Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



FÉLIX NEFF PORTEUR DE FEU



CHAPITRE VI

DÉBUTS DIFFICILES

Parti de Grenoble le 9 octobre 1823, le missionnaire - car il vient en missionnaire - remonte la vallée d'Oisans : « Elle est vraiment belle, étroite, profonde, bordée de montagnes à pic dont les cimes prismatiques et bizarrement découpées semblent toucher au ciel... La Romanche, qui la parcourt dans toute sa longueur, y dépose un limon gras, semblable à celui de l'Arve... Quand nous eûmes quitté les derniers villages, nous aperçûmes de petits bois de mélèzes ; je n'en avais jamais vu que dans des bosquets de plaisance. Plus loin, au-dessus de la route, un glacier ; c'était le premier que je visse ; j'eus le temps de le considérer en passant parmi les débris de rochers qu'il a accumulés à sa base dans le fond de la vallée. Pour cette fois, je fus tout à fait dans les Alpes. »

Halte au hameau délabre du Chazalet « dont les habitants ne brûlent que des mottes de gazon, de la bouse de vache et du crottin de brebis... C'est là que j'ai vu pour la première fois du pain cuit depuis plus d'un an ; trempé dans l'eau, il est meilleur que je l'aurais cru. » Neff visite et réconforte quelques familles protestantes abandonnées comme telles depuis des années.

Poursuivant sa route, il franchit le col du Lautaret, à deux mille mètres d'altitude. Le temps se gâte. « Il faut souffrir, quand la neige, portée par le vent, vous vient au visage et dans les yeux, comme du sable, et efface continuellement la légère trace que le voyageur doit suivre entre les précipices. » Au pied des forteresses de Briançon, le piéton trouve un ami et c'est à cheval, suivant le cours de la Durance, qu'il monte à Pallons situé à l'entrée du val de Freissinières. « Jamais je n'ai vu site plus pittoresque que celui-là : maisons, rochers, prairies, précipices, moulins, cascades, tout y est pêle-mêle ; la vigne, le sapin, le noyer, le mélèze, y sont comme confondus ; c'est un chaos aussi singulier qu'agréable. »

Le lendemain, remontant la vallée, Neff gagne les Viollins où il prêche dans le temple en voie d'achèvement. « Ni bancs, ni chaire, on arrangea le tout comme on put... Les habitants sont vêtus de gros drap de couleur fauve comme le poil du loup. Ils paraissent n'être pas sots et ont, comme ceux du fond du val, beaucoup d'attachement à la doctrine de leurs pères... Les anciens furent agréablement surpris de m'entendre parler patois (appris à Mens). »

Premier, rapide contact. Neff doit se rendre à Queyras où on lui a promis un logement. Il faut pour cela redescendre jusqu'à la Durance, à mille mètres d'altitude, suivre le Guil par un mauvais sentier qui en épouse tous les caprices, au plus profond d'une gorge sauvage. Au delà de « cette espèce de souterrain », on débouche sur les hautes vallées queyrassines où sont, à gauche, la Chalp d'Arvieux et Brunissard, à droite Pierregrosse, Fontgillarde et Saint-Véran, le plus haut village habité d'Europe, à plus de deux mille mètres. « Au Queyras, les protestants sont plus instruits et plus zélés (première impression) que partout ailleurs dans le Dauphiné. Avec eux on met facilement en train une bonne conversation. » À Brunissard, l'évangéliste baptise « un enfant né le matin même dans l'étable où sa mère était couchée. Là, les étables servent de salon, de chambre à manger, à coucher et de chapelle pendant tout l'hiver ; elles sont construites de manière à loger toute la famille, gens et bêtes... Les montagnards s'étonnent de l'agilité avec laquelle je gravis leurs rochers et de la facilité avec laquelle je me fais à leur genre de vie. »

Mais Neff ne peut encore songer à se fixer de façon définitive dans cette paroisse éparpillée sur des versants de montagne du col de la Croix à Saint-Laurent-du-Cros, bien au delà du col d'Orcières. Étranger, dépourvu de tout titre ecclésiastique, espion de l'Angleterre, disent quelques-uns de Mens, obtiendra-t-il vocation du Consistoire d'Orpierre ? M. le Sous-Préfet accordera-t-il une autorisation de séjour ? Faudra-t-il solliciter une naturalisation ? S'il n'y avait que l'administration ! « Je vois bien que j'aurai à lutter contre l'influence des prêtres romains et contre tes intrigues des prêtres protestants. À la garde du Seigneur, il arrivera ce qu'il doit arriver. Que Dieu me donne seulement foi, patience, fidélité ! Les églises du Queyras et de Freissinières, peu nombreuses, très écartées, situées aux dernières limites du monde habitable, parmi les rochers et les mélèzes, près des neiges éternelles, n'ont rien d'attrayant pour des mercenaires. »

Pendant des semaines, Neff voltige de vallée en vallée pour obtenir des lettres des Anciens. Puis il franchit en décembre le col d'Orcières. « Les paysans avaient enveloppe mes souliers de vieux chaussons de laine... Deux hommes, seulement, avaient franchi ce passage depuis la chute des neiges, en septembre ; leurs traces se voyaient encore, croisées çà et là par le pas des loups, des chamois et de quelques preneurs de marmottes. » Le voici en coup de vent à Mens où il prêche et visite les « assemblées » au milieu de l'émotion générale, à Orpierre accompagné par le pasteur Blanc, où l'on décide de lui « adresser vocation » pour le Queyras et Freissinières et de solliciter sa naturalisation auprès du Roi ; à Cap où le Préfet déclare ne rien pouvoir faire tant qu'il n'aura pas en main des pièces officielles ; à Orpierre de nouveau, à Trescléoux ; à Gap encore ou les choses stagnent. « J'ai tout lieu de croire qu'on me laissera passer au moins quelques semaines tranquilles. »

En fait, cette situation équivoque durera des années. Elle ne fut jamais régularisée et, pour sa situation matérielle, Neff ne dépendra que du bon vouloir de ses paroissiens. Qu'importe ! Sans se tracasser davantage, il se met à la besogne comme si tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. jusqu'à maintenant, il n'a qu'effleuré son immense paroisse.

Corps à corps et coeur à coeur vont commencer. De l'intense bataille, car c'en fut une, nous ne pourrons suivre, chronologiquement, toutes les péripéties. Car Neff est en perpétuels « remuements », feu follet spirituel de quinze villages semés sur un parcours bossu de quelque cent cinquante kilomètres que le vaillant piéton arpente sans cesse, été comme hiver.

Un ancien nous disait - nous avions alors vingt ans :
- Neff ? On ne savait jamais de quel côté il tombait, car il tombait de partout. Dimanche ou semaine, il survenait, visitait, prêchait, chantait, puis saisissait son bâton, après avoir allumé les feux. De nouveau là, deux ou trois semaines après, pour souffler dessus. Et il soufflait fort ! jusqu'à ce que les flammes montent. À la longue, qui pouvait résister à cet homme ? Que de fois, aux Viollins, il nous a surpris à des neuf et des dix heures du soir. De la canne - on dormait, bien sûr - il frappait à toutes les fenêtres. Au temple ! au temple ! Et on y allait entre les murs de neige.

Nous eûmes cette réflexion :
- Il devait y faire un froid de canard.

Ce qui nous valut cette réponse fulgurante :
- Froid ? pas froid ? Qui s'en occupait ? Parce que, jeune homme. l'Évangile, annonce par Félix Neff, ça réchauffe !

Et puisque nous en sommes aux souvenirs personnels, rappelons ici ce que nous disait un soir, devant l'âtre, notre grand-père maternel, neveu du percepteur Baridon.
- Neff, moi, je ne l'ai malheureusement pas connu, ce qui s'appelle connaître. Il m'a baptisé !

C'est déjà quelque chose. Mais que de fois le percepteur m'en a entretenu ! Quand il venait chez nous, il s'asseyait là, au coin de cette table. Un temps, éreinté par ses courses, il se taisait, comme hors du monde, regardant plus ou moins nos gens aller et venir. Puis parlait tant soit peu, de choses temporelles, de nos travaux car il était très porté sur l'agriculture... D'une voix toute simple... Alors il soupait avec la famille, très poli, faisant passer le pain, les assiettes, pas fier pour un brin, traitant le domestique avec autant d'attention que le maître. Enfin, le percepteur lui tendait la Bible. Il se jetait dessus, trouvait le chapitre qu'il avait en tête. Alors un autre homme : une voix qui saisit, domine, des questions brûlantes, la prière, tout le monde à genoux, une prière qui amenait Dieu sous le plafond, le rendait visible à tous... Après quoi, il empoignait sa canne, et, sur un bonsoir gracieux, sautait dans les ténèbres pour aller prier avec quelque autre... »
- Les premières lettres de Neff, datées de Freissinières, nous donnent avec rudesse ses premières impressions toutes fraîches :

« Il faut ici tout créer : architecture, agriculture, instruction. Tout y est dans la première enfance. Beaucoup de maisons sont sans cheminée et sans fenêtres. Toute la famille, pendant sept mois d'hiver, croupit dans le fumier de l'étable qu'on ne nettoie qu'une fois l'an. Le pain, qu'on ne cuit qu'une fois par année, est de seigle dur, grossièrement moulu, non tamisé. Si ce pain vient à manquer, vers la fin de l'été, on cuit des gâteaux sous la cendre, comme les Orientaux. Si quelqu'un tombe malade, on n'appelle point le médecin, on ne sait faire ni bouillon, ni tisane. je leur ai vu donner à un malade, dans l'ardeur de la fièvre, du vin et de l'eau de vie. Heureux s'il obtient une cruche d'eau près de son grabat. Les femmes y sont traitées avec dureté, comme chez les peuples encore barbares ; elles ne s'asseyent presque jamais, elles s'agenouillent ou s'accroupissent là où elles se trouvent ; elles ne se mettent point à table et ne mangent point avec les hommes ; ceux-ci leur donnent quelques pièces de pain et de pitance par-dessus l'épaule, sans se retourner ; elles reçoivent cette chétive portion en baisant la main et en faisant une profonde révérence. »

De ces relations de maître à servante, quasi esclave, dont il ne reste plus trace, aujourd'hui - et sans doute Neff a-t-il eu sa part d'influence sur cette heureuse évolution - il faut peut-être chercher la cause profonde dans la lecture quotidienne. Là-haut et pendant des siècles, de l'Ancien Testament, de ses plus anciens livres surtout où règne la conception orientale de la famille : l'homme, chef tout-puissant, craint, obéi ; la femme, ployée sous le poids du péché d'Eve, née pour enfanter, pour servir. L'homme doit ignorer les tendresses de l'amour. On sait ce qu'il advint à Samson, à David, à tant d'autres ! Puis n'oublions pas la longue présence à Freissinières, des Sarrasins dont les traits sont encore marqués sur plus d'une figure. Or les femmes arabes ne passent pas pour des émancipées...

Neff poursuit : « Les habitants de ces tristes hameaux étaient si sauvages, à mon arrivée, qu'a la vue d'un étranger, fût-ce d'un paysan, ils se précipitaient dans leurs chaumières comme des marmottes. Les jeunes gens, les jeunes filles surtout, étaient inabordables. »

Là encore, héritage séculaire. Qui venait de l'extérieur ne pouvait être qu'un espion et la fuite immédiate était une instinctive réaction. Puis, nous l'avons suffisamment marqué, les persécutions, les départs pour l'exil, les guerres, avaient opéré une sélection à rebours dont le dernier terme avait été, dans la misère générale, une presque totale démoralisation. On ne s'étonne donc pas de trouver ces mots sous la plume de Neff :
« Ce peuple ne laissait pas de participer à la corruption générale, autant que sa pauvreté le lui permettait. Le jeu, la danse, les jurements les plus grossiers, les procès, les querelles s'y rencontraient comme partout ailleurs. »

Raison de plus pour le missionnaire de planter sa tente sur les rocs de Freissinières. Comme son Maître, il vient sauver ce qui est perdu. Et il écrit :
« Néanmoins la misère de ce peuple est digne de pitié. Elle doit inspirer d'autant plus d'intérêt qu'elle résulte, en grande partie, de la fidélité des ancêtres refoulés par l'ardeur de la persécution dans cette affreuse gorge, où il est à peine une maison qui soit à l'abri des éboulements de neige et de rochers. Dès mon arrivée je pris cette vallée en affection et je ressentis un ardent désir d'être pour elle un nouvel Oberlin. »


SAINT-VÉRAN (2.040 M. D'ALTITUDE)

Sortons de cette « gorge affreuse » pour gagner, par un sentier incertain, tantôt zigzaguant au flanc des pentes abruptes, tantôt serré, sous le jet des cascades, entre rocher et précipice, le village de Dormillouse ou vivaient alors - il en reste une quarantaine - deux cents habitants. « Ce village est célèbre par la résistance des siens, depuis plus de six cents ans, aux efforts de l'Eglise romaine ; ils sont sans mélange, de la race des Vaudois et n'ont jamais fléchi le genou devant l'idole, même dans le temps où tous ceux du Queyras dissimulaient leur croyance. On voit encore les restes des forts et des murs qu'ils avaient élevés pour se préserver des surprises de leurs ennemis ; ils doivent en partie leur conservation à la position même de leur pays qui est presque inaccessible... L'aspect tout à la fois affreux et sublime de cette contrée qui a servi de retraite à la liberté pendant que presque tout le monde gisait dans les ténèbres ; le souvenir de ces anciens et fidèles martyrs dont le sang y semble encore rougir les rochers ; les profondes cavernes où ils allaient lire les Saintes Écritures et adorer en esprit et en vérité le Père des lumières, tout, ici, tend à élever l'âme et inspire des sentiments difficiles à décrire. »

Que les temps ont changé ! « On ne trouve plus aujourd'hui, parmi eux, une seule âme qui connaisse véritablement le Sauveur. »

L'été peut créer des illusions alors qu'on est campé devant un merveilleux horizon peuplé, bruissant de cimes et de cascades baignées dans une ardente lumière. Que de fleurs, partout ! Gentianes, lis blancs et pourpres, pensées, violettes, orchis, arnicas, anémones, ancolies, sur les pentes rocheuses génépi, rhododendrons et edelweiss, soldanelles autour des neiges, célèbrent l'allégresse des beaux jours. Mais les frimas restent à l'affût. Dans une lettre datée du 16 août, Neff écrit : « L'hiver ne nous a quittés que le 29 juin et il est revenu hier matin. Il a gelé et j'ai vraiment souffert du froid. La veille, la grêle avait ravagé plusieurs collines ; il n'y a ni pâturage, ni fourrage et très peu de grains. La misère menace les pauvres Alpins. Encore s'ils étaient riches en Dieu, tout cela serait peu de chose, mais toutes les misères à la fois. Triste chose que ce pauvre monde. On voit qu'il est maudit ! » C'est bien ce qu'avaient fini par penser ceux de Dormillouse et ceux du creux du val, abandonnant toute espérance. Il est difficile, à la longue, de tenir, quand on à contre soi la nature et les hommes !

Et que dire du véritable hiver ! « Souvent nos cantiques ont pour accompagnement le roulement terrible des avalanches qui, glissant sur la surface lisse des glaciers, se précipitent de gradin en gradin comme d'immenses et magnifiques cataractes d'argent. » Quand, de nuit, revenant de quelque lointaine expédition, Neff regagne son nid d'aigle, à Dormillouse, des jeunes gens porteurs de torches de paille, de brandons enflammés, l'accompagnent pour tailler à coups de hache, des pas au point ou la cascade recouvre d'une épaisse couche de glace le sentier incliné sur le précipice. Imagine-t-on le retour du voyageur épuisé dans le village endormi sous la neige, se faufilant entre les murs blancs construits à la pelle, ouvrant enfin à tâtons la porte d'une chambrette glacée ? On comprend son cri : « Avec quelle force de pareils endroits ne s'élèvent-ils pas en jugement contre les hommes qui ont pu en forcer d'autres à chercher un refuge que dédaignent les bêtes de proie ! »

Aujourd'hui encore il faut gagner Dormillouse par le sentier que douche la cascade, orages, avalanches, chutes de pierre ayant impitoyablement balayé toute tentative de chemin carrossable. Et comme toujours, l'hiver, quand un malade « presse », il faut le descendre sur un matelas, devenu traîneau, retenu par des cordes. Tel, que nous avons connu, mourut pendant qu'on taillait les pas au pied de la cascade.

Évoquons ici un souvenir. Certain hiver, en janvier, ayant affaire aux Viollins, nous nous y rendîmes des Ribes. Distance, trois kilomètres. Dans les quarante-huit heures, deux mètres de neige étaient tombés que les mules attelées au triangle avaient renoncé à refouler car le blanc dépassait leurs oreilles. Un âpre vent du nord appointissait les aiguilles d'un froid de vingt degrés. Il nous fallut plus de trois heures pour franchir ces trois kilomètres, de la neige plus haut que le béret, totalement enseveli quand on abordait une « congère ». Nous ne serions sans doute pas arrivé aux Viollins si des jeunes gens pourvus de skis n'avaient, à notre intention, allant et venant, creusé sur la nappe blanche une façon de sentier d'où l'on glissait souvent dans les profondeurs ouatées. Il fallait alors nager plus que marcher.
- « Où êtes-vous ? » criait parfois une voix sympathique.
- « Ici ! »

Et une main trouait la surface... Quel retour, dans la nuit, sous les étoiles, par un froid encore plus sibérien ! Le « falot-tempête » dont on nous avait muni s'éteignait a chaque dégringolade. Qu'ils étaient beaux, à la flamme ressuscitée, les mille cristaux allumés au creux des tombes immaculées auxquelles nous tentions d'échapper !... De nouveau les étoiles... Mais où est ce qui fut le chemin, entre les pentes et la rivière glougloutante sous la glace ? ... Sans le chien de la maison, venu à notre rencontre, bondissant hors de la neige comme un possédé, nous y serions peut-être encore ! ...

Le récit de cette très modeste prouesse n'apparaît ici que pour permettre au lecteur d'imaginer ce que dut endurer, pendant quatre ans de haute montagne, le piéton Neff qui jamais ne s'écoutait, ne se dorlotait, parce qu'il y avait toujours des âmes à conforter de l'autre coté des monts. Ce qu'il appelait ses « rondes », incessantes, duraient vingt et un jours. « Il ne couchait pas cinq nuits dans le même lit. » Non pas courageux. héroïque. Et l'ignorant.
- Ne pensant qu'au salut, disait un paysan, il partait et courait comme un lièvre pour l'offrir de côté et d'autre.

Et l'octogénaire des Viollins :
- Ça le tenait aux chausses. Fallait qu'il évangélise ! La force d'En-haut l'accompagnait, bien sûr. Sans quoi il serait mort cinquante fois. De prudence, de pieds gelés, de chute au précipice, il n'était jamais question. Toujours en avant !

En avant pour catéchiser, pour prêcher, pour prier, pour chanter, pour enterrer et baptiser, pour activer le feu là où il a pris, pour « rallumer les brandons » là où ils sont éteints, pour créer des écoles, pour former des instituteurs. jamais découragé. Se contentant d'une paillasse dans quelque recoin, de repas froids, indifférent aux besoins de son corps, aux fatigues inouïes qu'il lui impose. En avant !
Et presque toujours seul, quoi qu'il lui en coûte.
« J'aime ma mère. je l'aime comme elle m'aime, je serais certes heureux de l'avoir avec moi. Mais où, avec moi ?... Moi aussi je pourrais me marier, avoir une compagne, une vie de famille, un chez moi. Mais que deviendrait cette oeuvre qui a toutes mes affections, que deviendrait ma femme toujours seule quand je serais appelé à errer de cotés et d'autres ? Elle serait au Queyras lorsque je serais à Freissinières ou en Champsaur ; et même en Queyras, elle serait à la Chalp d'Arvieux, où est le presbytère, lorsque je serais à Saint-Veyran, à Pierregrosse ou Fontgillarde, à Vars, à trois, quatre, cinq et huit lieues... Avoir devant les yeux une perspective de repos, de bien-être sur la terre, c'est une tentation. J'y suis sujet comme un autre mais je me le reproche, comme une grande sottise. Saint-Paul promet du repos aux fidèles, mais seulement lorsque le Seigneur sera revenu avec ses saints anges. »

« Âpreté du climat, triste aspect du pays, fatigues continuelles », tout cela est oublié « dans l'espoir que germeront quelques grains de la semence sainte qu'il m'est donné de répandre. Alors ces affreuses montagnes me sont agréables comme le Liban ou le Carmel. »



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