Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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UN SIÈCLE DE MISSION A MADAGASCAR



CHAPITRE VII

INTERVENTION DE LA SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
LUTTE CONTRE LES JÉSUITES

Avant même que ces tragiques événements n'aient éclaté, la Société des Missions de Paris avait compris son devoir d'intervenir à Madagascar pour préserver les églises protestantes malgaches de l'assaut qui s'était préparé depuis longtemps et qu'on sentait tout proche. Dès que fut connue en France la reddition de la capitale de l'île, le Comité lança aux chrétiens de France l'appel suivant :

Paris, le 24 octobre 1895.

« L'occupation de Tananarive et l'acceptation, par la reine Ranavalona, du traité apporté par le général Duchesne, ont placé Madagascar dans une relation d'étroite dépendance à l'égard de notre pays. La France exercera désormais sur les destinées de la grande île africaine une influence prépondérante.

« Une question se pose dès lors devant le protestantisme français, celle de son devoir envers Madagascar. Devoir complexe et difficile : car il ne s'agit pas simplement, il ne s'agit pas en première ligne des païens à gagner à l'Évangile. Ce n'est pas que les païens manquent à Madagascar, mais ce qui est en question, aujourd'hui, avant tout, c'est l'avenir réservé aux Églises protestantes que soixante-dix-sept années d'héroïques travaux ont constituées à Madagascar. Cette conquête, une des plus nobles de la mission évangélique, l'Eglise romaine se prépare à la disputer : les mandements de nos évêques, qui saluaient dans l'expédition une nouvelle croisade, ne laissent aucun doute à cet égard. Sans doute, la foi des traités et les principes de libéralisme dont s'honore notre pays garantissent la liberté aux Églises et aux missions protestantes de Madagascar et commandent une confiance que déjà les faits semblent justifier. Il n'en est pas moins vrai que, dans l'intérêt de la cause protestante et de l'oeuvre missionnaire, l'intervention d'un élément protestant français semble désormais s'imposer. »

Les craintes qui se font jour dans ce document étaient malheureusement trop justifiées.
Le premier Résident Général, dûment averti de ce qui se tramait, maintint d'abord en respect ceux qui s'étaient flattés de renverser, à la faveur des troubles survenus dans l'île, l'oeuvre patiemment édifiée par les représentants de l'Évangile, et les deux premiers délégués envoyés par le Comité de Paris, MM. Krüger et Lauga, crurent, tout d'abord que le calme ne tarderait pas à revenir et qu'il suffirait de fournir aux missions anglaises et norvégiennes quelques hommes spécialement au courant des méthodes d'éducation françaises pour leur permettre de rétablir ce qu'avait détruit le fahavalisme et reprendre la marche en avant.

Ils se rendirent pourtant compte du danger couru par le protestantisme malgache. Le 20 mars 1896 M. Lauga écrivait ces mots :
« ... Que notre arrivée a été providentielle ! C'est ce que ne cessent de nous répéter les missionnaires qui nous entourent, et ce dont nous nous apercevons nous-mêmes de jour en jour. On ne peut guère se faire de loin une idée, même approchante, de l'état d'esprit des populations qui nous entourent. Chez la masse, le moral a été tué par l'oppression odieuse des grands qui, assoiffés d'or (ou plutôt d'argent, car l'or n'existe pas ici comme métal monnayé), ont usé pour s'en procurer de tous les moyens, inventant des accusations contre ceux dont ils convoitaient les biens, les jetant en prison ou les faisant décapiter après des jugements de complaisance, ou bien les dépouillant purement et simplement par la violence. Aussi quand, après la conquête, les jésuites et leurs partisans se sont mis à crier tout haut que, pour être Français, il fallait se faire catholique, ces gens ont-ils pris peur. Dans une foule de villages ils n'osaient plus aller à l'église et se demandaient avec angoisse s'il ne faudrait pas aller plus loin et entrer dans l'Eglise romaine. Le général Duchesne a, certes, fait beaucoup pour les rassurer, mais il n'y a réussi que partiellement, même dans la capitale ; au loin, on n'a pas connu ses déclarations, ou bien, grâce aux affirmations contraires des catholiques, on n' y a pas cru.

« Certes, il y a des exceptions au principe général que je pose là. Les chrétiens vrais ont tenu bon un peu partout, mais ils n'en étaient pas moins très inquiets, eux aussi ; et, comme ils sont la minorité dans ces masses protestantes de nom et de préférence, mais encore singulièrement ignorantes, l'état général des esprits était vraiment inquiétant. Il n'y avait pas eu encore beaucoup de défections, mais on pouvait les prévoir à brève échéance. C'est là-dessus que nous sommes arrivés, affirmant par notre seule présence l'existence d'un protestantisme français, existence à laquelle on commençait à ne plus croire. »

Le mouvement d'insurrection, s'accentuant soudain, vint changer une fois de plus la face des choses.
À la fin de juillet 1896, M. Lauga écrivait :

« Ils (les prêtres jésuites) ont commencé, sur ces populations terrorisées par le brigandage dont elles sont les victimes, autant que par les événements de l'an dernier, une oeuvre d'intimidation qui pourrait, si on n'y opposait pas une action énergique, avoir les plus graves conséquences. Dans toutes les stations excentriques plus ou moins atteintes par l'insurrection, ils obtiennent qu'on envoie des postes militaires, - ce qui est excellent, - mais, au lieu de se contenter de travailler loyalement sous cette protection, ils en profitent pour faire une guerre déloyale et acharnée au protestantisme. Aux officiers chargés de défendre la région et de conduire les enquêtes, et qui, dans ces villages sans ressources, sont presque toujours leurs hôtes, ils dénoncent systématiquement comme rebelles les hommes qui ont quelque influence religieuse dans l'Eglise protestante, toujours de beaucoup les plus nombreux, et qui, après avoir été les premières victimes des fahavalos, qui ont détruit, pillé et brûlé leurs maisons, quand ils ne pouvaient pas les massacrer eux-mêmes, se voient appréhendés par ceux qu'ils croyaient leurs protecteurs. Puis, les troupeaux une fois privés de leurs hommes influents, ils se livrent sans ménagement à leur oeuvre d'intimidation, publiant, au milieu de ces populations apeurées, que quiconque ne viendra pas à l'Eglise catholique sera considéré comme rebelle et en subira les conséquences.

« J'ai dû, depuis le départ de Krüger, recommencer mes courses au-dehors pour aller, dans diverses directions, essayer d'empêcher cette oeuvre diabolique de porter ses fruits, et j'espère y avoir en partie, et pour un temps du moins, réussi. »

En septembre de la même année, M. Laroche était remplacé par le Général Gallieni. Les représentants de l'église romaine se firent plus agressifs. Ayant mis, auprès des officiers chargés de l'administration et de la police des différentes provinces de l'île, des élèves à eux comme interprètes, ils suivirent une tactique des plus cyniques.
Ils accusèrent de connivence avec les fahavalos, les membres les plus influents des églises protestantes. Ces gens arrêtés, traduits devant l'officier chef du secteur, virent leurs réponses, odieusement tordues par les interprètes dûment stylés par leurs anciens maîtres. Beaucoup furent ainsi fusillés sans avoir jamais su de quoi on les accusait. Le prêtre retournait alors dans le village où le malheureux condamné avait vécu, et déclarait aux gens que pareil malheur arriverait à quiconque refuserait l'invitation de se joindre à l'église romaine.

Et qu'il était difficile de résister pour des gens fort peu au courant des questions de controverse, auxquels on disait de conserver leurs Bibles, leurs livres de cantiques, et auxquels on persuadait, ainsi, que le tout se réduisait à un simple changement d'étiquette ! Le miracle a été que, l'église protestante ait tenu bon. L'attaque fut opiniâtre, tenace, brutale et sans scrupule. Nous allons en donner quelques épisodes relatés surtout par M. B. Escande, qui était venu remplacer MM. Lauga et Krüger. C'est lui qui supporta tout le poids de l'assaut au moment le plus dangereux.

« De quatre côtés différents, écrit-il le 2 octobre 1896, je pourrais presque dire des quatre points cardinaux, nous est arrivée, cette semaine, la nouvelle que les jésuites avaient fait, simultanément sur ces divers points, des tentatives pour s'emparer des temples protestants afin d'y dire la messe, et des bâtiments scolaires de nos missions pour y placer leurs propres instituteurs. Ils font croire à qui veut les entendre qu'ils sont tout-puissants auprès du gouvernement. Nous sommes en présence d'un plan d'attaque savamment combiné, et, pour y faire face, nous sommes obligés à des prodiges d'activité. Il ne réussira pas partout, cela est bien certain, car, grâces à Dieu, il y a à Madagascar des chrétiens qui sauront au besoin mourir pour leur foi, et, d'autre part, le général Gallieni fera, nous en sommes persuadés, tout son devoir pour empêcher que des attentats pareils se perpétrant sous le couvert de l'autorité française. Il est non moins certain que ces procédés d'un autre âge troubleront et démoraliseront bien des populations, ce qui offrira aux Jésuites une excellente occasion pour pêcher en eau trouble.

« Par ce que je vous dis là, vous vous rendrez compte que les Églises de Madagascar traversent un des moments les plus sombres de leur histoire. Le vent souffle en tempête sur elles ; on se demande ce qui restera du travail missionnaire accompli par nos frères anglais et norvégiens quand la rafale aura passé...

« Vous savez déjà, mais vous serez heureux de me l'entendre répéter, que les missionnaires anglais et norvégiens, malgré les attaques dont ils sont l'objet, rivalisent de zèle pour faire bénéficier la France du travail moral et spirituel qu'ils ont accompli dans ce pays. Je les ai vus d'assez près pour pouvoir affirmer qu'ils ont accepté, loyalement et sans arrière-pensée, l'état de choses actuel ; qu'ils travaillent à la pacification des esprits, et qu'ils ne sollicitent qu'une faveur : pouvoir continuer leur oeuvre en paix, non en vue d'un but politique qu'ils n'ont jamais poursuivi, mais en vue de la conversion des peuples malgaches. Ils ont spontanément offert au gouvernement français leur concours le plus dévoué ; avec leurs milliers d'églises et de temples, ils représentent une force morale incomparable. Je n'hésite pas à dire que refuser ce concours serait une énorme faute au point de vue politique, presque un crime. Pour l'honneur de notre pays, comme aussi pour le bien de notre grande colonie africaine, nous devons croire que jamais la France ne s'en rendra coupable... »

« À Ambatomanga, l'officier a fait tout ce qu'il a pu pour vexer et décourager les protestants. Il a pris leur temple pour y loger des troupes. Puis il a fait venir le prêtre et lui a adjugé pour chapelle un des meilleurs locaux de l'endroit (le village auparavant ne comptait pas un seul catholique). Les protestants, eux, sont forcés de s'assembler en plein air. C'est en plein air, par une pluie fine et serrée, enveloppé dans mon imperméable, que j'ai tenu le service lors de ma visite à ce village.

« Voici un échantillon de ses procédés. Un jour l'officier étant arrivé à Ambohijoky, convoqua les habitants sur la place publique et leur dit quelque chose comme ceci - « Je suis catholique, et je suis votre maître. Donc, vous devez me suivre. Que ceux qui veulent devenir catholiques lèvent la main. » Beaucoup la levèrent. « Que ceux qui veulent rester protestants me le disent ! » L'évangéliste et deux ou trois autres s'approchèrent. « Quoi ! vous me résistez ! » - « Non, mais nous savons que la France nous permet de servir Dieu selon notre conscience, et c'est pourquoi, tout en obéissant aux lois de la France, nous désirons rester protestants. » L'officier les regarda fixement et se borna à leur dire : « Je vous punirai. »

« Enfin, le gouverneur général indigène, Razafindrainibé, a son système à lui de prosélytisme : c'est peut-être le plus efficace. Il consiste à obliger les gouverneurs protestants à changer de religion ; s'ils refusent, il les remplace par des catholiques. Puis, quand il a bien ces gouverneurs sous la main, il leur ordonne comme mot d'ordre de convertir leurs administrés de gré ou de force. Comme ces gouverneurs sont des potentats ou petit pied, qu'ils peuvent écraser de corvées ceux contre qui ils ont des motifs de ressentiment, qu'ils peuvent même les accuser de fahavalisme, les habitants tremblent à leur parole. Rien de plus aisé que d'en trouver cinq ou six disposés à signer une pétition demandant que le temple soit transformé en église. Les autorités du cercle ne demandant pas autre chose, l'autorisation est obtenue sans peine. Et voilà comment les spoliations s'accomplissent !

« À Tsiafahy on défendit aux habitants d'avoir le moindre rapport avec leur missionnaire, sous peine d'être jetés aux fers. La consigne fut si bien observé que, quand le petit garçon du missionnaire fut tombé malade, personne n'osa s'approcher des pauvres parents ni leur porter ce qui eut sauvé l'enfant : lait, oeufs, poulets. Quand l'enfant mourut, personne n'eut le courage d'aller leur témoigner un peu de sympathie : on les laissa complètement seuls ! »

Dans le village de Fihasinana, à cinq heures au sud de Tananarive, lorsque l'instituteur protestant voulut reprendre son travail, interrompu brusquement par une incursion des « fahavalo », l'autorisation lui en fut refusée. Par contre, on agréa sans difficulté un instituteur catholique et l'autorité mit le temple à sa disposition.

À Ankadivoribe, dans le district de Tsiafahy, alors que M. B. Escande présidait une réunion dans le temple bondé (environ 120 grandes personnes), il reçut une note officielle que, le village ayant passé tout entier au catholicisme, le bâtiment religieux était donné au prêtre pour l'usage du culte catholique.

« En présence de ces iniquités, écrit M. Escande, le 10 février 1897, je ne pouvais rester indifférent ni inactif. Dès hier, j'eus une longue conversation avec le général Gallieni, et, grâces en soient rendues à Dieu, j'ai tout lieu d'espérer qu'elle n'aura pas été inutile. Tout d'abord, il m'a promis de faire rendre immédiatement le temple aux protestants d'Ankadivaribé. Il va également écrire au commandant d'Ambatomanga au sujet du temple de Fihasinana.

« Le plan du général Gallieni, c'est de créer un enseignement officiel qui servira, en quelque sorte, de tampon entre les deux enseignements confessionnels. Il a déjà organisé sur ces bases une école professionnelle, à l'inauguration de laquelle il m'a aimablement invité, car, partout où paraît l'évêque catholique, il veut que je paraisse moi-même, afin de bien montrer son impartialité. C'est sur ces bases également qu'il va créer une sorte de grande école normale dite « École Le Myre de Vilers », pour former des instituteurs officiels, des interprètes et des fonctionnaires. Nous voyons sans jalousie aucune la création de cette école. Les catholiques, eux, sont navrés, car ils redoutent les effets de cette neutralité. »

D'un rapport écrit par le surintendant luthérien Borchgrevinck, que le général Gallieni devait faire décorer quelque mois après de la Légion d'honneur pour ses services rendus à la France, nous extrayons ces faits concernant le Betsileo :

« Lorsqu'il y a trois semaines le résident et le gouverneur proclamèrent dans leur kabary que tout le monde était libre d'appartenir à l'Eglise de son choix et pouvait envoyer ses enfants à l'école qu'il préférait, tout était parfaitement tranquille. Mais voici que, mardi dernier, le père Félix et ses adeptes Jésuites commencèrent leurs attaques en envoyant de tous côtés des bandes de 20 à 40 individus qui, envahissant les maisons, menaçaient nos gens et les obligeaient à inscrire leurs enfants sur les registres qu'ils colportaient avec eux. Ceux de nos gens qui ont encore le courage de résister aux Jésuites et se refusent à se joindre à eux, tremblent pour leur vie et redoutent ce qui peut arriver à leurs enfants lorsqu'ils sortent de nos écoles pour rentrer chez eux. Plusieurs n'ont envoyé leurs enfants à l'école des Jésuites qu'à la suite des mauvais traitements qu'ils avaient déjà subis de la part des adeptes du père Félix.

« S'il n'y a pas bientôt une intervention supérieure pour résoudre ces difficultés, je me demande ce que sera la fin de tout ceci.

« 13 décembre. - Voici que m'arrive un groupe de cinq instituteurs qui se considèrent en danger dans leurs villages, et n'osent plus instruire les enfants dans leurs écoles où ils ont déjà été attaqués plusieurs fois. Aujourd'hui même un autre instituteur m'est arrivé qui avait été cruellement battu sur la route par une bande de partisans des Jésuites. Ces adeptes des Jésuites sont très audacieux et très dangereux, et nous faisons tout notre possible pour éviter toute querelle avec eux, parce qu'ils n'hésitent pas à inventer les histoires et les accusations les plus incroyables au moyen de faux témoins. »

Il y eut des pasteurs et des chrétiens influents qui tombèrent sous des balles françaises, victimes de toutes ces odieuses calomnies.
Quelques-uns furent sauvés, grâce à l'énergique intervention de M. Escande qui parfois pliait sous le fardeau : « Je perds pied, quelquefois, disait-il au début d'avril. Ces deux jours, j'ai reçu plus de 120 visites. Et toujours ce sont des difficultés qu'on m'apporte. »

Le secours cependant lui arrivait. Le Comité de Paris avait envoyé, dès le mois de février, deux instituteurs, MM. Durand et Galland, et le 25 mars s'embarquaient MM. Meyer, Delord, Ducommun, Minault et Mondain.
Ils arrivaient juste au moment où le gouverneur général venait de prendre les mesures les plus graves. La reine avait été déposée et exilée à la Réunion le 28 février 1897. On envisagea un moment la mise en accusation du principal pasteur de l'Eglise du Palais, Andrianaivoravelona : lui aussi dut la vie à M. Escande qui obtint du général de lui faire simplement partager le sort de Ranavalona III.

La tâche dévolue aux nouveaux missionnaires protestants arrivant de France était très lourde. On confiait de but en blanc à leur inexpérience, l'École du Palais, l'École Normale, et, bientôt après, le soin de réorganiser les 800 écoles de la Mission de Londres détruites par les fahavalos. Outre cela, cinq grands districts spécialement ravagés par la propagande romaine. Il leur fallait une activité dévorante mise au service d'une prudence et d'un tact incomparables. Car leurs ennemis étaient décidés à ne leur pardonner aucune faute.
Ils avaient à rassurer les Malgaches, à faire comprendre aux autorités l'erreur commise dans la campagne commencée contre les missionnaires étrangers, et à maintenir cependant leur renom de patriotes, car la calomnie les guettait.

Une terrible épreuve vint atteindre la Mission française dès ses débuts. On n'a pas encore oublié en France, l'émotion extraordinaire qui saisit nos églises à la nouvelle du tragique événement : MM. Benjamin Escande et Paul Minault assassinés par les « fahavalo » !

Les deux missionnaires se rendaient au Betsiléo, l'un à cheval, l'autre en filanzane, accompagnés seulement de quelques bourjanes. Ayant fait au préalable un détour par l'ouest, pour visiter l'oeuvre des Quakers, ils se trouvèrent amenés à emprunter une route peu fréquentée dans la partie la plus sauvage du massif de l'Ankaratra. Ils furent attaqués par une bande armée de fusils, près du marché d'Ambatondradama, à vingt-cinq kilomètres du poste de Ramaïmandro. Eux-mêmes, confiants, voyageaient sans armes ; incapables de se défendre, ils furent bientôt frappés à mort. Tous leurs bourjanes s'étaient enfuis, sauf le brave Rainimanga, qui parvint à se sauver au dernier moment et fit ensuite le récit de l'attentat. C'était le 20 mai 1897. Le lendemain, les deux corps étaient retrouvés et transportés à Ramaïnandro où ils reposent maintenant, dans l'émouvant petit cimetière de la Mission anglicane.

On se demanda si les meurtriers n'avaient pas été plus ou moins indirectement poussés à leur action par des paroles prononcées à la légère par des adversaires du protestantisme. Quoiqu'il en soit, d'autres chrétiens se levèrent aussitôt pour remplacer les disparus. Dès juillet partirent MM. Élisée Escande et Lauriol, que M. Bénézech avait précédés ; puis, en octobre, MM. Vernier, de St-Vidal, Mlle Vidil, et enfin, en décembre de la même année, MM. Rusillon, Robert et M. Rousseau.

La mission luthérienne avait, de son côté, fait appel aux luthériens du pays de Montbéliard qui constituèrent un Comité spécial à l'effet de lui trouver des collaborateurs français et lui envoyèrent MM. Péchin et Brognard, puis, un peu pus tard MM. Parrot et Pochard. Malgré ces renforts, et malgré les assurances de neutralité religieuse données par les hauts fonctionnaires de l'administration, la situation demeurait toujours sombre. M. Meyer, conduisant M. Bénézech au Betsileo, se heurtait dans maints endroits à des incidents tels que celui qu'il a raconté dans une lettre du 25 juillet 1897:

« À Ambodifiakarana, je demande à la propriétaire de ma case : - Y a-t-il des protestants ici ?
« Elle regarde autour d'elle, puis, tremblante, à demi-voix :
« - Izaho protestante, moi protestante.
« À ***, je me dirigeais vers le village, causant avec un instituteur. À cinquante mètres de la porte du village, il s'arrêta en tremblant ; je lui dis :
« Qu'avez-vous ? Vous ne venez pas plus loin ? Vous êtes malade ?
« - J'ai peur.
« - Peur ?
« - Oui, j'ai peur que les catholiques ne me voient avec vous. »

M. Delord disait de son, côté :
« Les Jésuites sont loin de se relâcher. Ils reçoivent, presque par chaque courrier, de nouveaux renforts, et nous avons la tristesse d'apprendre qu'ils occupent fréquemment de nouvelles positions. On se fait d'étranges illusions sur la nature de notre tâche. On pense que nous sommes de vrais pasteurs, presque des évêques, ayant la haute direction d'Églises solidement constituées, composées d'un certain nombre, relativement considérable, de chrétiens. Hélas ! il faut revenir de cette idée. Au fond, nous sommes et devons être encore de vrais missionnaires. Bien des choses sont à faire, à défaire et à refaire. Dans les jours faciles, les choses marchaient tant bien que mal, mais, depuis que la tempête a soufflé, quel désordre ! quelle confusion ! quel laisser-aller ! Que de désertions ! que de temples brûlés par les Fahavalo ! que de stations désorganisées par les jésuites ! quelle recrudescence de délations, de calomnies, de faux témoignages ! Que de personnes affolées cherchant plutôt l'approbation des gouverneurs que celle de leur conscience ! Que d'écoles, qui comptaient autrefois des centaines d'élèves et qui ne comptent plus aujourd'hui que quelques unités, que d'autres qui ont disparu, remplacées par les écoles des Jésuites ! Cette caractéristique concerne, il est vrai, seulement les trois districts les plus menacés, les seuls que je connaisse un peu de visu. »

Dans le seul district d'Ambatomanga, cinquante temples avaient été brûlés, et toutes les écoles étaient à rétablir.
D'autre part l'étendue de l'oeuvre à reprendre se montra de plus en plus importante.
Aux districts déjà cédés s'ajoutèrent, après la visite d'enquête des directeurs de la Société de Londres, ceux du Vonizongo et d'Ambohibeloma, à l'ouest de la capitale.

Les délégués anglais MM. Thompson et Spicer, avant de partir, voulurent que le rôle des missionnaires de leur Société à Madagascar fût nettement défini, pour faire taire les calomnies répandues sur leur compte, et dans ce but ils envoyèrent aux Églises de l'Imerina une lettre circulaire dont voici la conclusion :

« Vous donc, pasteurs et maîtres d'école, sur qui repose le soin d'éviter cette mise à l'index dont est menacée notre Société, que votre obéissance complète au gouvernement de la France, que votre conduite montre le cas qu'il faut faire des grossières calomnies que l'on a lancées contre vous. Nous croyons que vous saurez montrer ce que vous valez, et nous sommes pleins de confiance en votre sagesse et votre esprit chrétien.

« Nous sommes heureux de savoir que M. le général Gallieni a proclamé souvent et sans réserve la liberté de conscience, et qu'à l'honneur de la République française, il a rendu témoignage de l'entière liberté que doivent avoir tous les enfants de la France, de prier Dieu comme ils l'entendent. Nous pensons que vous saurez vous montrer hommes pour maintenir votre foi, et que vous prouverez ainsi que tous les protestants de Madagascar sont les meilleurs Français de l'île, les meilleurs fils de cette France, la grande et illustre nation à laquelle vous appartenez. »


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