ces trois églises déclaraient unanimement : « Par le cyclone qui vient de raser notre ville, Dieu nous a parlé, et nous sommes résolus à écouter sa voix. En détruisant nos demeures, nos temples et nos écoles, Il a aussi balayé nos divisions, nos chicanes et nos rivalités. C'est pourquoi nous avons résolu de nous unir pour relever nos ruines ». Et ce ne furent pas là de simples paroles ; les actes suivirent. En quelques semaines, une grande salle provisoire en bois, pouvant contenir jusqu'à 800 personnes, fut édifiée ; les écoles furent rebâties, et bientôt grâce à l'union et à la ferveur de tous, un nouveau projet enthousiasma les fidèles, galvanisés il faut le dire, par l'infatigable ardeur de leur missionnaire d'alors M. H. Brunel. Ce projet consistait à élever à Tamatave un temple beaucoup plus grand que ceux qui avaient été élevés dans le passé.

Pendant plusieurs années, les fidèles aidés par le concours des Églises d'Imerina, rivalisèrent de zèle, de générosité et de travail effectif, pour dresser à la gloire de Dieu un temple magnifique. C'est un édifice de 46 mètres de long, tout en béton armé, orné de hautes verrières et flanqué de deux tours élégantes. Il fut solennellement inauguré le 31 octobre 1937, en même temps que s'y déroulait la cérémonie de consécration de six pasteurs malgaches. « Cette consécration - écrivait M. Becker - était la première que notre Mission célébrait avec imposition des mains. Ce fut une puissante démonstration d'universalisme chrétien, les candidats appartenant à plusieurs races différentes. »

Et pourtant le cyclone de 1927 ne fut pas le seul coup que le district de Tamatave eut à subir. En janvier 1926 déjà, un cyclone passant sur Vatomandry avait mis par terre une cinquantaine de lieux de culte ; le 28 février 1928, un autre cataclysme semblable sévit dans l'extrême sud, du district, et de nouveau le 11 février 1929, un cyclone de violence pareille à celui de Tamatave, se déchaîna sur Brickaville et Andevorante, mettant en miettes plus de quarante temples : une des églises ainsi détruite en était à sa quatrième démolition en moins de cinq ans.

Après chacune de ces épreuves, pourtant si répétées et si proches les unes des autres, bien peu perdirent courage. Non seulement on redressa les ruines avec une admirable énergie, mais on voulut qu'aucune des activités religieuses ne se trouvât entravée par la nécessité où l'on était de consacrer de grosses sommes et de nombreuses heures de travail bénévole à la remise en état des lieux de culte disparus. Le travail d'évangélisation fut poussé avec le même élan qu'auparavant, et l'extension du champ de travail se poursuivit. En 1924, alors que le nombre des communautés dont il avait la charge s'élevait à 124, le missionnaire de Tamatave trouvait déjà la tâche bien lourde pour un seul homme. Or, en 1939, ce nombre était monté à plus du double, et devait atteindre en 1944 le record merveilleux, mais presque dangereux de 304.

Des développements du même genre ont pu être constatés dans d'autres régions plus ou moins éloignées de la mer. Le district d'Ambatornanga s'était depuis des années étendu vers l'est, depuis la plaine de Moramariga (grosse localité sur la ligne de chemin de fer de Tamatave, à environ 120 km. de la capitale) jusque fort loin dans la direction de la province de Vatomandry. M. Foltz, puis M. Raymond Delord, continuèrent avec zèle et persévérance, les efforts de leurs prédécesseurs dans ce sens et eurent la joie de voir s'ouvrir de plus en plus à l'Évangile cet arrière-pays, dont la population était restée jusqu'à ces dernières années, entièrement païenne. « Cet immense district - écrivait M. Delord le 10 octobre 1929 - est limité au point de vue missionnaire par les églises de la Mission de Londres (au nord de la voie ferrée), par celles de notre collègue de Tamatave à l'est, par celle des Norvégiens d'Antsirabé au sud du fleuve Onive. Au sud-ouest, nous ne pouvons faire autrement que de répondre aux appels des villages païens que la Mission anglicane n'a pas su atteindre. Bien que nous côtoyions ainsi de loin les champs de plusieurs Missions soeurs, nous ne risquons pas de nous disputer les chaires de nos modestes temples. Le missionnaire est bien sûr de ne jamais rencontrer son semblable dans la grande forêt. »

Peu à peu, le nombre des annexes fondées dans cette région dépendant de Moramanga, monta au chiffre respectable de 70. Aussi la Conférence générale, saisie plusieurs fois de la question, se décida-t-elle à envisager la création d'une nouvelle station à Moramanga même.

Dans leur visite à Madagascar en 1937, MM. Schloesing et Kaltenbach acceptèrent au nom du Comité le principe de cette extension de l'oeuvre Un grand terrain fut acheté en Vue de la construction de la future station, et des dispositions furent prises pour l'établissement d'un missionnaire. Parallèlement à ces projets d'extension, un réel travail, d'organisation intérieure était poursuivi et aboutissait à une refonte générale des règlements ecclésiastiques. « On peut noter, - disait le rapporteur de la Conférence de 1938, - le développement de l'organisation des églises en paroisses régulièrement constituées et les efforts persévérants tentés dans le plus grand nombre des districts pour établir une caisse centrale commune à toutes les communautés religieuses de chacun d'eux. »

M. Pilet déclarait que, dans son grand district du Vonizongo, l'organisation en paroisses de ses 90 communautés, poursuivie depuis quelques années, paraissait solidement constituée, et qu'en même temps s'était heureusement réalisée une caisse centrale, après de longs et laborieux efforts. Grâce à cette caisse, pour la première fois depuis six ans, les agents avaient tous pu être payés normalement.

De son côté, M. Becker, se félicitant d'un recrutement plus abondant et milieux qualifié de l'École Pastorale qu'il dirigeait, attribuait cet heureux résultat à plusieurs facteurs, dont l'introduction dans la Mission de Paris de la consécration pastorale, et la réorganisation des districts au point de vue financier. L'établissement d'une caisse centrale, en effet, rend au ministère sa dignité et affermit son autorité spirituelle ; il permet aussi d'assurer aux agents fidèles une modeste retraite. M. Becker ajoutait les conclusions suivantes : « Notre Mission fait depuis plusieurs années un gros effort d'organisation, d'unification et de discipline ; ne cédons pas à la tentation de sous-estimer la portée de cet effort : il est de première importance ; ne le rabaissons pas à la recherche de recettes matérielles : il est susceptible des plus belles moissons spirituelles, si même il n'en est pas la condition indispensable. » Dressant le bilan de dix années d'activité à l'École Pastorale depuis le départ du directeur précédent, M. Frédéric Vernier, il pouvait dire que 40 des élèves qu'il avait eu à former étaient au travail, la proportion des vocations interrompues n'étant que de 4 %.


Table des matières


1. Voir notre livre intitulé : Nos indigènes mobilisés.

2. Journal des Débats du 14 mai 1916.

 

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