Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Contes du Dimanche
Récits allégoriques

Les deux ouvriers.

I

' EST samedi ; l'heure de la paye a sonné, et les ouvriers, quittant leur établi, passent au bureau. Bientôt tous les comptes sont réglés, et, leur argent en poche, les travailleurs sortent en foule de la manufacture.

Regardez celui-là. Il s'en va lentement, les bras ballants, comme une âme en peine. Tandis que, l'essaim effaré se presse de tous côtés, heureux de se retrouver à l'air libre, lui, semble triste et comme dépaysé.

Celui-là, c'est un ouvrier sans famille. Il n'y a chez lui ni femme, ni enfants, ni vieille mère ; il n'a pas de chez lui. Il loge en garni dans une maison meublée ; son galetas est au cinquième, il n'y rentre que le plus tard possible, car il n'y a ni chaleur, ni lumière, ni confort dans ce bouge. Il mange à la gargote, mais il a bien le temps ! À cette heure, l'auberge est pleine, il lui faudrait disputer un coin de table à quelque inconnu ; il préfère attendre que la presse soit passée, et flâne le long des rues pendant ce temps.
Il s'arrête devant les boutiques, mais il regarde tout d'un air ennuyé. Coudoyé à chaque instant par les passants, le pauvre garçon est plus solitaire, plus abandonné que s'il était perdu dans les steppes de la Sibérie. Un jour, il eut la pensée d'acheter un chien, mais on ne veut pas de chien à l'atelier, et il eût été trop cruel de le laisser tout le jour dans sa mansarde.
« Dis donc, Jean, entre donc prendre l'absinthe ! »

C'est à notre homme que cette invite est adressée ; elle sort d'un cabaret devant lequel il passait, sans voir une demi-douzaine de camarades réunis devant le comptoir.

Il est splendide, le mastroquet. Des candélabres à cinq becs éclairent sa devanture ; il est tapissé de papier rouge et or, éclatant à la lueur du gaz. Le comptoir de zinc scintille comme de l'argent ; on entend le choc familier des verres.... Jean hésite un peu ; il n'aime pas l'absinthe, ni les liqueurs fortes. Mais bah ! on s'ennuie trop sur le pavé. Et le pauvre ouvrier va se joindre aux buveurs.

II

Regardez donc ce brave homme, qui descend la rue d'un pas pressé, interrogent du regard tous les omnibus qui passent, pour voir s'il reste encore une place à l'impériale. Il sort du même atelier. Il passe devant les boutiques sans les voir ; le cabaret lui-même n'a pas d'attraits pour lui. Le cabaret ! C'est bien en pure perte qu'il se fait si beau, si lumineux, si c'est pour attirer des clients comme celui-ci.

Ah ! c'est que Paul est marié. Il est allé se loger loin, mais son logement est joli, et il y fait bon. En descendant la rue, savez-vous à quoi il pense ? À cette gentille salle à manger où la table est dressée, où l'attend cette petite femme qu'il a prise dans un jour de folie, car il n'avait pas le sou, ni elle non plus, la folie la plus sage qu'il ait faite de sa vie ; à ce bébé dans le berceau d'osier qui a commencé hier à dire papa : grande merveille ! Vous verriez passer tout cela sur son visage qui sourit, si vous pouviez le voir de près ; mais il marche trop vite, il est si pressé !

Les deux ouvriers gagnent le même salaire ; le premier n'a que lui à soigner, tandis que le second il a deux autres personnes à nourrir. Le plus heureux pourtant, c'est le second. C'est lui le mieux vêtu, le mieux portant, le moins soucieux.
Si vous pouviez entrer dans l'atelier, je vous les montrerais tous les deux, travaillant côte à côte. Le plus vaillant à l'ouvrage, le plus gai, ce n'est pas le célibataire, c'est toujours l'homme marié.

III

Heureux l'honnête homme qui a trouvé une honnête femme sur son chemin et qui travaille pour elle, tandis qu'elle travaille pour lui ! Heureux celui qui sait où aller après sa journée, qui sait où passer les longues soirées, qui connaît les joies paisibles du foyer ! Heureux celui qui possède un chez soi !


Mais cette fin de semaine, savez-vous à quoi elle me fait penser ?
Elle me fait penser à la fin de la vie.
Le jour va venir où chacun de nous devra rentrer chez lui.

Déjà nous sommes en route. Lecteur, êtes-vous pressé d'arriver ? Y a-t-il un foyer qui vous attend ? Avez-vous, autre part qu'en ce monde, - qui n'est après tout, qu'un immense atelier, - avez-vous ailleurs une famille, un être aimé, une toute-puissante attraction ?
Ou bien, comme le premier ouvrier dont j'ai parlé, allez-vous sans savoir où, sans vous sentir aimé par personne, et prêt à vous livrer aux premières influences venues, pourvu qu'elles vous fassent oublier votre isolement ?

Si l'on me demandait quelle est la différence entre un chrétien et un homme ordinaire, je répondrais : la voici !
Tous les deux sont des ouvriers, tous les deux travaillent, tous les deux ont de la peine, tous les deux ont à gagner leur pain à la sueur de leur front. Le deuil, la maladie, la mort, les menacent tous les deux. Le plus pauvre des deux, le plus affligé, le plus souffrant, c'est parfois le chrétien.
Mais le chrétien chante en travaillant, - et l'autre murmure.
Le chrétien travaille comme deux, - l'autre fait à peine sa tâche.
Le travail fini, le chrétien est pressé de partir, l'autre ne sait où aller.

Dans le froid du dehors, dans l'ombre de la mort, le chrétien voit luire de loin la maison, le foyer, l'amour du Père, - l'autre ne voit rien que quatre planches et un trou noir.
Aussi le chrétien a-t-il hâte d'arriver, tandis que l'autre s'attarde et s'amuse en chemin le plus qu'il peut..

Lecteur, il y a une maison pour vous ! Il y a pour vous une table dressée ! Une famille vous attend ! Un Père vous tend les bras, un Époux vous appelle ! Croyez-le, et que l'espoir de rentrer chez vous soutienne votre courage dans le travail, et vos pas quand il faudra traverser la vallée sombre !


Le triple meurtre de la rue X.

OMMENT ! vous n'avez pas entendu parler de ce terrible événement ? Pourtant la rue X, c'est bien celle où vous demeurez, et le crime a été commis tout près de chez vous. Les journaux, dites-vous, n'en ont pas parlé ? C'est étonnant, en effet, mais il se commet tant de crimes à Paris ! et les journaux ont bien d'autres sujets d'articles : la politique, les courses, le théâtre.... Le drame que je vais vous narrer ne leur a pas paru, sans doute, aussi intéressant que les mille faits divers qui encombrent leurs colonnes, et c'est dommage, parce que si les journaux s'en mêlaient, peut-être de pareils attentats deviendraient-ils plus rares....
Eh bien, figurez-vous que vous avez eu pour voisin jusqu'à ces jours-ci un homme, un ouvrier, père de trois filles charmantes.

L'aînée, Eugénie, élevée à la campagne, était une robuste et vigoureuse ménagère ; c'est elle qui faisait marcher la maison ; grâce à elle, l'ordre et l'abondance régnaient au logis. Belle et bonne, chantant du matin jusqu'au soir, c'était plaisir de la voir, les manches retroussées, travailler avec entrain, sans lassitude apparente.

La seconde, Sophie, moins forte que sa soeur, n'était pas moins utile qu'elle au bonheur commun. Douée d'un jugement solide, c'est elle qu'on appelait à la maison le ministre d'État. En toutes choses son avis était toujours le meilleur, et le père se trouvait bien de le suivre. Elle était fort intelligente, et amie de la lecture ; aussi charmait-elle les soirées d'hiver par ses causeries.

La troisième, enfin, la mignonne Blanche, n'avait ni l'énergie physique de sa soeur aînée, ni le brio extraordinaire de Sophie ; en revanche, elle avait la douceur, le sentiment ; c'était une délicieuse fleur de pureté, de candeur et d'exquise délicatesse. Sa présence rendait le foyer plus sacré; devant elle personne n'eût osé effleurer des sujets scabreux, et aucune de ses deux soeurs n'aurait même pensé à faire ce que Blanche eût désapprouvée simplement par son silence.

Voilà, direz-vous, un homme heureux, avec trois filles pareilles, qui se complétaient si bien.
Eh bien, vous ne me croirez pas, tant la chose vous paraîtra monstrueuse : cet homme, depuis quelque temps, semblait n'avoir qu'une idée en tête : empoisonner ses trois filles !

Peut-être cela lui était-il venu à la suite d'un grand chagrin, qui lui faisait prendre la vie en grippe ? On m'a affirmé que le malheureux, tout d'abord, avait voulu rendre ses filles plus fortes par ses drogues, mais j'ai peine à croire qu'il fût fou à ce point. Ce qui est sûr, c'est que notre homme, chaque matin, faisait avaler de force à ses charmantes filles, un poison de couleur verte, qui leur faisait pousser des cris et les rendait folles. À midi, avant de se mettre à table, il recommençait. Parfois, après le repas, il leur versait un breuvage brun ou jaune, et le soir répétait les mêmes doses.

Les pauvres filles ne se laissaient pas faire sans protester. Eugénie lutta désespérément ; resta au lit pendant des journées le visage contre la muraille, afin d'échapper au poison quotidien. Sophie, un jour, pleine de fureur et de désespoir, jeta les meubles par la fenêtre, au grand scandale des voisins. Quant à Blanche, la pauvre petite Blanche, elle se bornait à pousser des cris étouffés, à pleurer en silence, et s'étiolait peu à peu... Un matin, elle était morte.

Une fois Blanche partie, les deux aînées résistèrent de moins en moins. La vie n'avait plus de charme pour elles. Le père insensé put leur faire avaler chaque jour des doses triplées. Sophie succomba. Ceux qui la virent au lit de mort n'oublieront jamais ce navrant spectacle : elle riait, chantait à tue-tête, se croyait riche et princesse ; et quand sa soeur, presque aussi malade qu'elle voulait la calmer, elle lui arrachait les cheveux.

Eugénie partit la dernière. Quand elle mourut, elle n'était plus qu'un squelette ; sa face tuméfiée, ses yeux hors de la tête, ses cheveux déjà gris, prouvaient combien elle avait dû souffrir.

Assez, assez, me criez-vous ! Quel abominable conte nous faites-vous là ? jamais rien de pareil n'est arrivé dans mon quartier. Et d'abord, votre histoire est pleine d'impossibilités. Pourquoi cet homme aurait-il voulu tuer ses filles ? Qu'est-ce que cela devait lui rapporter ? Et où aurait-il pu se procurer la quantité de poison nécessaire à un pareil forfait ? Car enfin, dans notre beau pays, on ne vend pas le poison à la bouteille sans ordonnance du médecin.... Le droguiste était donc complice ? Et les voisins ? Et la police ? Tout ça ne tient pas debout !

- Je vous le disais bien, cher ami, que mon histoire est invraisemblable, et que vous ne la croiriez pas. Elle est vraie, pourtant. Le misérable père aimait ses filles, et la preuve c'est qu'il est mort quand est morte la dernière.... Mais on lui avait fait croire que ces drogues étaient salutaires ! Il les administrait donc en bonne conscience, sauf à certains moments, où des éclairs de bon sens lui montraient son erreur. Quant au droguiste, comme vous l'appelez fort justement, c'est un homme honorable, estimé et influent dans le quartier, surtout au moment des élections ; il paye une forte patente et vend à huis ouvert ses poisons infernaux : sa boutique, d'ailleurs, n'est pas la seule, il a 450,000 collègues en France. Les voisins ? Beaucoup d'entre eux sont des clients du droguiste. La police ? S'il fallait qu'elle intervienne pour empêcher tous les ivrognes de boire....
Ah ! voilà que j'ai livré l'explication de mon apologue.

Ce père criminel, c'est le buveur d'alcool, votre voisin : il y en a dans toutes les rues, à tous les étages.
Sa fille Eugénie, c'est sa santé. Sophie, c'est sa raison. Blanche c'est sa conscience. Pauvre petite Blanche ! C'est toujours elle, dans chaque individu, qui meurt la première, et quand elle est partie mieux vaut, après tout, que les autres meurent aussi....

La police, elle-même, compte dans ses rangs nombre de ces criminels : pour arrêter tous les buveurs d'absinthe, il faudrait que la moitié de la France mit l'autre en prison.

Et ce triple assassinat se renouvelle tous les jours : l'âme, le corps, l'esprit, sont tous les jours sacrifiés sur l'autel du dieu Alcool. Les prisons, les asiles d'aliénés et les cimetières s'emplissent de ces victimes, tandis que l'autorité paternelle de l'État protège les cabaretiers et les distillateurs et continue à percevoir sa part de leurs exécrables bénéfices....

Pourtant, vous avez raison : il est défendu, en France, de s'empoisonner. Ainsi le pharmacien, l'autre jour, m'a refusé quelques gouttes de laudanum pour guérir une névralgie. « C'est trop dangereux, m'a-t-il dit. Il faut une ordonnance. »

Quand donc faudra-t-il une ordonnance pour consommer de l'absinthe, ou tout autre poison alcoolique ?



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