LE VRAI BONHEUR
JOSEPH ALLEINE (1668).
L'Écriture déclare que les voies
de la sagesse sont des voies agréables, et
que tous ses sentiers ne sont que
prospérité. La vérité
de cette assertion ne s'est peut-être jamais
montrée d'une manière aussi frappante
que chez les disciples de Jésus, qui ont
marché vers le ciel, par une route
épineuse ou même sanglante, mais
pourtant pleine de paix et de bonheur. Ceux qui ont
beaucoup souffert pour la piété ont
eu aussi de grandes consolations. Le récit
que nous allons faire vient à l'appui de ces
réflexions.
Joseph Alleine, bien connu comme l'auteur de
l'excellent ouvrage intitulé
« Appel aux
inconvertis » naquit à
Devizes, en 1633. Nous avons quelques
détails sur la mort de son père qui
était un chrétien humble et plein
d'expérience. Le matin de son dernier jour
il se leva à quatre heures ; vers onze
heures il sortit de son cabinet et demanda quelque
nourriture ; quand elle fut prête, il
rendit grâces, mais il ne put rien manger.
Mme Alleine, remarquant en lui un changement
soudain, l'engagea à se coucher. Il
répondit : « Non, je veux
mourir sur ma chaise ; je ne crains point la
mort. » Il s'assit et dit :
« Ma vie est cachée avec Christ en
Dieu. » Alors il
ferma
les yeux et rendit le dernier soupir.
Son fils montra de bonne heure un esprit
particulièrement doux et pieux ; il
n'avait pas plus de onze ans lorsqu'on
s'aperçut qu'il priait en particulier avec
beaucoup de régularité et de ferveur.
Dès-lors, toute sa vie manifesta l'influence
de la religion, que sa conduite douce et polie
rendait encore plus aimable. L'amour et la joie
habitaient dans son coeur, et de ses lèvres
découlaient la prière, la louange et
des actions de grâces rendues à la
miséricorde divine ; mais il aimait
surtout à parler des
bénédictions les plus
précieuses de Dieu, c'est-à-dire du
Sauveur, du Saint-Esprit et de la vie à
venir. Il tirait du ciel ses plus douces
consolations, et il aimait à contempler le
bonheur éternel réservé aux
élus. Il regardait avec délices
à la maison de son Père, dans la
douce persuasion qu'il y serait bientôt.
Son amour pour la prière continua
pendant le reste de sa vie ; il avait un grand
attachement pour ce saint privilège. Il
demeurait souvent plein d'admiration et de
ravissement à la vue du pouvoir et de la
sagesse que Dieu manifeste dans les oeuvres de la
création ; mais il aimait surtout
à méditer sur le merveilleux amour du
Rédempteur. Quand il voulait élever
son âme à Dieu, il
se plaisait à le faire
dans les champs ou dans les bois, afin que son
coeur pût être plus impressionné
par tout ce qui s'offrait à ses yeux. Il
ressentait vivement sa misère spirituelle,
et confessait ses péchés avec une
véritable douleur ; il paraît
cependant que la louange et les actions de
grâces étaient plus en harmonie avec
l'état de son âme ! Dans
quelques-unes de ses lettres, après avoir
parlé de la grâce de Dieu, il continue
à peu près ainsi :
« Le Seigneur me comble de ses
miséricordes. Oh ! louez-le à
cause de moi ! oh !
bénissez-le ! oh ! aidez-moi,
aidez-moi à le louer ! »
Jésus faisait tout son bonheur ;
aussi écrivait-il à des amis
chrétiens : « Ma communion
avec Christ est au-dessus de tous les autres
biens : Christ est ma vie et ma paix, ma
richesse et ma justice ; il est mon espoir et
ma force, mon héritage et ma joie. Je
prendrai mon plaisir en lui, je me glorifierai en
lui à toujours. En lui, je m'estime le plus
heureux, le plus riche, bien que par moi-même
je ne sois rien ; en lui je puis me vanter
sans orgueil et me glorifier sans vanité. Il
n'y a pas ici à craindre d'être trop
joyeux, et le chrétien ne peut pas trop
exalter son bonheur et sa richesse en
Christ. » Il célébrait
souvent l'amour du Sauveur, et excitait ainsi en
lui-même et chez les autres une sainte
obéissance.
Le sentiment qu'il avait de cet amour
était si élevé, qu'il
s'écriait : « Quand aurai-je
fini ? Si je laissais mon âme sortir du
sa sphère et s'élever dans ce champ
sans bornes de l'amour divin ; si toutes les
plumes qu'il y a sur la terre étaient
occupées à écrire des volumes
d'amour ; si les langues de tous les
êtres vivants ne faisaient que parler de cet
amour, si tous les coeurs en étaient
embrasés, et si toutes les facultés
et tous les sentiments de l'âme
étaient fondus dans ce seul sentiment :
tout cela serait encore infiniment trop petit pour
concevoir ou pour exprimer la grandeur de l'amour
de Christ. »
Nous ne voulons pas dans ce petit volume
nous étendre sur tous les traits de son
caractère, il suffira d'ajouter les
suivants : sa piété portait un
caractère très-remarquable ;
c'était un abandon sincère et absolu
de lui-même à Dieu par
Jésus-Christ. Dès sa jeunesse, il se
destina au ministère
évangélique, et il se mit à
étudier avec ardeur pour s'y
préparer. Dès-lors il
considéra le temps comme très
précieux : il se levait le matin
à quatre heures, et jusqu'à l'heure
du déjeuner il vaquait à la
prière, à la méditation et au
chant des psaumes ; s'il entendait des
artisans travailler avant qu'il eût
commencé ses exercices religieux il
disait : « Oh ! comme ce bruit
me couvre de honte ! mon Maître ne
mérite-t-il pas d'être servi
mieux que le
leur ? » Il répétait
souvent cette prière :
« Donne-moi cet esprit chrétien
qui regarde le temps comme plus précieux que
l'or. » Il manifestait le même
esprit dans plusieurs autres de ses expressions
favorites ; ainsi il disait en
commençant la semaine :
« Voici une nouvelle semaine,
consacrons-la à Dieu ; » et
en commençant une journée :
« Allons, que ce jour soit
consacré à Dieu, vivons bien
aujourd'hui ; si nous pouvions nous
résoudre à nous surveiller pendant un
jour plus qu'à l'ordinaire, nous vivrions
beaucoup mieux. » Il disait à un
ami : « Attachez-vous à
reconnaître la valeur du temps pendant qu'il
s'écoule, et non quand il est
irrévocablement perdu. Cherchez à
connaître le prix des choses à venir
avant qu'elles soient présentes, et le prix
des choses présentes avant qu'elles soient
passées. N'estimez que les grâces qui
peuvent servir à la gloire de Dieu et
à notre bonheur
éternel. »
D'autres fois il disait :
« Oh ! allons,
hâtons-nous ; notre Seigneur viendra
bientôt, préparons-nous à le
recevoir. S'il nous tarde d'être dans le
ciel, hâtons-nous d'accomplir notre oeuvre,
car lorsqu'elle sera faite Dieu nous appellera.
Oh ! combien ce monde est vain et
insensé ! je m'étonne que des
créatures raisonnables puissent
l'aimer : que trouvons-nous en lui qui soit
digne d'attirer nos
regards ? Je n'ai pas envie d'y rester plus
que le temps nécessaire pour exécuter
ce que mon Maître m'a donné à
faire. Après quoi adieu à la
terre ! »
En 1655, à l'âge de 21 ans M.
Alleine devint suffragant du pasteur de Taunton. Il
s'acquitta de cette oeuvre avec beaucoup
d'assiduité et de succès. En dehors
des services publics, il se montrait infatigable
dans ses efforts particuliers pour travailler au
bien de son troupeau. Il allait pour cela de maison
en maison, et ainsi cinq fois par semaine il
passait toute l'après-midi à visiter
les différentes familles de son
église. Il leur faisait savoir à
l'avance quel jour il devait venir, et, par des
conversations religieuses, appropriées a
leur état, il s'efforçait d'instruire
les ignorants, de réveiller les
indifférents, de raffermir ceux qui
étaient découragés, et
d'exciter ceux qui étaient pieux ; il
pensait que ses travaux particuliers faisaient
autant de bien que son ministère public. Mme
Alleine voyant qu'il travaillait au-delà de
ses forces, le conjura de se ménager ;
il lui répondit : « Pourquoi
Dieu m'a-t-il donné de la force, si ce n'est
pour le servir ? à quoi sert une
chandelle, si ce n'est à être
brûlée ? » Comme elle
le suppliait de passer plus de temps avec elle, il
répondit que s'il avait dix corps et dix
âmes, il les dépenserait tous à
Taunton ; et il ajoutait :
« Ah ! ma chère, je sais que
ton âme est en
sûreté ; mais combien n'y en
a-t-il pas qui périssent et qui sont
confiées à mes soins ! Oh !
que ne puis-je faire davantage pour
elles. »
Mais bientôt un nuage noir et terrible
menaça les intérêts religieux
de l'Angleterre. La faction tyrannique de Laud, qui
sous Charles 1er, s'était efforcée de
bannir la véritable piété,
pour mettre à sa place les pratiques
superstitieuses du papisme, cette faction, dis-je,
triompha sous le règne de Charles Il. Au
mois d'août 1662, le bill d'uniformité
chassa de leurs chaires plus de 2,000 consciencieux
ministres de l'Évangile. M. Wilberforce fait
observer qu'ils furent honteusement
expulsés, malgré la parole du roi,
par la plus criante injustice. Ces hommes
fidèles auraient sans doute supporté
patiemment cette persécution, s'ils avaient
pu continuer de travailler à leur oeuvre
sainte. Ceux qui voulaient le faire étaient
exposés à l'amende, à
l'emprisonnement et à être
chassés du lieu de leur
résidence ; mais ils furent soutenus
par un Ami, qui les garda jusqu'à la fin, et
qui les retira loin de tout ennemi. L'un d'eux,
pour qui le roi avait une antipathie
particulière, était dangereusement
malade à Newgate où il était
étroitement enfermé. Charles,
à qui l'on présenta une
pétition pour obtenir son relâchement,
répondit : « Jenkyn sera
prisonnier tant qu'il vivra. » Cet
homme mourut bientôt
après ; un seigneur l'ayant appris, dit
au roi : « N'en déplaise
à Votre Majesté, Jenkyn est en
liberté. - Ah ! et qui l'a
délivré ? - Un roi plus grand
que vous, le Roi des rois. » Charles
parut très-affecté et garda le
silence. Ce roi hypocrite professait le
protestantisme ; mais il était
probablement un papiste, s'il n'était pas un
incrédule. Esclave du libertinage et de la
débauche, il était aussi
dominé par des hommes méchants,
élevés en rang ou en puissance. L'un
d'eux, lord Clarendon, reçut dans ce monde
la punition de ses cruautés : un juste
jugement le dépouilla de la faveur royale et
l'envoya en exil.
Joseph Alleine fut une des nombreuses
victimes de cette persécution.
Chassé, de la chaire qu'il occupait, il
résolut de continuer son oeuvre
chérie jusqu'à ce que
l'emprisonnement ou l'exil l'arrêtât
dans ses travaux : il ne cessa pas de
prêcher et d'aller de maison en maison, et il
vendit ses biens pour être prêt
à tout événement. Il exprimait
souvent le désir de jouir de sa
liberté pendant trois mois, et Dieu
l'exauça si bien, que ce fidèle
serviteur de Christ, quoique souvent menacé,
travailla sans interruption à son oeuvre
depuis le mois d'août jusqu'au mois de mai de
l'année suivante. Il fut alors
arrêté un samedi au soir, et
accusé devant les juges d'avoir tenu une
assemblée
séditieuse, où il
n'avait pourtant rien fait que prier et
prêcher. Mais l'innocence est une faible
garantie, quand la piété est un
crime ; aussi, après lui avoir fait
subir quelques mauvais traitements, les juges
l'envoyèrent à la prison d'Ilchester.
Alleine passa le dimanche à Taunton,
gardé par un officier qui avait reçu
l'ordre de l'empêcher de prêcher. Il
reçu la visite de plusieurs de ses amis,
s'entretint et pria avec eux et les exhorta
à la persévérance, assurant
qu'il allait en prison avec joie, le coeur
consolé par la confiance que Dieu tirerait
sa gloire de toutes ses épreuves.
Comme on l'avait empêché de
prêcher pendant le jour, il invita ses amis
à venir le trouver pendant la nuit. Il
réunit ainsi plusieurs centaines de
personnes, et passa avec elles environ trois heures
dans des exercices religieux.
Le lundi matin il partit pour Ilchester,
accompagné de deux où trois amis,
après avoir donné sa parole qu'il se
rendrait en prison. Les rues de Taunton
étaient pleines de gens dont plusieurs le
suivirent pendant quelques milles en faisant
entendre d'amères lamentations. Cette
scène émut tellement Alleine, qu'il
eut de la peine à la supporter. Quand il
arriva à Ilchester, il ne trouva pas le
geôlier chez lui ; aussi saisit-il cette
occasion de prêcher encore une fois avant
d'entrer en prison.
Là, il fut enfermé avec six
autres ministres et cinquante quakers. Ces
ministres et lui prêchaient une ou deux fois
par jour ; et il y avait des gens qui
faisaient jusqu'à huit ou dix milles pour
venir les entendre.
Au mois de juillet, Alleine fut conduit
devant le tribunal ; le grand jury rejeta
l'accusation, cependant il ne fut pas
relâché. Au mois d'août, on le
remit en accusation pour le même motif.
Cette fois, le jury porta un bill contre lui
et instruisit le procès. L'acte d'accusation
portait que le « 17 mai 1663, lui et
vingt autres personnes inconnues aux jurés
s'étaient réunis d'une
manières tumultueuse, bruyante,
séditieuse et contraire à la paix du
roi. » Alleine répondit qu'il
était coupable d'avoir prié et
prêché, et qu'il regardait cela comme
son devoir, mais qu'il abhorrait les
assemblées séditieuses et qu'il n'en
avait point tenu.
Cependant, le jury le condamna à
payer une amende de cent marcs ( 1,663 fr.) et
à rester en prison jusqu'à ce qu'il
l'eût payée. Il répondit qu'il
était content d'avoir comparu devant ses
concitoyens; que, malgré toutes les
accusations portées contre lui, il
n'était coupable que d'avoir fait son
devoir; et qu'au fond, tout ce qui résultait
clairement des débats, c'est qu'il avait
chanté un psaume et instruit sa famille dans
sa propre maison, en
présence de quelques autres personnes. Il
ajouta que, pour une si bonne cause, il recevrait
avec joie toutes les sentences de condamnation que
l'on pourrait prononcer contre lui. Il fut
renvoyé dans sa prison.
L'hiver suivant, ses compagnons de
souffrances et lui furent transportés dans
un lieu plus convenable, et le peuple y vint par
centaines pour entendre la parole de Dieu. Les
juges furieux menacèrent Alleine de l'exil,
mais leurs menaces ne furent pas mises à
exécution. Il fut à la fin
relâché ; mais il tomba
bientôt malade. Quand sa santé fut en
quelque sorte rétablie, il se remit à
travailler à l'avancement du règne de
Dieu. Aussitôt il fut arrêté
dans son oeuvre par un second emprisonnement qui
acheva de ruiner son tempérament. Quand on
le relâcha pour la seconde fois, il
n'était plus capable de travailler avec
activité : ses forces étaient
épuisées, sa santé
détruite et son corps brisé par tant
de souffrances et de travaux. Pendant ce temps
d'épreuves, il disait quelquefois à
Mme Alleine : « Si nous n'avons pas
autant de domestiques que les grands de la terre,
nous avons les anges de Dieu pour nous servir et
pour veiller sur nous en tout temps, afin de nous
garantir de la fureur des hommes et des
démons. » Il languit plus d'une
année après son élargissement;
pendant ce temps il dut glorifier son
Maître, en montrant aux
hommes comment il faut marcher à la
rencontre de la mort. Au milieu de toutes ses
souffrances, il jouissait de la paix
intérieure ; il disait qu'une seule
chose était pour lui une épreuve,
c'était de ne pouvoir travailler à
son oeuvre et d'être cependant retenu loin du
ciel. Il ne ressentait pas ces joies ravissantes
qui sont le partage de quelques-uns, mais son coeur
et son âme goûtaient une douce
sérénité. Sa confiance en
Dieu, fondée sur l'Évangile, lui
donnait la certitude qu'il serait heureux pendant
toute l'éternité.
Alleine avait entièrement perdu,
pendant sa maladie, l'usage de ses membres ;
il ne pouvait pas même remuer le doigt. On
lui demandait un jour comment il pouvait se trouver
heureux dans cet état ; il
répondit : « Quoi ! Dieu
est mon père, Jésus-Christ est mon
sauveur, le Saint-Esprit est mon ami, mon
consolateur et mon soutien, le ciel est mon
héritage, et je ne serais pas content, bien
que je sois privé de la santé et de
l'usage de mes membres ! Par la grâce de
Dieu, je suis pleinement satisfait du bon plaisir
de mon Père. »
Il dit à une autre personne qui lui
faisait la même question :
« J'ai choisi Dieu pour mon partage, et
il m'appartient ; je sais en qui je me suis
confié. Je serais déraisonnable et
méchant si je n'étais pas satisfait
d'avoir Dieu pour moi, quand
même je n'aurais rien de
plus. Mon amour pour lui fait toute ma
joie. »
Il disait un jour à quelques amis
chrétiens qui le visitaient :
« Voyez combien je suis faible, et il y a
plusieurs semaines que je suis dans cet
état ; mais Dieu a été
avec moi, et j'espère qu'il a
été aussi avec vous. Je vous ai fait
demander plusieurs fois le secours de vos
prières : que le Seigneur les fasse
retomber sur vous ! Mes chers amis, la vie est
à moi, la mort est à moi ; cet
Évangile que je vous ai prêché
contient tout mon salut, tout ce que je
désire. Ses promesses m'ont rendu la vie
douce, et j'espère que, par la grâce
de Dieu, elles me soutiendront au moment de la
mort. Les promesses de Dieu sont
éternelles ; Dieu nous fortifiera par
elles au jour de l'affliction. Je sens le pouvoir
des doctrines que je vous ai prêchées.
C'est une honte pour un fidèle de se laisse
abattre par les épreuves, lui qui
possède tant de glorieux
privilèges : la justification,
l'adoption, la sanctification et la gloire
éternelle. Oh ! vivez comme de vrais
chrétiens. Foulez le monde sous vos pieds,
ne vous laissez pas surprendre par ses
séductions ni troubler par sa haine ;
vous en serez bientôt
délivrés. » Il pria avec
eux et leur dit ensuite : « Adieu,
adieu, mes chers amis, rappelez-moi à tous
les habitants de Taunton. Je vous en
conjure, gardez ce que je
vous ai
prêché, et que le Seigneur ait soin de
vous après mon départ. Oh !
faites en sorte que mes travaux et mes souffrances,
ma santé ruinée, mon corps
brisé, ne s'élèvent pas contre
vous au grand jour du
Seigneur ! »
Une autre fois il dit à quelques
membres de son ancien troupeau qui étaient
venus le voir - « Conduisez-vous d'une
manière conforme à l'esprit de
l'Évangile ; vivez comme je vous y ai
exhortés. - Regardez-moi, je ne puis remuer
un seul doigt, et c'est pour Christ et pour vous
que je me suis ainsi dépensé. - Nous
trouverons au dernier jour, à la gauche de
Christ, beaucoup de chrétiens de nom qui
savent bien prier et bien parler. - Chacun de vous
a un état, un rang, une famille : que
ces choses ne vous dominent pas, mais donnez-vous
à Dieu. Pour l'amour de Dieu,
méfiez-vous du monde, des soucis du monde,
des plaisirs du monde, des amis du
monde. »
Ayant appris qu'on voulait le mettre encore
en prison, il leva les yeux au ciel, et, d'un air
joyeux, il rendit grâces à Pieu en
disant : « Béni soit le Seigneur ! Je
donnerai maintenant deux vies pour Christ : l'une
en travaillant, l'autre en souffrant pour lui. Mon
corps a été détruit par mes
travaux, et maintenant que je ne puis plus rien
faire, je souffrirai pour l'amour
de lui. Je bénis le Seigneur de ce que je ne
regarde pas au bonheur de ce monde. Je pardonne
à mes ennemis de tout mon
coeur. »
Il demeura quelque temps dans l'attente
continuelle de la mort. Chaque soir, il prenait
congé de sa famille, observant qu'il pouvait
mourir dans la nuit. Le matin, il avait coutume de
dire : « Nous avons encore un jour,
un jour de plus à consacrer à
Dieu ; vivons bien aujourd'hui, car nous
n'avons que peu de temps à
vivre. »
Un jour que, le voyant plus mal,
quelques-uns de ses amis pleuraient autour de lui,
il leur dit : « Ne pleurez pas sur
moi, mon oeuvre est finie. » Sa maladie
parut céder un peu ; il alla à
Bath ; et là, malgré sa
faiblesse, il s'efforça de travailler
à l'avancement du règne de Dieu, en
instruisant des enfants, en distribuant des
écrits religieux, et en allant
lui-même dans les maisons des gens pauvres et
pieux, pour les secourir, s'entretenir et prier
avec eux.
Mais bientôt sa maladie reprit un
caractère alarmant. Il avertit ses amis
qu'il ne lui restait que peu de temps à
vivre. Quelques jours avant sa mort, il pria avec
beaucoup d'affection pour sa femme qui était
présente, et il lui dit ensuite ;
« Maintenant, ma chère amie, ma
compagne dans toutes mes
épreuves et dans toutes mes tribulations, je
te remercie de toutes les peines que tu as prises
pour moi. » Après avoir
parlé des lieux où ils
s'étaient trouvés dans leurs jours
d'affliction, il pria pour elle avec beaucoup de
ferveur, suppliant le Très-Haut de la
récompenser, de la remplir de toutes sortes
de consolations et de grâces, et de la
soutenir à travers toutes les
épreuves de la vie.
L'heure de son délogement approchait.
Il fut saisi de terribles convulsions qui
durèrent presque continuellement pendant
deux jours et deux nuits ; mais les
prières qui furent adressées à
Dieu pour l'adoucissement de ses souffrances furent
exaucées, et il put encore s'entretenir avec
ses amis affligés :
« Oh ! leur dit-il, comme le ciel
doit être doux ! » Il regarda
ses mains, et dit : « Cela sera
changé ; ce corps vil sera rendu
semblable au corps glorieux de Christ. Oh !
quel beau jour que le jour de la
résurrection ! il me semble que je le
vois par la foi. Oh ! comme les saints
lèveront la tête et se
réjouiront ! »
Sa course était terminée, et
son Maître l'appela dans son repos. Ce
fidèle chrétien est allé dans
le lieu où son soleil ne se couchera plus
et où Dieu lui sera une lumière
perpétuelle
(Esaïe, LX, 20).
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