Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



FÉLIX NEFF PORTEUR DE FEU



CHAPITRE I

PREMIERS PAS

Ces Neff (1), aussi haut qu'on peut remonter, avaient de la poudre dans le sang, une soif d'aventures dans le coeur. Armés de Morgenstern convenablement cloutés, à Cappel, aux cotes de Zwingli, d'authentiques ancêtres de Félix abattent gaillardement, selon la loi de l'époque, des adversaires de leur foi et meurent pour elle. Dans la suite, des représentants de la famille quittent leur ville de Zurich pour les bords vaudois ou genevois du Léman. Magistrats, professeurs, artistes, pasteurs de stricte discipline ou mécréants généreux, ils ne font rien à moitié, tel ce Jean-Henri, père de Félix, dont il serait passionnant de conter la vie tourmentée.

Dès son jeune âge, la bagarre l'attire. Il n'a pas dix-huit ans qu'il prend une part active, en 1782, à Genève, à l'échauffourée de la porte neuve, son premier Cappel, car il en connaîtra d'autres. Disciple des philosophes et encyclopédistes du XVIIIe siècle, ennemi des tyrans, voltairien, artiste, incroyablement primesautier, se perchant au gré de sa fantaisie sur toutes les branches de l'arbre social. il est, tour à tour, peintre sur émail, juge de paix, à la fois animateur et modérateur des révolutionnaires genevois, puis, en France, membre du Comité de salut public - nonobstant candidat à la guillotine à laquelle il n'échappe que de justesse, général d'artillerie lors du siège de Lyon au cours duquel, et au péril de sa vie, il sauve la famille Eynard ; enfin industriel et conservateur à Paris, de l'école des Arts et Manufactures. Sexagénaire, il fait le coup de feu en 1830 et meurt en 1849, chevalier de la Légion d'honneur et médaillé de Juillet.


TEMPLE DE PENEY QUE FÉLIX NEFF A DÛ FRÉQUENTER

On ne le voyait que fort rarement à Genève où il comptait pourtant des amis hauts placés, parmi lesquels Horace-Benédict de Saussure... et un fils, le futur apôtre des Hautes-Alpes, né le 8 octobre 1797 des relations de l'homme-protée avec Jeanne-Pernette Bonneton. De ce fils, rousseauiste même en cela, Jean-Henri Neff ne se préoccupa que médiocrement, laissant la mère de son enfant se débrouiller seule. Il existe pourtant des lettres où ce père aux amours multiples s'intéresse, au moins épistolairement, à l'instruction de Félix, « se tourmente de son sort », déplore « ne disposer que de quelques louis en sa faveur ». Mais Pernette Bonneton, fière, réservée, ne tient guère à voir le volage prendre trop d'empire sur l'enfant dont elle entend, non sans courage, être seule à s'occuper.

Elle s'y emploie dans des conditions matérielles précaires qui conduiront la petite famille de Genève même à Peney, puis à Russin, à Cartigny, à Lancy, ailleurs encore peut-être, toujours dans le cadre et le décor de cette merveilleuse campagne genevoise où l'enfant puise cet amour de la nature, des choses simples, sous le grand soleil de Dieu, qui l'accompagnera toute sa vie.

Quand Ami Bost écrivit son livre sur Neff, c'est à la mère qu'il s'adressa pour que soient mises en juste lumière les années d'enfance de celui qui venait de mourir. Il reçut alors une longue lettre où, un peu pêle-mêle, avec autant de franchise que d'amour, la maman laisse parler son coeur.

« Je suis une triste exception sur la remarque qu'on a faite sur presque tous les serviteurs distingués de Dieu, savoir qu'ils ont eu des mères chrétiennes. Votre ami n'a pas eu cet avantage. je marchais avec le siècle et mon union avec un homme rempli d'esprit et d'incrédulité m'amena bientôt à n'être plus, comme lui, que déiste et à vivre sans culte. Il n'en fut pas de même pour mon enfant ; bien jeune, encore, il prit beaucoup de goût pour les saintes assemblées ; non seulement il n'en manquait point, mais il se faisait remarquer par son recueillement... Quand il savait toutes ses leçons, il lui arrivait d'apprendre encore un psaume pour avoir une bonne note de plus... Heureusement qu'il ne me demanda jamais pourquoi je n'allais pas au culte. J'aurais été bien embarrassée pour répondre... »

De son Félix la mère parle avec tendresse. Elle dit sa fermeté de caractère, son mépris pour les histoires de revenants, sa prodigieuse mémoire, dont elle donne un exemple : ayant visite a Plombières la fontaine de Stanislas, sitôt de retour à Genève, Neff dit à sa mère : « Prends ta plume. je veux savoir si je me souviens encore des vers lus à la fontaine. » Il me les dicta, au nombre de vingt-quatre, comme s'il les avait eus sous les yeux. »

Après quoi, retour aux souvenirs de la petite enfance. Le Félix de quatre ans et demi pousse un peu à l'aventure. Ses journées, il les passe dans les près, au milieu des hautes herbes, au pied des arbres et des haies. C'est là, consciencieux et volontaire, que, plus tard, il apprend ses leçons. Il dira, parvenu à l'âge d'homme : « je n'ai étudié que trois livres : la Bible, mon coeur et la nature. » Sa passion d'enfant : les ruisseaux, « faire des sources », creuser des canaux - il s'en souviendra à Dormillouse, - installer en bonne place des moulins aux ailes battantes. Observateur, logique dans ses déductions, il demande :
- « Quand y aura-t-il de la neige rouge ? »
- « Pourquoi ? »
- « Parce que, ce soir, les nuages sont rouges. »

« Je ne me rappelle pas l'avoir entendu jamais mentir, ni prononcer une mauvaise parole. Mais il était fier et absolu. »
Enfant de la nature ! Ami de tout ce qui germe, verdit, fleurit, bourdonne, vole, bêle, broute, heureux de garder les vaches, en automne, applique à les faire « revirer » en compagnie de petits camarades.

« Une hirondelle avait attaché son nid au plafond d'un corridor. On sait que ces nids ne laissent au-dessus du bord que la place nécessaire pour qu'un oiseau puisse s'y glisser.
- « Maman, j'aimerais tant voir le fond de ce nid. Permets-le moi ! »
- « Oui, mais comment veux-tu t'y prendre ?
- « Oh ! c'est bien facile. Mets-moi une table dessous le nid, une chaise sur la table... »

L'enfant grimpé là-dessus insère un miroir dans l'étroit espace dont il peut disposer. Naturellement, le fond, avec ses jolis oeufs, se voyait comme si l'on avait eu le nid en main. »

Dès l'âge de treize ans, Félix se passionne pour la lecture. Il dévore la bibliothèque maternelle, livres d'histoire, de sciences, de géographie, « abrégé de mythologie dont j'avais enlevé les pages inconvenantes, ce qui ne laissait pas de l'intriguer un peu. » En renfort, bientôt, des livres loués en ville, Histoire générale des voyages, en treize volumes, Intérêts de la France mal entendus, Trésor des enfants, Conversations d'Émilie, Annales de la vertu, Fables de la Fontaine.

Et voici Neff auteur : a quinze ans, il compose un traité sur La culture des arbres de haute futaie. C'est dans ce temps-là que le pasteur de Cartigny lui donne des leçons de latin, qu'il étudie seul les mathématiques... Mais le temps passe, les ressources maternelles s'épuisent. Le jeune homme doit gagner sa vie. Le voici à Crépi, chez un fermier, cultivateur d'oeillets, jardinier à l'ancien couvent de Pommier, à Ambilly.

En marge de ses travaux champêtres, l'adolescent lit et relit la Vie des hommes illustres et l'Émile. Plutarque et Rousseau sont ses maîtres secrets. À l'un il demande l'héroïsme, à l'autre les effusions lyriques, un enseignement sur les richesses de la vie isolée d'un monde corrupteur. Et, parallèlement, écoute avec passion l'enseignement du catéchisme.

À dix-sept ans, enfin, car il faut bien trouver un métier stable, Neff s'engage comme soldat dans la « garde soldée » de Genève, « garnison » constituée par deux compagnies d'infanterie et une d'artillerie chargées de monter la garde aux portes de la ville, d'assurer l'ordre dans les rues, de jour et de nuit. À ses nouveaux devoirs le jeune soldat se donne avec sa fougue coutumière, un respect tel de la discipline que le voici bientôt sergent dans les rangs des artilleurs. Il se dépense sans compter.
- « Vous ne laissez rien faire aux soldats », lui reproche son capitaine

Réponse du sergent :
- « C'est le meilleur moyen de commander. »

Chose inattendue, c'est dans l'exercice de ses fonctions militaires que le sergent, auquel Plutarque et Rousseau ne suffisent plus, à qui Dieu n'est pas encore présent. « (O mon Dieu, qui que tu sois, fais-moi connaître ta vérité ! ») est amené à se mêler aux querelles religieuses qui déchiraient alors le protestantisme genevois. Une Église indépendante, née du Réveil, venait de se constituer malgré l'opposition des autorités ecclésiastiques. La foule s'ameute. Elle en veut aux « mômiers ».
- À bas les Moraves ! À mort ! À la lanterne !

Pour beaucoup, chahuter autour de l'église de Bourg-de-Four devient le sport de chaque soir. Des têtes chaudes crient même : - À bas Jésus-Christ ! pris sans doute pour un des meneurs de l'entreprise séditieuse. On ne parle de rien moins que de précipiter les mômiers dans les eaux rapides du Rhône. Pour les protéger, au soir du 7 juillet 1818, il faut faire appel aux troupes de la garnison.
Aller au secours de ces trublions ? Neff s'indigne. Il tire son sabre, en pique la pointe dans le sol avec ces mots :
- « Je le plongerai dans le coeur du premier qui prendra la défense de ces canailles ! »

FAC-SIMILÉ DE L'OPUSCULE « LE MIEL DÉCOULANT DU ROCHER »
REMIS PAR FÉLIX NEFF À SA SOEUR ÉLISA
(Texte consultable ICI)

Il n'en fit toutefois rien. César Malan en personne lui ayant remis une brochure traduite de l'anglais, intitulée : Le miel découlant du rocher, le sergent la lit, la relit. Et le voici dompté, terrasse. Cette brochure, Neff devait la méditer toute sa vie, jusque sur son lit de mort. En marge de l'une de ses pages, à l'heure décisive, il avait écrit :
« Redoublez d'attention, Félix Neff ! »... Ailleurs :
« Félix Neff a trouvé la paix, là, dans ces deux pages. »

Qui lit aujourd'hui cette brochure s'étonne qu'elle ait produit sur le jeune sergent une impression telle qu'elle décida de l'orientation de toute sa vie. Pour comprendre, il faut savoir que Neff était depuis longtemps à la recherche d'un absolu. Péniblement il cheminait dans l'obscurité, mécontent de lui, on pourrait même dire dégoûté de lui. « Mon coeur est glacé depuis quelque temps ; il me semble qu'il est mort ; ce sentiment pénible a augmenté jusqu'aujourd'hui et a fini par me jeter dans un découragement complet ; plus de foi, plus d'espérance, plus de courage pour prier... je reste muet quand je devrais parler ou, ce qui est pire encore, de manière a abattre ceux que je serais appelé à remonter... je peux dire de mon coeur ce qu'on dit de nos montagnes : Il neige beaucoup parce qu'il y fait froid et il fait froid parce qu'il y neige... Oh ! qui me transformera ?... »

« Je vois tant d'orgueil dans mon coeur que je crains que jamais le Seigneur n'ôte l'écharde ou plutôt les échardes dont je suis comme lardé. » Il se reconnaît plein de prétentions et de fausses vertus, enfant de colère, incapable d'aucun bien, « entraîné vers la perdition par une force invincible. »

Âpre, violent, né pour brûler et non pour végéter dans le doute, Neff reçoit un choc quand il lit soudain :
« Allez au Christ avec toute votre impénitence et toute votre incrédulité pour recevoir de Lui le don de la repentance et de la foi. Par là vous Lui ferez honneur. Seigneur, je ne t'apporte ni justice, ni don pour t'engager à me justifier. Ce sont tes dons que je viens te demander. C'est ta justice indispensablement nécessaire que je réclame... Tout ce que vous présumiez avoir fait de bon est-il réputé de votre part comme de l'ordure devant la majesté du Seigneur ? Tout cela est-il abaissé devant la majesté de sa perfection, de sa grâce, de son amour ?... Laissez en arrière toute propre justice, ne lui portez que vos péchés, votre misère... Laissez-vous conduire par l'Esprit de Dieu toujours plus avant dans l'intelligence de l'Écriture Sainte ; c'est la vraie mine où vous trouverez le plus précieux des trésors : vous y découvrirez le coeur du Christ. »

Ces paroles accablent, déchirent, soulèvent Neff. « J'étais sur le bord d'un abîme : la vaine gloire, un orgueil insensé me possédaient. J'étais ivre de moi-même. »

Ivre de moi-même ! Et, soudain, ivre de Dieu ! Quel éblouissement ! Si Dieu s'est soudain empare de Neff, c'est pour qu'il le révèle aux autres hommes, et sans retard, car le temps perdu ne se rachète pas. Alors tourner le dos à l'artillerie, aux galons. Plus la route est ardue, plus il faut persévérer. Serviteur de Dieu, désormais. Serviteur sans diplôme. Qu'importe ! Les disciples du Christ, ceux qui, persécutés, moururent durement pour leur foi, n'étaient gradués d'aucune université ! En avant !

FÉLIX NEFF, SERGENT D'ARTILLERIE

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(1) Dans le beau livre La Famille Naef, paru en 1932, consacré à ses ascendants, M. Henri Naef étudie l'histoire de sa gens a fait honneur à sa devise : Impavidum ferient ruinaoe, « les ruines ne l'atteindront pas ». Cette histoire est « aussi ancienne que la Confédération même et ses premières archives ».

On peut hésiter sur le berceau des Naef : Flandres, Hollande, Alsace, Pays de Bade, Appenzell ?... Quoiqu'il en soit, dès le XIVe siècle, les Nef, Näf, Naef, Neff, Nefts, etc., foisonnent sur les rives du Rhin et cantons limitrophes du fleuve. Une tribu ! Elle apparaît sur terre zurichoise dès 1229. Ils furent une dizaine dans le camp réformé, autour de Zwingli, à Cappel. Quatre y laissèrent la vie. Un cinquième, Adam Naef, sauva la grande bannière tenue par le banneret Hans Schwitzer, mortellement atteint.

Ce qui frappe à suivre de près cette gens en marche des lointaines époques à nos jours, c'est son extraordinaire vitalité, son goût du risque, souvent des aventures. De nombreux Naef, Neff, etc., parurent sur les champs de bataille européens, avant et après Cappel. Les plus sédentaires, paysans, tanneurs, meuniers, magistrats, notaires, presque tous chefs de familles patriarcales, se signalèrent par leurs vertus civiques, leur acharnement au travail. Il en est qui restèrent durant quatre siècles, de père en fils, sur la même terre !
Jean-Henri Neff et son fils Félix furent donc, chacun à sa manière, les très authentiques héritiers d'une race vigoureuse et ardente.

 

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