Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



FÉLIX NEFF PORTEUR DE FEU



CHAPITRE VII

TRAVAIL EN PROFONDEUR

Sitôt qu'il connaît sa paroisse, Neff va au plus pressé : instruire les catéchumènes, petite armée : une centaine a Freissinières, abandonnes depuis plus de vingt ans, si bien que leur âge va de quatorze à trente-cinq ans, cinquante dans le Champsaur - à cinquante kilomètres de Dormillouse avec franchissement du col d'Orcières -, autant dans les vallées du Queyras, au total plus de deux cents. « Je bénis le Seigneur de ce qu'il m'a réserve ce travail... A Dormillouse, les cours ne peuvent être donnes que le soir, les garçons travaillant aux carrières d'ardoises, les filles gardant les moutons dans quelques rochers où la neige a déjà fondu. (On est en février) Ces cours se terminent vers onze heures du soir. Après quoi, aux lueurs des brandons de paille, les assistants regagnent leurs demeures. »

Cela ne va pas tout seul.
« On ne saurait croire combien il faut de patience avec ces jeunes gens à demi-sauvages, pour s'assurer de leurs besoins et y pourvoir. Si on leur demande une explication quelconque sur un sujet étranger a eux-mêmes, ils le font hardiment, suivant leurs lumières ; dès qu'il s'agit d'eux-mêmes, il est impossible d'obtenir la moindre réponse. Ils demeureront des mois entiers dans le doute et l'angoisse plutôt que d'ouvrir leur coeur ; et, pourtant, il serait difficile de les traiter avec plus de patience et de simplicité que je ne le fais. De tels caractères sont très fatigants à conduire ; j'en ai trouvé partout, mais ici plus qu'ailleurs. » Poids lourd à porter. « je ne me sentais guère de feu et de vie... Un soir, ne sachant que faire, je sortis et allai prier à l'étable. J'avais le coeur mort... Que de soupirs j'ai poussés en traversant la montagne. » En avant quand même !

Écoutons encore l'octogénaire :
- Quand on n'a pas retourné la terre depuis vingt ans ! Déjà la, peine qu'il faut pour labourer d'une année à l'autre. Alors vingt ans ! Ce qu'il a dû peser sur l'araire pour nous atteindre ! Ben, il y est arrivé à force de soins et de patience. Il a tout force, tout ouvert, tout retourné...

Besogne lente, difficile. Au Queyras le sol est plus dur encore. « On y est plus froid, plus mort, surtout à Arvieux. Depuis que j'ai reconnu leur endurcissement, je leur parle d'une façon terrible. je ne conçois pas comment ils peuvent le supporter. » Et l'artilleur reparaît : « Mais c'est tirer dans un rempart de terre glaise : le boulet entre et rien ne bouge. »

 


SORTIE DU CULTE AUX VIOLLINS

Souvent, Neff revient sur ce sujet : « À Arvieux, les catéchumènes prennent de l'intelligence, comprennent assez bien la doctrine, mais ils n'en sont point encore touches. Les grandes personnes semblent des âmes de terre grasse. Elles ne résistent pas, mais ne sentent rien du tout... La parole de l'homme n'est pas l'épée à deux tranchants. Il faut que le Seigneur y mette la main Lui-même. »

Il arrive que Neff se laisse aller au découragement : « Triste métier que celui d'évangéliste quand on voit si peu d'âmes disposées à recevoir la Bonne Nouvelle ! On jetterait des fois l'outil de détresse. » Il pense alors aux prophètes, si souvent seuls, sans un frère à qui confier leurs peines. Eux aussi prenaient parfois la décision de tout abandonner. Mais Dieu ne le leur permettait pas. « En attendant qu'un nouveau jour s'ouvre, je travaille à l'essentiel ; je prêche l'Évangile tant bien que je puis à ceux qui veulent l'entendre. Du reste, que la personne de l'ouvrier soit comme suspendue a un fil, n'importe ; s'il est utile, Dieu le soutiendra ! »

À tout prix, il faut tenir ! Et Neff écrit de Saint-Veyran, le 17 juillet 1824:
« Ce n'est pas quand un ennemi est dans la place qu'on peut aisément la fortifier : il faut qu'elle soit prête quand il arrive. Ce n'est pas quand on se flatte d'une longue paix, quand on la désire ardemment, quand on tremble à l'idée de la guerre, qu'on peut s'armer et préparer une vigoureuse défense. Veillons en tout temps, car le lion rôde autour de nous et il ne se contentera pas toujours de rugir... Eût-on la mort dans l'âme, il faut faire bonne mine devant sa troupe. C'est ainsi qu'on se fortifie soi-même. »

C'est peu après le 29 août 1824, qu'eut lieu la dédicace du temple de Freissinières, aux Viollins. Les autorités civiles et ecclésiastiques - de nombreux pasteurs - avaient été invités. À part le sous-préfet d'Embrun, catholique, et un vieux pasteur venu des Vallées du Piémont, « tous eurent quelque prétexte à manquer. Sans ce vieillard qui n'a pas craint, à soixante-treize ans, de passer les Hautes-Alpes, je me serais trouvé seul, ce qui eût été un affront pour l'Eglise de Freissinières. ».

Tout était prêt, cependant, pour l'accueil. Un arceau de feuillage ornait et ombrageait l'entrée du temple pour préserver de l'ardeur du soleil les auditeurs qui ne pourraient trouver place à l'intérieur. Les choses commencèrent assez mal. Dès son arrivée, la veille, le pasteur vaudois fit de son peuple un éloge pathétique ; puis déclara qu' « un demi-honnête homme vaut mieux que rien du tout », qu'on ne peut guère souhaiter mieux, ajoutant à l'adresse de Neff, jugé trop zélé :
- « Si vous lisez M. Vincent de Nîmes, lumière du siècle, vous verriez qu'il ne faut pas trop tendre la corde et savoir s'accommoder au siècle. »

L'évangéliste répondit vivement :
- « Voulez-vous donc envoyer le Saint-Esprit à l'école de M. Vincent et réformer l'Évangile comme les modes ? Je croyais que c'était le Christ et non M. Samuel Vincent, qui était la lumière du siècle ! »

La discussion prit un tour véhément. Toutefois, quand Neff se rendit dans la chambre du bouillant vieillard pour lui souhaiter un heureux repas, il recueillit ces paroles :
- « Cher ami, j'admire vos principes, mais, au nom de Dieu, ne dites pas de mal de M. Vincent ! »
« Je le lui promis en souriant, à condition qu'il n'en parlerait plus. »
Et l'on s'embrassa.

Le lendemain, dès neuf heures, grand concours de peuple. On est même venu des vallées voisines et la foule reflue à l'extérieur du temple. Le combatif septuagénaire prêche sur ce texte : « Ne vous fiez point sur des paroles trompeuses en disant : C'est ici le temple de l'Éternel. » « Quoiqu'âgé, nous confie Neff, il prêche encore avec la force et la facilité d'un jeune homme, mais c'est la loi toute pure, spirituelle tout au plus. Telle que s'il n'existait point d'Évangile et point de Sauveur. » Même jugement porté sur le sermon d'un collègue absent, représenté par un texte qui demeura, semble-t-il, inédit : « Il ne contient point d'erreurs proprement dites, et même on pourrait dire que la vérité s'y trouve, mais tellement fondue dans des riens qu'il faudrait passer à l'alambic des centaines de tels sermons pour en faire un qui fût capable de réveiller les âmes. »

La cérémonie achevée « nous allâmes dîner avec M. le Sous-Préfet... Ce magistrat me parut fort aimable, franc et d'une grande popularité ; il touchait la main aux plus chétifs montagnards, leur parlait patois et repoussait avec humeur les louanges. Il est botaniste, excellent agronome, s'intéresse beaucoup à la commune de Freissinières où il vient souvent pour visiter un troupeau de chèvres du Thibet qu'il y tient pour le Roi, »

La foule demeurant aux Viollins, Neff prêche encore l'après-midi et le soir, désireux de lui donner plus substantielle nourriture que celle qu'elle avait absorbée le matin.

Sitôt le temple inaugure, Neff se remet sur sentiers et chemins. On le voit et l'entend à Briançon, dans tous les villages de la paroisse, puis il franchit le col d'Orcières. « En passant cette montagne à la fin de l'été, on voit les quatre saisons : le printemps, près des tas de neige où le crocus, la gentiane, d'autres fleurs, commencent à fleurir ; ailleurs (près de Dormillouse), les moissons blanchies ; près de là les blés de l'année prochaine, déjà verts, et les feuilles jaunes annonçant l'automne ; et, sur le col, neige et glace font trouver un hiver éternel. »

À Saint-Laurent-du-Cros, Neff reprend la charrue et laboure les coeurs. Entre temps, il écrit lettre sur lettre pour encourager ceux qu'il a « remués » ailleurs, trouvant le mot qui touche, qui incite à la réflexion.

Et, fin septembre. il franchit une fois encore les deux mille sept cents mètres du col d'Orcières. « Le temps fut très mauvais et les montagnes étaient couvertes de neige... je voulais prêcher à Dormillouse où l'on m'attendait ; pour faire le tour (par Gap et la vallée de la Durance) il m'eût fallu vingt lieues et non cinq. Je pris un guide et une bouteille de vin de Provence. Armés d'un gros bâton chacun, nous nous acheminâmes vers le col. Il y à trois grandes heures de montée depuis Orcières ; nous en fîmes une et plus sur le sec ; puis la neige... Elle tombait abondamment et un épais nuage nous enveloppa... Nous en avions jusqu'aux genoux. Une grêle. poussée par un vent terrible joignait son bruissement sourd aux éclats de la foudre, aux roulements des avalanches... ; nous voyions les éclairs briller au-dessous autant qu'au-dessus et à coté... Enfin, nous arrivâmes sur le col où la neige était amoncelée à plus de trois pieds et le vent insupportable... On redescend tout de suite. Quelques pas et nous étions presque à l'abri. Je donnai alors à mon guide un franc. À Chamonix il en faudrait six, ou plus. Il me restait deux lieues jusqu'à Dormillouse. Le brouillard se leva et je vis quelques pointes de rochers dorées des rayons du soleil. Je chantai alors quelques versets du Te Deum... Pressant le pas je trouvai bientôt la trace des troupeaux que la neige avait chassés dans la vallée... À Dormillouse, on ne fut pas peu surpris de me voir arriver par le col. »

Pour se reposer de cette équipée, son culte terminé, après quelques heures de sommeil, Neff abat les soixante kilomètres qui le séparent de Saint-Véran, puis d'Arvieux. Chemin faisant, il trouve encore moyen de préparer une tisane pour la mère, malade, de six enfants. Rester à la Chalp plus d'un jour, comme on le lui demande ? Alors, les autres, que deviendront-ils ? « Je pars pour Briançon, pour Freissinières, etc. Priez pour moi et pour les pauvres Alpins. »

Nous nous lasserions plus vite que Neff si nous tentions de le suivre. Pareil à l'écureuil, toujours à sauter d'arbre en arbre, il saute, lui, de val en val, porté « par la forte qu'il a » qui semble se nourrir de la fatigue du corps. Seul, le bâton de route diminue ; ce qui en avait été la pointe s'arrondit, s'écrase. Ce n'est pas sans émotion que nous avons tenu en main, certain jour lointain, cet humble témoin des incessants déplacements de l'apôtre des Hautes-Alpes.


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