Contes du
Dimanche
Récits
allégoriques
Fleur d'Hiver.
E jour le plus court de l'année, c'est
le 24 décembre, et souvent c'est le plus
froid aussi. Ce jour-là, le soleil ne semble
se montrer que pour disparaître ; un
immense linceul de neige ou de brume s'étend
sur toutes choses ; la nature est morte ou va
mourir.... Demain sera la nuit, la longue nuit des
funérailles.
Erreur ! Demain sera le jour de
la
résurrection.
Résurrection à peine
perceptible, car le 25 décembre est plus
long que le jour précédent d'une
minute seulement. Minute précieuse ! Ne
la méprisons pas, car elle contient un
radieux avenir.
Cette minute, c'est la promesse du gai
printemps, du renouveau, des champs couverts de
verdure, des longs jours
d'été avec leurs frais
crépuscules. Cette minute, si
péniblement gagnée par le soleil
moribond, c'est le triomphe de la vie sur la mort.
C'est sans doute à cause de cet admirable
symbolisme que les premiers chrétiens
choisirent le 25 décembre pour
commémorer la naissance du Christ. Nulle
tradition certaine ne nous permet de croire qu'il
soit né ce jour-là
(1) ;
mais
dans l'ignorance où nous sommes de la date
véritable de ce grand
événement, nul autre jour n'eût
été préférable.
De même que Noël, au seuil de
l'hiver, nous laisse déjà entrevoir
le printemps, et tandis que tout meurt, entretient
au dedans de nous l'espoir que tout va revivre, -
ainsi Jésus naquit dans un monde froid et
mort, y faisant luire le premier rayon
d'espérance, y apportant la première
fleur qu'on eût vue depuis bien longtemps. Sa
naissance, pourtant, ne fut pas
plus remarquée que ne l'est, le 25
décembre, la minute qui s'ajoute à la
durée du jour. Il naquit, il vécut,
il mourut dans un long hiver.... Mais c'est de lui
que date l'ère nouvelle ; c'est
à partir du moment, inaperçu par les
historiens de son temps, où il entra dans
l'humanité, que la marche ascendante de
notre pauvre monde commence ; la crèche
où il fut en hâte emmailloté
fut le berceau d'une race
régénérée.
Au bord des glaciers où règne un
froid perpétuel, où il semble que
rien ne puisse vivre, j'ai cueilli la gentiane et
le doux myosotis, d'un bleu si pur que son
congénère des plaines semble terne et
fané à côté de
lui....
Et j'ai vu fleurir sous la neige, dans
le plus pauvre jardin, la fleur pâle et sans
parfum qu'on nomme rose de Noël, toujours
bienvenue en cette saison
funèbre....
Le Christ fut tout cela en même
temps : humble fleur du pauvre jardin, pure
fleur des hautes cimes ; il fut sans
éclat, et cependant beau de vertu et sublime
d'amour ; il vécut dans la plaine avec
les fils des hommes et rayonna
sur les sommets dans la compagnie de Dieu, jusqu'au
moment où un orage - et quel orage ! -
s'abattit sur lui et le déracina de la
terre....
Mais seulement pour le transplanter au
ciel, où, fleur immortelle, il resplendit
maintenant devant Dieu.
L'hiver n'est pas fini : depuis
dix-huit siècles l'Eglise sous la croix - la
seule véritable - attend l'accomplissement
des promesses qui furent faites par les anges lors
de la naissance du Sauveur ; promesses qu'il
renouvela lui-même après sa
résurrection.
L'hiver n'est pas fini. Finira-t-il
jamais ? L'égoïsme, la haine, tous
les vices, toutes les plaies qui désolent la
terre - les verra-t-on jamais
disparaître ?
Nous perdrions courage, nous
désespérerions si le Seigneur ne
faisait naître, au fond de nos propres
coeurs, une suave fleur d'hiver. 0 miracle !
chaque âme chrétienne donne asile
à la plante céleste. - Il vit, il vit
en moi, Celui par qui toutes choses seront
bientôt renouvelées ! Qu'importe
le froid du dehors, qu'importent
les ténèbres ? Mon coeur, comme
jadis la crèche, est devenu un jardin royal,
tout plein de parfums et de lumière, car
là vit et rayonne et grandit sans cesse
Jésus, la Fleur du ciel.
Vieux habits, vieux galons !
E marché qui s'élève sur
l'emplacement de la tour du Temple, à Paris,
est un des coins les plus pittoresques de la
capitale. Au rez-de-chaussée, une
nuée de marchandes, dont les étalages
sont presque aussi coquets que ceux des magasins de
nouveautés, environnent, assaillent,
tiraillent en tous sens le malheureux, visiteur.
Les vêtements qui se vendent là sont
propres, et même
élégants ; et l'on
prétend que beaucoup de petits bourgeois
aisés ne vont pas ailleurs pour remonter
leur garde-robe.
Mais au premier étage, l'aspect
est bien différent. Les marchandises sont
étalées sur le carreau :
vêtements sordides, passés de mode
depuis longtemps, usés jusqu'à la
corde.... Et cependant, il se fait là aussi
des affaires considérables, et tel de ces
marchands de « vieux habits, vieux
galons, » a su mettre de
côté une fortune rondelette.
Celui que le crayon de notre excellent
ami M. Eugène Burnand a saisi sur le vif
(2), est
bien le
type de la corporation. Il est vieux et vend des
vieilleries : c'est dans l'ordre des
choses ; son expression narquoise, l'air dont
il étale la redingote fripée qu'il
tient en mains, montrent qu'il est revenu de tout
et qu'il connaît tous les envers de la
société. D'un coup d'oeil il juge de
la valeur d'un habit.... et de l'homme qui le
porte ; il sait distinguer la vraie richesse
de la fausse, comme un galon d'or d'un galon de
cuivre. Et que d'histoires il raconterait, le
bonhomme, si on le faisait parler ! Il en a
une pour chaque costume qu'il offre à
vendre : grandeurs et décadences, folie
et misère, drame et comédie, tout
cela est entassé pêle-mêle
à ses pieds sur le carreau du
Temple....
Voici, par exemple, la défroque
du dernier mardi gras ; c'est une robe de
Colombine, froissée,
défraîchie, lamentable. Il y a deux
mois à peine, cette robe eut beaucoup de
succès dans les bals masqués. Mais,
dès les premiers jours de carême,
Colombine, grelottante, est
venue la vendre : elle était malade,
elle toussait ! Aujourd'hui, où
est-elle ? Le bonhomme vous répondra
avec un haussement d'épaules :
« Où voulez-vous qu'elle soit,
sinon à l'hôpital ? Neuf fois sur
dix, c'est là qu'elles
finissent ! »
Voici un uniforme complet d'officier. Un
sous-lieutenant en détresse est venu le
vendre ici, non sans avoir arraché du collet
le numéro du régiment.
« Que voulez-vous ? C'était
un joueur ; il avait perdu la forte
somme ; il lui fallait de l'argent à
tout prix ; j'ai eu pitié de lui,
monsieur, et je lui ai payé ses galons plus
qu'ils ne valent, ajoute le vieux philosophe. Il
faut bien faire quelque chose pour l'armée
française ! »
Un vieil habit de soirée attire
nos regards. Il est râpé ; il a
été noirci sur les coutures avec de
l'encre, et pourtant, celui qui l'a porté
fut un homme d'honneur. Pauvre écrivain, qui
n'a jamais voulu prostituer sa plume et a
payé son courage de sa vie ; car il est
mort, usé par le travail, et sa veuve n'a pu
payer ses funérailles qu'en vendant sa
défroque !
Quiconque veut prendre une leçon de
choses, quiconque veut avoir de l'existence humaine
une opinion véritable, doit aller faire un
tour au carreau du Temple. Les gloires et les
vanités du passé viennent toutes
échouer là. Et qu'elles paraissent
misérables ! Vaut-il la peine de
commettre tant de lâchetés pour
paraître quelque chose, et ne vaut-il pas
mieux s'efforcer d'être quelqu'un ?
À Londres, il existe un colossal
musée de figures de cire, fondé par
une femme de la Suisse française, Mme
Tussaud, il y a plus de cinquante ans. Ce
musée est devenu, pour les Anglais, presque
une institution nationale. Il ne se produit aucune
illustration en aucun genre qui ne soit reproduite
là : M. Gladstone y coudoie M.
Disraeli, et tous les deux, dans leur
impassibilité de statues, font bon
ménage avec M. Bradlaugh. Tous les partis
politiques et religieux y sont
représentés. On y voit nombre de
grands personnages : la reine Victoria et sa
cour, puis tous les rois et toutes les reines
d'Europe.
Une salle basse éclairée
par des lampes funèbres,
porte le nom de « Chambre des
Horreurs ». Il faut payer un
supplément pour entrer là. On y voit
la longue et répugnante galerie des
criminels anglais : empoisonneurs, brigands,
assassins de toute espèce. Dans un coin, une
potence laquelle, dit-on, a servi, ce qui ajoute
à l'intérêt avec lequel ses
naïfs visiteurs la regardent....
Mais quel est-ce cadavre, étendu
sur ce lit de camp, au milieu de la chambre ?
je ne m'y trompe pas : c'est Napoléon,
le grand Napoléon, tel qu'il était
à Sainte-Hélène ! Et
voici une relique d'un prix inestimable : la
redingote grise, celle qu'il porta, authentique,
réelle!
O vanité des
vanités !
Soyez un conquérant ;
cueillez des lauriers sous tous les cieux ;
faites trembler peuples et rois pour qu'il ne reste
de vous qu'un vieil habit, couvrant votre effigie
de cire, dans la « Chambre des
Horreurs » de Mme Tussaud !
Ah ! combien différente est la
gloire que Jésus-Christ a conquise pour Lui
et pour les siens !
C'est une gloire pure ; elle
n'est
souillée d'aucun mauvais
souvenir ; elle n'est ternie d'aucune ombre.
C'est la gloire d'un Agneau immolé, et qui
n'a jamais versé d'autre sang que le sien.
C'est la gloire de l'Innocence qui, s'est
volontairement offerte en expiation pour le
Crime.
Et c'est une gloire éternelle. Le
vêtement du Christ, celui avec lequel il est
sorti vainqueur de la tombe et qu'il porte depuis
dix-huit cents ans, est fait de lumière et
de sainteté ; il est indestructible.
Jamais non plus elles ne s'useront, les robes
blanches dont il revêtira les siens, à
leur entrée dans la salle des
noces !
Venez donc, vous tous qui êtes
dégoûtés des vaines joies de la
terre ; vous tous qui redoutez l'instant
où il vous faudra sortir de ce monde comme
vous y êtes entrés !
Achetez à Jésus-Christ,
qui donne à quiconque demande, sans autre
payement que la repentance et la foi,
« des vêtements blancs, afin que
vous en soyez vêtus, et que la honte de votre
nudité ne paraisse point. »
(Apocalypse III, 18.)
Voici des paroles qui ont pour celui qui
écrit ces lignes une valeur infinie, car
c'est d'elles que Dieu s'est servi pour le
convertir. Puissent-elles avoir le même
résultat pour quelques-uns de ses
lecteurs !
« Puis l'Éternel me fit
voir Jéhosçuah, le grand
Sacrificateur, qui était debout devant
l'ange de l'Éternel, et
Satan qui était debout à sa droite
pour s'opposer à lui.
« Et l'Éternel dit
à Satan : Que l'Éternel te
réprime rudement, Satan ! oui, que
l'Éternel, qui a élu
Jérusalem, te réprime durement !
Celui-ci n'est-il pas un tison retiré du
feu ?
« Et Jéhosçuah
était vêtu d'habits sales, et se
tenait debout devant l'ange ; et l'ange prit
la parole et parla à ceux qui étaient
devant lui en disant : Ôtez-lui ces
habits sales. Puis il lui dit : Voici, j'ai
ôté de dessus toi ton
péché, et je t'ai vêtu d'habits
magnifiques. »
(Zacharie
III, 1 - 4.)
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