Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



UN SIÈCLE DE MISSION A MADAGASCAR



CHAPITRE V

TRIOMPHE DE L'ÉVANGILE

La Mission de Londres avait entrepris à Tananarive une oeuvre médicale dont les fruits spirituels étaient remarquables. Le docteur Davidson avait su gagner la faveur de beaucoup de grands de la cour. Et c'est avec l'aide particulière de la reine Rasoherina qu'en 1864, il avait pu fonder à Tananarive un hôpital qui eut le plus grand succès.

« Tous les jours, dans son hôpital, déclare un rapport de l'époque, le docteur se voit entouré de trente-cinq ou quarante malades, la plupart païens et venus souvent de très loin. Ils reçoivent de lui non seulement les soins relatifs au corps, mais encore les remèdes spirituels dont on peut dire que l'Évangile est la divine pharmacie. Il prie avec eux, il leur annonce les miséricordes de Dieu en Christ, et les renvoie chez eux généralement disposés à raconter, au sein de leurs familles et à leurs amis, tout ce qu'ils ont vu ou entendu durant leur séjour à « l'Hôpital royal » de Tananarive.

« Un des élèves du docteur, nommé Andriambelo (1), est en même temps prédicateur de l'Évangile, et a été consacré au saint ministère. On ne lira pas sans édification ce que ce jeune et fervent chrétien écrivait naguère au sujet de la mission médicale : « Les gens qui viennent ici pour consulter arrivent de toutes les parties du pays, et en si grand nombre que le docteur, bien qu'il travaille comme un esclave, ne vient pas à bout de les soigner tous ; les jours ne sont pas assez longs pour cela. Ses élèves l'aident du mieux qu'ils peuvent en parlant aux malades et en préparant les remèdes. Ramiandry, le prédicateur, et moi, nous nous employons à cela et nous nous occupons en même temps de l'oeuvre spirituelle. Les gens des classes plus élevées aspirent, quand ils sont malades, à être reçus à l'hôpital, car personne n'a plus confiance aux charmes superstitieux qui trompaient si bien nos ancêtres. Aussi remercions-nous du fond de nos coeurs le Père de notre Seigneur Jésus-Christ pour avoir inspiré aux chrétiens anglais l'idée de nous venir en aide. En nous envoyant le docteur, ils ont fait plus pour nous que s'ils nous avaient donné beaucoup d'or et d'argent. Puisse le Seigneur bénir de plus en plus l'oeuvre des missionnaires à Madagascar, c'est l'humble prière d'Andriambelo, prédicateur de la Parole à Amparibé. »

Ajoutons à ce rapport que les résultats remarquables obtenus par le docteur lors d'une terrible épidémie de variole avaient ouvert les yeux de nombreux païens, et fortement ébranlé leur confiance dans l'efficacité des amulettes.
La reine elle-même subit l'influence du docteur chrétien. Durant la maladie qui devait l'emporter (1867), elle reçut journellement sa visite, et eut avec lui des entretiens religieux. Le docteur Davidson crut pouvoir affirmer qu'elle avait à la fin complètement abandonné le culte des idoles. Les derniers jours, elle demanda souvent à ses serviteurs chrétiens de prier Dieu pour elle, et on l'entendit à diverses reprises s'écrier : « 0 Dieu, je me soumets à ta volonté ; viens à mon secours et me soutiens. »

Rasoherina fut remplacée par une autre femme de Radama II, Ramoma, qui prit le nom de Ranavalona Il.
Rasoherina avait eu beau signer un traité garantissant la liberté religieuse, le seul fait qu'elle était païenne, et que le gardien des idoles continuait à paraître au premier rang dans les cérémonies officielles, constituait un certain obstacle au développement de l'oeuvre. Les fonctionnaires de la cour, devenus chrétiens, se trouvaient souvent dans une situation fort délicate, pris entre l'étiquette royale très stricte, leur faisant un devoir d'assister à des rites païens, et leur conscience qui le leur interdisait.

Avec l'avènement de Ramoma, qui se déclare chrétienne dès le début, une ère nouvelle commence pour la Mission.
Tout à fait brusquement, on apprit que les gardiens d'idoles avaient été priés de rester chez eux pour la cérémonie du couronnement, et on sentit que quelque chose d'extraordinaire se préparait à cette occasion.

Voici comment le missionnaire Cousins rendit compte de l'événement lui-même à son Comité :
« La cérémonie eut lieu en plein air. On évalue à 4 ou 500.000 le nombre des assistants.

« Le dôme du dais, sous lequel la reine avait pris place, était en velours écarlate et richement orné de fers de lances en argent. Au-dessous se lisaient, sur les quatre côtés, les paroles suivantes : « Gloire à Dieu ! - Paix sur la terre ! - Bonne volonté envers les hommes ! - Que Dieu soit avec nous ! » Sur une petite table dorée, placée à droite de la reine, se trouvait une belle Bible en langue malgache, richement reliée, et un exemplaire du Code du royaume. De nombreux coups de canon furent tirés, après quoi la reine se leva et prononça le discours du couronnement. Le passage relatif au christianisme fut court mais significatif - il était conçu dans ces termes : « Quant à la prière, elle n'est obligatoire pour personne ; mais il n'y sera mis aucun empêchement, car c'est Dieu qui nous a faits. »

« Peu de temps après eut lieu la dédicace du second des cinq temples commémoratifs (Memorial churches) dont la mission avait depuis longtemps commencé la construction. La reine et sa cour assistèrent à la cérémonie.

« Conformément à l'étiquette du pays, la reine, qui est censée propriétaire du bâtiment, fut la première à y entrer. La place qu'elle devait y occuper avait été élevée au-dessus du sol, de telle façon que personne ne pût compromettre, en quelque sorte, sa dignité en se trouvant placé à son niveau. Ce fut le missionnaire Toy qui prononça le discours de dédicace. Mais ce qui donna peut-être le plus d'éclat à la cérémonie, ce fut la musique. Un choeur d'environ deux cents bons chanteurs avait été organisé, et il eut pour l'accompagner un orgue-harmonium. Cette partie du service se composa de trois morceaux chantés sur des airs anglais, après lesquels on entonna l'air national des Hovas, auquel un des missionnaires avait adapté des paroles appropriées à la circonstance. À la suite de ces chants, le premier ministre (qui a fait profession de christianisme) se leva, et au nom de la congrégation, présenta à la reine le « hasina », c'est-à-dire une pièce d'argent représentant le tribut dû au souverain. Cela lui fournit l'occasion de prononcer une allocution courte, mais substantielle. Il exhorta le peuple à se confier en Christ. à respecter les lois, et à s'appliquer de toutes ses forces et en toutes choses à la pratique du bien. »

Cette cérémonie eut un retentissement si extraordinaire qu'il effraya même les missionnaires, dont la responsabilité se trouva singulièrement accrue. Cousins écrivait à ce sujet :
« Jamais rien de pareil ne s'était vu à Madagascar. Nos chapelles sont trop petites pour la foule d'auditeurs qui s'y pressent. Naturellement, nous sommes heureux de ce mouvement, tout en craignant parfois qu'il ne soit trop rapide et que le christianisme, en devenant à la mode, ne courre le risque de perdre quelque chose de sa pureté...

« Parmi tous ces faits heureux, il en est un qui n'appartient pas précisément à l'ordre religieux, mais qui pourtant a pour nous une certaine importance. C'est l'abolition d'une loi qui défendait de construire dans la ville des maisons en pierres ou en briques. Cette abolition, prononcée en juin, a réjoui tout le monde. Les riches vont en profiter pour se bâtir des demeures plus somptueuses ; l'aspect général de la ville y gagnera, et nous-mêmes nous pourrons remplacer par des chapelles en briques ces édifices en bois couverts de chaume, qui semblent tout à la fois si misérables et si provisoires. Le même décret ordonne qu'à l'avenir les toits de toutes les maisons soient en tuiles. »

Suivant une autre lettre, la reine, dans la première audience publique qu'elle a donnée, se serait exprimée à peu près dans ces termes : « Qu'avons-nous à faire plus longtemps avec « les idoles ? Pour tout ce qui concerne la paix « et la prospérité de mon règne, je me confie « au seul vrai Dieu et j'espère que mon peuple « pensera comme moi. » « Cette déclaration, ajoute le correspondant, a eu pour conséquence que, le dimanche suivant, presque tous nos sanctuaires se sont remplis, et que, dans plusieurs, les auditeurs de la Parole de vie étaient comme entassés jamais je n'avais vu pareil spectacle. On compte parmi ceux qui se sont ainsi montrés plusieurs des hommes qui avaient soutenu le paganisme avec le plus d'ardeur, et qui même avaient jadis persécuté les chrétiens. - Pour mettre, en ce qui concerne le culte, de l'ordre dans sa maison, la reine a divisé ses gens en deux compagnies, dont l'une assiste le matin, et l'autre l'après-midi, au culte qui se célèbre dans la chapelle d'Ambohipotsy (celle de M. Toy), et dimanche dernier, pour la première fois dans les annales de Madagascar, tous les travaux du gouvernement ont été suspendus, afin de laisser aux ouvriers la liberté de sanctifier le jour du Seigneur. Voilà ce qui se passe ici. C'est un prodigieux déploiement du pouvoir de l'Esprit ; nous en sommes merveilleusement réjouis, mais d'une joie à laquelle s'unit une sorte de frayeur respectueuse. »

Le 21 février 1869 eut lieu le baptême public de la reine et du premier ministre à l'occasion duquel les deux néophytes racontèrent l'histoire de leur conversion.
Tout jeune, la reine avait eu pour maître d'écriture et de lecture un chrétien, devenu plus tard un des pasteurs de l'Eglise indigène. Cet homme craignant les fureurs de Ranavalona Ire alors régnante, n'avait pas osé dire un mot de l'Évangile à son élève ; mais un frère de celle-ci, mort depuis, connaissait Andriantsiamba, l'un des quatre martyrs qui devaient être brûlés à Faravohitra. C'était cet homme qui, visitant son frère, avait parlé pour la première fois du Sauveur à la jeune princesse en l'exhortant à s'occuper sérieusement des intérêts de son âme. - Le premier ministre avait eu, lui aussi, des faits intéressants à rappeler. À la même époque de ténèbres, le dernier des martyrs du Seigneur, Razafinarina, lui avait donné un exemplaire des Saintes Écritures. Sans bien comprendre alors le prix de ce volume, il avait voulu le garder cependant, et à cet effet il l'avait caché dans la tour de l'enclos, où se trouvaient enfermés les taureaux de combat destinés à figurer dans les fêtes de la cour.

Ajoutons pourtant que le premier ministre, en faisant une confession si publique de sa foi, obéissait en partie à des motifs d'ambition personnelle. Il avait reconnu la puissance du Christianisme, et il voulait ne pas laisser à d'autres le soin de l'exploiter.
Un de ses premiers soins fut d'organiser ce qu'on appela l'Eglise du Palais, dont il prétendait bien être l'inspirateur sinon le directeur. Il espérait probablement englober peu à peu l'oeuvre entière dans celle qu'il fondait, et très rapidement il expédia dans la campagne des évangélistes, émissaires sortis de la nouvelle chapelle royale. L'église malgache était heureusement fondée sur de plus fortes assises, et dans son ensemble devait résister à la mainmise projetée.

Le premier ministre conçut le dessein de frapper un grand coup sur l'imagination populaire. Ayant adopté, au moins extérieurement, le Christianisme, dans lequel il avait su distinguer, ainsi que nous l'avons dit, une irrésistible puissance de progrès, il prétendit hâter les événements, et amena aisément la reine à la décision de détruire ceux des fétiches malgaches qu'on appelait les fétiches royaux, parce qu'on les avait considérés comme particulièrement destinés à la protection du souverain. Cette destruction s'accomplit le 8 septembre 1869.
Chacune de ces idoles était conservée dans un village spécial, ordinairement à deux ou trois heures de marche de la capitale, et l'on envoya des émissaires choisis parmi les chrétiens décidés pour procéder à l'exécution ordonnée.

Nous avons traduit la relation écrite en malgache par un de ces émissaires concernant la mission qu'il fut chargé de remplir.
« Envoyés par la reine, nous arrivâmes à Ambohimanjaka, au nord d'Imerimandroso, et nous réunîmes les gens. On leur demanda à qui appartenait Ramahavaly (l'idole). Ils répondirent : À la reine ».
« - S'il en est ainsi, reprit celui qui nous dirigeait, nous vous annonçons que nous avons reçu l'ordre de brûler l'idole qui ne sert qu'à tromper le peuple.
« À ces mots, tous se regardèrent, pris de terreur. Personne n'osait livrer l'idole. Mon chef me dit alors de la prendre. « N'y allez pas, vous tomberez de l'échelle, me soufflèrent quelques assistants. » Mais j'allai et descendis la boîte contenant Ramahavaly, puis tous ses accessoires renfermées dans deux grandes malles de bois, seize grandes corbeilles et neuf pots de bois. Une des malles contenait des étoffes de soie et de pourpre ; dans l'autre il y avait le corps de l'idole, formé de deux morceaux de bois d'une quinzaine de centimètres de longueur et larges comme le poignet ; le haut était entouré de trois étoffes superposées et d'une foule de perles et de graines odoriférantes ; de loin on aurait dit un oiseau au plumage étincelant...

« De me voir prendre ainsi en mains le fétiche, ce fut un ébahissement complet chez tous les assistants. Quelques-uns pensaient que j'allais tomber mort sur la place.

« Avant de jeter l'idole dans le feu, je la brisai à coup de hache et l'enduisis de graisse : car, si par hasard, le feu s'était éteint, on l'aurait attribué à la vertu du fétiche. »

Les gardiens d'idoles essayèrent bien d'exciter la population. Ils répandirent, en particulier parmi le peuple, le bruit que les dieux se vengeraient. Mais l'ensemble du peuple, tout en tremblant intérieurement des conséquences possibles d'un acte aussi hardi, accepta l'événement sans protestation.
D'ailleurs la reine tint à proclamer la liberté pour chacun de rester attaché aux anciennes coutumes, en tant qu'elles n'avaient rien de contraire aux règles évidentes de moralité. Les ordalies, les meurtres rituels étaient absolument interdits, mais non les fétiches locaux. Ce qui avait été livré au feu c'étaient les idoles du gouvernement et de la cour, idoles qui, pour la plupart du moins, n'étaient ni connues, ni vénérées dans les autres provinces du royaume. La reine s'était prononcée sur ce point de la manière la plus formelle. Une députation du peuple, composée d'officiers d'un rang élevé, s'était présentée devant elle pour lui demander si elle entendait que toutes les idoles du pays fussent détruites : « Cela, répondit-elle, me ferait plaisir, car, à mes yeux, toutes les idoles ont la même valeur, et je serais heureuse qu'il n'en existât plus dans mon royaume ; mais je ne veux en rien forcer le peuple à suivre mon exemple. »

De fait, le fétichisme resta la religion de la multitude. On rétablit subrepticement des copies de quelques-uns des anciens fétiches royaux. On prétend même que certains avaient échappé à la destruction, par le zèle de gardiens avertis à temps.
On peut toutefois se demander si le geste du premier ministre ne fut pas prématuré. Avec la servilité des Malgaches d'alors, un nouveau danger menaça l'oeuvre, celui d'être considérée comme revêtue d'un caractère plus ou moins officiel.
Les foules, qui avaient déjà commencé à se tourner vers les églises, devinrent encore plus nombreuses.
Le danger de se voir envahi par des multitudes ignorantes et mues plutôt par un esprit d'imitation que par une véritable soif de l'Évangile était surtout sérieux dans les campagnes un peu reculées. Il fallut s'occuper plus que jamais de la préparation des collaborateurs indigènes.

Les églises de la ville furent invitées à contribuer plus largement que par le passé aux frais nécessités par l'instruction des évangélistes et par leur envoi dans les provinces éloignées. Le gouvernement, d'ailleurs, facilita en une certaine mesure ce travail d'expansion, en exemptant les collaborateurs accrédités des missions de certains services publics qui auraient entravé leur activité.
Cela hâta aussi l'organisation du collège théologique, dont le principe avait été accepté par l'espèce de synode semestriel qui s'était réuni pour la première fois en décembre 1868.
Les missionnaires Toy et G. Cousins furent désignés pour mettre sur pied le collège projeté, qui fut inauguré, en janvier 1870, dans une cérémonie solennelle, tenue en présence de la reine, dans la cour du palais royal.

La première promotion comprit quarante-neuf élèves, qui avaient tous fait un stage de six mois. On divisa le contingent en deux ; un certain nombre ne resta que deux ans à l'école et fournit des prédicateurs bénévoles ; les plus intelligents poursuivirent les études pendant quatre ans.

Voici ce qu'un missionnaire, Pearse, rapportait en 1870, au sujet de cette évangélisation par les indigènes :
« Les églises de la capitale ont placé à poste fixe des évangélistes dans les villages les plus importante des environs. D'après tout ce que je vois ou apprends sur le compte de ces ouvriers, ils s'acquittent de leur tâche d'une manière sérieuse et avec succès. Nous avons avec eux des communications mensuelles régulières et, de plus, nous allons les voir aussi souvent que nous le pouvons. Quelques-uns d'entre eux sont des chrétiens simples, d'une humilité qui fait plaisir à voir, et que leur recours continuel à Dieu rend tout à la fois actifs et courageux. L'un d'eux m'écrivait l'autre jour : « Vous savez que, pour faire le bien, nous ne pouvons rien par nous-mêmes. Saint Paul a dit que toute notre capacité vient de Dieu. Ne nous oubliez donc pas dans vos prières, et demandez à Dieu qu'Il lui plaise de bénir les enseignements que nous sommes chargés de donner. »

« L'envoi de ces évangélistes a montré que les chrétiens de la capitale comprennent le devoir de faire des sacrifices pour concourir à l'extension du règne de Christ. Cette pieuse disposition tend encore à s'accroître. Nos réunions mensuelles en faveur de l'oeuvre des missions atteignent beaucoup de monde et sont généralement très intéressantes. Elles ont lieu à tour de rôle dans chacune des chapelles que possède la ville, et il est bien rare que les plus vastes de ces édifices ne se remplissent pas. Ayant appris à connaître le prix de l'Évangile pour eux-mêmes, ces gens désirent que les mêmes avantages soient assurés aux habitants des parties les plus reculées de l'île. Ils sympathisent, en outre, avec ce qui se fait dans le même but au delà des mers, partout où des messagers de la bonne nouvelle sont à l'oeuvre. »

On fit aussi appel aux prédicateurs laïques, qui, sans titre officiel dans l'Eglise, consacraient leurs dimanches et parfois aussi certains jours de la semaine à aller exposer aux païens les vérités élémentaires de l'Évangile.
Une lettre de Montgomery, missionnaire de la Société de Londres, à la date de novembre 1871, en parle en ces termes :
« En une seule année, dit-il, le chiffre de ces prédicateurs a presque triplé. En 1869, il était de 161, tandis qu'en 1870, nous en avons compté 378. La plupart sont des hommes très intelligents, et l'on peut dire de quelques-uns que ce sont vraiment des hommes instruits. J'en connais beaucoup qui s'entendent fort bien à faire usage de livres écrits en anglais pour faciliter l'étude de la Bible. L'un d'eux, Rabezandrina, que je regarde comme un de mes meilleurs amis, possède le Commentaire de la Société des traités religieux, en six volumes, et celui de Barnes au complet. Il les lit chez lui avec soin, et s'en sert fort habilement pour préparer, soit ses sermons, soit les exercices de lecture biblique qu'il dirige en attendant que je puisse le faire moi-même.

« Je dirai, en passant, que la reine fait traduire en malgache les Commentaires de Barnes sur le Nouveau Testament. Puis, revenant à nos prédicateurs, j'ajouterai que beaucoup d'entre eux n'ont reçu aucune éducation, mais, qu'en général ils connaissent la Bible et l'expliquent d'une manière édifiante. En entendant ceux-là, le me suis souvent rappelé ces « prédicateurs locaux » de l'Eglise wesleyenne qui, sans beaucoup d'instruction, s'en vont dans nos villages du nord de l'Angleterre parler de Christ, bien simplement, mais de manière à entretenir le feu sacré, et parmi lesquels il en est plus d'un que j'espère bien retrouver au ciel.

« Que, parmi ces utiles auxiliaires, il y en ait qui prêchent l' Évangile par vanité, parce que le christianisme est devenu la religion à la mode et qu'on le voit marcher dans les rues en pantoufles d'argent (2), je le sais, et n'en disconviens pas. Cela est inévitable. Mais quand, le dimanche matin, je vois des vingtaines ou des centaines de ces hommes s'en aller prêcher l'Évangile dans des villages situés à trois, cinq ou peut-être dix milles d'ici, très souvent sans recevoir pour leur peine le moindre dédommagement, et quand je réfléchis que ce n'est pas là quelque chose d'accidentel, mais un fait qui se renouvelle de semaine en semaine, sans le moindre signe de relâchement, il me faut bien rendre hommage à la valeur du zèle qui enfante une telle activité chrétienne. »

À la fin de 1870 la mission avait groupé plus de 231.000 adhérents dont près de 21.000 avaient été admis à la Sainte Cène.
Dans le courant de la même année le Comité de Londres avait envoyé quatorze nouveaux missionnaires portant le total de ses agents à 28, et le rapport de 1871 soulignait la nécessité d'un effort encore plus grand.

« Les habitants de plusieurs provinces, y lisait-on, de celles entre autres d'Ankova et du Betsiléo, se montrent comme affamés de la connaissance du salut. Les missionnaires qui les visitent de temps à autre, et les évangélistes qui sont à l'oeuvre sur les lieux n'ont guère réussi jusqu'à ce jour qu'à y éveiller une soif spirituelle plus ardente. Ayant, en plusieurs endroits, bâti des chapelles, des foules s'y réunissent le dimanche dans l'espoir qu'un prédicateur du dehors leur arrivera, ou qu'au pis aller l'un des assistants pourra leur adresser quelques bonnes paroles. Après une heure ou deux passées ainsi dans l'attente, force est bien à ces pauvres gens de se retirer, mais non sans qu'ils donnent essor au regret qu'ils en éprouvent. Un jour, au moment où une assemblée de ce genre était sur le point de se séparer, un des assistants leva les mains au ciel et prenant l'attitude de la prière : « 0 Dieu, s'écria-t-il naïvement nous étions venus pour t'adorer, mais nous ne savons pas comment nous y prendre. Enseigne-nous toi-même à te prier, ou bien envoie quelqu'un qui nous enseigne à le faire ! »

Tandis que la Mission norvégienne portait surtout son effort au Betsileo, la Mission de Londres fondait de nouvelles stations dans d'autres régions de l'Imerina.
Déjà M. Sibree avait planté sa tente, dans la principale cité du paganisme, à Ambohimanga.
En juillet 1871, la station de Fihaonana, au Vonizongo, fut créée par M. Matthews qui, dès Janvier 1872, pouvait écrire :

« Tout ce que j'ai vu et pu observer ici m'a réjoui et encouragé au delà de ce que j'aurais osé espérer. Assurément il y a, et il y aura longtemps encore, parmi nos chrétiens, beaucoup d'ignorance, mais il fallait s'y attendre, et, quand je considère les circonstances par lesquelles ils ont passé, ce qu'ils étaient il y a peu d'années, je me demande s'ils n'ont pas droit à être classés parmi les populations dont les progrès ont été le plus rapides. La connaissance qu'ils ont acquise de leur Bible, de l'Ancien comme du Nouveau Testament, est quelque chose de merveilleux.

« En 1863, lorsque M. Cousins visita le Vonizongo pour la première fois, il y trouva trois congrégations, celles de Fihaonana, de Fierenana et d'Ankazobé, comprenant, à elles trois, 122 membres effectifs seulement. Aujourd'hui, ce chiffre s'élève à 1991. Celui des simples adhérents, qui était alors de 615, dépasse actuellement 25.000, et, au lieu de 3 congrégations nous en avons 126. »

Des progrès semblables, mais plus lents, récompensèrent les efforts de M. Pearse qui avait fondé en 1875 une station à Ambatondrazaka, chez les Sihanaka, habitant les bords du lac Alaotra.

M. Richardson, qui avait repris vigoureusement en mains l'École Normale alla même, sur l'invitation d'ambassadeurs des petits rois Tanosy venus saluer la reine, visiter leur pays. Le pays Tanosy est tout à fait à l'extrême sud de l'île. Le voyage d'enquête fut des plus mouvementés, malgré l'aide d'un capitaine suédois, qui jouait officieusement le rôle d'amiral royal à Madagascar.

« J'arrivai, raconte M. Richardson, chez le capitaine Larsen, et j'y demeurai quelques jours ; mais à peine y étais-je, que les rois du pays qui, par parenthèse, vivent dans la plus révoltante immoralité, sans espérance et sans Dieu dans le monde, nous firent, à moi et à mes hommes, les menaces les plus terribles. Quelques jours plus tard cependant, les rois feignirent d'avoir oublié leur colère, et me laissèrent libre de partir avec mes compagnons. J'étais malade alors, mais, voyant la terreur de mes hommes, je jugeai sage de me mettre en route sans perdre une minute.

« Je fis donc mes adieux au capitaine Larsen, et nous partîmes. Le voyage s'annonça bien d'abord ; mais, tandis que nous remplissions d'eau nos outres, une centaine d'hommes, armés de fusils et de lances fondirent sur nous, et me dépouillèrent de tout ce que je possédais, sauf les vêtements que j'avais sur moi. Mon palanquin, ma valise, mes notes de voyage même, tout me fut enlevé en un clin d'oeil, et mon fidèle Rabé, le seul de mes hommes qui n'eût pas pris la fuite, fut laissé presque nu, après avoir vainement essayé de disputer mes bagages à ces brigands. Ceci se passait le 13 septembre, à 11 heures du matin, et ce ne fut qu'après avoir marché jusqu'à la nuit que nous atteignîmes le premier puits où nous pûmes nous désaltérer. Mais le roi du lieu nous refusa toute nourriture et ne nous permit de coucher que dans la pire maison du village. Le lendemain matin, n'ayant mangé, pendant ces vingt-quatre heures, que quelques racines, nous partîmes de nouveau, et de nouveau nous fîmes une rude journée de marche. Enfin, vers le soir, étant arrivés, Rabé et moi, dans une ville du Tanosy, nous pûmes obtenir sans difficulté logement et nourriture, et nous y fûmes rejoints par la plupart de mes hommes. L'un d'eux, cependant, avait été tué ; un autre, capturé, réussit plus tard à s'enfuir ; presque tous avaient été dépouillés de leurs vêtements. Après quelques jours de repos nous nous mettions en route pour la capitale, équipés tant bien que mal par les soins des évangélistes de l'endroit, qui se dépouillèrent généreusement en notre faveur, et me fabriquèrent même une sorte de palanquin. Notre retour fut tristement marqué par la maladie et par la mort : de mes quatorze hommes, sept furent malades à la fois, et mon fidèle Rabé mourut presque subitement d'une insolation. »

Tous ces progrès extérieurs, dont nous ne faisons qu'indiquer quelques traits, menacèrent d'être compromis par un nouvel orage.
Une guerre éclata en 1883, entre les Imeriniens et les Français, au sujet du droit de propriété des colons français, de la succession de Laborde et des difficultés apportées par le premier ministre Rainilaiarivony à l'établissement de quelques-uns de nos nationaux.

La guerre qui consista surtout, de notre part, dans le bombardement des principaux points de la côte, traîna en longueur et ne se termina qu'en décembre 1885 par un traité qui cédait à la France le territoire de Diego-Suarez, et qui obligeait le gouvernement malgache à nous payer dix millions de francs, et à accorder aux citoyens français le droit de commercer et de louer des terrains par des baux à long terme dans toute l'étendue des états de la reine. En outre, un résident français devait présider aux relations de Madagascar avec les puissances étrangères.

Au début de la guerre, les Jésuites français avaient dû quitter l'île. Leur oeuvre avait débuté réellement en 1862. En 1882, il y avait à Madagascar 48 pères et 20 frères de la Compagnie de Jésus, 8 frères des écoles chrétiennes et une vingtaine de soeurs de Saint-Joseph. On avait construit 63 églises, dont une belle cathédrale en pierres de taille dans la capitale, et 161 chapelles. Le nombre des catholiques, y compris les Européens était évalué à 23.940, le nombre d'écoliers à 20.000 environ.
Les Jésuites revinrent en 1885, un peu en triomphateurs, sous la conduite de l'évêque Cazet, nouvellement nommé.
On craignit à ce moment qu'un mouvement anti-européen ne vint mettre en péril l'oeuvre des missions en général. Mais beaucoup considéraient cette guerre comme un juste jugement de Dieu et espéraient qu'il en sortirait plutôt un approfondissement de la foi, au moins dans le noyau réellement chrétien.
De fait, aussitôt après la guerre, les réunions de prières furent plus nombreuses, plus suivies et plus vivantes. C'est pendant la guerre même que les écoles du dimanche furent créées.

En 1887 et 1888 la mission norvégienne enregistrait de sérieux succès sur la côte sud-est et plaçait des missionnaires à Farafangana et Manambondro.

En 1892, les Églises luthériennes américaines envoyèrent quelques missionnaires dans l'extrême sud de l'île. Elles y poursuivent encore aujourd'hui, dans des conditions particulièrement difficiles, une oeuvre parmi les tribus Antahdroy et Tanosy qui se sont montrées peu réceptives et peu accueillantes.

Nous terminerons ce chapitre en citant quelques extraits d'un rapport de F. -Hermann Krüger, paru en 1893. D'après ce document, l'oeuvre comptait alors 78 missionnaires européens (non compris les dames missionnaires), 5.611 ouvriers indigènes (pasteurs, évangélistes, maîtres d'école) ; 1.846 écoles ; 117.400 élèves ; 80.600 communiants et 273.900 adhérents, soit en tout 354.500 fidèles.

« Quant au budget total de ces missions, dit M. Krüger, il doit dépasser 900.000 francs.
« ... En regard de ces diverses oeuvres protestantes, vient se placer la Mission catholique, commencée vers 1861 ou 1862 par le Père Jouen, de la Société de Jésus. D'après les renseignements communiques au Temps par un membre de cette Société, le Père Caussèque, cette mission possède un personnel européen de 114 personnes; 641 maîtres indigènes; 17.338 élèves dans les écoles et 130.000 adhérents environ. Elle a une imprimerie, une léproserie et un observatoire astronomique.
« Une question se pose au terme de cette revue. Où en est actuellement l'évangélisation de Madagascar ?

« Au point de vue stratégique, si l'on peut ainsi parler, le champ de travail est occupé. Entre les quatre puissantes Sociétés qui y sont à l'oeuvre (sans parler de l'Église romaine) et les Églises malgaches, appelées certainement à prendre une part de plus en plus grande à la conquête chrétienne de leurs pays, cette conquête n'est plus qu'une question de temps. Sans doute, une grande portion de la population est encore païenne. Mais il en est des progrès de l'Évangile comme des guerres ordinaires : un pays dont les places fortes sont occupées peut-être considéré comme virtuellement conquis.

« Ce n'est pas à dire, toutefois, que, même dans les parties nominalement chrétiennes de l'île, l'oeuvre de la mission soit terminée. Une forte proportion des Hovas eux-mêmes est encore païenne Ceux qui font profession de christianisme sont souvent loin de mériter leur titre ; la conscience, le caractère moral, l'état social sont en retard sur la profession extérieure du christianisme. L'esclavage domestique reste une des institutions nationales des Hovas ; trop souvent l'apparence de la piété et du zèle recouvre un fond de paganisme pratique resté intact : les idées, les moeurs sont loin d'être pénétrées par l'Évangile. Le fait, qu'il faut savoir reconnaître, n'a rien d'étonnant pour quiconque a étudié les Églises récemment sorties du paganisme et n'oublie pas à quel entraînement beaucoup d'Églises malgaches ont dû leur origine.

« Il y a donc des ombres, des ombres très noires au tableau. Toutefois et c'est par là que nous terminerons, les côtés lumineux ne manquent pas. Les derniers temps ont vu de grands progrès s'accomplir ; un réveil religieux s'est produit dans les rangs de la jeunesse, des sociétés indigènes se sont constituées pour la diffusion des Saintes Écritures et pour l'envoi d'évangélistes aux païens malgaches.

« Un missionnaire qui récemment faisait un voyage d'inspection dans le district nord de Madagascar, exprimait à son retour la consolante assurance que, si la grande île africaine a plus que jamais besoin de missionnaires européens, le Christianisme y a cependant pris racine assez profondément pour être assuré de subsister, même dans le cas où les missionnaires seraient obligés de se retirer. »


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1. Il a été déjà parlé plus haut de ce chrétien à propos de l'introduction du Christianisme à Ambohimanga.

2. Allusion à la chaussure des seigneurs de la Cour, amenés au Christianisme par l'exemple de la reine et de ses grands officiers, plutôt que par des convictions réelle » et personnelles.

 

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