Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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UN SIÈCLE DE MISSION A MADAGASCAR



CHAPITRE IV

EN AVANT

La reine Ranavalona 1re mourut le 16 juillet 1861 et son fils Rakotondradama lui succéda sous le nom de Radama Il.
Aussitôt qu'on sut, en Angleterre, cet heureux avènement d'un prince que beaucoup considéraient comme un chrétien, on, envoya Ellis afin de reprendre en mains l'oeuvre interrompue, et qu'on croyait avoir été à peu près entièrement anéantie.

Ce fut une joyeuse surprise pour l'envoyé du Comité de Londres d'apprendre, dès son arrivée à Maurice, en décembre 1861, que non seulement le Christianisme s'était maintenu à Madagascar au milieu de la fournaise, mais qu'il y avait fait de nombreux adeptes, et que plusieurs milliers de fidèles attendaient avec impatience qu'on vînt les visiter et les diriger.

Le Brun, ancien élève de la Maison des Missions de Paris, devenu missionnaire à Maurice, qui avait suivi avec intérêt, depuis de longues années le développement du Christianisme à Madagascar avait précédé Ellis à Tananarive.
Il écrivait en novembre 1861:

« Le nombre des chrétiens indigènes, loin d'avoir été exagéré par les rapports de leurs amis, paraît dépasser au contraire les évaluations les plus élevées. - Les captifs pour la vérité ont tous été rendus à la liberté, et, rentrés dans leurs foyers, ils y jouissent, sous la protection du nouveau gouvernement, de la liberté religieuse la plus complète. - Les chrétiens demandent à grands cris que M. Ellis se rende bientôt à Tananarive, et, par son entremise, ils supplient la Société de leur envoyer des missionnaires, des instituteurs, en même temps que des Bibles et d'autres livres où ils puissent acquérir une instruction religieuse solide et quelques autres connaissances utiles. - En présentant toutes ces demandes, ils agissent avec la sanction du nouveau souverain et en parfaite conformité avec ses vues. »

Le Rév. Le Brun avait reçu dans la capitale, l'accueil le plus cordial. Le roi lui avait fait donner un logement et préparer une chapelle dans son propre palais ; il avait, de plus, célébré le culte dans un autre local, et l'évangéliste parti avec lui de Maurice, David Andrianado, avait lui-même prêché dans une douzaine d'autres locaux, devant d'immenses auditoires.

Dès la nouvelle des merveilleux changements survenus à Madagascar, on envoya de Maurice aux chrétiens malgaches 480 Nouveaux Testaments, 75 exemplaires du livre de la Genèse, 1.892 exemplaires des Psaumes, 665 exemplaires de l'évangile de saint Luc et des Actes réunis, 552 recueils de cantiques, 2.370 exemplaires du Voyage du chrétien, et environ 4.300 alphabets.

Une lettre d'Ellis, écrite de Tamatave, sous la date du 24 mai 1862, annonçait son heureuse arrivée dans ce port et rendait compte de l'accueil qu'il y avait reçu. Un officier du palais et un chef de haut rang, envoyés par le roi, l'attendaient sur le rivage pour lui souhaiter la bienvenue, et pour le conduire dans une maison appartenant au roi, qu'ils avaient ordre de mettre à sa disposition, mais où il ne put loger, faute d'arrangements convenables. Il fut, en échange, hébergé chez le grand-juge de la ville, et reçut de ce magistrat, ainsi que du commandant de la place, l'accueil et les soins les plus empressés.

La maison royale ne resta cependant pas sans emploi. Dès le lendemain, les chrétiens indigènes de Tamatave s'y réunirent pour remercier Dieu en commun de l'arrivée du missionnaire si longtemps attendu. « L'assemblée, dit Ellis, était nombreuse. Les prières que prononcèrent plusieurs des assistants furent simples, mais ardentes et très bien appropriées à la circonstance, leurs chants animés, leurs lectures de la Bible faites avec sentiment et accompagnées de réflexions parfaitement justes. Ces exercices achevés, J'adressai à l'assemblée quelques mots en malgache. Le président de la réunion m'invita ensuite à prier. Je lui dis que je n'étais pas assez maître de leur langue pour l'oser, mais il me demanda de le faire en anglais, en m'assurant que plusieurs des assistants me comprendraient. Je me rendis donc, et priai, en intercalant de temps en temps dans ma prière quelques phrases malgaches et en terminant par l'oraison dominicale en cette langue. La plupart de mes auditeurs me parurent émus, et à la sortie un nombreux cortège m'accompagna jusque chez moi. » - « Je ne saurais vous dire, ajoute le missionnaire, la sensation que paraît avoir faite mon arrivée, ni combien je suis satisfait de tout ce que je vois et de tout ce que j'entends au sujet des chrétiens de ce pays. »

Le jour de l'arrivée d'Ellis à Tamatave, il était trop tard pour que les « amis de la prière » pussent se réunir ; mais les premières questions que l'on posa au missionnaire, à peu près partout, en privé et en public, furent : « Avez-vous des Bibles ? - Nous amenez-vous des pasteurs ? » Et le lendemain, dans une réunion convoquée et tenue sans la moindre appréhension, après la lecture d'un de ces beaux psaumes qui répondent si bien, en tous lieux, aux sentiments de l'âme reconnaissante, deux chrétiens indigènes exprimèrent successivement, dans de chaleureuses prières d'action de grâces, les sentiments qui débordaient de leur coeur.

Pendant le trajet de Tamatave à la capitale, plusieurs chrétiens, qui faisaient partie de l'escorte du missionnaire, se réunissaient pour célébrer leur culte en commun, et l'un des dimanches qu'ils passèrent en route s'étant trouvé le premier dimanche du mois, ils se conformèrent ouvertement à l'un des usages établis dans l'île par les premiers missionnaires, celui de prendre ensemble la Cène du Seigneur. À une journée et demie de marche de Tananarive, terme du voyage, la route se trouva tout à coup comme barrée par un groupe de personnes qui attendaient évidemment quelque chose. C'était une grande députation des chrétiens de la capitale. À l'approche des voyageurs, elle entonna un cantique ; puis, après un joyeux échange de salutations, elle se joignit au cortège pour achever le trajet.

À Tananarive, les premières entrevues du missionnaire avec les chrétiens du lieu furent douces, mais entremêlées de douloureux souvenirs. Six des hommes avec lesquels Ellis avait passé la dernière nuit de son séjour en 1856, avaient depuis lors souffert le martyre, sans qu'un seul, au dire unanime des témoins, eût laissé percer le moindre indice de faiblesse. Beaucoup d'autres, que le missionnaire n'avait pas connus, avaient scellé de la même manière leur profession de foi chrétienne. Le premier dimanche après son arrivée, une grande réunion eut lieu dans un temple dont l'histoire est comme un résumé de celle du christianisme dans l'île. Ouvert par les premiers missionnaires en 1831, l'édifice avait servi au culte jusqu'à la grande persécution de 1836 ; mais alors le gouvernement s'en était emparé, l'avait transformé en prison, et peuplé d'abord de voleurs et d'assassins, puis de chrétiens condamnés à la mort, et c'est de là que les premiers martyrs avaient été conduits au supplice. Plus tard, et peut-être pour rendre le bâtiment plus méprisable encore, on en avait fait une étable ; mais, à la mort de la reine persécutrice, le nouveau roi l'avait rendu aux chrétiens, qui s'étaient hâtés de le réparer et d'en faire de nouveau une maison de prières. Quand Ellis y entra, à une heure très matinale, huit cents personnes au moins l'y attendaient. À son apparition, toutes se levèrent et entonnèrent, en choeur, un cantique d'action de grâces. Un des pasteurs indigènes lui adressa ensuite quelques mots de bienvenue, et, lorsqu'il y répondit, des larmes de reconnaissance et de joie coulèrent de bien des yeux.

Le même jour, Ellis visita une autre chapelle, donnée aussi par le gouvernement. Celle-ci avait été autrefois une sorte d'atelier de menuiserie. Il y trouva une congrégation d'environ mille personnes, sur laquelle sa présence, gage de paix et d'une activité nouvelle, produisit les mêmes effets que sur la première. Le missionnaire mentionne, à ce propos, un fait qui prouve à quel point les chrétiens malgaches ont pris au sérieux les exercices de la piété. C'est que, pendant les longues années de la persécution, ne pouvant pas, sans s'exposer à une mort certaine, se réunir pour prier durant la journée du dimanche, ils le faisaient dès le samedi au soir et ne se séparaient que le dimanche vers deux ou trois heures du matin. Depuis le retour à la liberté, rien ne les forçait plus à tant de mystère. Les assemblées eurent lieu désormais le jour du repos ; mais, par un reste d'habitude, les premières se formaient avant le lever du soleil, ce qui ne les empêchait pas de se renouveler plusieurs fois durant la journée.
Le 6 juillet un service de communion fut organisé dans le palais royal lui-même.

Sur les rapports encourageants de son envoyé et de Le Brun, la Société de Londres hâta l'arrivée de nouveaux missionnaires. Elle en envoya huit en une seule fois. Ils parvinrent à Tananarive le 30 août 1862 et il y eut de nouveau, pour les accueillir, d'émouvantes assemblées où l'on vit un certain nombre de chrétiens que Radama Il avait délivrés de leurs chaînes, mais qui se trouvaient encore dans le dénuement le plus complet.

Les bâtiments dans lesquels se réunissaient les chrétiens étaient fort misérables. Aussi un des premiers soins d'Ellis fut de lancer une grande collecte en Angleterre pour élever à Tananarive quatre grandes églises commémoratives aux endroits où les chrétiens malgaches avaient scellé leur foi par le martyre. Cameron l'un des missionnaires de la première heure, vint aussitôt du Cap pour aider à leur construction, en vue de laquelle le Comité de Londres envoya de son côté l'architecte Sibree, demeuré ensuite à Madagascar comme missionnaire.

Les chrétiens, délivrés de la persécution, comprirent aussitôt leur responsabilité vis-à-vis de leurs compatriotes païens, et se livrèrent à une évangélisation intensive qui, dans certains endroits, trouva un écho réjouissant, et cela jusqu'au Betsileo, à 400 kilomètres au sud de Tananarive.
Une lettre d'Ellis ; du 29 novembre 1862, raconte comment s'ouvrirent les portes de la vieille ville sainte d'Ambohimanga, où l'on enterrait les princes d'Imerina, et où, jusque-là, aucun européen n'avait pu pénétrer.

« Il y a quelque temps, écrit-il, je vis arriver chez moi quelques chrétiens d'Ambohimanga, ville située à douze ou quatorze milles d'ici et qui a été longtemps la capitale du royaume. Ils venaient nous demander de les aider à introduire l'instruction chrétienne et le culte du vrai Dieu dans cette importante cité, qu'on peut considérer comme la forteresse de l'idolâtrie dans ce pays, car elle a toujours été au pouvoir des partisans les plus déterminés du vieux système qui avait à sa base la sorcellerie, l'astrologie, le tanguéna ou tanguin, (poison violent) et tous les autres moyens d'intimidation sous lesquels l'île entière à si longtemps gémi. Plusieurs d'entre eux avaient même déclaré hautement que jamais ni l'homme blanc ni son culte ne mettraient le pied dans Ambohimanga. Malgré ces menaces, les chrétiens du lieu et leurs frères les plus influents d'Antananarivo pensaient que l'Évangile trouverait là un accès assuré, si l'on. obtenait du roi le don d'un terrain pour y bâtir une chapelle et une école, et si je me rendais moi-même sur les lieux. Immédiatement après avoir reçu ces ouvertures, j'allai trouver le roi, qui m'octroya sur-le-champ l'objet de ma demande, et approuva mon projet de voyage. Un de ses officiers reçut, de plus, l'ordre de m'accompagner, pour signifier aux habitants du lieu que je venais il comptait sur leur avec sa permission, et qu'il loyauté pour qu'aucun obstacle ne fût apporté par eux à la célébration du culte chrétien.

« Partis au point du jour, nous arrivâmes vers les huit heures au pied de la montagne de granit sur laquelle cette ville est bâtie. Des magistrats locaux nous attendaient à la porte avec une troupe de soldats. L'officier qui nous accompagnait se hâta de leur faire connaître les intentions royales. Ils répondirent en protestant de leur désir de plaire au roi, et en nous invitant à entrer dans la ville. Sur leur ordre, les soldats, qui avaient d'abord paru vouloir nous barrer le passage, redressèrent leurs armes et nous fîmes notre entrée, les magistrats et leurs soldats formant la tête du cortège, moi venant à leur suite dans mon palanquin, et les chrétiens qui m'accompagnaient fermant la marche. Dès que nous eûmes pénétré dans la ville, ces derniers entonnèrent un cantique chrétien, et ce fut au son de cette sainte musique, unie à celui des tambours de la troupe armée, que nous arrivâmes au centre de la cité. De là, tandis que l'officier royal avait une nouvelle conférence avec les magistrats, on nous conduisit vers une maison où les chrétiens du lieu, au nombre de plus de deux cents, nous attendaient en chantant aussi des louanges du Dieu de l'Évangile. La foule des curieux était telle que nous eûmes de la peine à pénétrer dans la maison ; mais, ces difficultés vaincues, tout alla pour le mieux. L'auditoire était assis sur des nattes étendues sur le sol ; on nous fit prendre place sur quelques chaises devant une table placée auprès de la fenêtre, Là, Andriambelo, l'uni des pasteurs indigènes les plus éloquents de la capitale, prit la parole, et, s'adressant tout à la fois, grâce à notre position, aux chrétiens réunis dans la salle et aux païens restés dans la rue, il exposa, d'une manière aussi claire et solide que sommaire, les doctrines fondamentales de la foi chrétienne. Nous alliâmes ensuite prendre un léger repas ; puis, dans une seconde réunion, je pris la parole, et choisissant pour mon texte la parabole de l'enfant prodigue, j'en donnai une explication appropriée à la circonstance.

« Au sortir de ce second service, les magistrats nous offrirent en présent des volailles, du riz, etc ; puis ils nous accompagnèrent, ainsi que tous les chrétiens du lieu, jusqu'au pied de cette colline du haut de laquelle on avait menacé de nous repousser à coup de pierres, si nous avions eu l'audace d'en tenter l'ascension. Mes compagnons de route chrétiens se sentaient comme accablés de joie par l'heureux succès de notre excursion. Ambohimanga ouvert à la prédication de l'Évangile leur paraissait une merveilleuse victoire.

« Du reste, de quelque côté que se portent nos regards, les préparatifs que le Seigneur semble faire pour appeler à Lui ce peuple, marchent avec une rapidité telle que, malgré nos efforts, il nous est impossible d'avancer du même pas. »

« Quant au roi, continue le missionnaire dans une seconde lettre, il se montre toujours parfaitement sérieux et sincère dans la liberté qu'il laisse à ses sujets d'embrasser la foi chrétienne, ou d'exhorter les autres à l'embrasser. Le fait suivant en est la preuve évidente. Il y a quelque temps qu'un chef, hostile aux progrès du christianisme, avait osé faire publier sur le marché d'un, village nommé Itaosy, un prétendu kabary, ou message royal, défendant toute réunion de prière et toute prédication chrétienne. À l'ouïe de cette interdiction, les païens triomphèrent ; mais les chrétiens, d'abord un peu alarmés, eurent la bonne idée d'envoyer à Antananarivo un messager chargé d'une lettre pour le roi et d'une autre pour nous. L'effet ne s'en fit pas attendre. Dès le même jour, le roi fit mander dans la capitale, pour y être mis en jugement, le chef qui s'était permis de parler en son nom sans y avoir été autorisé, et, le même jour aussi, le messager de nos frères d'Itaosy put reprendre le chemin de son village, avec toute une cargaison de livres sacrés qu'il prit soin de faire voir dans tous les villages qu'il eut à traverser. »

Cependant les païens essayèrent souvent de reprendre l'offensive.
Les sorciers et les gardiens d'idoles continuèrent à répandre des bruits de toutes sortes contre les chrétiens. Une chute de grêle, une inondation, une maladie étaient aussitôt exploitées contre eux : on les rapportait à la colère des dieux nationaux.
C'est sous la même influence qu'éclata à cette époque une nouvelle épidémie de cette folie dansante qui vient périodiquement agiter certaines régions de l'île. Les gens atteints de cette manie se prétendent contraints à se trémousser par les esprits des ancêtres.

Le docteur Davidson a essayé de noter les symptômes de cette sorte de maladie. « Les malades se plaignaient ordinairement d'un poids et d'une douleur dans le péricarde, d'un malaise général, d'une raideur à la nuque.
« ... Puis ils manifestaient une agitation nerveuse ; alors, si la moindre excitation agissait sur eux, notamment s'ils entendaient un chant, ils devenaient incapables de se maîtriser, s'échappaient, couraient à l'endroit ou la musique se faisait entendre, et se mettaient à danser parfois pendant plusieurs heures consécutives, avec une rapidité vertigineuse. Ils balançaient la tête d'un côté à l'autre, d'un mouvement monotone, et agitaient les mains de haut en bas. Les yeux étaient hagards, toute la physionomie avait une expression indéfinissable d'absence...
« Leur rendez-vous préféré était la pierre sacrée d'Imahamasina, sur laquelle les souverains d'Imérina étaient couronnés. Beaucoup d'entre eux prétendaient être en relation avec les morts, notamment avec la feue reine Ranavalona. En décrivant plus tard leurs sensations, ils disaient avoir éprouvé comme celle d'un cadavre attaché à leur personne, et dont tous leurs efforts ne parvenaient pas à les débarrasser. »

En mai 1863, toute une troupe de ces maniaques, excités par les gardiens d'idoles royales, pénétrèrent dans le palais, un jour qu'Ellis s'y trouvait avec Radama II, et forcèrent la porte des appartements du prince, comme pour protester contre la présence du missionnaire chez le roi.
Le gardien de l'idole Ramahavaly tua sa propre fille qui avait osé se déclarer chrétienne. Toutefois, Radama le fit mettre aux fers, et cela effraya un instant les partisans des anciennes coutumes.
Malgré cet acte d'énergie, le roi avait été plus ému qu'il ne voulait le paraître de la recrudescence du paganisme. Son caractère se modifia. Il avait d'ailleurs toujours été très influençable et impressionnable. Il commença à se montrer beaucoup plus circonspect dans son attitude avec les chrétiens. Le Dr Davidson raconte même qu'il défendit à sa seconde femme, qui s'était convertie et avait pris le nom de Marie, de fréquenter les chrétiens. Et comme celle-ci lui répondait qu'ancienne esclave, elle préférerait le redevenir et même mourir plutôt que cesser de prier, il l'aurait frappée.

Surtout il se livrait de plus en plus à l'influence de toute une troupe de jeunes nobles à moeurs dissolues qui faisaient peser sur le peuple un joug intolérable. Le nombre des mécontents alla rapidement croissant. Partisans du paganisme, victimes des favoris royaux, ambitieux, prêts à profiter de tout, tous finirent par se liguer contre le prince et ses misérables courtisans. Les événements se précipitèrent. Sur l'injonction du premier ministre, Rainivoninahitriniony, le roi dut livrer ses favoris qui furent impitoyablement massacrés. Le lendemain, les conjurés envahirent la chambre du roi qui fut étranglé à son tour.

Ellis fut très ému de cette catastrophe. Il s'était bien rendu compte des défauts et des torts du prince. Mais c'était pour lui comme un ami personnel, et il avait toujours caressé l'espoir de l'amener à une conversion sérieuse.
« Tout un monde d'heureux et brillants espoirs, écrivit-il, se trouvait brusquement anéanti par cette simple phrase : « Radama est mort. » Comme toute chose prenait pour moi un aspect différent de celui qui m'était apparu à mon arrivée, moins d'un an auparavant ! Je ne pouvais pas m'empêcher de considérer l'avenir avec la plus grande anxiété. » (1)
On appréhenda, en effet, au lendemain de la mort de Radama, une réaction païenne. Toutefois, le premier ministre qui régna en fait au nom de la nouvelle reine, Rasoherina, femme de Radama II, rassura les chrétiens en interdisant une procession solennelle des fétiches projetée par les gardiens d'idoles.

Un article du Journal des Missions, de décembre 1863, décrit ainsi la marche en avant des jeunes églises malgaches : « Une lettre des missionnaires, en date du 14 août, annonce que la bénédiction du Seigneur repose, d'une manière de plus en plus évidente, sur tout ce qui a pour objet la promulgation de l'Évangile. Les auditoires, un peu diminués à l'époque de la révolution, sont aujourd'hui plus considérables que jamais. On les voit, à chaque service, s'accroître de quelques nouvelles personnes, recrutées, souvent, parmi les classes les plus influentes de la population. Les chapelles sont constamment encombrées, au point que souvent le nombre des auditeurs, restés dehors devant les portes et les fenêtres, est aussi considérable que celui des privilégiés qui ont pu pénétrer à l'intérieur. La construction de plusieurs des temples projetés est en bonne voie et l'on espère pouvoir inaugurer bientôt celui d'Ampamarinana, qui contiendra au moins 1.400 auditeurs. Des écoles sont annexées à tous les lieux de culte déjà existants, et prospèrent. Une école normale centrale, destinée à former des agents indigènes, est sur le point de s'ouvrir dans la capitale. Enfin, les livres chrétiens, qu'on a envoyés d'Angleterre, ou qu'a déjà pu produire la presse de la mission, sont recherchés et achetés avec une ardeur qui montre en quelle estime on les tient.

« Parmi les nombreuses conversions qui ont eu lieu récemment, il en est une surtout qui a produit une profonde impression. C'est celle d'un officier, qui, durant les dernières persécutions, avait poursuivi, découvert et livré l'un des prédicateurs les plus influents de la capitale. En s'acquittant de cette cruelle mission, l'officier avait plongé son épée à travers une cloison en roseaux et blessé le martyr, qui fut conduit de là en prison et mourut ensuite lapidé en confessant jusqu'à la fin, comme Étienne, sa foi au Sauveur qu'il avait chargé d'annoncer. Des cinq personnes qui avaient pris part à cette oeuvre de sang, deux étaient mortes peu de temps après, et deux autres étaient déjà devenues chrétiennes ; et maintenant cet officier vient de passer aussi à la foi, avec toute sa famille.

« Le premier lundi du mois d'août dernier, à eu lieu, à Antananarivo, la première réunion mensuelle en faveur de l'oeuvre des missions.
Cette assemblée, tenue dans la plus vaste chapelle de la ville, avait attire un tel concours que plus de 1.500 personnes durent rester dehors, s'asseoir sur l'herbe, et, pour qu'elles ne fussent pas privées de la part d'édification qu'elles étaient venues chercher, il fallut transporter la chaire en dehors de la porte du temple, et parler de manière à être, aussi bien que possible, entendu des deux côtés. Ainsi, 3.000 personnes s'unirent, en ce moment, pour s' occuper des missions évangéliques et implorer sur elles la bénédiction du Seigneur. Des réunions du même genre, quoique nécessairement moins nombreuses, ont eu et auront régulièrement lieu dans plusieurs villages situés au nord de la capitale. »

La Reine, quoique restant attachée aux « anciennes coutumes », c'est-à-dire au culte des idoles, témoignait aux missionnaires une réelle bienveillance. Le jour de Noël, sept ou huit mille chrétiens, formant une longue procession, furent admis à défiler devant elle en chantant des cantiques. Le mois suivant, le Premier ministre posa lui-même, en présence d'une foule immense, la première pierre de l'hôpital du Dr Davidson, de la Société des Missions de Londres. Un, peu plus tard, il présida également à la pose de la première pierre du temple d'Ambatonakanga, un des cinq grands temples construits à Tananarive en souvenir des martyrs. Ce temple fut inauguré le 24 janvier 1866.

« Le grand jour venu, dit le missionnaire Cousins, les portes du temple ne devaient s'ouvrir qu'à huit heures mais, dès cinq heures, les gens commencèrent à arriver. Longtemps avant le moment fixé, l'immense cour qui entoure l'édifice était comble, et, un quart d'heure après l'ouverture des portes, 1.600 personnes au moins remplissaient l'enceinte destinée au public, tandis que des centaines d'autres attendaient en dehors que leur tour d'entrée vînt pour le service de l'après-midi. D'après tout ce que j'ai vu, J'évalue de 3 à 4.000 le nombre des chrétiens accourus pour assister à la cérémonie. J'ajoute que beaucoup de chrétiens de la ville s'étaient généreusement abstenus de se présenter, dans le désir de laisser plus de place à leurs frères venus des districts Plus éloignés. « Un jour, avaient-ils dit, nous entrerons, tandis que nos amis des Églises éloignées ne le pourront pas. » Parmi ces derniers qui étaient très nombreux quelques-uns avaient franchi d'énormes distances pour participer à l'édification de la journée.

« À neuf heures, arrivèrent les délégués de la reine, précédés d'une troupe de musiciens à instruments de cuivre. Rasoherina avait, par une délicate attention, choisi pour la représenter des officiers chrétiens, et les musiciens eux-mêmes appartenaient à notre foi.

« À peine la congrégation eut-elle été congédiée, que le flot d'auditeurs qui, faute de place, était resté dans la cour, envahit le local en vue du second service, de sorte qu'il fut à moitié plein avant que nous l'eussions quitté nous-mêmes. Il s'agissait cependant d'attendre au moins trois grandes heures. »

Le Dr Davidson donne de son côté un pittoresque tableau d'un dimanche à Madagascar à cette époque :
« Le dimanche, dit-il, le marché dit d'Andohalo, qui se trouve en face de ma demeure, est presque désert. Le grand nombre d'officiers ou d'employés civils, et même d'esclaves, qui fréquentent les assemblées du culte chrétien arrête le mouvement des affaires et force ainsi beaucoup de gens, peut-être contre leur gré, à s'abstenir ce jour-là de leurs occupations ordinaires. Les marchands païens n'apportent pas leurs marchandises au marché parce qu'ils savent que les chrétiens n'achètent rien le dimanche, et les acheteurs païens préfèrent renvoyer leurs emplettes au lundi parce que, les marchands chrétiens étant là, ils auront plus de choix et, par l'effet de la concurrence, payeront moins cher que le dimanche. Par ces raisons, le nombre des vendeurs tend à diminuer rapidement ; dimanche dernier j'ai remarqué, pour la première fois, qu'il n'y en avait pas un seul dans la portion du marché destiné à la vente des étoffes. C'est un progrès véritable dans les moeurs, aussi bien au point de vue physique qu'au point de vue moral. »

Et il ajoute :
« Les réunions de culte sont de plus en plus nombreuses ; les écoles regorgent d'élèves et, à chaque instant, des délégués viennent, souvent d'assez loin, demander aux missionnaires de la capitale d'aller visiter certaines provinces ou d'y envoyer des prédicateurs. »

Les grandes églises de la capitale se montrèrent soucieuses de répandre l'Évangile au loin. Celle d'Amparibé s'occupa du Vonizongo qui avait fourni plusieurs martyrs. Celle d'Ambatonakanga envoya une de ses fidèles, Razafy, chez les Sakalava qu'elle connaissait, étant née elle-même parmi eux. L'église d'Andohalo fit une tentative plus durable autour du lac Alaotra, chez les Antsihanaka.
Il n'est pas jusqu'à Fort-Dauphin, dans l'extrême sud de l'île, qui ne vît arriver ces messagers de la Bonne Nouvelle, sous la forme de soldats hova chrétiens.

D'autres sociétés de Missions protestantes vinrent bientôt prendre leur part de travail. Une des premières à envoyer des représentants à Madagascar, fut la société anglicane dénommée « Church Missionary Society » (1865), qui céda bientôt la place à l'autre mission anglicane, à tendances plus ritualistes, la « Society for the Propagation of the Gospel ».

De son côté Ellis, revenu en Angleterre, chercha de nouveaux concours et poussa les Quahers à envoyer des missionnaires.
En Norvège le Comité de Stavanger avait été ému par les récits des souffrances chrétiens malgaches durant la persécution, et, en 1865, l'évêque Schreuder partit de Natal pour une enquête à Maurice auprès de M. Le Brun. Il envoya, dès le début de l'année suivante, deux jeunes missionnaires, MM. Engh et Nilsen, qui fondèrent la station de Betafo, dans l'Ankaratra, à cinq jours de marche, au sud de Tananarive. Ce fut l'origine de l'oeuvre des Missions luthériennes, qui s'étendit peu à peu à tout le Betsiléo.
Non seulement, grâce aux efforts réunis des représentants de toutes ces Sociétés, l'oeuvre progressait rapidement en étendue, mais une véritable et profonde action intérieure s'exerçait.

Un événement de politique extérieure vint dissiper les dernières appréhensions que la position officielle du paganisme avait continué à entretenir dans l'esprit de plusieurs. Vers la fin de 1866 le gouvernement anglais parvint à faire signer à la reine Rasoherina un pacte réglant les relations diplomatiques entre le gouvernement de Sa Majesté Britannique et celui de Madagascar.

Entre autres choses il y était stipulé ce qui suit :
« Les sujets britanniques jouiront à Madagascar d'une entière et pleine liberté de commerce. Il leur sera permis d'exercer librement et d'enseigner la religion chrétienne... En témoignage de son amitié pour S. M. Britannique, la reine de Madagascar promet d'accorder une entière liberté à tous ses sujets malgaches pour a voir embrassé ou professé la religion chrétienne ; mais, si quelqu'un de ses sujets professant le christianisme est déclaré coupable de quelque crime, il faudra que la loi du pays ait son cours. »

En faits de mesures propres à garantir les droits de l'homme et à prévenir des abus trop souvent impunis dans les pays païens, le traité n'est pas moins explicite.
« La reine de Madagascar, y est-il dit, s'engage à supprimer le jugement par l'épreuve du poison. Elle promet d'user de tout son pouvoir pour empêcher la traite des esclaves, et interdire à ses sujets d'y participer. Nul individu, venant de par-delà les mers, ne sera débarqué, acheté ou vendu comme esclave dans aucune partie de Madagascar. Les croiseurs anglais auront le droit de visiter, même dans les eaux de Madagascar, les vaisseaux malgaches ou arabes soupçonnés de faire la traite des esclaves. Si une guerre vient à éclater entre la Grande-Bretagne et Madagascar, les prisonniers seront gardés pour être échangés, et non pour être en aucune façon faits esclaves ou mis à mort. Le traité oblige la reine de Madagascar à user de tous les moyens en son pouvoir pour abolir la piraterie.

La conclusion de ce traité et sa publication dans l'île étaient d'autant plus désirées que, depuis quelque temps, les dispositions de la reine et de quelques-uns de ses ministres inspiraient des craintes à beaucoup de Malgaches.
On les disait très hostiles aux progrès du christianisme et un missionnaire avouait que, dans son opinion, ces craintes n'étaient pas dénuées de tout fondement. Les termes du traité rassurèrent les timides. D'ailleurs, la situation prospère des Églises était une autre garantie de liberté. Il aurait été désormais difficile de persécuter une Église qui, dans la capitale seule, comptait de quatre à cinq mille communiants et au culte de laquelle assistaient régulièrement les fils de plusieurs des plus grands dignitaires du pays.


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1. Madagascar revisited, p. 291-292.

 

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