Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Contes du Dimanche
Récits allégoriques

Les dormeurs du Louvre.

L fait froid ; il pleut ; les passants circulent rapidement, et les promenades sont vides et désolées. C'est en des jours pareils que la grande et croissante armée des va-nu-pieds, des meurt-de-faim, épaves des grandes villes, qui s'appellent « les ouvriers sans travail », c'est en hiver, dis-je, que ces malheureux sont surtout à plaindre ! En été, la nature clémente leur offre ses compensations : les bois sont à tout le monde, et les bancs des boulevards sont des lits suffisants pour qui ne craint pas de dormir à la belle étoile. La Seine leur fournit, gratis, des bains réparateurs ; les jours sont longs, et il est rare qu'il ne s'y rencontre pas une bonne aubaine. Mais l'hiver, que faire ? où se réfugier ? où dormir ?

C'est alors que les églises sont visitées par des fidèles d'un nouveau genre, et les musées par d'étranges amateurs. La plèbe loqueteuse connaît les bons endroits ; elle sait que le suisse de telle église est débonnaire, et l'on voit les pauvres gens entrer, furtifs, baissant la tête, sans avoir l'air de se connaître, dans le vieil édifice, s'asseoir sans bruit autour des piliers, dans les angles les plus obscurs, les plus écartés. Ils restent là une heure deux heures, une demi-journée, - le plus longtemps possible : il fait si bon près des bouches de calorifère ! Ils y restent jusqu'à ce que la faim les chasse, ou que les portes de l'église s'ouvrant pour quelque cérémonie, le suisse leur dise : « Déguerpissez ! »

Que leur importent, d'ailleurs, les messes basses du matin, les prônes, les catéchismes, tous les actes du culte qu'on célèbre là ? Ils n'y viennent ni pour l'autel, ni pour le prêtre : uniquement pour le calorique.

Quand les églises leur sont fermées, les truands modernes se rabattent sur les musées. Craignant d'être refusés à l'entrée, on les voit, au préalable, se passer la main dans les cheveux, arranger leur casquette ou leur chapeau crasseux d'une façon décente, boutonner leur habit pour cacher l'absence de linge, puis, rapides, passer devant les huissiers.... La bataille est gagnée, ils sont dans la place !

Mais, une fois là, que de tactique, que d'habileté pour s'y maintenir ! Ayant roulé toute la nuit, les pauvres hères ont sommeil.... Ils cherchent une banquette isolée, et, les coudes sur les genoux, ils s'endorment. Au-dessus d'eux flamboient les chefs-d'oeuvre de l'école florentine, ou flamande, ou espagnole.... Ils s'en soucient bien, vraiment ! Dormir, dormir tranquilles, tel est leur unique objectif. Et ils dorment, jusqu'à ce que l'huissier, les secouant vivement, les réveille en sursaut: « Circulez, circulez ! on ne dort pas ici ! »

Ces parias de la civilisation moderne sont à la fois une honte et un danger pour elle. Une honte, car ils prouvent bien l'impuissance des lois sociales à guérir la misère et à extirper le vice ; jamais il n'y eut tant de déclassés que de nos jours, jamais tant de misérables ne furent réduits à l'abrutissement ou au désespoir. Un danger, car s'il est parmi ces hommes beaucoup d'êtres inoffensifs, plus malheureux que méchants, et dont le seul tort est, d'être incapables, il en est aussi d'habiles, de vindicatifs, qui sentent s'amasser en eux d'implacables rancunes contre la société cruelle et égoïste qui les abandonne à eux-mêmes.

Parmi ces pauvres gens, il en est qui ont vu de meilleurs jours et qui subissent des malheurs immérités. Nous avons connu, il y a quelques années, un jeune homme qui avait vainement battu le pavé de Paris pour chercher un emploi. Ses ressources épuisées, il avait dû quitter son misérable garni pour errer à l'aventure dans les rues, après avoir, pendant quelques jours, profité des asiles de l'hospitalité de nuit. Un soir, il entra par hasard, avec une bande de déguenillés comme lui, dans une salle de réunions populaires : sans doute, l'attrait du poêle et de la chaude lumière du gaz fut pour quelque chose dans sa décision.

Un orateur évangélique parlait justement de la bonté de Dieu pour ses créatures ; il disait quelque chose comme ceci : « Vous êtes tous, ici, pauvres comme Job, et moi, qui suis presque aussi pauvre que vous, je ne puis vous soulager. Mais, écoutez-moi bien : je vous donne ma parole qu'aucun de vous, si coupable qu'il ait été, si bas tombé qu'il soit à cette heure, et si dénué de tout qu'il puisse être, ne priera Dieu de le secourir sans être exaucé. Comment Il vous délivrera, je n'en sais rien, mais à coup sûr, si vous vous adressez à Lui avec foi, Il vous entendra. »

Notre jeune homme prit ces paroles à la lettre. La réunion terminée, il erra toute la nuit, n'osant s'arrêter à cause du froid, et priant Dieu du fond de son âme. « jamais, a-t-il dit plus tard, je n'ai passé une nuit si heureuse. J'avais le sentiment que Dieu m'entendait et que tous mes malheurs allaient prendre fin. »
Il se présenta le matin dans une maison où on lui avait dit de revenir, et fut agréé comme employé.

Il y a quelque temps, celui qui écrit ces lignes voyait entrer dans une salle de réunions évangéliques un charmant jeune couple : à la fraîcheur de leurs habits, et surtout à la joie de leurs regards, on devinait des nouveaux mariés.
- Me reconnaissez-vous ? dit le jeune époux.
- Non, monsieur.
- Eh bien, c'est moi qui.... (et ici se plaça l'histoire ci-dessus).... Et voilà ma femme ; nous sommes mariés depuis deux mois, et nous gagnons bien notre vie. Voyez-vous, monsieur, je n'ai jamais oublié cette nuit-là, je tiens à le dire devant tout le monde, Dieu entend et exauce les prières qu'on lui fait.
- Lui avez-vous demandé la chose suprême ? demandai-je.

Le visage de mon ami rayonna :
- Oui, monsieur, et je l'ai reçue : je suis chrétien. Dieu m'a sauvé par Jésus-Christ.

En parlant ainsi, il regardait sa compagne, qui l'approuvait d'un regard souriant.


Une nuit de Christ. (1)

 ENCHÉS sur leurs avirons, les rameurs causent entre eux, tandis que l'embarcation s'éloigne du rivage. Au fond de la barque sont déposées douze corbeilles pleines de morceaux de pain : ce sont les restes du festin que le Maître a fait surgir, pour le peuple, au milieu du désert. Mais ce miracle ne les occupe guère ; ils n'y ont pas pris garde, tant leur intelligence est épaisse, tant elle est fermée aux choses qui ne touchent point à leur orgueil ou à leur intérêt personnel.
De quoi donc s'entretiennent-ils ?

Sans doute ils se demandent pourquoi Jésus les a contraints de s'embarquer sans lui. Et comme ils ont eu vent des projets de la foule, - qui voulait enlever leur Maître pour le faire roi, - ils le soupçonnent peut-être de les avoir abandonnés, pour ne point les associer à sa dignité nouvelle !

Cependant Jésus, resté sur le rivage, renvoyait doucement chez eux tous les pauvres enthousiastes, sachant bien que leur amour pour lui n'était qu'une forme de leur égoïsme. Son royaume n'était pas de ce monde, et l'heure de régner ne devait sonner pour lui qu'après l'heure de mourir. Mais il ne pouvait pas même leur expliquer ces choses ; aucun d'eux ne les aurait comprises.

À regret le peuple se disperse, et le Maître, demeuré seul, gravit les pentes de la colline qui domine le lac. C'est l'heure où la nature s'endort dans un dernier sourire ; le soleil va disparaître ; le ciel et l'onde se colorent de teintes magnifiques. Comme au premier jour du monde, le Fils contemple avec plaisir cette Création, qui est son ouvrage. Il est triste pourtant ; son âme est excédée jusqu'à la mort par ce contact journalier avec tant de péché, d'ignorance et de misère. Ah ! comme il lui tarde d'être seul, pour se retremper dans la communion du Père !
Arrivé au faîte de la montagne, il se retourne. Aux dernières lueurs du couchant, il aperçoit, comme un point noir sur la face empourprée du lac, la barque où sont ses disciples. Il les suit du regard, les bénit, puis se prosterne et prie.

Les premières étoiles ont paru. Les oiseaux, avec des bruits étouffés, ont caché leur tête sous l'aile. Les fleurs se sont fermées pour dormir. On n'entend que le souffle du vent dans les arbres, et le clapotement lointain des vagues agitées.
Jésus, toujours prosterné, continue à prier.

Minuit. Le vent souffle en tempête. Le hurlement sinistre du chacal se fait entendre. Tout là-bas, douze rameurs éperdus luttent contre les flots, tandis qu'ici leur Maître semble les oublier et s'oublier lui-même dans la prière.
Sa prière n'est pas, comme la nôtre, l'effort pénible d'une foi chancelante. C'est l'entretien vivant d'un Fils avec son Père, c'est un dialogue et une contemplation. Et ce contact avec les choses invisibles est si réel, que sa face en est illuminée : elle rayonne de joie auguste et d'ineffable sérénité.
L'humble Docteur qui, tout à l'heure, refusait une couronne, le voici maintenant Prince en vérité : tel un roi en exil qui, le soir venu et la porte fermée, s'ornerait pour lui seul des insignes souverains, pour redevenir le lendemain l'hôte obscur et dédaigné d'une race étrangère.

Pour qui priait le Christ, la nuit, sur la montagne ?
Il priait pour ce peuple ignorant et grossier, prêt à l'acclamer aujourd'hui parce qu'il l'avait nourri d'un miracle, et prêt à le lapider demain si le miracle ne se renouvelait pas.... Il priait pour que, jusqu'au bout, la force lui restât ; car il lui en fallait autant pour vivre que pour mourir. Mais il priait surtout pour ces douze rameurs, qu'il voyait, malgré les ténèbres, luttant contre la tempête. Il les voyait sur une autre mer, bien plus vaste, et dans d'autres périls, bien plus grands. Ces rameurs sont l'espoir du monde ; cette barque, comme l'arche flottant sur le déluge, porte une nouvelle humanité. Et tandis qu'elle vogue péniblement, le Christ prosterné prie ; il prie pour qu'elle arrive au port....

À l'heure désolée qui précède l'aurore, au moment où les nautonniers, à bout de forces, laissent aller leurs avirons, une étrange apparition se dessine dans la brume grisâtre : un fantôme ! Le premier qui l'aperçoit le montre avec terreur à ses compagnons, et tous le voient. Ce n'est donc pas le rêve d'un homme assoupi : aussi, tous ensemble, poussent-ils un grand cri, peut-être dans l'espoir de dissiper ainsi la vision effrayante.

Oh ! les tristes héros des batailles divines ! Fils de la mer, ils ont peur des vagues ; fils de la terre, ils ont peur des fantômes ! Et c'est avec ces hommes-là que Jésus veut fonder son empire universel ?
- Rassurez-vous, c'est moi, n'ayez point de peur.

La voix qui parle ainsi est douce, mais forte ; elle domine l'orage, elle arrive jusqu'aux douze rameurs. C'est lui, c'est lui, ô merveille ! Il approche, il vient à eux sans barque ni voile. Ah ! le voilà, Celui qui n'est ni le fils de la mer ni le fils de la terre ; voilà le Fils du ciel, l'espérance du monde ! Non, la nouvelle humanité n'est pas dans cette barque, à la merci de cette mer infime ; elle est dans l'Homme que la vague ne peut submerger ni le sépulcre retenir. Allez, rameurs, allez sans crainte : avec lui votre nacelle bravera toutes les tempêtes, et de siècle en siècle abordera toutes les plages !

Lorsque, plus tard, après la Pentecôte, ils allèrent selon l'ordre du Maître porter aux bouts du monde l'Évangile de la résurrection, que de fois les rameurs du lac de Galilée durent se souvenir de cette scène matinale ! Sur la mer sanglante de la persécution, que de fois ils revirent l'apparition consolante ! Au fond des prisons, sous le fouet, sous la hache, que de fois ils entendirent la voix bien connue : « Rassurez-vous, c'est moi ! »

Et toi, pauvre chrétien, pourquoi te désolerais-tu ? Il t'a laissé seul, mais ce n'est qu'en apparence : il prie pour toi, là-haut, il te suit du regard sur la mer troublée de la vie. Rame, travaille, lutte et ne désespère jamais ! Car dans les brumes grises qui précèdent l'aurore, à l'heure la plus froide et la plus désolée, quand ta main défaillante abandonnera les avirons, tu verras apparaître aussi, non la Mort, ce noir fantôme, mais ton Sauveur, souriant et les mains tendues :
« C'est moi, dira-t-il, n'aie point de peur ! » Et ta barque, aussitôt, touchera le rivage.


Table des matières


(1) On nous excusera d'insérer, parmi ces Contes du Dimanche, une méditation inspirée par une des scènes les plus grandioses de l'Évangile. Est-il besoin d'ajouter que nous croyons pleinement à l'authenticité de ce récit, et de l'Évangile tout entier ?

 

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