UN
SIÈCLE DE MISSION A
MADAGASCAR
CHAPITRE V
TRIOMPHE DE L'ÉVANGILE
La Mission de Londres avait entrepris à
Tananarive une oeuvre médicale dont les
fruits spirituels étaient remarquables. Le
docteur Davidson avait su gagner la faveur de
beaucoup de grands de la cour. Et c'est avec l'aide
particulière de la reine Rasoherina qu'en
1864, il avait pu fonder à Tananarive un
hôpital qui eut le plus grand
succès.
« Tous les jours, dans son
hôpital, déclare un rapport de
l'époque, le docteur se voit entouré
de trente-cinq ou quarante malades, la plupart
païens et venus souvent de très loin.
Ils reçoivent de lui non seulement les soins
relatifs au corps, mais encore les remèdes
spirituels dont on peut dire que l'Évangile
est la divine pharmacie. Il prie avec eux, il leur
annonce les miséricordes de Dieu en Christ,
et les renvoie chez eux généralement
disposés à raconter, au sein de leurs
familles et à leurs amis, tout ce qu'ils ont
vu ou entendu durant leur séjour à
« l'Hôpital royal » de
Tananarive.
« Un des élèves du
docteur, nommé Andriambelo
(1), est en
même temps prédicateur de
l'Évangile, et a
été consacré au saint
ministère. On ne lira pas sans
édification ce que ce jeune et fervent
chrétien écrivait naguère au
sujet de la mission médicale :
« Les gens qui viennent ici pour
consulter arrivent de toutes les parties du pays,
et en si grand nombre que le docteur, bien qu'il
travaille comme un esclave, ne vient pas à
bout de les soigner tous ; les jours ne sont
pas assez longs pour cela. Ses élèves
l'aident du mieux qu'ils peuvent en parlant aux
malades et en préparant les remèdes.
Ramiandry, le prédicateur, et moi, nous nous
employons à cela et nous nous occupons en
même temps de l'oeuvre spirituelle. Les gens
des classes plus élevées aspirent,
quand ils sont malades, à être
reçus à l'hôpital, car personne
n'a plus confiance aux charmes superstitieux qui
trompaient si bien nos ancêtres. Aussi
remercions-nous du fond de nos coeurs le
Père de notre Seigneur Jésus-Christ
pour avoir inspiré aux chrétiens
anglais l'idée de nous venir en aide. En
nous envoyant le docteur, ils ont fait plus pour
nous que s'ils nous avaient donné beaucoup
d'or et d'argent. Puisse le Seigneur bénir
de plus en plus l'oeuvre des missionnaires à
Madagascar, c'est l'humble prière
d'Andriambelo, prédicateur de la Parole
à Amparibé. »
Ajoutons à ce rapport que les
résultats remarquables obtenus par le
docteur lors d'une terrible épidémie
de variole avaient ouvert les yeux de nombreux
païens, et fortement ébranlé
leur confiance dans l'efficacité des
amulettes.
La reine elle-même subit l'influence
du docteur chrétien. Durant la maladie qui
devait l'emporter (1867), elle reçut
journellement sa visite, et eut avec lui des
entretiens religieux. Le docteur Davidson crut
pouvoir affirmer qu'elle avait à la fin
complètement abandonné le culte des
idoles. Les derniers jours, elle demanda souvent
à ses serviteurs chrétiens de prier
Dieu pour elle, et on l'entendit à diverses
reprises s'écrier : « 0 Dieu,
je me soumets à ta volonté ;
viens à mon secours et me
soutiens. »
Rasoherina fut remplacée par une
autre femme de Radama II, Ramoma, qui prit le nom
de Ranavalona Il.
Rasoherina avait eu beau signer un
traité garantissant la liberté
religieuse, le seul fait qu'elle était
païenne, et que le gardien des idoles
continuait à paraître au premier rang
dans les cérémonies officielles,
constituait un certain obstacle au
développement de l'oeuvre. Les
fonctionnaires de la cour, devenus
chrétiens, se trouvaient souvent dans une
situation fort délicate, pris entre
l'étiquette royale très stricte, leur
faisant un devoir d'assister à des rites
païens, et leur conscience qui le leur
interdisait.
Avec l'avènement de Ramoma, qui se
déclare chrétienne dès le
début, une ère nouvelle commence pour
la Mission.
Tout à fait brusquement, on apprit
que les gardiens d'idoles avaient été
priés de rester chez eux pour la
cérémonie du couronnement,
et on sentit que quelque chose
d'extraordinaire se préparait à cette
occasion.
Voici comment le missionnaire Cousins rendit
compte de l'événement lui-même
à son Comité :
« La cérémonie eut
lieu en plein air. On évalue à 4 ou
500.000 le nombre des assistants.
« Le dôme du dais, sous
lequel la reine avait pris place, était en
velours écarlate et richement orné de
fers de lances en argent. Au-dessous se lisaient,
sur les quatre côtés, les paroles
suivantes : « Gloire à
Dieu ! - Paix sur la terre ! - Bonne
volonté envers les hommes ! - Que Dieu
soit avec nous ! » Sur une petite
table dorée, placée à droite
de la reine, se trouvait une belle Bible en langue
malgache, richement reliée, et un exemplaire
du Code du royaume. De nombreux coups de canon
furent tirés, après quoi la reine se
leva et prononça le discours du
couronnement. Le passage relatif au christianisme
fut court mais significatif - il était
conçu dans ces termes :
« Quant à la prière, elle
n'est obligatoire pour personne ; mais il n'y
sera mis aucun empêchement, car c'est Dieu
qui nous a faits. »
« Peu de temps après eut
lieu la dédicace du second des cinq temples
commémoratifs (Memorial churches) dont la
mission avait depuis longtemps commencé la
construction. La reine et sa cour
assistèrent à la
cérémonie.
« Conformément à
l'étiquette du pays, la reine, qui est
censée propriétaire du
bâtiment, fut la
première à y entrer. La place qu'elle
devait y occuper avait été
élevée au-dessus du sol, de telle
façon que personne ne pût
compromettre, en quelque sorte, sa dignité
en se trouvant placé à son niveau. Ce
fut le missionnaire Toy qui prononça le
discours de dédicace. Mais ce qui donna
peut-être le plus d'éclat à la
cérémonie, ce fut la musique. Un
choeur d'environ deux cents bons chanteurs avait
été organisé, et il eut pour
l'accompagner un orgue-harmonium. Cette partie du
service se composa de trois morceaux chantés
sur des airs anglais, après lesquels on
entonna l'air national des Hovas, auquel un des
missionnaires avait adapté des paroles
appropriées à la circonstance.
À la suite de ces chants, le premier
ministre (qui a fait profession de christianisme)
se leva, et au nom de la congrégation,
présenta à la reine le
« hasina », c'est-à-dire
une pièce d'argent représentant le
tribut dû au souverain. Cela lui fournit
l'occasion de prononcer une allocution courte, mais
substantielle. Il exhorta le peuple à se
confier en Christ. à respecter les lois, et
à s'appliquer de toutes ses forces et en
toutes choses à la pratique du
bien. »
Cette cérémonie eut un
retentissement si extraordinaire qu'il effraya
même les missionnaires, dont la
responsabilité se trouva
singulièrement accrue. Cousins
écrivait à ce sujet :
« Jamais rien de pareil ne
s'était vu à Madagascar. Nos
chapelles sont trop petites pour
la foule d'auditeurs qui s'y pressent.
Naturellement, nous sommes heureux de ce mouvement,
tout en craignant parfois qu'il ne soit trop rapide
et que le christianisme, en devenant à la
mode, ne courre le risque de perdre quelque chose
de sa pureté...
« Parmi tous ces faits heureux, il
en est un qui n'appartient pas
précisément à l'ordre
religieux, mais qui pourtant a pour nous une
certaine importance. C'est l'abolition d'une loi
qui défendait de construire dans la ville
des maisons en pierres ou en briques. Cette
abolition, prononcée en juin, a
réjoui tout le monde. Les riches vont en
profiter pour se bâtir des demeures plus
somptueuses ; l'aspect général
de la ville y gagnera, et nous-mêmes nous
pourrons remplacer par des chapelles en briques ces
édifices en bois couverts de chaume, qui
semblent tout à la fois si misérables
et si provisoires. Le même décret
ordonne qu'à l'avenir les toits de toutes
les maisons soient en tuiles. »
Suivant une autre lettre, la reine, dans la
première audience publique qu'elle a
donnée, se serait exprimée à
peu près dans ces termes :
« Qu'avons-nous à faire plus
longtemps avec « les idoles ? Pour
tout ce qui concerne la paix « et la
prospérité de mon règne, je me
confie « au seul vrai Dieu et
j'espère que mon peuple « pensera
comme moi. » « Cette
déclaration, ajoute le correspondant, a eu
pour conséquence que, le dimanche suivant,
presque tous nos sanctuaires se
sont remplis, et que, dans plusieurs, les auditeurs
de la Parole de vie étaient comme
entassés jamais je n'avais vu pareil
spectacle. On compte parmi ceux qui se sont ainsi
montrés plusieurs des hommes qui avaient
soutenu le paganisme avec le plus d'ardeur, et qui
même avaient jadis persécuté
les chrétiens. - Pour mettre, en ce qui
concerne le culte, de l'ordre dans sa maison, la
reine a divisé ses gens en deux compagnies,
dont l'une assiste le matin, et l'autre
l'après-midi, au culte qui se
célèbre dans la chapelle
d'Ambohipotsy (celle de M. Toy), et dimanche
dernier, pour la première fois dans les
annales de Madagascar, tous les travaux du
gouvernement ont été suspendus, afin
de laisser aux ouvriers la liberté de
sanctifier le jour du Seigneur. Voilà ce qui
se passe ici. C'est un prodigieux
déploiement du pouvoir de l'Esprit ;
nous en sommes merveilleusement réjouis,
mais d'une joie à laquelle s'unit une sorte
de frayeur respectueuse. »
Le 21 février 1869 eut lieu le
baptême public de la reine et du premier
ministre à l'occasion duquel les deux
néophytes racontèrent l'histoire de
leur conversion.
Tout jeune, la reine avait eu pour
maître d'écriture et de lecture un
chrétien, devenu plus tard un des pasteurs
de l'Eglise indigène. Cet homme craignant
les fureurs de Ranavalona Ire alors
régnante, n'avait pas osé dire un mot
de l'Évangile à son
élève ; mais un frère
de celle-ci, mort depuis,
connaissait Andriantsiamba, l'un des quatre martyrs
qui devaient être brûlés
à Faravohitra. C'était cet homme qui,
visitant son frère, avait parlé pour
la première fois du Sauveur à la
jeune princesse en l'exhortant à s'occuper
sérieusement des intérêts de
son âme. - Le premier ministre avait eu, lui
aussi, des faits intéressants à
rappeler. À la même époque de
ténèbres, le dernier des martyrs du
Seigneur, Razafinarina, lui avait donné un
exemplaire des Saintes Écritures. Sans bien
comprendre alors le prix de ce volume, il avait
voulu le garder cependant, et à cet effet il
l'avait caché dans la tour de l'enclos,
où se trouvaient enfermés les
taureaux de combat destinés à figurer
dans les fêtes de la cour.
Ajoutons pourtant que le premier ministre,
en faisant une confession si publique de sa foi,
obéissait en partie à des motifs
d'ambition personnelle. Il avait reconnu la
puissance du Christianisme, et il voulait ne pas
laisser à d'autres le soin de
l'exploiter.
Un de ses premiers soins fut d'organiser ce
qu'on appela l'Eglise du Palais, dont il
prétendait bien être l'inspirateur
sinon le directeur. Il espérait probablement
englober peu à peu l'oeuvre entière
dans celle qu'il fondait, et très rapidement
il expédia dans la campagne des
évangélistes, émissaires
sortis de la nouvelle chapelle royale.
L'église malgache était heureusement
fondée sur de plus fortes assises, et
dans son ensemble devait
résister à la mainmise
projetée.
Le premier ministre conçut le dessein
de frapper un grand coup sur l'imagination
populaire. Ayant adopté, au moins
extérieurement, le Christianisme, dans
lequel il avait su distinguer, ainsi que nous
l'avons dit, une irrésistible puissance de
progrès, il prétendit hâter les
événements, et amena aisément
la reine à la décision de
détruire ceux des fétiches malgaches
qu'on appelait les fétiches royaux, parce
qu'on les avait considérés comme
particulièrement destinés à la
protection du souverain. Cette destruction
s'accomplit le 8 septembre 1869.
Chacune de ces idoles était
conservée dans un village spécial,
ordinairement à deux ou trois heures de
marche de la capitale, et l'on envoya des
émissaires choisis parmi les
chrétiens décidés pour
procéder à l'exécution
ordonnée.
Nous avons traduit la relation écrite
en malgache par un de ces émissaires
concernant la mission qu'il fut chargé de
remplir.
« Envoyés par la reine,
nous arrivâmes à Ambohimanjaka, au
nord d'Imerimandroso, et nous réunîmes
les gens. On leur demanda à qui appartenait
Ramahavaly (l'idole). Ils répondirent :
À la reine ».
« - S'il en est ainsi, reprit
celui qui nous dirigeait, nous vous
annonçons que nous avons reçu l'ordre
de brûler l'idole qui ne sert qu'à
tromper le peuple.
« À ces mots, tous se
regardèrent, pris de
terreur. Personne n'osait livrer
l'idole. Mon chef me dit alors de la prendre.
« N'y allez pas, vous tomberez de
l'échelle, me soufflèrent quelques
assistants. » Mais j'allai et descendis
la boîte contenant Ramahavaly, puis tous ses
accessoires renfermées dans deux grandes
malles de bois, seize grandes corbeilles et neuf
pots de bois. Une des malles contenait des
étoffes de soie et de pourpre ; dans
l'autre il y avait le corps de l'idole,
formé de deux morceaux de bois d'une
quinzaine de centimètres de longueur et
larges comme le poignet ; le haut était
entouré de trois étoffes
superposées et d'une foule de perles et de
graines odoriférantes ; de loin on
aurait dit un oiseau au plumage
étincelant...
« De me voir prendre ainsi en
mains le fétiche, ce fut un
ébahissement complet chez tous les
assistants. Quelques-uns pensaient que j'allais
tomber mort sur la place.
« Avant de jeter l'idole dans le
feu, je la brisai à coup de hache et
l'enduisis de graisse : car, si par hasard, le
feu s'était éteint, on l'aurait
attribué à la vertu du
fétiche. »
Les gardiens d'idoles essayèrent bien
d'exciter la population. Ils répandirent, en
particulier parmi le peuple, le bruit que les dieux
se vengeraient. Mais l'ensemble du peuple, tout en
tremblant intérieurement des
conséquences possibles d'un acte aussi
hardi, accepta l'événement sans
protestation.
D'ailleurs la reine tint à proclamer
la liberté pour chacun de
rester attaché aux anciennes coutumes, en
tant qu'elles n'avaient rien de contraire aux
règles évidentes de moralité.
Les ordalies, les meurtres rituels étaient
absolument interdits, mais non les fétiches
locaux. Ce qui avait été livré
au feu c'étaient les idoles du gouvernement
et de la cour, idoles qui, pour la plupart du
moins, n'étaient ni connues, ni
vénérées dans les autres
provinces du royaume. La reine s'était
prononcée sur ce point de la manière
la plus formelle. Une députation du peuple,
composée d'officiers d'un rang
élevé, s'était
présentée devant elle pour lui
demander si elle entendait que toutes les idoles du
pays fussent détruites :
« Cela, répondit-elle, me ferait
plaisir, car, à mes yeux, toutes les idoles
ont la même valeur, et je serais heureuse
qu'il n'en existât plus dans mon
royaume ; mais je ne veux en rien forcer le
peuple à suivre mon
exemple. »
De fait, le fétichisme resta la
religion de la multitude. On rétablit
subrepticement des copies de quelques-uns des
anciens fétiches royaux. On prétend
même que certains avaient
échappé à la destruction, par
le zèle de gardiens avertis à
temps.
On peut toutefois se demander si le geste du
premier ministre ne fut pas
prématuré. Avec la servilité
des Malgaches d'alors, un nouveau danger
menaça l'oeuvre, celui d'être
considérée comme revêtue d'un
caractère plus ou moins officiel.
Les foules, qui avaient déjà
commencé à se tourner vers les
églises, devinrent encore plus
nombreuses.
Le danger de se voir envahi par des
multitudes ignorantes et mues plutôt par un
esprit d'imitation que par une véritable
soif de l'Évangile était surtout
sérieux dans les campagnes un peu
reculées. Il fallut s'occuper plus que
jamais de la préparation des collaborateurs
indigènes.
Les églises de la ville furent
invitées à contribuer plus largement
que par le passé aux frais
nécessités par l'instruction des
évangélistes et par leur envoi dans
les provinces éloignées. Le
gouvernement, d'ailleurs, facilita en une certaine
mesure ce travail d'expansion, en exemptant les
collaborateurs accrédités des
missions de certains services publics qui auraient
entravé leur activité.
Cela hâta aussi l'organisation du
collège théologique, dont le principe
avait été accepté par
l'espèce de synode semestriel qui
s'était réuni pour la première
fois en décembre 1868.
Les missionnaires Toy et G. Cousins furent
désignés pour mettre sur pied le
collège projeté, qui fut
inauguré, en janvier 1870, dans une
cérémonie solennelle, tenue en
présence de la reine, dans la cour du palais
royal.
La première promotion comprit
quarante-neuf élèves, qui avaient
tous fait un stage de six mois. On divisa le
contingent en deux ; un certain nombre ne
resta que deux ans à l'école
et fournit des
prédicateurs bénévoles ;
les plus intelligents poursuivirent les
études pendant quatre ans.
Voici ce qu'un missionnaire, Pearse,
rapportait en 1870, au sujet de cette
évangélisation par les
indigènes :
« Les églises de la
capitale ont placé à poste fixe des
évangélistes dans les villages les
plus importante des environs. D'après tout
ce que je vois ou apprends sur le compte de ces
ouvriers, ils s'acquittent de leur tâche
d'une manière sérieuse et avec
succès. Nous avons avec eux des
communications mensuelles régulières
et, de plus, nous allons les voir aussi souvent que
nous le pouvons. Quelques-uns d'entre eux sont des
chrétiens simples, d'une humilité qui
fait plaisir à voir, et que leur recours
continuel à Dieu rend tout à la fois
actifs et courageux. L'un d'eux m'écrivait
l'autre jour : « Vous savez que,
pour faire le bien, nous ne pouvons rien par
nous-mêmes. Saint Paul a dit que toute notre
capacité vient de Dieu. Ne nous oubliez donc
pas dans vos prières, et demandez à
Dieu qu'Il lui plaise de bénir les
enseignements que nous sommes chargés de
donner. »
« L'envoi de ces
évangélistes a montré que les
chrétiens de la capitale comprennent le
devoir de faire des sacrifices pour concourir
à l'extension du règne de Christ.
Cette pieuse disposition tend encore à
s'accroître. Nos réunions mensuelles
en faveur de l'oeuvre des
missions atteignent beaucoup de
monde et sont généralement
très intéressantes. Elles ont lieu
à tour de rôle dans chacune des
chapelles que possède la ville, et il est
bien rare que les plus vastes de ces
édifices ne se remplissent pas. Ayant appris
à connaître le prix de
l'Évangile pour eux-mêmes, ces gens
désirent que les mêmes avantages
soient assurés aux habitants des parties les
plus reculées de l'île. Ils
sympathisent, en outre, avec ce qui se fait dans le
même but au delà des mers, partout
où des messagers de la bonne nouvelle sont
à l'oeuvre. »
On fit aussi appel aux prédicateurs
laïques, qui, sans titre officiel dans
l'Eglise, consacraient leurs dimanches et parfois
aussi certains jours de la semaine à aller
exposer aux païens les vérités
élémentaires de
l'Évangile.
Une lettre de Montgomery, missionnaire de la
Société de Londres, à la date
de novembre 1871, en parle en ces
termes :
« En une seule année,
dit-il, le chiffre de ces prédicateurs a
presque triplé. En 1869, il était de
161, tandis qu'en 1870, nous en avons compté
378. La plupart sont des hommes très
intelligents, et l'on peut dire de quelques-uns que
ce sont vraiment des hommes instruits. J'en connais
beaucoup qui s'entendent fort bien à faire
usage de livres écrits en anglais pour
faciliter l'étude de la Bible. L'un d'eux,
Rabezandrina, que je regarde comme un de mes
meilleurs amis, possède le Commentaire
de la Société des
traités religieux, en six volumes, et celui
de Barnes au complet. Il les lit chez lui avec
soin, et s'en sert fort habilement pour
préparer, soit ses sermons, soit les
exercices de lecture biblique qu'il dirige en
attendant que je puisse le faire
moi-même.
« Je dirai, en passant, que la
reine fait traduire en malgache les Commentaires de
Barnes sur le Nouveau Testament. Puis, revenant
à nos prédicateurs, j'ajouterai que
beaucoup d'entre eux n'ont reçu aucune
éducation, mais, qu'en général
ils connaissent la Bible et l'expliquent d'une
manière édifiante. En entendant
ceux-là, le me suis souvent rappelé
ces « prédicateurs
locaux » de l'Eglise wesleyenne qui, sans
beaucoup d'instruction, s'en vont dans nos villages
du nord de l'Angleterre parler de Christ, bien
simplement, mais de manière à
entretenir le feu sacré, et parmi lesquels
il en est plus d'un que j'espère bien
retrouver au ciel.
« Que, parmi ces utiles
auxiliaires, il y en ait qui prêchent l'
Évangile par vanité, parce que le
christianisme est devenu la religion à la
mode et qu'on le voit marcher dans les rues en
pantoufles d'argent (2),
je le sais, et n'en disconviens
pas. Cela est inévitable. Mais quand, le
dimanche matin, je vois des vingtaines ou des
centaines de ces hommes s'en aller prêcher
l'Évangile dans des
villages situés à trois, cinq ou
peut-être dix milles d'ici, très
souvent sans recevoir pour leur peine le moindre
dédommagement, et quand je
réfléchis que ce n'est pas là
quelque chose d'accidentel, mais un fait qui se
renouvelle de semaine en semaine, sans le moindre
signe de relâchement, il me faut bien rendre
hommage à la valeur du zèle qui
enfante une telle activité
chrétienne. »
À la fin de 1870 la mission avait
groupé plus de 231.000 adhérents dont
près de 21.000 avaient été
admis à la Sainte Cène.
Dans le courant de la même
année le Comité de Londres avait
envoyé quatorze nouveaux missionnaires
portant le total de ses agents à 28, et le
rapport de 1871 soulignait la
nécessité d'un effort encore plus
grand.
« Les habitants de plusieurs
provinces, y lisait-on, de celles entre autres
d'Ankova et du Betsiléo, se montrent comme
affamés de la connaissance du salut. Les
missionnaires qui les visitent de temps à
autre, et les évangélistes qui sont
à l'oeuvre sur les lieux n'ont guère
réussi jusqu'à ce jour qu'à y
éveiller une soif spirituelle plus ardente.
Ayant, en plusieurs endroits, bâti des
chapelles, des foules s'y réunissent le
dimanche dans l'espoir qu'un prédicateur du
dehors leur arrivera, ou qu'au pis aller l'un des
assistants pourra leur adresser quelques bonnes
paroles. Après une heure ou deux
passées ainsi dans l'attente, force est bien
à ces pauvres gens de se retirer, mais non
sans qu'ils donnent essor au
regret qu'ils en éprouvent. Un jour, au
moment où une assemblée de ce genre
était sur le point de se séparer, un
des assistants leva les mains au ciel et prenant
l'attitude de la prière : « 0
Dieu, s'écria-t-il naïvement nous
étions venus pour t'adorer, mais nous ne
savons pas comment nous y prendre. Enseigne-nous
toi-même à te prier, ou bien envoie
quelqu'un qui nous enseigne à le
faire ! »
Tandis que la Mission norvégienne
portait surtout son effort au Betsileo, la Mission
de Londres fondait de nouvelles stations dans
d'autres régions de l'Imerina.
Déjà M. Sibree avait
planté sa tente, dans la principale
cité du paganisme, à
Ambohimanga.
En juillet 1871, la station de Fihaonana, au
Vonizongo, fut créée par M. Matthews
qui, dès Janvier 1872, pouvait
écrire :
« Tout ce que j'ai vu et pu
observer ici m'a réjoui et encouragé
au delà de ce que j'aurais osé
espérer. Assurément il y a, et il y
aura longtemps encore, parmi nos chrétiens,
beaucoup d'ignorance, mais il fallait s'y attendre,
et, quand je considère les circonstances par
lesquelles ils ont passé, ce qu'ils
étaient il y a peu d'années, je me
demande s'ils n'ont pas droit à être
classés parmi les populations dont les
progrès ont été le plus
rapides. La connaissance qu'ils ont acquise de leur
Bible, de l'Ancien comme du Nouveau Testament, est
quelque chose de merveilleux.
« En 1863, lorsque M. Cousins
visita le Vonizongo pour la première fois,
il y trouva trois congrégations, celles de
Fihaonana, de Fierenana et d'Ankazobé,
comprenant, à elles trois, 122 membres
effectifs seulement. Aujourd'hui, ce chiffre
s'élève à 1991. Celui des
simples adhérents, qui était alors de
615, dépasse actuellement 25.000, et, au
lieu de 3 congrégations nous en avons
126. »
Des progrès semblables, mais plus
lents, récompensèrent les efforts de
M. Pearse qui avait fondé en 1875 une
station à Ambatondrazaka, chez les Sihanaka,
habitant les bords du lac Alaotra.
M. Richardson, qui avait repris
vigoureusement en mains l'École Normale alla
même, sur l'invitation d'ambassadeurs des
petits rois Tanosy venus saluer la reine, visiter
leur pays. Le pays Tanosy est tout à fait
à l'extrême sud de l'île. Le
voyage d'enquête fut des plus
mouvementés, malgré l'aide d'un
capitaine suédois, qui jouait officieusement
le rôle d'amiral royal à
Madagascar.
« J'arrivai, raconte M.
Richardson, chez le capitaine Larsen, et j'y
demeurai quelques jours ; mais à peine
y étais-je, que les rois du pays qui, par
parenthèse, vivent dans la plus
révoltante immoralité, sans
espérance et sans Dieu dans le monde, nous
firent, à moi et à mes hommes, les
menaces les plus terribles. Quelques jours plus
tard cependant, les rois feignirent d'avoir
oublié leur colère, et me
laissèrent libre de
partir avec mes compagnons. J'étais malade
alors, mais, voyant la terreur de mes hommes, je
jugeai sage de me mettre en route sans perdre une
minute.
« Je fis donc mes adieux au
capitaine Larsen, et nous partîmes. Le voyage
s'annonça bien d'abord ; mais, tandis
que nous remplissions d'eau nos outres, une
centaine d'hommes, armés de fusils et de
lances fondirent sur nous, et me
dépouillèrent de tout ce que je
possédais, sauf les vêtements que
j'avais sur moi. Mon palanquin, ma valise, mes
notes de voyage même, tout me fut
enlevé en un clin d'oeil, et mon
fidèle Rabé, le seul de mes hommes
qui n'eût pas pris la fuite, fut
laissé presque nu, après avoir
vainement essayé de disputer mes bagages
à ces brigands. Ceci se passait le 13
septembre, à 11 heures du matin, et ce ne
fut qu'après avoir marché
jusqu'à la nuit que nous atteignîmes
le premier puits où nous pûmes nous
désaltérer. Mais le roi du lieu nous
refusa toute nourriture et ne nous permit de
coucher que dans la pire maison du village. Le
lendemain matin, n'ayant mangé, pendant ces
vingt-quatre heures, que quelques racines, nous
partîmes de nouveau, et de nouveau nous
fîmes une rude journée de marche.
Enfin, vers le soir, étant arrivés,
Rabé et moi, dans une ville du Tanosy, nous
pûmes obtenir sans difficulté logement
et nourriture, et nous y fûmes rejoints par
la plupart de mes hommes. L'un d'eux, cependant,
avait été tué ; un autre,
capturé, réussit
plus tard à s'enfuir ; presque tous
avaient été dépouillés
de leurs vêtements. Après quelques
jours de repos nous nous mettions en route pour la
capitale, équipés tant bien que mal
par les soins des évangélistes de
l'endroit, qui se dépouillèrent
généreusement en notre faveur, et me
fabriquèrent même une sorte de
palanquin. Notre retour fut tristement
marqué par la maladie et par la mort :
de mes quatorze hommes, sept furent malades
à la fois, et mon fidèle Rabé
mourut presque subitement d'une
insolation. »
Tous ces progrès extérieurs,
dont nous ne faisons qu'indiquer quelques traits,
menacèrent d'être compromis par un
nouvel orage.
Une guerre éclata en 1883, entre les
Imeriniens et les Français, au sujet du
droit de propriété des colons
français, de la succession de Laborde et des
difficultés apportées par le premier
ministre Rainilaiarivony à
l'établissement de quelques-uns de nos
nationaux.
La guerre qui consista surtout, de notre
part, dans le bombardement des principaux points de
la côte, traîna en longueur et ne se
termina qu'en décembre 1885 par un
traité qui cédait à la France
le territoire de Diego-Suarez, et qui obligeait le
gouvernement malgache à nous payer dix
millions de francs, et à accorder aux
citoyens français le droit de commercer et
de louer des terrains par des baux à long
terme dans toute l'étendue des états
de la reine. En outre, un résident
français devait présider aux
relations de Madagascar avec les
puissances étrangères.
Au début de la guerre, les
Jésuites français avaient dû
quitter l'île. Leur oeuvre avait
débuté réellement en 1862. En
1882, il y avait à Madagascar 48
pères et 20 frères de la Compagnie de
Jésus, 8 frères des écoles
chrétiennes et une vingtaine de soeurs de
Saint-Joseph. On avait construit 63 églises,
dont une belle cathédrale en pierres de
taille dans la capitale, et 161 chapelles. Le
nombre des catholiques, y compris les
Européens était évalué
à 23.940, le nombre d'écoliers
à 20.000 environ.
Les Jésuites revinrent en 1885, un
peu en triomphateurs, sous la conduite de
l'évêque Cazet, nouvellement
nommé.
On craignit à ce moment qu'un
mouvement anti-européen ne vint mettre en
péril l'oeuvre des missions en
général. Mais beaucoup
considéraient cette guerre comme un juste
jugement de Dieu et espéraient qu'il en
sortirait plutôt un approfondissement de la
foi, au moins dans le noyau réellement
chrétien.
De fait, aussitôt après la
guerre, les réunions de prières
furent plus nombreuses, plus suivies et plus
vivantes. C'est pendant la guerre même que
les écoles du dimanche furent
créées.
En 1887 et 1888 la mission
norvégienne enregistrait de sérieux
succès sur la côte sud-est et
plaçait des missionnaires à
Farafangana et Manambondro.
En 1892, les Églises
luthériennes américaines
envoyèrent quelques
missionnaires dans l'extrême sud de
l'île. Elles y poursuivent encore
aujourd'hui, dans des conditions
particulièrement difficiles, une oeuvre
parmi les tribus Antahdroy et Tanosy qui se sont
montrées peu réceptives et peu
accueillantes.
Nous terminerons ce chapitre en citant
quelques extraits d'un rapport de F. -Hermann
Krüger, paru en 1893. D'après ce
document, l'oeuvre comptait alors 78 missionnaires
européens (non compris les dames
missionnaires), 5.611 ouvriers indigènes
(pasteurs, évangélistes,
maîtres d'école) ; 1.846
écoles ; 117.400
élèves ; 80.600 communiants et
273.900 adhérents, soit en tout 354.500
fidèles.
« Quant au budget total de ces
missions, dit M. Krüger, il doit
dépasser 900.000 francs.
« ... En regard de ces diverses
oeuvres protestantes, vient se placer la Mission
catholique, commencée vers 1861 ou 1862 par
le Père Jouen, de la Société
de Jésus. D'après les renseignements
communiques au Temps par un membre de cette
Société, le Père
Caussèque, cette mission possède un
personnel européen de 114 personnes; 641
maîtres indigènes; 17.338
élèves dans les écoles et
130.000 adhérents environ. Elle a une
imprimerie, une léproserie et un
observatoire astronomique.
« Une question se pose au terme de
cette revue. Où en est actuellement
l'évangélisation de
Madagascar ?
« Au point de vue
stratégique, si l'on peut
ainsi parler, le champ de
travail est occupé. Entre les quatre
puissantes Sociétés qui y sont
à l'oeuvre (sans parler de l'Église
romaine) et les Églises malgaches,
appelées certainement à prendre une
part de plus en plus grande à la
conquête chrétienne de leurs pays,
cette conquête n'est plus qu'une question de
temps. Sans doute, une grande portion de la
population est encore païenne. Mais il en est
des progrès de l'Évangile comme des
guerres ordinaires : un pays dont les places
fortes sont occupées peut-être
considéré comme virtuellement
conquis.
« Ce n'est pas à dire,
toutefois, que, même dans les parties
nominalement chrétiennes de l'île,
l'oeuvre de la mission soit terminée. Une
forte proportion des Hovas eux-mêmes est
encore païenne Ceux qui font profession de
christianisme sont souvent loin de mériter
leur titre ; la conscience, le
caractère moral, l'état social sont
en retard sur la profession extérieure du
christianisme. L'esclavage domestique reste une des
institutions nationales des Hovas ; trop
souvent l'apparence de la piété et du
zèle recouvre un fond de paganisme pratique
resté intact : les idées, les
moeurs sont loin d'être
pénétrées par
l'Évangile. Le fait, qu'il faut savoir
reconnaître, n'a rien d'étonnant pour
quiconque a étudié les Églises
récemment sorties du paganisme et n'oublie
pas à quel entraînement beaucoup
d'Églises malgaches ont dû leur
origine.
« Il y a donc des ombres, des
ombres très noires au tableau. Toutefois et
c'est par là que nous terminerons, les
côtés lumineux ne manquent pas. Les
derniers temps ont vu de grands progrès
s'accomplir ; un réveil religieux s'est
produit dans les rangs de la jeunesse, des
sociétés indigènes se sont
constituées pour la diffusion des Saintes
Écritures et pour l'envoi
d'évangélistes aux païens
malgaches.
« Un missionnaire qui
récemment faisait un voyage d'inspection
dans le district nord de Madagascar, exprimait
à son retour la consolante assurance que, si
la grande île africaine a plus que jamais
besoin de missionnaires européens, le
Christianisme y a cependant pris racine assez
profondément pour être assuré
de subsister, même dans le cas où les
missionnaires seraient obligés de se
retirer. »
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