LE VRAI BONHEUR
RICHARD BAXTER.
Cet excellent chrétien passa sa vie dans
les travaux, les chagrins et les
persécutions pour arriver au repos
éternel. Il vécut, il écrivit,
il travailla comme en présence de
l'éternité, et il disait de
lui-même : « Je prêche
comme si je ne devais plus prêcher, comme un
mourant à des mourants. »
Il était si jeune quand son coeur
s'ouvrit à la piété, que son
père disait de lui, les larmes aux
yeux : « Je crois que mon fils
Richard a été sanctifié
dès le ventre de sa mère. »
Devenu ministre de l'Évangile, il travailla
surtout à Kidderminster où ses
efforts furent couronnés de succès
étonnants. Après
quelques années d'activité, il fut
chassé par la persécution, mais il ne
cessa pas de travailler au bien des âmes,
quoique dans une sphère plus
resserrée. Sa vie se passa ainsi dans les
travaux de son ministère et dans les
souffrances que sa piété lui attira.
Les hommes de son temps ont été
privés de beaucoup de bienfaits qu'ils
auraient pu recueillir de la part d'un homme aussi
éminent ; mais ce qu'ils ont perdu, les
générations suivantes l'ont
gagné, et Baxter, quoique mort, parle encore
à des milliers d'hommes par ses inestimables
ouvrages.
Comme Moïse, il choisit d'être
affligé avec le peuple de Dieu, lorsqu'il
aurait pu mener une vie paisible et honorable aux
yeux des hommes : il refusa même un
évêché qu'on lui offrait. Quand
il vit la mort s'approcher, il employa ses derniers
moments à se préparer et à
préparer les autres à
comparaître devant Dieu. Il disait à
ses amis qui le visitaient : « Vous
venez ici pour apprendre à mourir. Je puis
vous assurer que toute votre vie, quelque longue
qu'elle puisse être, est bien courte pour
vous préparer à la mort. Soyez en
garde contre le monde et contre les convoitises de
la chair. Assurez-vous que vous choisissez Dieu
pour héritage, le ciel pour patrie, la
gloire de Dieu pour but et sa Parole pour
guide ; alors vous n'aurez
rien à craindre, et nous serons certains de
nous retrouver dans la félicité
éternelle. »
Jamais pécheur repentant ne fut plus
humble en parlant de lui-même, et pourtant
jamais chrétien ne fut plus calme. Il se
disait le ver de terre le plus vil qui fût
jamais allé au ciel ; il admirait la
bonté de Dieu à notre égard et
s'écriait : « Seigneur,
qu'est-ce que l'homme ! Qui suis-je, moi,
misérable ver devant, toi ? 0
Dieu ! aie pitié de moi qui suis un
pauvre pécheur ! » Et il
bénissait Dieu d'avoir mis ces paroles dans
l'Évangile comme une véritable
prière. Il disait : « Dieu
peut me condamner avec justice pour la meilleure
action que j'aie jamais faite ; aussi toute
mon espérance est-elle en la
miséricorde gratuite de Dieu en
Christ. » Et il priait souvent dans ce
sens. Il dit un jour en s'éveillant :
« Je me reposerai de mes
travaux. » Un ministre qui se trouvait
là ajouta : « Et vos oeuvres
vous suivront. - Pas mes oeuvres, répliqua
Baxter, j'abandonne mes oeuvres, si Dieu veut
m'accorder le reste. » Un de ses amis
cherchait à le fortifier, en lui rappelant
le bien que tant d'âmes avaient retiré
de ses prédications et de ses
écrits ; il lui répondit :
« Je ne suis qu'une plume dans la main de
Dieu, et quelle louange mérite une
plume ? » Sa résignation fut
très-grande pendant sa cruelle maladie.
Quand enfin la
violence de
la douleur le contraignit à prier Dieu
sérieusement de le délivrer par la
mort, il se reprit et ajouta : « Il
n'est pas juste que je veuille te prescrire
quand tu veux, ce que tu
veux, et
comme tu le veux. » Dans un moment
d'angoisse, il s'écria -
« Oh ! que ses jugements sont
impénétrables, et que ses voies sont
incompréhensibles ! Nous ne pouvons pas
sonder les richesses de sa providence, »
Et s'adressant à ses amis, il ajouta :
« Ne pensez pas plus mal de la religion
à cause, de ce que vous me voyez
souffrir. » Comme on lui demandait quel
était l'état de son âme, il
répondit : « Je bénis
Dieu de ce que j'ai en moi une assurance bien
fondée de mon bonheur éternel, et de
ce que je possède une grande paix et un
puissant soutien. » Tout son chagrin
était de ne pouvoir pas s'exprimer avec joie
à cause de ses vives douleurs. Il
disait : « La chair doit
périr, et nous devons la sentir
périr ; mais quoique notre esprit en
soit convaincu, les sens souffrent et
gémissent. » Il aimait beaucoup la
description du ciel, contenue dans Hébreux,
XII, et disait qu'elle méritait un million
de pensées. Il trouvait beaucoup de
consolation et de douceur à
répéter l'oraison dominicale, et
était fâché de ce que quelques
chrétiens n'aimaient pas à en faire
usage ; « car, disait-il, toutes les
demandes nécessaires à l'âme et
au corps y sont renfermées. »
Il donna d'excellents conseils à
quelques jeunes ministres qui vinrent le voir, et
pria avec beaucoup de ferveur pour eux et pour
l'Eglise de Christ. La veille de sa mort, il
reçut la visite d'un ami, et lui dit ;
« Je souffre, il n'est pas possible
d'étouffer la voix des sens ; mais j'ai
la paix, j'ai la paix. » Son ami lui dit
« Vous approchez de cette patrie que vous
avez longtemps désirée. »
Il répondit : « Je le crois,
je le crois. »
Il montrait un grand désir de
mourir ; quand on lui demandait comment il se
trouvait, il disait ordinairement
« presque bien », et
quelquefois « mieux que je ne
mérite, mais pas aussi bien que
j'espère d'être. » Enfin,
à sa grande joie, il sentit la mort
s'approcher, et le 8 décembre 1691, il
s'endormit dans la paix de son Sauveur.
ÉLISABETH ROWE.
- (17 ... )
Dans tous les temps, la religion a trouvé
un grand nombre d'amis dévoués dans
le sexe le plus faible. Notre Sauveur, pendant les
jours de sa chair, fut servi par des femmes, et ces
femmes veillèrent près de sa croix,
tandis que ses apôtres eux-mêmes
l'abandonnaient. C'est à elles qu'il apparut
d'abord, quand il fut sorti du
tombeau ; et maintenant encore, dans la
plupart des lieux où
l'Évangile se
répand, les coeurs des femmes se soumettent
plus aisément au joug aimable de
Jésus.
Elisabeth Rowe fut du nombre de celles qui,
après avoir honoré l'Évangile
par leur vie, ont joui de ses consolations à
l'heure de la mort, et qui brillent sans doute
comme des étoiles à toujours. Nous
ferons surtout remarquer à nos jeunes
lecteurs que la piété de cette femme
fut une piété précoce,
c'est-à-dire qu'elle marcha dès sa
jeunesse dans le sentier de la paix. Aussi
porta-t-elle pendant sa vie des fruits abondants
à la gloire de son Sauveur.
Voici un passage d'une lettre que l'on a
trouvée après sa mort dans ses
papiers :
« J'en ai fini maintenant avec les
choses de la terre, et je n'ai devant moi que la
vaste perspective de
l'éternité ! -
L'éternité ! comme ce mot me
transporte ! Tant que Dieu existe, mon
existence et mon bonheur sont assurés, je
n'en doute pas. Ces désirs infinis, que la
création toute entière ne peut pas
limiter, seront satisfaits pour toujours. Je boirai
à la source même de toute
félicité, et je serai
rafraîchie par les émanations de la
vie et de la joie elle-même. J'entendrai la
voix de l'harmonie incréée parlant de
paix et de consolation à mon âme.
» J'attends la vie éternelle,
non comme une récompense,
mais comme un pur don de la miséricorde
divine. De quelque côté que je
m'envisage, je ne puis que me
détester ; je me jette aux pieds de mon
Rédempteur, demandant d'être
revêtue de sa justice et des mérites
de son sacrifice expiatoire, pour obtenir mon
pardon et mon salut. Voilà toute ma
consolation et tout mon espoir. 0 Seigneur, n'entre
point en jugement avec ta servante, car aucune
chair ne sera justifiée devant toi.
J'espère que le sang de l'Agneau me fera
remporter une entière victoire sur le
dernier ennemi. Quand vous lirez ces lignes,
j'espère avoir atteint les hauteurs des
cieux et m'être prosternée devant le
trône de Dieu, là où la foi
sera réalisée, et où ces
désirs languissants seront satisfaits par la
pleine jouissance de l'amour divin.
Amen. »
HANNAH
HOUSMAN.
Cette aimable personne connut son
Créateur dès les jours de sa
jeunesse. Née à Kidderminster, elle
jouit de tous les avantages d'une éducation
chrétienne ; aussi la
bénédiction de Dieu reposa sur elle
de bonne heure, puisqu'elle reçut de vives
impressions religieuses dès l'âge de
treize ans. Pendant vingt-quatre années elle
marcha humblement devant le Seigneur, et à
l'heure de la mort elle jouit
des avant-goûts de la joie céleste.
Cette mort triomphante nous montre combien les
jeunes gens pieux doivent se réjouir de
connaître le Seigneur dès
l'entrée de leur voie. Nous allons raconter
quelques détails sur sa dernière
maladie et sur sa mort.
Pendant tout le cours de sa maladie, elle
fut en proie à des douleurs si violentes
qu'elle ne croyait pas pouvoir les supporter.
« Mais, disait-elle, Dieu est bon ;
oui en vérité, il est très-bon
à mon égard. J'ai trouvé en
lui un Dieu plein de miséricorde et de
bonté. »
Quand ses souffrances diminuaient, elle
disait : « Dieu est bon ; oui
j'ai trouvé en lui une grande bonté,
et quoiqu'il me tue je ne cesserai pas
d'espérer en lui. Ce que je sens me fait
aimer davantage le Seigneur Jésus, en me
rappelant ce qu'il a souffert pour le rachat de mon
âme ! Il a tant fait pour moi ! Et
pourquoi pour moi, Seigneur ; pourquoi pour
moi, la plus grande pécheresse !
pourquoi pour moi qui ai si longtemps refusé
les riches dons de ta grâce et les douces
invitations de l'Évangile ! Et pourtant
les moyens de grâce ne m'ont pas
manqué ! J'ai eu des parents
pieux ; j'ai connu un digne ministre à
qui je pouvais souvent ouvrir mon coeur en toute
liberté ; j'ai vécu dans un
âge d'or, dans des temps de paix, au milieu
de mille avantages capables
d'augmenter en moi ta communion avec Dieu et la
paix de mon âme. Que de louanges ne dois-je
pas rendre à mon Dieu pour tant de
bénédictions ! O mon âme,
bénis l'Éternel, et que tout ce qui
est au-dedans de moi bénisse le nom de sa
sainteté ! ô mon âme,
bénis l'Éternel, et n'oublie pas un
de ses bienfaits. »
Si quelqu'un pleurait et se lamentait
à cause d'elle, elle lui disait :
« Ne pleurez pas sur moi, mais
plutôt réjouissez-vous, car c'est Dieu
qui l'a fait. Si cela peut servir à sa
gloire, il me conservera encore un peu de temps,
sinon je suis pleinement résignée
à tout ce qu'il voudra ordonner de moi. Je
suis contente de rester ici aussi longtemps que
j'aurai quelque chose à y faire ou à
y souffrir, et je désire de m'en aller si
c'est le bon plaisir de mon Père. Ainsi
rassurez-vous, et dites : C'est le
Seigneur, qu'il fasse ce qui lui semblera
bon. »
Elle dit à une personne qui
était venue la voir :
« Je crois que je vais mourir, et
quelle consolation n'est-ce pas de sentir que la
mort a perdu pour moi ses terreurs ! Le sang
de Christ me purifie de tout
péché ; mais notre foi est une
foi morte, si nous n'y joignons pas une vie
conforme à l'Évangile. Recherchez
Christ pour votre ami, et ne mettez pas vos
affections aux choses d'ici-bas. Les richesses, les
honneurs et ce que le monde appelle
plaisirs ; ne sont
que des
choses viles et périssables. »
Elle étendit la main et ajouta :
« Oh ! si j'avais là
près de moi des millions de pièces
d'or et d'argent, que pourrais-je en faire, moi qui
vais mourir ! Écoutez le conseil d'une
amie qui désire votre bien. Ne donnez pas
votre coeur aux choses de la terre, mais
souvenez-vous que la mort viendra bientôt,
que vous soyez prêt ou non, que vous le
vouliez ou que vous ne le vouliez pas. Je vous
recommande à Dieu, et j'espère que
bientôt nous nous retrouverons dans le ciel,
ce lieu de paix, de bonheur et de repos
parfaits. »
Pendant toute sa maladie, son âme fut
remplie de joie et de gratitude. Quand elle avait
froid et qu'on la couvrait, elle disait
souvent : « Béni soit Dieu
pour toutes ses grâces et pour les
soulagements qu'il me donne dans mon
affliction. » Un jour que la servante
faisait chauffer un morceau de flanelle pour le
mettre autour de ses mains, elle la remercia et
dit : « Que de biens je
reçois ! J'ai tout ce que je puis
souhaiter. Je ne désire plus rien que de
passer tranquillement dans la gloire. La
grâce de Dieu m'a arrachée des portes
mêmes de l'enfer, et cette même
grâce m'a soutenue pendant toute ma vie. Oui,
je puis bien dire que le Seigneur use de beaucoup
de bonté et de gratuité à mon
égard dans sa miséricorde il m'a
gardée au milieu de
toutes mes épreuves. Je
reconnais que c'est pour notre bien qu'il nous
afflige, car je puis dire qu'il m'est bon d'avoir
été affligée. Cela m'a rendue
capable de voir des choses que je ne pouvais pas
voir quand je me portais bien. Ainsi j'ai mieux
senti le vide de ce monde et de tous ses plaisirs
trompeurs ; tout en lui est vanité, je
puis le dire d'après ma propre
expérience. »
Le jour de sa mort, elle dit à son
mari : « Je crois que je partirai
bientôt ; je désire que tu en
sois content, puisque c'est la volonté de
Dieu. Tu m'as toujours beaucoup aimée, tu as
été très-bon à mon
égard, et je t'en remercie de tout mon
coeur ; maintenant sois résigné
à me laisser aller auprès de Dieu.
S'il juge qu'il vaut mieux prolonger ma vie sur la
terre, je désire de vivre ; s'il voit
qu'il vaut mieux me retirer à lui, je
désire de mourir. Je désire ce qui
peut le plus contribuer à sa
gloire. »
Le soir du même jour, elle sentit que
la mort approchait : « Bien,
dit-elle ; encore un peu de temps, et mon
oeuvre sera finie dans ce monde. Alors je ne
prierai plus, ma seule occupation dans le ciel sera
d'aimer et de louer. Ici je n'aime que faiblement,
mais là mon amour sera parfait. Je
contemplerai ta face en justice ; car je suis
ta servante, ô Seigneur ! celle que tu
as rachetée par ton sang Christ est mort
pour procurer la vie à
mon âme ; encore
un
peu de temps, et je chanterai ce doux
cantique : À Celui qui est assis sur
le trône et à l'Agneau soient louange,
honneur, gloire et force aux siècles des
siècles. »
Le visage, tout radieux, elle disait avec
des transports de joie : « Viens,
Seigneur Jésus, viens bientôt !
Pourquoi ton char tarde-t-il à venir !
0 mon Sauveur béni, viens chercher mon
âme pour la faire habiter à toujours
avec Dieu, avec Christ, avec les esprits parvenus
à la perfection. Si j'y arrive, mon bonheur
ne finira jamais. Oh ! quelle gloire !
quelle gloire est répandue sur la source de
toute foi et de tout amour ! »
Quelques minutes avant son
délogement, elle demanda à être
soulevée. Alors elle dit avec
gaîté - « Adieu,
péchés ; adieu,
souffrances ! » Elle finit ainsi sa
course avec joie.
BUTLER.
L'évêque Butler, à son lit
de mort, appela son chapelain et lui dit :
« Quoique je me sois efforcé
d'éloigner de moi le péché et
de plaire à Dieu autant que je l'ai pu,
cependant je crains la mort à cause de mes
constantes faiblesses. - Monseigneur, lui dit le
chapelain, vous oubliez que Jésus-Christ est
un Sauveur. - Oui, mais comment
saurai-je qu'il l'est pour
moi.
- Il est écrit - Je ne mettrai point
dehors celui qui viendra à moi. (
Jean, VI, 37). - Il est vrai, dit
l'évêque, et je suis
étonné de n'avoir pas encore senti
jusqu'à ce moment la force de ce passage,
quoique je l'aie lu mille fois ; maintenant je
meurs heureux. »
WILLIAM
LEEGHMANN.
À son lit de mort, cet éminent
serviteur de Dieu disait à un jeune
homme :
« Vous voyez mon état, je
n'ai que peu de jours à vivre. Je suis
content que vous ayez l'occasion de voir la paix de
mes derniers moments ; mais que dis-je, la
paix, c'est une joie, un triomphe, une
complète allégresse. »
Pendant qu'il parlait ainsi, ses traits
s'animaient, sa voix était
émue : « Et d'où vient
cette allégresse ? De ce livre,
ajouta-t-il en montrant la Bible, de ce livre
beaucoup trop négligé en
vérité, et qui contient des
trésors inappréciables !
trésors de paix et de joie, car il nous rend
certains que ce corps mortel sera revêtu
d'immortalité
(1 Cor., XV, 53). »
GEORGE
NOIR.
Ce chrétien, peu connu dans le monde
religieux, manifesta d'une manière frappante
le pouvoir de la
vérité
évangélique, pendant sa vie et sur
son lit de mort. Comme il regardait dans un miroir
son visage altéré par une maladie
longue et douloureuse, il fut frappé des
signes de décomposition qu'il vit sur ses
traits, mais il dit avec calme :
« Ah ! la mort a mis son sceau sur
mon corps ; mais Christ a imprimé le
sien sur mon âme. »
MARGUERITE
KLOPSTOCK (1738).
Le monde ne veut pas croire qu'un homme puisse
contempler avec joie la mort et
l'éternité, à moins
peut-être que l'affliction ne lui ait rendu
la vie à charge. Nous allons raconter les
derniers moments d'une personne qui, au milieu de
la jeunesse et du bien-être, regardait avec
bonheur au-delà du tombeau, et qui soupirait
après le monde invisible, quoiqu'elle
fût environnée d'excellents amis
ici-bas.
Marguerite Moller épousa, en 1754, le
célèbre poète allemand
Klopstock, l'auteur de la Messiade. Tous
deux paraissent avoir connu la vraie
piété dès leur jeunesse.
Klopstock lisait très-fréquemment la
Bible ; sa femme nous est
représentée comme étant
douée de beaucoup d'esprit et
d'amabilité.
Ils avaient l'un pour l'autre la plus grande
affection ; mais
cet amour
et un bonheur terrestre aussi élevé
et aussi pur ne pouvaient enchaîner
l'âme de Marguerite aux objets
périssables ; elle regardait toujours
vers l'éternité. Elle composa des
lettres qu'elle supposait écrites par des
morts à des vivants. Nous allons en citer
quelques passages pour montrer ce qu'elle pensait
de ce monde et des vérités les plus
importantes de la religion. Voici ce qu'elle
suppose que son mari lui écrit, après
être arrivé à la vie
éternelle :
« L'heure était venue qui
devait m'enlever à toi et à votre
monde pour toujours ; mais qu'il est
court le pour toujours de votre
monde ! »
« Ne crains point à cause
des péchés qui troublent ta paix
maintenant ; je ne les appellerai pas
légers, car les péchés que
nous appelons des défauts sont aux
yeux du Saint des saints de grands
crimes ; mais aucune expression ne peut
rendre l'immensité de l'amour qui nous
pardonne. »
Dans un autre de ses écrits, un
mourant dit à un de ses amis :
« Sens que tu es un
pécheur, et que Lui, Jésus de
Nazareth, ce nom que tant de tes frères
s'efforcent en vain d'avilir, Lui, le Dieu que
maintenant j'adore, est ton Rédempteur, qui
expia tes péchés. »
Quatre années de bonheur,
passées avec son bien-aimé Klopstock,
s'écoulèrent bien vite ; mais
il ne lui fut pas accordé
de finir la cinquième. Environ deux mois
avant sa mort, elle écrivait à son
époux : « Dieu nous donnera
ce que dans sa sagesse il sait nous être bon,
et si quelque chose manque à nos souhaits,
il nous enseignera à nous
résigner. »
Au mois de septembre de l'année 1758,
ayant conçu l'espoir de devenir mère,
elle eut quelques pressentiments de sa fin
prochaine. Son mari, alors en voyage, lui
écrivit, à ce sujet, en ces
termes : « Dieu est où tu es,
Dieu est où je suis ; nous sommes
entièrement sous sa dépendance,
beaucoup plus qu'on ne le croit ordinairement. Nous
dépendons de lui dans toutes ces choses qui
nous font le moins penser à lui. C'est lui
qui entretient notre respiration et l'action de
tous nos autres organes ; il a compté
les cheveux de nos têtes. Mon âme est
maintenant dans une douce tranquillité,
mêlée d'un peu de tristesse. O toi que
Dieu m'a donnée, ne sois pas en souci, ne
sois pas en souci du lendemain ! »
Elle répondit : « Ne
t'inquiète plus, je suis aussi
décidée à mourir qu'à
vivre, et je me prépare à l'un et
à l'autre, car je ne puis regarder avec
certitude à aucun des deux. Si je juge
d'après les apparences, il est beaucoup plus
probable que je vivrai ; mais je suis
parfaitement
résignée ;
que la volonté de Dieu soit faite ! Je
m'étonne souvent de mon indifférence
au sujet de mon bonheur dans ce monde
(1).
Oh !
que notre religion est précieuse ! Que
doit être cette vie éternelle dont
nous savons si peu, mais que nos âmes sentent
si bien ! C'est plus qu'une vie avec
Klopstock. Il ne me semble plus si pénible
de te laisser, toi et notre enfant ; je crains
seulement de perdre encore cette paix de
l'âme que j'ai déjà
gardée pendant huit mois. Je sais bien que
toutes nos heures ne se ressemblent pas, et surtout
la dernière qui, dans ma situation, doit
être bien douloureuse ; mais que cette
dernière heure ne t'inquiète pas. Tu
sais aussi bien que moi combien le corps accable
l'âme. Quelle que soit la dispensation de
Dieu envers moi, je serai encore heureuse, soit
qu'il m'accorde une plus longue vie avec toi ou une
vie éternelle avec lui ? Mais
pourras-tu supporter cette séparation aussi
facilement que moi ? Il te faut rester dans ce
monde sans moi ! Tu sais que j'ai toujours
souhaité de te survivre, parce que
je sais bien que c'est le
plus
difficile ; mais Dieu ne le veut
peut-être pas, et peut-être aussi as-tu
plus de force. Oh ! pense où je vais,
et tu peux le savoir autant que des pécheurs
peuvent en juger d'ailleurs, l'humble
espérance du chrétien ne peut
tromper. Là, tu me suivras ; là,
nous serons éternellement unis par un amour
qui n'était sûrement pas fait pour
cesser. »
Son mari revint bientôt auprès
d'elle, mais il ne jouit pas longtemps du plaisir
de la voir. L'événement solennel
qu'elle prévoyait arriva, et elle entra dans
l'éternité le 8 novembre 1758.
Klopstock écrivit les détails
de cette mort dans la lettre suivante
adressée à un ami.
« Il y a aujourd'hui huit jours
que ma chère Marguerite est morte, et
cependant je suis calme. Puis-je attribuer cela
à Dieu de toute consolation pour tous les
biens dont il m'a comblé. Remerciez notre
Dieu avec moi, cher Cramer. Je vais essayer de vous
faire un récit circonstancié de ses
derniers moments.
» Elle souffrit beaucoup depuis le
vendredi jusqu'au mardi à quatre heures du
soir, mais surtout depuis le lundi au soir. Le
dimanche matin, je lui répétai
souvent que, sans la volonté de notre
Père, pas un seul cheveu ne pouvait tomber
de sa tête, et cette
pensée nous fortifia beaucoup. Je lui
récitai plusieurs fois les lignes suivantes
de ma dernière ode. Une fois j'étais
si ému, que je fus obligé de
m'arrêter à chaque vers.
« Quoique invisible à
l'oeil de l'homme, la main de mon Rédempteur
est près de moi ; il a versé la
lumière du salut bien avant dans la
vallée de la nuit. Là, Dieu guidera
mes pas ; là, sa présence
bénira mon âme. Seigneur, quels que
soient mes chagrins, enseigne-moi à regarder
vers toi ! »
» Quand je commençai à
craindre pour sa vie, je me mis à lui parler
de Dieu de temps à autre, mais sans lui
laisser apercevoir mes craintes. Je ne sais plus
guère ce que je lui disais ; je me
souviens seulement que je lui
répétais combien j'étais
fortifié par la vue de son courage, car il
lui fut donné de montrer une patience
extraordinaire. Un moment je lui dis avec beaucoup
d'émotion : « Le Père
de toute miséricorde est avec
toi. » Je vis qu'elle sentait sa
présence ; peut-être
devina-t-elle alors quelles pensées
agitaient mon coeur, du moins je crus le lire sur
son visage. Toutes les fois que je pouvais entrer
dans sa chambre et supporter la vue de ses
souffrances, je lui disais combien la grâce
de Dieu se manifestait en elle. Comment aurais-je
pu ne pas lui parler de la grande consolation de
mon âme !
» Comme on venait de la saigner,
j'entrai dans sa chambre ; je vis alors
distinctement le sceau de la mort sur son
visage ; mais Dieu, qui agissait en elle avec
tant de puissance, me soutint aussi dans ce moment.
Je n'eus que peu de temps pour prendre congé
d'elle ; Dieu me donna la force de lui parler,
et je lui dis - « Je veux remplir ma
promesse, chère Marguerite, et te dire que
ta vie est en danger à cause de ton
extrême faiblesse. » Je continuai
à lui parler ; elle m'entendit
très-bien et me répondit sans la
moindre peine. J'invoquai sur elle le nom du
Père, du Fils et du Saint-Esprit, et
j'ajoutai : « Que la volonté
de Celui qui te soutient avec tant de force soit
faite ! - Qu'il fasse selon sa volonté,
et tout ira bien, dit-elle d'une voix qui exprimait
la joie et la confiance. - Tu as souffert comme un
ange, lui dis-je ; Dieu a été
avec toi, il sera avec toi ; que son nom
glorieux soit loué ! Le Père des
miséricordes te soutiendra. Si
j'étais assez malheureux pour n'être
pas chrétien, je le deviendrais
maintenant. » Et je continuai à
lui parler d'une voix émue. Sa soeur Elisa
lui dit : « Sois mon ange gardien,
si notre Dieu le permet. - Tu as été
le mien, dit-elle. - Sois mon ange gardien,
répétai-je, si notre Dieu le permet.
- Qui voudrait ne pas l'être ? me
répondit-elle. Je voulais
m'en aller. » Elisa me dit -
« Donnez-lui encore une fois votre
main. » Je ne sais si je lui dis quelque
chose ; je me hâtai de sortir, j'allai
dans ma chambre et je priai. Dieu me donna de prier
avec beaucoup de ferveur, je lui demandai une
résignation parfaite ; mais d'où
vient, cher Cramer, que je ne priai pas pour elle,
ce qui eût été si
naturel ? Sans doute, parce que Dieu l'avait
déjà exaucée au-delà de
tout ce que j'aurais pu demander.
» Quand je fus sorti, elle demanda
à sa soeur si sa mort était bien
proche ; elle dit qu'elle souffrait un peu, et
ajouta que Dieu avait beaucoup à lui
pardonner, mais que toute sa confiance reposait sur
son Rédempteur. Quelques moments
après, Elisa lui dit que Dieu la
secourrait : « Dans le
ciel, » répondit-elle. Comme
sa tête retombait sur son oreiller, elle dit
avec beaucoup de vivacité :
« C'est fini ! » Ses yeux
se tournèrent avec tendresse vers Elisa,
tandis que celle-ci priait ainsi :
« Que le sang de Jésus-Christ te
purifie de tout péché. »O
douces paroles de la vie éternelle ! Le
visage de ma chère Marguerite exprima un
moment la douleur, puis il redevint parfaitement
calme, et son âme s'envola dans le
ciel....
» Je ne me plaindrai pas, je rendrai
grâce de ce que, dans une épreuve
aussi douloureuse, Dieu m'a fortifié.
» Quand je la quittai elle me dit avec
beaucoup de douceur : « Tu me
suivras. » Oh ! que ma fin soit
semblable à la tienne ! Oh ! si je
pouvais encore pleurer sur ton sein, ne
fût-ce qu'un moment ; car je ne puis pas
retenir mes larmes, et Dieu ne le demande pas.
» Ma chère Marguerite nous a
fait connaître ce que nous devons mettre sur
sa tombe ; ce sont deux passages du XIe livre
de la Messiade. L'âme du larron
repentant dit :
« Est-ce donc là la
mort ? 0 changement si subit et si doux !
Comment t'appellerai-je ? Je ne t'appellerai
plus la mort ; non, ton nom ne sera plus la
mort. Et toi, toi-même, ô pensée
si terrible de la corruption, comme tu as
été changée en joie !
Dors maintenant, toi qui fus mon compagnon dans ma
première vie, sois livré à la
corruption comme une semence que Dieu fait germer
et mûrir pour le jour de la
moisson ! »
» L'âme du larron continue
à parler, pendant qu'un corps
éthéré se forme autour de
lui :
« Oh ! comme je sens une
nouvelle vie ! Être des êtres,
comme je m'élève ! Je fais, non
un seul pas, mais des milliers de pas, et je sens
qu'en avançant dans la gloire je
m'élèverai au-dessus de tout cet
espace. Je m'approcherai de plus en plus de ces
mondes resplendissants, oeuvre
magnifique de ses mains ; mais ce sera
l'Éternel lui-même que je contemplerai
face à face ! »
» J'ai voulu mettre encore quelque
chose sur sa tombe, et j'ai choisi les vers
suivants de la seconde stance de mon
ode :
« Quoiqu'invisible à l'oeil
de l'homme, la main de mon Rédempteur est
près de moi ; il a versé la
lumière de salut bien avant dans la
vallée de la nuit »
Voici quelques lignes que Giesecke, un des
amis de Klopstock, lui adressait pour le
consoler ; elles méritent notre
attention à cause de la pensée qui
les termine :
« Votre épreuve est
grande ; mais, cher ami Dieu qui vous l'envoie
ne vous laissera pas sans consolation. A*** m'a
fait bien plaisir, en me disant que Dieu a
déjà commencé à se
glorifier en vous. Vous avez dit : Elle
n'est pas loin de moi ; et certes, pour un
chrétien, la distance n'est pas grande entre
la terre et le ciel »
Après la mort de Mme Klopstock, son
mari pour tromper sa douleur, feignait quelquefois
de lui écrire. Il dépeint dans ces
lettres les sentiments qui l'agitent ; nous
allons en citer quelques fragments, pour montrer
combien l'influence de la religion s'y
manifeste :
« Je te dirai quelque chose de ce
que je ressentis après t'avoir
quittée, jusqu'à ce moment j'avais
prié avec beaucoup d'anxiété,
mais alors Dieu me donna de prier avec des
sentiments tout différents ; je
demandai une soumission parfaite. Mon âme
était unie à Dieu ;
j'étais rafraîchi et fortifié.
Je fus ainsi préparé au coup qui
m'attendait et que je ne croyais pas si
proche ; je voulais, suivant tes
désirs, prier encore une fois avec
toi ; mais il arrive souvent que nos
pensées ne sont pas les pensées de
Dieu. Bientôt après la mort je pus
dire : Elle n'est pas loin de
moi ; et certes tu n'es pas loin de moi,
nous sommes tous les deux dans la main du
Tout-puissant.
» Je n'avais encore vu dans ta mort
qu'une épreuve pour moi ; la seconde
nuit elle m'apparut comme une
bénédiction, que je ressentis
très-vivement. Je passai plus d'une heure en
silence et l'esprit ravi en extase. Je puis dire
que je n'ai jamais éprouvé une plus
grande paix ; cet état commença
quand je méditais ces paroles de ton Sauveur
et de mon Intercesseur :
« Celui qui aime son père
ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de
moi. » Il est impossible de
décrire toutes les
bénédictions dont je fus
comblé pendant cette heure. Jamais je
n'avais été aussi assuré de
mon salut.
» Pour ce monde, c'est pour toujours,
ma chère Marguerite. Certes, il est, bien
court le pour toujours de ce monde. Comme tu
m'as été bien tôt
enlevée ! Mais jamais, non jamais, je
ne me plaindrai, pas même de ce que le
pour toujours de ce monde me parait encore
si long. Comment pourrais-je me plaindre ?
Pourrais-je oublier les gracieuses consolations qui
ont ranimé mon âme, quand mon sentier
était le plus raboteux, et que le
désert où je passais ressemblait le
plus à cette vallée
ténébreuse que tu as
traversée ?
» O toi, qui ne pouvais rester un seul
jour loin de moi, c'est avec calme que tu m'as vu
te quitter, et tu ne m'as pas fait revenir, bien
que je t'eusse promis de prier encore avec toi.
Quel changement ! Tu étais
complètement détachée de ce
monde, et l'éternité avait
commencé pour toi. Quoique je sache que tu
n'aies jamais cessé de m'aimer, cependant
cela me serait pénible si je ne savais pour
qui tu t'es ainsi séparée de
moi. »
Klopstock vécut longtemps
après sa chère Marguerite, et il en
conserva le souvenir jusqu'à la fin. de sa
vie. Sa mort fut un véritable
triomphe ; dans son dernier combat, qui fut
aussi le plus rude, il se leva sur son lit, joignit
les mains, et levant les yeux vers le ciel il
répéta ces paroles
réjouissantes - : « La femme
peut-elle oublier son enfant, en
sorte qu'elle n'ait point pitié du fruit de
son ventre ! Mais quand les femmes les
auraient oubliés, encore ne t'oublierai-je
pas, moi
(Es., XLIX, 15). » Il se
coucha, tomba dans un doux sommeil, et se
réveilla dans l'éternité, le
14 mars 1803.
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