Contes du
Dimanche
Récits
allégoriques
Le plus grand peuple du monde.
uel est le plus grand peuple du
monde ?
Cela dépend, évidemment,
de la nationalité de votre interlocuteur.
S'il est Français, il ne manquera pas de
faire valoir les justes titres de sa patrie
à ce titre glorieux. Elle est la plus
ancienne des nations modernes ; sa naissance
remonte aux premiers siècles de l'ère
chrétienne, au temps de Clovis et de
Dagobert. C'est d'elle que sont sortis quelques-uns
des plus illustres fils de l'humanité et
quelques-uns des plus beaux mouvements de
l'histoire : les Croisades, la Renaissance, la
Révolution de 1789. Quelle pléiade de
poètes, d'écrivains, d'inventeurs, de
philanthropes forment l'auréole de la
France ! Malgré ses revers, sa
décadence passagère, la patrie de
Pascal, de Bossuet, de Voltaire, de Victor Hugo, de
Pasteur, est certainement le plus grand peuple du
monde. Vive la République
française !
Ici l'Anglais vous
arrête :
Stop ! Le soleil ne se couche
point
sur l'empire britannique ; ignorez-vous
cela ? Un peuple comme le nôtre, un
peuple qui a su englober sous son drapeau un bon
quart de la population du monde : les Indes,
le Canada, le Cap, l'Australie, etc., etc. ;
un peuple qui, à lui seul, possède
plus de navires et plus de machines que tous les
autres ensemble ; un peuple où tout le
monde sait lire, écrire, compter, et jouit
d'une liberté à peu près
illimitée, voyons, n'est-ce pas lui le
premier de tous ? Rule,
Britannia !
Mais Jonathan, de l'autre
côté de l'Atlantique, se dresse de
toute la hauteur des Montagnes Rocheuses, et nous
crie à travers les mers :
Vieilles nations radoteuses, taisez-vous
et faites place aux Stars and stripes
(1). C'est
nous
qui sommes désormais la grande nation :
grande par le territoire, grande par la mission
providentielle que nous accomplissons, grande par
nos destinées. Dans quelques années,
nous aurons dépassé en population
l'Europe entière ; nous recevons chaque
jour un nouveau contingent de misérables qui
nous arrivent de chez vous, et nous les
transformons en citoyens de la
libre Amérique, c'est-à-dire du
monde, car nous n'aurons bientôt plus
d'autres frontières que les pôles et
les Océans. Westward oh ! Vive
l'Amérique !
Mais voici les armées imposantes
du tsar de toutes les Russies : quel empire
égale celui-là ? Voici les
compatriotes de Bismarck entourant la colossale
statue de la Germanie et tout fiers de leurs
victoires si chèrement achetées.
Voici enfin le Japon, le pays du soleil levant,
tout resplendissant de sa gloire
récente ; voici les masses sombres,
mystérieuses, énigmatiques, de
l'immense Empire chinois, peuple innombrable,
sobre, patient, calme, cruel, redoutable et
menaçant comme la Fatalité
....
Qui tranchera la question ? Quel
est le plus grand peuple du monde ?
J'étonnerai mon lecteur en disant que ce
n'est aucun de ceux que je viens
d'énumérer. Ce n'est ni l'Autriche,
ni l'Espagne, si grandes jadis ; ni l'Italie,
terre des arts ; ni la Grèce, ni la
Rome antique. Ce n'est pas non plus la Perse,
l'Assyrie, l'Égypte, grandes gloires
passées....
Car tous ces peuples-là sont
morts ou mourront un jour pour faire place à
d'autres, lesquels, à leur tour, passeront
pour laisser place....
Au plus grand peuple du monde, LE PEUPLE
DE DIEU.
Je vois d'ici, lecteur incrédule, votre
sourire de mépris :
« Le peuple de Dieu ?
Qui
est-ce qui connaît ça ? Quelle
langue parle-t-il ? Dans quelle partie du
monde est son territoire ? Quelles sont ses
armées, ses chefs, ses
représentants ? Quel est son
revenu ? »
Le peuple de Dieu, le plus grand peuple
du monde, n'a pas un pouce de territoire, pas une
pierre de forteresse. Il n'a ni casernes, ni
prisons, ni gendarmes, ni échafauds ;
il n'a ni Chambre, ni Sénat, ni empereur, ni
pape ; pas même un Ministère des
finances ! Il se compose en majorité de
pauvres gens, rebut et gloire de toutes les
patries. Il ne parle pas une langue, mais toutes
les langues.
Ses citoyens sont dispersés,
comme les juifs, avec lesquels, d'ailleurs, ils ont
bien des choses communes, y compris le
dédain dont on les enveloppe et
la haine dont on les
poursuit.... Mais ce peuple étrange est le
plus grand de tous, car sans lui aucun des autres
ne subsisterait ; il est le mortier qui lie
ensemble les nations civilisées ; il
est le sel qui neutralise dans leur sein les
progrès de la corruption ; il est, en
un mot, le peuple unique, providentiel,
destiné à hériter de tous les
autres et à réaliser un jour, sur la
terre même, l'idéal de
république universelle rêvé par
tant de généreux esprits.
Ce qui constitue ce peuple, c'est la
communauté d'origine. Non pas qu'il soit
nécessairement composé, comme le
peuple juif, des membres d'une seule famille ;
car il n'est aucune nation moderne qui ne soit le
produit d'un mélange de races. Mais il y a
toujours eu un moment dans l'histoire où ce
mélange s'est consommé ;
où des hommes qui n'avaient pas encore
conscience de former entre eux cette
personnalité vivante qu'on nomme la patrie,
sont nés à cette vie nouvelle sous
l'influence de quelque grand
événement, de quelque acte
héroïque : ainsi, la France doit
son existence à l'épopée de
Jeanne d'Arc qui donna, pour ainsi dire,
une âme aux masses
populaires. La Suisse fait remonter ses origines
aux guerres qu'elle livra contre l'oppression des
Habsbourg ; les États-Unis doivent tout
à l'héroïsme des Puritains qui
débarquèrent du Mayflower sur le roc
de Plymouth il y a deux cent cinquante ans.
Le peuple de Dieu, qui se recrute dans
toutes les races du monde, doit aussi son existence
corporative à un acte, un
événement unique, un sacrifice
héroïque plus que tout autre. Si l'on
peut juger de la grandeur d'un peuple par la
pureté, la grandeur d'âme, le
dévouement de ses fondateurs, quel peuple
est comparable à celui qui tire son origine
de la vie, de la mort, de la résurrection de
Jésus-Christ ? Quel sacrifice peut
être mis en parallèle avec celui qui,
commençant à la crèche, finit
sur la croix du Calvaire ? Et quelle victoire
que celle de Jésus sur les puissances
coalisées de l'enfer et de la mort ?
Gloire à la patrie
éternelle,
Gloire au Christ qui mourut pour elle !
Il ne suffit pas, cependant, qu'un peuple ait un
glorieux passé pour être glorieux
lui-même, ou seulement pour être un
peuple. Si l'héroïsme n'était
chez nous qu'à l'état de souvenir, la
décadence nationale ne tarderait pas
à se produire. Il faut, pour qu'un peuple
vive, qu'il y ait communauté d'esprit entre
ceux qui le composent et ceux qui l'ont
composé ; il faut, malgré les
différences inévitables que le temps
et la distance établissent entre les
citoyens de toutes les époques et de toutes
les provinces, qu'on reconnaisse en chacun d'eux
l'âme commune ; il faut qu'une
même flamme les anime, il faut qu'ils aient
enfin un même esprit.
Or, le peuple de Dieu de tous les temps
et de tous les pays, a présenté,
présente encore de grandes
variétés, de grandes
différences, mais c'est à ceci qu'il
est toujours reconnaissable : il a le
même Esprit. Cet Esprit qui descendit
à la Pentecôte sur les disciples
rassemblés, anime encore, animera toujours
leurs descendants spirituels : Esprit de
courage, de force, de vérité, de
liberté, de charité. C'est ce dernier
trait surtout qui est la marque distinctive du
Peuple de Dieu, parce que c'est celui-là qui
manque totalement aux sociétés
humaines. Bâties par la force, sur
l'intérêt individuel ou collectif, les
sociétés humaines s'écroulent
pour se reformer sans cesse, sans donner jamais
satisfaction à ce besoin
impérieux de l'homme : l'amour
fraternel. Seule, la société divine,
le peuple de Dieu, répond à ce
besoin, et c'est pour cela que ce peuple est
impérissable.
Mais voici le dernier point et le plus important
de tous : Comment devient-on membre du peuple
de Dieu ?
On naît Français, Suisse ou
Belge ; on ne naît pas chrétien.
Ce titre ne s'hérite pas par la filiation
naturelle. Le peuple de Dieu est un peuple en
esprit ; ses frontières sont
spirituelles, ses lois aussi ; son Chef est
invisible, et son royaume n'est pas de ce monde. Il
ne peut donc se recruter par les moyens
ordinaires ; et Jésus-Christ
lui-même a proclamé le principe
fondamental sur lequel repose le monde nouveau,
quand il a dit : « Il faut que vous
naissiez de nouveau.... Si un homme ne naît
de nouveau, il ne peut voir le royaume de
Dieu. »
L'erreur la plus fatale qui ait jamais
été commise, ç'a
été de vouloir incorporer au peuple
de Dieu des âmes humaines par la force ou par
la contrainte morale.
On devient enfant de Dieu par la foi,
c'est-à-dire par la reconnaissance absolue
de son indignité morale, par la repentance,
le changement de vie, le don complet de
soi-même à Jésus-Christ, chef
de l'humanité nouvelle.
Lecteur, appartenez-vous au peuple de
Dieu ? Sinon, hâtez-vous de vous faire
naturaliser ! « À tous ceux
qui l'ont reçu, il a donné le droit
d'être faits enfants de Dieu, savoir à
ceux qui croient en son nom ; qui ne sont
point nés du sang, ni de la volonté
de la chair, ni de la volonté de l'homme,
mais qui sont nés de Dieu. »
(Jean
1, 12- 13.)
Le souffle de Dieu.
NE chose me frappe en lisant l'histoire, me
disait un jour mon ami Philippe ; c'est que
certaines époques semblent
particulièrement fécondes en
génies d'une seule espèce. Ainsi, le
XVIe siècle nous a donné des
réformateurs ; le XVIIe des
littérateurs ; le XVIIIe des
philosophes et des révolutionnaires ;
le XIXe des inventeurs.... Qui sait ce que nous
réserve le XXe ?
- Le XXe siècle, lui
répondis-je, sera, comme tous les autres,
riche en toutes sortes de génies divers.
C'est une erreur de croire qu'il y a des
époques stériles et des
époques fécondes. Rien n'est commun
comme le génie. Tu coudoies chaque jour des
Voltaire, des Mirabeau, des Bonaparte à qui
il ne manque rien....
- Ah ! bah !
- Laisse-moi achever.... Rien que
l'occasion de se révéler au monde et
à eux-mêmes. Pour le
moment, ils sont
cordonniers,
clercs de notaire ou pêcheurs à la
ligne. Où étaient, je te le demande,
tous les hommes illustres de la Révolution
avant 89 ? Ils étaient perdus dans la
foule. Sans le souffle mystérieux qui passa
sur la France à cette époque,
Mirabeau n'eût été qu'un
méchant seigneur de village, Robespierre
qu'un avocat retors, Bonaparte qu'un officier de
fortune. Sans la guerre de 1792, les Hoche, les
Kléber et les Marceau seraient restés
dans le rang.
Tout homme porte en soi la
possibilité d'un développement
infini. Le plus vulgaire de nos voisins a
peut-être l'étoffe d'un héros.
Mais tous les germes, pour éclore, ont
besoin d'une atmosphère favorable ; il
faut les souffles tièdes du printemps pour
réveiller la semence dans les sillons ;
il en est de même des facultés de
l'homme. Il leur faut, pour s'épanouir, le
souffle de Dieu.
Je ne puis m'empêcher de penser,
quand j'erre dans Paris, au milieu de la
foule : « Il y a là des
trésors inestimables de sagesse, de
pensée, de volonté, de force, qui
s'ignorent eux-mêmes. Ce colporteur, qui va
portant sa balle à travers les rues, est
capable d'actions sublimes. Ce jeune homme qui
aligne des chiffres derrière un grillage,
dans une banque, est fait pour les oeuvres d'audace
et de courage. Cette jeune fille qui traverse la
place accompagnée de sa
gouvernante, aurait été en d'autres
temps, une autre Jeanne d'Arc.... Est-il possible
que tout cela soit perdu, que tous ces dons,
inutiles ici-bas, ne soient employés nulle
part ? Voilà une raison de plus pour
croire à l'immortalité de
l'âme.
Philippe m'interrompit :
- Alors, dit-il avec un peu d'ironie
(car c'est un homme pratique et qui ne se laisse
pas emporter par l'imagination), il y aurait, selon
toi, un vent qui fait éclore les
génies comme la brise d'avril fait
naître les fleurs ?
- Je le crois, lui répondis-je,
et l'histoire le prouve.
Regarde ces hommes qui s'appelaient
Pierre, Jacques, Jean, Matthieu, etc. : les
disciples du Christ. Qu'étaient-ils ?
Des prolétaires d'intelligence moyenne, sans
grande élévation. Que seraient-ils
devenus si le Christ ne les avait pas
rencontrés ? Des vieillards comme tous
les autres ; ils auraient vécu, ils
seraient morts dans l'oubli. Et même
après avoir suivi Jésus pendant trois
ans, vois comme ils sont encore vulgaires,
grossiers, bornés, au point de lasser la
patience de leur Maître !
Sa mort, loin de les stimuler, d'exalter
leurs sentiments, les plonge dans la stupeur. Et
voici que, tout à coup,
ils se transforment : des facultés qui
dormaient en eux s'éveillent. Ils parlent,
ils montrent du courage, de l'intelligence et
même du génie. Qu'est-il donc
arrivé ? Un souffle a passé sur
eux : le vent enflammé du Saint-Esprit.
Dire qu'ils sont les auteurs de la religion qu'ils
ont prêchée est un non-sens ;
c'est elle qui les a faits. Ils sont nés du
Verbe et de l'Esprit ; ce sont les fils de la
Pentecôte.
- Alors on ne peut devenir un vrai
chrétien que par le
Saint-Esprit ?
- Sans aucun doute. Mais le Saint-Esprit
lui-même ne suffirait pas sans un autre agent
divin : la Parole de Dieu. Le Saint-Esprit ne
peut faire éclore que les germes que nous
portons en nous ; or nous n'avons pas,
naturellement, le germe de la repentance, de la
foi, de l'amour, de la vie éternelle
enfin : il faut qu'ils soient
déposés dans nos coeurs, et c'est la
Parole de Dieu qui fait cet office. Les
apôtres ne sont devenus les héros de
la Pentecôte que parce qu'ils avaient entendu
Jésus auparavant. Aujourd'hui, Jésus
ne parle que dans son Livre : la Bible, et
c'est ce Livre, reçu avec foi et
fécondé par le Saint-Esprit, qui
produit en nous l'homme nouveau.
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