Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



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« PORTER, SERVIR, BÉNIR »
Sermon prêché à l'Oratoire du Louvre,
le 20 Février 1938
par le pasteur WILFRED MONOD.


L'Éternel sépara la tribu de Lévi, et lui ordonna de porter l'arche de l'alliance de l'Éternel - de se tenir devant l'Éternel pour le servir - et de bénir le peuple en son nom. Voilà pourquoi Lévi n'a point de part avec ses frères : son héritage, c'est l'Éternel. (Deutéronome 10/8).

Mes frères, pour comprendre notre passage, nous examinerons les verbes à loisir. Par les adjectifs, on a les nuances ; par les substantifs, on possède les formes générales ; par les verbes, on atteint le squelette, les muscles cachés, le mouvement. Je lisais le Deutéronome quand, soudain, mes yeux furent éblouis par le résumé des fonctions confiées aux Lévites : Porter, servir, bénir. Il m'apparut que ces termes, en leur généralité, pouvaient s'appliquer au saint ministère dans les Églises de la Réformation.

Tous ensemble, prêtons l'oreille ; car le prédicateur lui-même n'a le droit de prêcher, que dans la mesure où il entend. De nos coeurs unis s'élève la prière ardente : « Parle Seigneur ! ton serviteur écoute. »

« L'Éternel sépara la tribu de Lévi, lui ordonnant de porter l'arche de l'alliance » ; en d'autres termes un visible coffret sculpté, symbole sacré de la présence du Très-Haut parmi son peuple. L'Eglise chrétienne, semble-t-il, adopta une attitude analogue avec la doctrine du sacrement ; elle y voit le véhicule concret d'une grâce immatérielle. Sur la terre, actuellement, la plus grande partie de la chrétienté affirme que Jésus institua des moyens de bénédiction, canalisés, au nombre de sept, capables de transférer la vie céleste et d'incarner, ici-bas, une énergie divine.

Dans les églises du protestantisme le plus logique, ou le plus rigide, ou le plus pur - ou n'accepte pas une théorie aussi massive. Cependant, en baptise les nouveau-nés ; on distribue la communion aux malades ; souvent, avec ferveur, j'ai porté le pain et le vin à des mourants. Les « Adieux d'Adolphe Monod à ses amis et à l'Eglise » furent prononcés, dimanche après dimanche, sur son lit de torture, au moment de participer à la sainte Cène.

Toutefois, en me conformant à ces pieuses pratiques, je n'ai jamais oublié l'enseignement de mon père, fidèle à l'authentique tradition protestante. Pour le septième anniversaire de ma naissance, il me remit une Bible avec ces mots : « Chaque jour tu liras ce livre inspiré, en priant Dieu de t'éclairer par son Esprit ». Un précepte pareil, familier à nos coreligionnaires, est sublime. On touche là une des cimes de l'humanité. Comme l'aigle emportant l'aiglon au sommet de la montagne, l'âme paternelle me souleva d'un coup d'aile dans la Religion absolue : « Dieu est Esprit, il faut que ses adorateurs l'adorent en esprit et en vérité ». Cette affirmation royale maintient, ou même refoule, tout l'appareil rituel à un niveau qu'il ne peut dépasser : les formes ont une mission nécessaire, mais secondaire. Elles étayent notre faiblesse, comme un tuteur soutient la fleur. Mieux encore : notre infirmité se dégage de l'emprise des choses brutes, précisément parce qu'elles deviennent les signes visibles d'une grâce invisible. Une chrétienté vraiment spirituelle peut donc recourir à la pratique évangélique du sacrement, sans nier que le christianisme en son essence reste avant tout une orientation, une expérience, une vie ; c'est précisément la communion avec le Christ qui peut se trouver protégée, fortifiée, nourrie même, par le recours au sacrement, dans le sens où ce terme appartenait au vocabulaire des apôtres et de l'Eglise primitive.

Gardons-nous d'oublier que l'âme reste liée à un corps ; de même, l'individu demeure inséparable d'un groupe, d'une société où les idées peuvent différer d'une manière légitime ; dès lors, plus s'affirme la divergence des pensées indépendantes, et plus s'impose la convergence des sentiments rassemblés autour d'une image qui les cristallise, qui les condense dans le symbole du sacrement. Alors une même émotion, un même rite, rapprochent les coeurs dans un même culte, sans pour cela que toutes les doctrines soient découpées dans le même patron, avec la pointe aiguë des ciseaux d'une brodeuse.

Examinons le second point du programme élaboré pour la tribu de Lévi ; il se concentre dans le mot servir. J'avoue que ce terme, d'après le contexte, vise une activité d'ordre cultuel. Mais les prophètes israélites, eux-mêmes, élargirent magnifiquement la notion du service de Dieu ; ni un Esaïe, ni un Michée n'adopteraient volontiers, à Paris, la formule de notre Union consistoriale pour désigner la liste des cultes protestants : « Tableau des Services ». Bien plutôt serait-ce un Tableau des Offices, pareil terme désignant les millénaires prestations en nature, ou les rites préhistoriques, exigés par une Divinité jalouse.

Au contraire, les prophètes affirmaient d'une manière paradoxale, et qui semblait impie : « Pour servir Dieu, aidez les hommes ! Aimez ! » Songez à l'image du « Serviteur de l'Éternel », souffrant par ses frères et pour ses frères ; modèle que Jésus contempla tant de fois, dans ses méditations au désert, avant de s'écrier : « je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir ».

Eh bien ! le service ainsi compris est au centre même du pastorat, puisque « ministère » signifie littéralement : « service ». L'apôtre écrivait avec un saint enthousiasme aux Corinthiens : « Ce que nous sommes ? Vos serviteurs à cause de Jésus ».

Servir... ah ! c'est le mot qui fulgure dans le diadème de l'institution glorieuse fondée par l'Eglise primitive ; le diaconat (ce groupe de bons Samaritains), le diaconat qui signifie : assister, secourir, soulager, suppléer, conforter... Voilà nos diamants de la couronne.

Hélas ! le pasteur se demande souvent : Ai-je réellement servi mes quémandeurs, mes hospitalisés, mes pauvres ? La confusion l'accable. Devant ce muet défilé des vaincus de l'existence, on reste défaillant, dégoûté de soi-même et de son hypocrisie ; honteux d'avoir quelquefois raison contre les broyés, les empoisonnés. On voudrait s'agenouiller devant eux, demander pardon. Je revois ! mes opérés dans les cliniques, - mes aliénés ou mes infirmes dans les asiles, - mes affligés auprès du trou creusé, qui est parfois la « fosse commune », - et mes prisonniers pêle-mêle dans la commune prison.

Et puis je pense à tous ceux qui recourent au pasteur, dans telle circonstance, et disparaissent. Qu'il s'agisse d'un mariage, d'un nouveau-né, d'une inhumation, jamais, jamais les circonstances ne se répètent. L'officiant souhaiterait parfois refaire et redire, devenir un peu indifférent, ne pas donner toujours de sa brûlante substance d'âme. Et c'est impossible. Il faut se dépenser, ou bien trahir la charité, renier la foi au Dieu « Amour et Lumière. »

Le pasteur écrit des lettres ? C'est pour servir... Il sonne aux portes ? C'est pour servir... Il reçoit des visites ? C'est pour servir... Quand il entre chez son prochain, c'est bien souvent pour le consoler ; mais quand le prochain entre chez le pasteur, c'est bien souvent pour le désoler. Quels aveux il reçoit, quelles confessions ! Quels noirs serpents rôdent ! Quels atroces combats de la chair, ou de la haine, ou de l'orgueil ! Oh ! mes pauvres pécheurs, mes pauvres méchants, mes pauvres butés ! J'ai bien le droit de vous appeler miens, car ce qui a retenti en vous trouva d'abord, peut-être, un écho en moi-même. je crois au péché. je sais le péché...

Mais aussi quelles révélations ineffables prodiguées au serviteur dans le jardin secret des âmes, dans la communion des saints, dans le sanctuaire des vaincus victorieux, dont la « vie demeure cachée avec Christ en Dieu ». Dans leur compagnie j'ai respiré, muet d'extase, l'atmosphère du Paradis...

Voici maintenant le troisième aspect du ministère : « L'Éternel chargea Lévi de bénir le peuple en son nom ».
Ici encore, je vais être obligé de moderniser un peu le passage, c'est-à-dire de le christianiser afin de le rendre utilisable dans l'Eglise, et enrichissant pour les disciples du Christ ; car ceux-ci possèdent la Révélation évangélique. On ne peut exiger qu'ils retrouvent exactement leur âme dans les vieux textes d'Israël ; d'ailleurs, quand ils versent le vin du Nouveau Testament dans l'Ancien, il se produit le résultat noté par Jésus chez les vendangeurs : le raisin fermenté crève les outres périmées. L'Ancien Testament nous aide à mieux comprendre le Nouveau ; mais le Nouveau n'est point chargé de conserver l'Ancien.

Les religions primitives considéraient l'acte de bénir comme une cérémonie magique par laquelle certaines syllabes sacrées, énoncées d'une certaine manière par des personnages spéciaux, apportaient la chance heureuse ou une bonne fortune aux bénéficiaires, Jacob ayant obtenu par ruse une bénédiction destinée à Ésaü, celui-ci ne put jamais récupérer celle que son frère cadet lui avait soutirée ; elle avait imprégné d'un sortilège le fraudeur.

Ce n'est pas ainsi que nous envisageons la bénédiction, dans l'atmosphère morale d'un groupe chrétien. Sans doute, elle est une réalité ; qu'elle soit donnée par un père ou une mère, un sage ou un maître un pasteur ou un prêtre, dans l'intimité ou dans le culte public, nous ne croyons pas que la bénédiction se réduise à un simple geste, que n'accompagne aucune énergie spirituelle active ; mais nous ne pensons point, d'autre part, qu'elle soit projetée matériellement comme une liqueur insecticide qui nettoie les feuilles de leurs parasites.

Dès lors, la vraie bénédiction octroyée par l'officiant chrétien sera liée à des paroles, à un message, plutôt qu'à la récitation de stériles formules souvent incompréhensibles, rabaissées au niveau d'une incantation superstitieuse.
Ceci m'amène à soutenir que la réelle bénédiction apportée à ses paroissiens par l'officiant évangélique est tout simplement, tout mystérieusement, le magnifique bienfait de l'enseignement régulier de la vérité biblique, soit dans le catéchisme, soit dans le sermon.

Voilà une surprise dans l'histoire ! L'apparition d'une religion qui se parle, qui est une nouvelle, une « bonne » nouvelle, c'est-à-dire un « évangile ». Celui-ci fut annoncé, ici-bas, la première fois qu'un messager d'En-haut s'écria : « Le vrai Dieu règne sur les coeurs, transforme les vies, unit les hommes. Cessez de lui offrir des victimes ! Remplacez le sang qui ruisselle en terre, par la prière qui monte au ciel ; tout adorateur qui sacrifie une bête est lui-même bestialisé par sa cruauté. » Comment donc nier que l'Évangile avait surgi, déjà, par les prophètes israélites, ces voyants suscités pour « bénir » ?
Et parce qu'ils bénissaient, ils furent maudits. La mort de Socrate, pour crime de prétendu blasphème, est due peut-être à la corporation athénienne des tueurs de boeufs, car le philosophe réprouvait la piété inséparable de l'abattoir. Une religion qui se parle - (quel bonheur !) - est en même temps une religion qui se pense - quel honneur !

Voilà bien la grandeur, la majesté de la prédication dans l'Eglise. Et il faut compléter cette affirmation par la suivante : une religion qui se parle devient une religion qui s'incarne, puisqu'elle exige un porteur de la parole, un homme pour l'exprimer, la personnifier.

Vous ne remplacerez jamais un prédicateur par un « haut-parleur » ; car le messager divin est bien autre chose qu'une autre mécanique à faible répercussion, un gosier « bas-parleur ».

La prédication n'est pas une vérité seulement affichée par exemple contre un mur ; c'est une vérité transmise à travers une personnalité. Elle n'est pas offerte sur un plateau, comme une boisson ; elle est donnée comme un regard, un sourire, tint poignée de main, une chaude étreinte ; elle est l'émanation d'une âme, un fluide, le charme d'un coeur qui rayonne, qui s'ouvre à d'autres coeurs. Les mots d'un lexique sont noirs, éteints ; les mots d'un discours brillent d'une mystérieuse phosphorescence.

Rappelez-vous le majestueux prologue du quatrième évangile ; le Révélateur suprême, Jésus le Christ, le Fils du Père, est nommé la « Parole ». Et le « Verbe » divin s'incarne. Il ne devient pas livre, il devient chair. Dieu ne peut pas se faire « objet », mais il se fait « homme ». La Bible elle-même, notre grande, sainte, bien-aimée Bible, n'est qu'une simple chose dans sa matérialité de volume imprime la déifier, l'adorer, serait tomber dans l'idolâtrie « je suis l'Éternel ton Dieu tu n'auras point d'autre Dieu devant ma face » pas même le double recueil divinisé de l'Ancien et du Nouveau Testament. La Parole de Dieu s'exprime donc à travers la Bible, comme le souffle du musicien exprime son âme à travers les modulations de la flûte. La Bible n'exhale sa pleine résonance, et son harmonie surnaturelle, qu'à travers la Parole de Dieu qui l'inspire ; car elle commença par inspirer les hommes qui écrivirent la Bible ; et elle inspire les croyants qui aujourd'hui la méditent.

En quelle atmosphère lisons-nous la Bible au culte public, et même dans le culte privé, dans la prière secrète ? Nous restons enveloppés par la mystérieuse ambiance et la vivifiante influence de l'Eglise. Le livre sacré figure au centre du sanctuaire, disposé avec respect, largement ouvert, sur la table de communion. Nous affirmons ainsi que la « Parole vivante » rayonne à travers la « Parole écrite » et peut, seule, vraiment l'interpréter. « Quand deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là ». Dès lors flamboie la mission du prédicateur ; au nom de Jésus-Christ, et par la vertu de l'Esprit saint, il fait jaillir la Parole de Dieu hors de la Bible, comme l'éclair qui fuse d'un miroir orienté vers le soleil.
« L'Éternel sépara la tribu de Lévi, lui ordonnant de bénir le peuple en son nom. »

Malheur, trois fois malheur, au monde contemporain, s'il parvenait à supprimer la voix de la prédication chrétienne ! Des insensés, ennemis inconscients du genre humain qu'ils essayent quand même de servir - (mais, comme les bourreaux du Calvaire, « ils ne savent pas ce qu'ils font ») - des insensés malfaisants rêvent d'interrompre, ici-bas, le témoignage chrétien et la méditation publique des saintes Écritures.

Ah ! prenons garde, nous-mêmes, de jamais prononcer un seul mot qui puisse alimenter la flamme dévoratrice d'un universel incendie. Résistez à l'Anté-Christ, caché sous divers masques. Résistons à Satan, qui d'ailleurs croit en Dieu. Écoutez ces notes de clairon dans la brume, jetées par l'apôtre Paul sous le règne d'un César Néron : « Veillez ! Demeurez fermes dans la foi ! Soyez virils ! Fortifiez-vous ! »

Ne laissons pas diminuer imprudemment la place dominatrice de la Parole divine dans notre piété intime ou dans nos assemblées de prière. Assurément je reconnais combien les fils de la Réforme française, les réchappés d'une séculaire persécution, offrent parfois l'aspect d'un grand blessé ; nous avons un besoin pathétique d'enrichir les formes de notre adoration, de recourir avec plus de ferveur aux trésors liturgiques de l'Eglise universelle, d'assurer une place normale au silence, aux symboles et aux rites, à la contemplation, à la catholicité spirituelle des âmes unies dans le corps mystique de Jésus-Christ ; - mais à la condition que la Bible demeure ouverte sur la table de la sainte Cène ! À la condition que le message providentiel et courageux des prophètes et des confesseurs de la Parole ne cesse de retentir haut et ferme, pour l'illumination des esprits, l'affermissement des consciences, la consolation et le salut des âmes, la consécration courageuse au Royaume de Dieu.

Des heures de crise religieuse pourront sonner bientôt sur notre territoire. Intercédez pour vos prédicateurs afin qu'ils ne renient jamais l'Oraison dominicale, afin qu'ils ne cèdent jamais à la tentation diabolique de remplacer le « Notre Père » et le « Notre Pain » par des formules d'abandon, d'apathie et de fatalisme.
... D'ailleurs, la « tribu de Lévi » trahirait, en courtisant le monde. Réfractaire à l'apostasie, elle ne peut servir Dieu et Mamon.

Méditez la conclusion de notre passage inspiré
« Lévi n'a point de part, ni de richesse avec ses frères : son héritage, c'est l'Éternel. »
Amen.


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