LE VRAI BONHEUR
JOHN LAMBERT (1538).
Nous avons vu dans les récits
précédents comment les païens
persécutèrent les premiers disciples
du Fils de Dieu. Ils exercèrent ainsi leur
rage contre d'immenses multitudes, pendant dix
persécutions successives. Enfin le paganisme
tomba, mais il ne tarda pas à se reproduire
sous une autre forme
(1) :
la
papauté commença à combattre
l'Eglise de Dieu ; elle est
représentée dans l'Apocalypse comme
enivrée du sang des saints et du sang des
martyrs de Jésus
(Apoc., XVII, 6). Sa cruauté
égala, si même elle ne la surpassa,
celle des païens les plus acharnés.
Rome a produit des millions de Bonner, et si elle
pouvait encore persécuter, elle en
produirait encore des millions.
Le langage d'une fausse tolérance voudrait
nous la représenter comme innocente mais son
innocence est comme celle d'un volcan dans les
intervalles des éruptions.
« Il est impossible, dit Thomas
Scott, de savoir le nombre de ceux qui ont
été mis à mort à cause
de leur attachement à l'Évangile et
de leur opposition à l'Eglise de Rome. En
France un million de pauvres Vaudois furent
sacrifiés ; neuf cent mille
chrétiens périrent en moins de trente
ans après l'institution des
jésuites : le duc d'Albe se vantait
d'en avoir fait mourir trente-six mille, dans les
Pays-Bas, par la main du bourreau. Dans l'espace de
trente ans, l'inquisition en détruisit cent
cinquante mille par toutes sortes de tortures.
L'histoire nous a laissé une infinité
d'autres exemples de la cruauté de
Rome ; mais la totalité ne sera connue
qu'au jour où la terre découvrira
le sang qu'elle aura reçu, et ne couvrira
plus ceux qu'on a mis à mort (Scott, sur
l'Apocalypse, XIIl, 7.
Es.,
XXVI, 21). »
On peut y ajouter le massacre de la
Saint-Barthélemy, où cent mille
protestants furent égorgés en peu de
jours. À l'ouïe de cette nouvelle, le
pape avec tous ses cardinaux fit
célébrer un jubilé ; il
se rendit à l'église pour remercier
Dieu d'une si grande bénédiction.
Plus tard, sous le règne de Charles 1er,
deux cent mille protestants
périrent en Irlande par toutes sortes de
supplices.
Le lecteur sera sans doute charmé de
connaître quelques détails sur deux
des innombrables victimes de l'Eglise
romaine : il y verra combien la religion est
précieuse, et quel secours l'Évangile
procure aux fidèles.
John Lambert naquit à Norfolk ;
il fit ses études à
l'université de Cambridge, et devint pasteur
des négociants anglais à Anvers.
Là, les intrigues du papisme le firent
arrêter et envoyer à Londres vers
1532. Cité devant l'archevêque Warham,
il fut jeté, en prison et n'en sortit
qu'à la mort de ce prélat.
En 1538, par les machinations de
l'infâme Étienne Gardiner,
évêque de Winchester, il fut
appelé à comparaître en
présence de Henri VIII, et après un
procès inique il fut condamné
à périr dans les flammes.
Au jour fixé pour l'exécution,
il fut tiré de prison et conduit dans une
chambre particulière de la maison de lord
Cromwell, où celui-ci lui demanda pardon
pour tout ce qu'il lui avait fait. À mesure
que l'heure de sa mort approchait, il se sentait
réjoui et fortifié dans son
âme. Après qu'il eut
déjeuné avec les seigneurs qui se
trouvaient là, il fut mené à
Smithfield, lieu de
l'exécution, où il
fut traité de la manière la plus
cruelle. Quand ses jambes furent
brûlées jusqu'au tronc, ses bourreaux
enlevèrent une partie du feu : ensuite
deux d'entre eux lui enfoncèrent leurs
hallebardes dans les côtés, et le
soulevèrent aussi haut que la chaîne
le permettait. Au milieu de ses souffrances, le
saint martyr levait vers le ciel ses mains à
moitié consumées, et ne cessait de
dire : Rien que Christ ! rien que
Christ ! Les bourreaux le
laissèrent tomber dans le feu, et son
âme s'envola dans la joie de son Seigneur.
ANNE
ASKEW (1546).
Sir William Askew, de Kelsay, dans le
comté de Lincoln, eut plusieurs filles. La
seconde, nommée Anne, avait reçu une
bonne éducation ; ce qui, joint
à un extérieur agréable et
à une intelligence développée,
la rendait très-propre a être à
la tête d'une maison. Mais son père,
sans consulter son bonheur, la contraignit
d'épouser un gentilhomme qui n'avait d'autre
titre à son choix que sa fortune.
C'était de plus un papiste des plus
fanatiques, à tel point que dès qu'il
eut reconnu le penchant de sa femme pour les
doctrines de la Réformation, il la chassa de
sa maison, bien qu'elle lui eût donné
deux enfants et que sa conduite fût
irréprochable. Abandonnée de son
mari, elle se rendit à
Londres pour solliciter un divorce, et se faire
connaître à cette partie de la cour
qui professait ou favorisait le protestantisme.
Mais, a cette époque, Henri VIll venait de
faire rendre par le parlement le bill des six
articles, communément appelé,
les statuts de sang. Anne, trahie par son
époux, fut mise en prison, interrogée
et examinée au sujet de sa foi. L'acte dont
nous venons de parler condamnait à mort tous
ceux qui nieraient la doctrine de la
transsubstantiation, c'est-à-dire tous ceux
qui soutiendraient que le pain et le vin dans la
sainte Cène ne sont pas, après la
consécration, la véritable substance
du corps et du sang de Christ ; ce bill
ordonnait encore de reconnaître la communion
sous une seule espèce, l'obligation de
garder le voeu de chasteté, le
célibat des ecclésiastiques,
l'utilité des messes privées, et
enfin la nécessité de la confession
auriculaire.
Anne fut interrogée par un certain
inquisiteur nommé Christophe Dare. Celui-ci
lui demanda si elle croyait que dans la sainte
Cène le pain fût réellement le
corps de Christ ? Elle refusa de
répondre. Il l'accusa ensuite d'avoir
publié que Dieu n'habite pas dans les
temples faits par la main des hommes, et d'avoir
dit qu'elle aimerait mieux lire cinq lignes dans la
Bible que d'entendre une messe. Elle s'en rapporta
pour la première question
au
XVIIe chapitre des Actes des
Apôtres ; et pour la seconde, elle
répondit qu'elle cherchait à cet
égard son édification. Elle fut
ensuite interrogée par le lord-maire de
Londres et le chancelier de
l'évêque ; après avoir
resté quelque temps en prison, elle subit un
interrogatoire devant Bonner, et fut enfin
délivrée, sous caution, grâces
aux sollicitations de ses amis.
Quelque temps après, elle fut de
nouveau saisie et traînée devant le
conseil du roi. Le lord chancelier lui demanda son
opinion sur la sainte Cène ; elle
répondit que, toutes les fois qu'elle
recevait le pain en commémoration de la mort
de Christ, elle croyait participer aux fruits de sa
glorieuse passion. L'évêque de
Winchester lui ordonna de s'expliquer plus
clairement. Elle répondit qu'elle ne voulait
pas chanter les cantiques de l'Éternel
sur la terre étrangère
(Ps.
CXXXVII, 4).
L'évêque lui dit qu'elle était
un perroquet. Le lendemain, on lui demanda encore
ce qu'elle pensait sur la sainte Cène ;
elle répondit qu'elle avait dit tout ce
qu'elle devait dire. Gardiner et quelques autres
voulurent lui faire avouer que dans la sainte
Cène il y a la chair, le sang et les os de
Jésus-Christ ; elle leur dit que
c'était une grande honte pour eux de
chercher à lui faire dire une chose
contraire à leur propre conviction.
Après beaucoup d'autres
disputes, ils la
renvoyèrent dans sa prison. Le dimanche
suivant, elle se trouva très-malade, et se
croyant près de mourir, elle demanda
à parler à M. Latimer ; mais,
loin de lui accorder cette légère
faveur, on la transféra à Newgate,
malgré sa maladie.
On la fit comparaître devant le
tribunal de Guild-Hall ; là on lui
ordonna de se rétracter si elle ne voulait
pas être condamnée comme
hérétique ; elle répliqua
qu'elle n'était pas une
hérétique. On lui demanda si elle
niait que le corps et le sang de Christ fussent
réellement dans le pain et le vin de la
sainte Cène ; elle
répondit : « Oui, car Christ
qui est né, d'une vierge est maintenant dans
le ciel, et n'en descendra qu'au dernier jour.
Aussi, ajouta-t-elle, ce que vous appelez votre
Dieu n'est-il qu'un morceau de pain qui sera
bientôt réduit en
poussière. » On voulut la faire
confesser à un prêtre ; elle
répondit qu'elle confesserait ses
péchés à Dieu, et qu'elle
était sûre qu'il l'écouterait
avec bienveillance. Là-dessus elle fut
condamnée.
Bientôt après, on la fit
comparaître devant Bonner, qui
s'efforça en vain de lui faire renier son
Dieu. Un apostat, Nicolas Shaxton, voulut l'engager
à abjurer ; elle lui répondit
qu'il eût mieux valu pour lui de n'être
jamais né. Elle fut alors
envoyée à la Tour de Londres. On la
soupçonnait fortement d'être
protégée par quelque dame de haut
rang et d'entretenir une correspondance religieuse
avec la reine ; aussi le chancelier
Wriothesley la fit mettre à la torture dans
l'espoir de découvrir quelque chose contre
cette princesse ou contre le comte et la comtesse
d'Hertford qui tous favorisaient la Réforme.
Anne Askew fut descendue dans un affreux cachot et
placée sur l'infernal chevalet ; mais
son courage dans les souffrances et sa
résolution de ne pas trahir ses amis furent
à l'épreuve de cette invention
diabolique. On ne put lui arracher aucun soupir,
aucune parole ; après qu'on lui eut
fait endurer ces horribles tourments, le lieutenant
de la Tour voulait les faire cesser, et comme le
chancelier lui ordonnait de continuer, il refusa
à cause de la faiblesse de la patiente. Le
chancelier le menaça de dénoncer sa
conduite au roi, et quittant sa robe, il se mit
lui-même à torturer plus violemment
encore cette jeune femme, jusqu'à ce que ses
os fussent disloqués ; mais elle,
tranquille et patiente, priait Dieu, et trouvait en
lui la force de supporter ces horribles tourments.
Quand on l'enleva du chevalet, elle tomba en
défaillance ; mais ayant bientôt
repris ses sens, elle resta environ deux heures
couchée sur le sol nu et occupée
à discuter avec le chancelier qui lui
conseillait de renoncer à
sa foi ; elle lui répondit :
« Le Seigneur mon Dieu, et je le remercie
de sa bonté inépuisable, m'a fait la
grâce de persévérer, et
j'espère qu'il me donnera de
persévérer jusqu'à la
fin. » Elle fut renvoyée à
Newgate et condamnée à être
brûlée. Elle écrivit sa
confession de foi, et la termina par la
prière suivante :
« Seigneur, mes ennemis sont plus
nombreux que les cheveux de ma tête ;
toutefois, ne les laisse pas triompher de moi par
de vaines paroles, mais plutôt, Seigneur,
combats à ma place, car c'est en toi que je
me confie. Avec toute la méchanceté
possible ils tombent sur moi, ta pauvre
créature ; cependant, mon doux
Seigneur, ne me laisse pas vaincre par mes ennemis,
car en toi seul est tout mon espoir. Je te prie
aussi avec ardeur de vouloir bien dans ta
bonté miséricordieuse leur pardonner
les violences qu'ils exercent contre moi.
Éclaire toi-même leurs coeurs
aveuglés, afin qu'ils puissent
désormais agir comme sous les yeux, et
qu'ils manifestent ta vérité sans la
mêler aux vaines imaginations de l'homme
pécheur. Ainsi soit-il, ô
seigneur !
O ainsi soit-il. »
Le jour de son exécution on l'amena
à Smithfield dans une chaise à
porteurs ; car ses os étaient tellement
disloqués qu'elle ne pouvait marcher.
Quand elle eut été
enchaînée à un poteau, on lui
présenta des lettres du lord chancelier, qui
lui offrait le pardon du roi si elle voulait se
rétracter ; mais elle refusa même
de les regarder, disant qu'elle n'était pas
venue là pour renier son Seigneur et son
Maître. On présenta ces mêmes
lettres à trois autres personnes qui
étaient condamnées au même
supplice, et qui, animées par son exemple,
refusèrent également de les accepter.
Là-dessus, le lord maire commanda d'allumer
le feu, et s'écria dans sa sauvage
ignorance : FIAT JUSTITIA ! (que la
justice ait son cours !). Quand le
bûcher fut allumé, Anne avec le plus
grand calme, remit son âme entre les mains de
son Créateur, et, suivant l'exemple du grand
fondateur de sa religion, elle expira en priant
pour ses bourreaux, le 16 juillet 1546, à
l'âge de 25 ans.
« Je ne sais, dit un
écrivain distingué, si, tout bien
considéré, il y a dans l'histoire un
exemple plus remarquable que celui d'Anne Askew.
Elle sacrifia ses propres inclinations à la
volonté de son père ; elle se
conduisit avec prudence et respect à
l'égard d'un époux indigne de ses
affections ; elle garda les secrets de ses
amis, même au milieu des plus affreuses
tortures. Si nous considérons son âge
et son sexe, sa constance au milieu des tourments
nous paraîtra
égale, sinon supérieure, à
tout ce qu'on peut rapporter. Sa
piété était simple et sans
affectation ; elle en donna la preuve la plus
frappante en souffrant le martyre pour sa religion
et pour la liberté de sa
conscience. »
PAROLES
D'UN
CHRÉTIEN À LA FIN DE SA VIE
(1650).
Un de ces hommes pieux dont Dieu se servit pour
cultiver et arroser les églises de la
Nouvelle-Angleterre, rapporte l'anecdote suivante a
l'occasion de ces paroles du Psalmiste :
« Je remets mon esprit en ta main
(Ps. XXXI, 6). »
« Je ne puis mieux vous indiquer
la disposition d'esprit nécessaire pour
prononcer ces mots avec sincérité,
qu'en vous citant les paroles d'un ancien et
fidèle serviteur de Christ. Quand je pris
congé de lui, il me dit :
« Monsieur j'attends la mort tous les
jours ; mais je désire mourir comme le
brigand, en criant miséricorde à
Jésus crucifié. Je ne suis rien, je
n'ai rien, je ne puis rien de bon ; ma foi,
mon espérance et mes regards sont
dirigés vers Jésus sur la croix. Je
lui apporte une indignité pareille à
celle du brigand, et je n'ai rien de plus pour me
justifier. Comme le pauvre brigand crucifié
à son côté, j'attends par la
grâce infinie de mon Seigneur d'être
reçu dans son royaume. Saint Paul vers la
fin de sa vie ne voulait-il pas
dire quelque chose de semblable, lorsqu'il
s'écriait : Je suis crucifié
avec Christ ! »
Ce digne chrétien était du
nombre de ceux qui se réfugièrent
dans les déserts de l'Amérique, pour
marcher devant Dieu en toute liberté.
L'Angleterre les repoussa de ses rives :
l'Amérique les reçut pendant les
quelques années de leur
pèlerinage ; mais le ciel est
maintenant le lieu de leur repos.
JOHN
JANEWAY
(1657).
Le récit que nous allons rapporter nous
fournit un des exemples les plus
réjouissants du pouvoir de la
piété à l'heure de la
mort.
John Janeway naquit dans le comté
d'Hertford de parents très-pieux. Il parait
qu'avant d'avoir une vraie connaissance de la
religion, il possédait plusieurs
qualités aimables. Il fit de grands
progrès dans les diverses branches de la
littérature, et à l'âge de
dix-sept ans, il fut reçu au collège
royal de Cambridge. Un an après, Dieu lui
fit connaître, dans sa grande
miséricorde, les choses qui appartiennent
à la vie éternelle. Le changement de
son coeur parait s'être accompli par
degrés ; les entretiens d'un jeune
homme du même collège servirent
d'instrument à sa conversion. Ses vues
changèrent à l'égard de
quelques-unes de ses
études favorites. L'astronomie ne lui parut
plus qu'une taupinière à
côté des glorieux objets que
découvre l'Évangile. Il plaignit ceux
qui s'enquièrent de tout, excepté de
la seule chose nécessaire, et il regarda
toutes choses comme une perte à
côté de Christ et de Christ
crucifié. Depuis cette époque
jusqu'à la fin de sa vie, l'influence d'une
profonde piété se manifesta en
lui ; la paix et le contentement de son
âme se reflétaient sur son visage, et
ses affections étaient tournées vers
les choses qui sont en haut.
Il se réjouissait beaucoup des
consolations de la grâce divine ; aussi
souhaitait-il ardemment que les autres eussent part
aux mêmes biens. Animé de ce
désir, il écrivit à plusieurs
de ses amis des lettres affectueuses dans
lesquelles il leur recommandait leurs
intérêts éternels et les
adressait à Christ, le refuge des
pécheurs. Par ses prières et par ses
larmes, il implorait la bénédiction
divine sur ses efforts pour amener les âmes
à la source de toute joie parfaite. Dans ses
conversations particulières, il poursuivait
toujours le même objet, et ses efforts furent
couronnés de succès auprès de
sa famille. Il montrait dans sa conduite l'aimable
nature de la véritable piété,
et pendant qu'il prêchait ainsi
l'Évangile, il faisait ses délices de
la prière et de la communion avec Dieu.
Il avait coutume de se retirer à part
tous les jours pendant quelques moments pour se
livrer à la méditation. Cette
pratique est particulièrement
recommandée dans le Repos éternel
des Saints, de Baxter, ouvrage qu'il estimait
beaucoup. Un des amis de John Janeway eut le
bonheur de le voir, à son insu, dans un de
ses instants de recueillement, et ce qu'il en a
raconté mérite d'être
rapporté ici : « Oh ! de
quel doux spectacle j'ai été
témoin ! dit-il. Certainement, c'est un
homme qui marche avec Dieu, qui converse intimement
avec son Créateur, et qui entretient une
douce communion avec le grand Jéhovah !
Il me semblait le voir parler avec Dieu !
Oh ! quel spectacle sublime ! il est
encore devant mes yeux. Quelle douce
sérénité brillait sur son
visage ! Comme tout en lui respirait l'amour
pendant qu'il marchait : ses lèvres
s'agitaient, son corps se redressait comme pour
prendre son élan vers les cieux ; son
regard, son sourire, tous ses mouvements disaient
qu'il touchait à la gloire céleste.
Oh ! si l'on avait seulement connu ce qui
nourrissait son âme ! Assurément,
il avait à manger d'une viande que le monde
ne connaît point
(Jean,
IV, 32). »
Son coeur, plein d'amour pour les âmes
des hommes, s'affligeait beaucoup de ce que les
chrétiens dans leurs conversations ne
songent pas davantage à
leur bien-être spirituel. Un jour, il
sténographia en silence la conversation de
quelques personnes qui professaient un attachement
particulier pour la religion ; ensuite il leur
fit part de ce qu'il avait écrit, leur
demandant si de tels entretiens étaient de
ceux dont elles désiraient que Dieu se
souvînt : « Oh ! dit-il,
passer une ou deux heures ensemble sans avoir un
seul mot pour Christ ou pour s'exhorter à la
piété ? Où est notre
amour pour Pieu ; où sont nos
âmes pendant ce temps-là ?
Où est en nous le sentiment du prix
inestimable du temps et de la grandeur de notre
vocation ? Parlerions-nous ainsi, si nous
croyions que nos paroles seront
répétées au jour du
jugement ? Et ne savons-nous pas que nous
devons rendre compte de chaque parole
inutile ? Les hommes d'autrefois se
seraient-ils entretenus sur un pareil sujet ?
Énoch, David ou Paul auraient-ils ainsi
parlé ? Est-ce là la douce
communion des saints sur la terre ? Comment
passerons-nous l'éternité à
célébrer les louanges de Dieu, si
nous ne pouvons en parler pendant une heure ?
Cela ne dit-il pas hautement que nos coeurs sont
bien vides de grâce, et que nous avons bien
peu le sentiment de nos intérêts
spirituels et
éternels ? »
Il marchait humblement avec Dieu, soutenu
par la grâce divine, et il sentait vivement
la gloire qui l'attendait
au-delà du tombeau ; au milieu de
toutes les jouissances terrestres, il
désirait ardemment la venue du jour du
Seigneur, et son visage exprimait la joie
dès qu'on lui parlait de cette époque
solennelle.
Il avait environ vingt-deux ans, quand les
symptômes d'une dangereuse consomption se
manifestèrent chez lui. Il est impossible de
décrire l'état triomphant de son
âme, pendant presque tout le temps de sa
dernière maladie. Son coeur était
rempli d'une joie inexprimable et glorieuse. Il
disait souvent : « Oh ! si je
pouvais vous faire connaître tout ce que je
sens, si je pouvais vous montrer ce que je vois, si
je pouvais vous exprimer la millième partie
de cette douceur que je trouve maintenant en
Christ, vous penseriez tous que la
piété est bien digne de votre
attention. Oh ! mes chers amis, nous pensons
peu à ce que vaut Christ sur un lit de mort.
Je ne voudrais pas pour un monde, même pour
un million de mondes, être maintenant sans
Christ et sans pardon ! Je ne voudrais pas
pour un monde vivre plus longtemps. Je tremble
même à la seule pensée de
pouvoir. me rétablir. »
Il dit à une personne qui lui parlait
de guérison : « Pensez-vous
me faire plaisir ! Non, mon ami ; vous
vous trompez, si vous croyez que les pensées
de la vie, de la santé et du monde me
causent de la
joie : le
monde a complètement perdu sa valeur
à mes yeux. Oh ! qu'il est pauvre et
méprisable dans toute sa gloire, à
côté de ce monde invisible où
je vais vivre ! Au reste, Christ est ma vie,
ma santé et ma force, et je sais que j'aurai
une autre vie quand je quitterai celle-ci. Vous me
feriez incomparablement plus de plaisir si vous me
disiez : Il est très-probable que vous
ne pouvez rester plus longtemps ; d'ici
à demain vous serez dans
l'éternité. - Il me tarde tellement
d'être avec Christ, que, pour aller
plutôt à lui, je souffrirais
volontiers les tourments les plus affreux.
Oh ! que Jésus est doux ! Viens,
Seigneur Jésus, viens bientôt !
Mort, exerce toute ta rage. La mort a perdu pour
moi ses épouvantements ; la mort, ce
n'est rien, ce n'est rien pour moi, par la
grâce de mon Dieu. Il m'est aussi facile de
mourir que de fermer les yeux, pencher la
tête et m'endormir. Il me tarde de
déloger ! Il me tarde d'être avec
Christ. »
Un jour que ses frères se trouvaient
dans sa chambre avec sa mère, il supplia
celle-ci de ne pas chercher, par ses
prières, à retarder l'heure de son
départ pour le repos éternel ;
puis, se tournant vers ses frères qui
étaient aussi près de lui, il leur
dit : « Je vous le demande à
tous, ne priez plus pour ma vie ; vous me
feriez de la peine. Oh !
quelle gloire que la gloire ineffable que je
contemple ! Mon coeur est plein, Christ me
sourit, et je ne puis que lui sourire. Comment
pouvez-vous penser à m'arrêter, moi
qui vais dans la joie complète et
éternelle de Christ ? Voudriez-vous me
retenir loin de ma couronne ? Les bras de mon
Sauteur bien-aimé sont ouverts pour me
recevoir ; les anges sont prêts à
porter mon âme dans son sein. Oh ! si
vous contempliez ce que je contemple, vous vous
écrieriez tous avec moi : Viens,
Seigneur Jésus, viens bientôt !
Oh ! pourquoi les roues de ton char sont-elles
si lentes ? »
Un ministre pieux lui présentait un
jour quelques réflexions sur l'excellence du
Sauveur et la gloire du monde invisible ;
Janeway lui répondit :
Oui, Monsieur, je sens quelque chose de
cela, mon coeur est aussi plein qu'il peut
l'être sur cette terre ; je ne puis pas
tenir ici plus longtemps. Oh ! si je pouvais
seulement vous faire connaître ce que je
sens ! »
Il approchait de la fin de sa course et son
âme était habituellement remplie de
joie : son bonheur avait pourtant quelques
courts intervalles, alors il disait :
« Persévérez ma foi et ma
patience ; encore un peu de temps, et votre
oeuvre sera finie. »
Il avait coutume de prendre chaque soir
congé de ses amis dans l'espérance de
ne les revoir qu'au matin de la
résurrection ; il désirait
qu'ils eussent l'assurance de le rencontrer un jour
dans un monde meilleur ; et s'il voyait
pleurer quelqu'un d'entre eux, il le priait de se
réjouir plutôt que de s'affliger
à cause de lui.
Peu de temps avant sa mort, un de ses
frères, en priant avec lui, demandait
à Dieu de lui continuer le bonheur dont il
jouissait, en sorte qu'il pût passer ainsi
d'un ciel dans un autre, et d'une joie imparfaite
dans la gloire éternelle. En ce moment
l'âme de Janeway déborda de joie et
d'amour. Il éclata en exclamations telles
que celles-ci : « Oh ! il est
venu ! il est venu ! Qu'il est glorieux
ce Sauveur béni ! Comment pourrais-je
célébrer la millième partie de
ses louanges Quels mots peuvent donner une faible
idée de son excellence ! Elle est
inexprimable ! - Oh ! mes amis, venez
voir un mourant, et admirez - moi-même je ne
puis qu'admirer. Y eut-il jamais une plus grande
bonté ? Y eut-il jamais de telles
manifestations de la grâce divine ? Et
pourquoi moi, Seigneur, pourquoi moi ?
Certainement cela touche au ciel ! Et si mes
joies devaient finir là, elles
compenseraient bien tous les tourments que l'homme
ou les démons pourraient inventer pour y
arriver même à travers un enfer. Si
c'est là mourir, mourir est bien doux. Que
les vrais chrétiens ne
craignent plus de mourir. Oh ! la mort est une
chose bien douce, ce lit est bien doux pour
moi ; les sourires et la présence de
Christ changeraient l'enfer en ciel ;
oh ! si vous pouviez voir et sentir ce que je
vois et ce que je sens ! Venez contempler un
mourant, et dites si vous avez jamais vu un homme
en pleine santé jouir d'autant de bonheur,
même au milieu de ses plaisirs les plus vifs.
Oh ! oui, les plaisirs du monde sont pauvres,
tristes, dignes de pitié, à
côté d'un éclair de cette
gloire qui brille si vivement dans mon
âme ! Oh ! pourquoi quelques-uns
d'entre vous seraient-ils si tristes, lorsque je
suis si joyeux ! Voici, voici l'heure que j'ai
longtemps attendue. »
Comme la joie était son partage, la
louange était son plaisir. Quand des
ministres ou des chrétiens venaient le voir,
il les priait d'employer à glorifier Dieu
tout le temps qu'ils passaient avec lui :
« Oh ! disait-il, aidez-moi à
louer Dieu. Dès à présent et
pendant toute l'éternité, je n'ai pas
autre chose à faire qu'à aimer et
qu'à louer Dieu. J'ai ce que mon âme
désire sur la terre. Je ne pourrais prier
que pour ce qui m'a été donné
avec tant de miséricorde. Je n'ai besoin que
d'une chose, et c'est d'arriver promptement au
ciel. Je n'attends plus rien ici : je n'y puis
plus rien désirer, je n'y puis plus rien
supporter. Oh ! louez, louez, louez
cet amour infini et sans
bornes
qui a miraculeusement regardé à mon
âme, et qui a fait plus pour moi que pour des
milliers de ses enfants. Mon âme,
bénis l'Éternel, et que tout ce qui
est au-dedans de moi bénisse le nom de sa
sainteté. Aidez-moi, aidez-moi, ô mes
amis, à louer Celui qui a fait pour mon
âme des miracles aussi éclatants. Il
m'a pardonné tous mes péchés,
il m'a donné sa grâce et sa gloire, et
ne m'a privé d'aucun de ses bienfaits.
Venez, joignez vos louanges aux miennes, quoique ce
soit encore si peu de chose. Venez à mon
aide, vous, anges glorieux et puissants, dont la
bouche prononce des louanges si pures ;
louez-le, vous, toutes les créatures
répandues sur la terre ; que tout ce
qui a vie m'aide à le louer.
Alléluia ! alléluia !
alléluia ! Maintenant, la louange est
mon oeuvre ; elle sera ma charge à
jamais. »
Une autre fois il parla à peu
près ainsi : Admirez Dieu à
toujours, ô vous ses rachetés !
Oh ! quelles joies je goûte maintenant,
joies éternelles qui sont à sa droite
pour jamais ! L'éternité,
l'éternité elle-même est trop
courte pour louer Dieu ! Oh !
bénissez le Seigneur avec moi ;
célébrez-le par vos cris
d'allégresse, et glorifiez le Dieu de votre
salut. Oh ! aidez-moi à louer le
Seigneur, car sa miséricorde dure
perpétuellement, »
D'après son désir, la plus
grande partie du temps que l'on
passait avec lui était employée
à louer Dieu ; et cependant il disait
encore : « Louons encore le
Seigneur ; oh ! aidez-moi à le
louer ; je n'ai maintenant plus autre chose
à faire. Je n'ai plus besoin de la
prière, ni d'aucune autre pratique
religieuse. J'ai presque fini de converser avec les
mortels. Je vais maintenant contempler Christ
lui-même, qui est mort pour moi, qui m'a
aimé et qui m'a lavé dans son
sang.
» Dans quelques heures je serai dans
l'éternité chantant le cantique de
Moïse et celui de l'Agneau. Bientôt je
serai sur le mont de Sion avec une foule
innombrable d'anges, avec les esprits des justes
parvenus à la perfection, et avec
Jésus le médiateur de la nouvelle
alliance. J'entendrai la voix d'une foule de
peuples, et je serai au nombre de ceux qui disent -
« Alléluia, salut, gloire, honneur
et puissance au Seigneur notre Dieu » et
nous dirons encore
« Alléluia. » Encore un
peu de temps, et je chanterai à l'Agneau un
chant de louanges, disant : « Tu es
digne de recevoir la louange, parce que tu as
été immolé, et que tu nous as
rachetés à Dieu par ton sang, de
toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de
toute nation, et que tu nous as faits rois et
sacrificateurs à notre Dieu, et nous
régnerons à toujours avec
toi. »
» Il me semble que j'ai un pied dans le
ciel et l'autre sur la terre ; il me semble
que j'entends les mélodies célestes,
et, par la foi, je vois les anges qui attendent ma
mort pour transporter mon âme dans le sein de
Jésus où je serai à jamais
dans la gloire. »
Quelques heures avant sa mort, il appela
tous ses parents, et leur exprima avec affection
ses souhaits pour leur bonheur
éternel ; il finit en disant !
« Et maintenant, ma bonne mère,
mes frères et mes soeurs, adieu. Je vous
laisse pour un peu de temps et je vous recommande
à Dieu et à la parole de sa
grâce ; il peut vous édifier
encore et vous donner l'héritage avec tous
les saints.
» Et maintenant, ô mon Dieu, mon
oeuvre est accomplie ; j'ai terminé ma
course ; j'ai combattu le bon combat ; et
désormais une couronne immortelle de justice
m'est réservée ! Maintenant,
Seigneur Jésus, viens
bientôt ! »
Enfin il vit la mort s'approcher ; une
sueur froide se répandit sur lui; mais la
pensée de son délogement
réjouissait son âme. Après une
agonie douloureuse, il s'endormit au Sauveur, au
mois de juin 1667, à l'âge, de
vingt-quatre ans. Ses restes mortels reposent
jusqu'à la résurrection des justes
dans l'église de Kilshall, dans le
comté d'Hertford.
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