VOIR JÉSUS
UN ROYAUME INÉBRANLABLE
-
Sermon prêche à
l'Oratoire du Louvre,
-
le 23 Février 1938,
-
par le pasteur WILFRED MONOD.
« Possédant
un
Royaume inébranlable, rendons
grâces ».
Hébreux XII, 28.
MES FRÈRES
Devant la splendeur d'un pareil message, le
prédicateur éprouve le poids de sa
responsabilité. En ce premier dimanche
où je remonte en chaire, depuis que j'ai
cessé d'être pasteur titulaire,
j'entends l'appel à la vigilance
personnelle : « Le temps est court
désormais. » Toutefois, j'ai le
coeur si rempli de vérités
évangéliques - (non pas neuves, mais
rajeunies) - que je plie sous un trop-plein de
richesses, impossibles à transmettre. De
plus, les circonstances extérieures, dans le
monde et dans notre France aimée,
revêtent sans conteste une teinte
sévère, au point que nous comprenons
l'auteur sacré quand il s'écrie avec
le prophète : « C'est plus
qu'un tremblement de terre : un tremblement de
ciel ! » Dans ce tragique
désarroi, quelle nostalgie s'empare de nos
âmes, tendues vers la vision d'un
« Royaume
inébranlable » !
Oh ! sortir de l'incertitude
pour
l'avenir lointain et de la perplexité pour
le lendemain, voilà vraiment la
dévorante braise qui rougeoie sous la cendre
grise des paroles banales, des occupations
vulgaires, et qui parfois allume une flamme
pathétique dans le rayon d'un sourire ou la
lueur d'un regard de tendresse. Le souci
rouge : que faire pour protéger le
berceau ou la chevelure blanche, pour garder le
gagne-pain on obtenir des remèdes ? La
sourde terreur de l'inconnu, la crainte noire de
l'imprévu, voilà le torrent qui fait
tourner l'immense roue des précautions
multipliées contre l'accident, la maladie,
la ruine, la pauvreté, la vieillesse, la
mort, - par le régime des assurances, du
secours mutuel, de l'épargne, de la rente ou
de la retraite, bref par le concours de ces
multiples contrats qui protègent nos
chétives existences, comme les canons
hérissent les flancs d'un cuirassé
toujours vulnérable.
Si le dessinateur au fusain ou
au
pastel jette du fixatif sur son esquisse
délicate, si l'ingénieur agronome
enracine des arbres sur un terrain en mouvement
pour empêcher le glissement d'une falaise
vers un précipice, à plus forte
raison l'humble créature humaine est-elle
hantée par l'obsession de la
stabilité. Quel écho dans notre
âme inquiète, lorsque
l'écrivain anonyme s'écrie :
« Dieu nous promet un Royaume
inébranlable ! »
Quelqu'un objectera que le monde
actuel présente, au contraire, un aspect
différent, puisque c'est l'âge des
traités violés, en politique ;
des stipulations piétinées, en
affaire ; des signatures officielles et
officieuses évanouies comme beurre an
soleil. Mais je réponds qu'une pareille
attitude est inspirée, souvent, par un
besoin criant de stabilité ; on imite
les pêcheurs qui agitent l'eau en hiver, car,
avec la glace, ils ne pourraient plus atteindre le
poisson nécessaire à la nourriture de
la femme et des enfants.
Ce ne sont pas d'ordinaire les
nations victorieuses, ou les classes
privilégiées, ou les races
dominatrices, qui menacent les conventions ;
ce sont bien plutôt les insatisfaits qui
déchirent les pactes ; et cela
précisément parce qu'ils ont soif
d'un régime plus acceptable, soif d'une
situation qu'il vaille la peine de stabiliser, soif
d'un idéal plus conforme à celui du
« Royaume
inébranlable ». Celui-ci reste
suprême devant l'imagination ou la
pensée ; alors l'effort
passionné, farouche, pour s'en rapprocher,
explique peut-être, par une infernale ironie,
le déchaînement des troubles guerriers
et révolutionnaires d'un pôle à
l'autre pôle.
Des centaines de millions
d'hommes
aigris, sur le globe actuel, se ruent vers un
état de choses dont ils espèrent
vaguement la sécurité
matérielle et la stabilité morale...
Hélas ! dans l'incertitude universelle,
toutes les classes de la société,
éblouies par un mirage aveuglant, saisies de
vertige, se précipitent vers les horizons
prestigieux de quelque Royaume réputé
inébranlable, en recourant aux combinaisons
fantastiques et folles du Hasard.
Oui, vous entendez
bien : on se
livre à la chance, au sort, à
l'accident, à l'aventure, au coup de
dés, au pari sur les jarrets d'un cheval, au
tirage d'un numéro dans la nuit, à
l'aubaine d'une rencontre de chiffres, bref, on
s'abandonne au hasard le plus
échevelé, le Hasard au crâne
vide et aux yeux crevés, le Hasard gouffre,
le Hasard néant ; au lieu d'adorer le
seul Dieu, on se prosterne devant le jeu, devant
une roue qui tourne sans âme et
s'arrête sans intelligence. 0 ma France,
ô peuple infortuné ! Après
la dépopulation par l'alcool national, voici
la démoralisation par la « loterie
nationale » !
Telles sont les circonstances où le
prédicateur élève la voix...
« Cieux écoutez ! Terre
prête l'oreille ! car l'Éternel
parle. » Ces paroles majestueuses ouvrent
le recueil des prophéties d'Esaïe,
à l'époque où la Palestine
tremblait sous la cruauté du puissant
monarque de Ninive. Et l'auteur de notre
épître ne vivait pas non, plus
à une époque de tout repos. Il
écrivait à des
persécutés ; ils avaient non
seulement subi insultes, afflictions, souffrances,
mais - pesez un tel témoignage ! - ils
avaient « accepté avec joie la
confiscation de leurs biens ».
Pourquoi ? Parce que, écrit
l'anonyme : « Vous saviez
posséder ailleurs une
propriété meilleure et à
perpétuité. » Voilà
le Royaume inébranlable. Notre texte est une
fenêtre taillée dans la muraille d'une
prison, celle du monde visible ; on
aperçoit les réalités
éternelles. Telle était la simple et
robuste conviction de nos frères
chrétiens dans l'Eglise
primitive.
L'heure a sonné, aujourd'hui,
de revenir plus nettement à ce credo
élémentaire. N'avez-vous pas
l'impression que notre témoignage, en ce qui
regarde la victoire sur la mort, manque d'audace et
même d'originalité ?
Les incrédules nous
observent ; et surtout les incroyants, les
chercheurs ; ils nous regardent, nous
écoutent. « Nous allons voir,
pensent-ils, comment se comportent des gens qui
affirment officiellement la vie future - (dans
leurs catéchismes, leurs prêches,
leurs cantiques), - lorsque l'ombre de la mort se
glisse à leur foyer. »
Or, voici un malade, un croyant,
autour duquel se joue une pièce assez
compliquée ; des personnages
variés : le parent, le médecin,
le visiteur doivent, sans répétitions
préalables, se donner mutuellement la
réplique, sans jamais se couper ;
c'est-à-dire que l'idée de la mort
possible, ou peut-être imminente, ou la
notion de l'au-delà, ou la
révélation de la vie
éternelle, ne doivent jamais traverser le
dialogue ou effleurer le colloque.
Nous serons tous d'accord pour
admettre qu'une pareille attitude,
considérée sous l'angle de la foi,
n'est pas normale. D'autre part, permettez-moi
d'ajouter que les douteurs, les athées, ceux
qui errent « sans Dieu et sans
espérance dans le monde », peuvent
parfois s'étonner que nos rites
funèbres se distinguent si peu,
extérieurement, des symboles convenus et
communs à la multitude : la couleur
noire envahit tout, les faire-part, les
vêtements, les voitures... On souhaiterait
que les croyants, tout en exprimant leur chagrin
légitime, trouvassent le moyen d'affirmer
leur foi, en ajoutant quelque chose aux fleurs et
aux couronnes que tout le monde emploie ; ou
souhaiterait quelque signe peut-être
inattendu d'avertissement et de consolation, un
vibrant et solennel témoignage rendu aux
réalités surnaturelles..
L'Administration des pompes funèbres n'est
cependant point chargée d'envelopper nos
douleurs chrétiennes dans des cadres
artificiels, préparés d'avance. Le
véritable ordonnateur, ou inspirateur, des
enterrements évangéliques doit rester
saint Jean. Que l'apôtre donne le ton en ces
termes : « Dieu est lumière
et il n'y a point en lui de
ténèbres ; si nous disons que
nous sommes en communion avec lui, et que nous
marchions dans les ténèbres, nous ne
pratiquons pas la vérité ; telle
est la nouvelle que nous tenons de
Jésus. »
Assurément, l'Évangile
est prêché devant les cercueils dans
l'Eglise de la Réforme ; mais les
matérialistes, les sceptiques, les
désespérés, qui voient
défiler par hasard nos cortèges
funèbres, en reçoivent-ils toujours
cette impression éclatante que la
cérémonie est cristallisée
autour de la vie éternelle ?
Si notre conduite quotidienne,
dans
le détail, s'inspirait avec
sérénité, avec fermeté,
du « Royaume
inébranlable », nos existences
éphémères seraient
imbibées d'éternité ; le
merveilleux Évangile, jour et nuit, les
imprégnerait d'un tel parfum, qu'elles
répandraient auprès et au loin le
surnaturel arôme des promesses
divines.
Donc, exerçons-nous à
discerner en chaque homme les énigmatiques
linéaments de sa personnalité
prodigieuse ; dès ici-bas, nulle
créature humaine n'appartient
entièrement à la terre. Elle
dévoile sa véritable grandeur, quand
nous savons la contempler comme on examine un pont
en construction ; la simple courbure d'une
arche qui s'élève dans le vide
esquisse déjà son futur élan,
prophétise le victorieux passage au-dessus
du torrent ou du précipice. Ainsi en est-il
de chaque destinée particulière. Nos
pieds semblent collés au sol ; mais en
réalité nous sommes orientés
vers le ciel ; nous tendons vers le Royaume
inébranlable. Et les épreuves
elles-mêmes, que nous subissons ici-bas,
restent comparables aux essais de résistance
que les ingénieurs peuvent imposer à
un pont inachevé, pour savoir dans quelle
mesure il supporte ses charges sans fléchir.
Cette dernière image, mes frères,
nous oblige à compléter notre vision
du Royaume inébranlable. Cette formule
magnifique s'adapte dans notre texte au monde
futur. Mais il est permis d'affirmer que nous
possédons, ici-bas, un Royaume
inébranlable, puisque le Dieu de la
révélation biblique n'est pas une
Divinité inaccessible, enfermée dans
l'au-delà, mais une Divinité
pitoyable, miséricordieuse, un
« Père »
manifesté dans le
« Fils », un Verbe devenu
chair, la Parole incarnée, le ciel
s'abaissant vers la terre : « Dieu a
tant aimé le monde. »
Le Royaume Inébranlable n'est
donc pas là-haut, seulement ; le Messie
nous enseigna une prière concrète et
rédemptrice : « Ta
volonté soit faite sur la
terre ! »
Pour demeurer dans
l'atmosphère de la Bible, et dans l'ambiance
évangélique, il ne faut pas outrer
l'opposition entre l'au-delà et le
présent. On risquerait de créer
ainsi, dans l'âme chrétienne, une vie
en partie double, un déchirement continuel,
une contradiction insupportable dépourvue
d'unité intime, de paix véritable et
de saveur victorieuse, où l'on ne retrouve
plus cette vibration glorieuse de l'âme
apostolique : « Nous sommes
vainqueurs, et plus que vainqueurs, grâce
à Celui qui nous a
aimés. »
En vérité, la doctrine
de l'incarnation du Père dans le Fils,
ici-bas, ne nous permet plus d'insister sur une
antithèse un peu facile, et parfois
stérile, entre la terre et le ciel. Le
Royaume inébranlable des chrétiens
est inséparable pratiquement de l'Eglise.
Non pas l'Eglise que nous voyons, mais l'Eglise que
nous savons ; non l'Eglise visible que nous
touchons, mais l'Eglise invisible dont nous
vivons.
On interpréterait d'une
manière malencontreuse la Fête de
l'Ascension, si l'on y discernait un départ
définitif du Christ, abandonnant les hommes
à leur planète, comme des
naufragés sur un radeau. Un vrai capitaine,
en pleine tempête, ne quitte point la
passerelle du commandement. Le Christ a-t-il
réellement dit adieu à
l'humanité ? Non pas. « Quand
deux ou trois sont réunis en mon nom, je
suis là. » C'est l'affirmation
d'une Présence perpétuelle. Et c'est
la doctrine des Apôtres ; d'après
eux, l'Eglise est un Corps mystique animé de
l'Esprit du Sauveur, celui qui reste le chef. -
Mais quelqu'un dira : L'Eglise n'est pas
infaillible ! En effet, elle est seulement
invincible ; elle est un Royaume
inébranlable, conformément à
la promesse du Christ.
On dira encore :
L'Eglise n'est
pas impeccable ! En effet, si elle peut
commettre des erreurs, elle peut commettre aussi
des fautes. Mais cela ne l'empêche point
d'être un Royaume inébranlable. On
objectera encore : L'Eglise n'est pas
invulnérable ! C'est vrai ; elle
est tentée, elle souffre, on la
persécute ; elle n'en reste pas moins
un Royaume inébranlable.
Ainsi donc, elle n'est ni
omnisciente, ni parfaite, ni impassible ; mais
elle est un Royaume où peuvent toujours se
réfugier les âmes. Songez que
l'apôtre Paul, écrivant aux Romains,
envoya un message spécial aux disciples du
Christ qui servaient dans le palais de Narcisse, un
monstre. le complice crapuleux de l'infâme
Néron dans ses débauches et ses
crimes. Eh bien ! dans ce cloaque vivaient des
employés ou des esclaves
chrétiens ; ils se maintenaient
courageusement purs, humbles, charitables.
Comment ? Par quel miracle ? Ils
formaient entre eux un groupe de baptisés,
une famille, une réunion de prière,
bref une Église ; ils communiaient en
secret ; ils appartenaient au corps du
Christ ; ils possédaient un royaume
inébranlable.
À leur exemple, mes
frères, dans les temps difficiles que nous
traversons, dans une atmosphère de sang et
de roussi, de puanteur et de sauvagerie, à
la fois méphitique et démoniaque,
réfugions-nous dans l'Eglise, dans le saint
et glorieux mystère de l'Eglise, qui est
spirituelle et sociale indissolublement, qui ne
sépare jamais l'adoration du Père et
le service des frères ; l'Eglise
universelle ici-bas, l'Eglise qui unit les vivants
et les morts, l'Eglise qui raye à jamais de
notre vocabulaire le mot glacé de solitude,
et l'expérience meurtrière de
l'isolement au désert de l'abandon. Au
contraire, l'Eglise est un abri
prédestiné, un asile providentiel,
une école surnaturelle et une
miséricordieuse pépinière,
où le Saint-Esprit élève,
prépare, purifie, inspire et forme pour
l'éternité des enfants de Dieu, des
disciples de Jésus, des apprentis de la vie
future, des initiés à
l'immortalité.
Votre coeur se réchauffe. Vous comprenez
mieux la plénitude
insoupçonnée de notre passage :
« Possédant un Royaume
inébranlable, rendons
grâces. » Mais avant de conclure,
mon devoir est d'appeler votre attention sur un
dernier aspect de la formule insondable. Le Royaume
promis, nous l'avons contemplé d'abord dans
l'au-delà. Puis nous l'avons saisi, dans la
réalité de l'Eglise ici-bas. Mais ne
faut-il point le reconnaître et le saluer en
nous-mêmes ?
J'aborde le mystère central
du christianisme, celui que l'apôtre
exprimait en ces termes : « Ce n'est
plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en
moi », formule toute morale et religieuse
qu'il ne liait pas à la
célébration d'un rite ou à la
réception d'un sacrement. On peut croire
à un Royaume inébranlable dans le
ciel, et n'être pas chrétien par le
coeur. On peut croire aussi à un Royaume
inébranlable dans l'Eglise, et n'être
pas un chrétien d'une manière intime.
La qualité chrétienne
reste liée essentiellement à une
réalité profonde que l'apôtre
appelait « la vie cachée avec le
Christ en Dieu » ; c'est un don, une
grâce, une bénédiction ;
elle transfigure, mais elle humilie, le
pécheur ainsi transformé ; dans
la mesure même où il prend conscience
de son privilège et d'une
réalité supérieure, il perd
tout sentiment absurde et mauvais de
supériorité ; il ne s'agit point
d'une illusion ; le
régénéré suit une
orientation imprévue et subit une direction
notoire pour ses actes les plus banals et ses
sentiments les plus secrets.
Oh ! combien tout cela
est
solide, concret. Dans l'exercice du
ministère pastoral, mainte fois j'ai
assisté avec une sainte surprise, je dirai
presque avec une stupeur sacrée, à
l'apparition du Royaume inébranlable dans
l'âme humaine, faible, souillée,
incrédule, endurcie, apeurée,
désespérée parfois, et
trouvant dans le vieil Évangile un moyen de
rajeunissement, de guérison, de
résurrection. Je viens de méditer le
témoignage d'un octogénaire, encore
libre-penseur il y a une quinzaine d'années,
et qui rend un hommage réfléchi, avec
la précision de son vocabulaire de
médecin, à la puissance
libératrice de l'Esprit qui
sauve.
On parle aujourd'hui, dans les
hôpitaux, du « donneur de
sang » ; il offre le sien pour
sauver un malade. Or c'est une opération
analogue (sur le plan spirituel) qui s'opéra
au Calvaire en faveur de l'humanité ;
le sang de Christ n'était que l'expression
de son amour total, de sa pitié
rédemptrice, de sa consécration
illimitée ; et le sang versé
à Golgotha fut vraiment une transfusion de
l'esprit du Crucifié au genre humain.
Quiconque est placé au
bénéfice d'un pareil et ineffable
bienfait reçoit la bénédiction
d'une vie nouvelle, au sein du Royaume
inébranlable qu'il porte désormais en
soi-même.
Cette révélation
inexprimable est offerte à chacun de nous,
au moyen de la foi ; celle-ci correspond
à une certitude personnelle, à un
acte de confiance ; elle n'est pas liée
avant tout à des formules, mais à la
contemplation du Sauveur. Et si, maintenant
même, dans l'instant où je parle
encore, une âme chercheuse, anxieuse,
empoisonnée par le venin de l'a quoi
bon ? ou du remords, veut tenter
l'expérience décisive, aux
répercussions infinies, pourquoi donc
attendrait-elle davantage ? Le Royaume
inébranlable est à sa
portée ; disons davantage, elle peut y
entrer ; disons mieux, il peut s'installer en
elle à jamais.
Songez-y. Nous ne vivons pas
dans le
passé, puisqu'il n'existe plus ; le
début de la phrase que je prononce encore
appartient aux réalités
révolues, aussi bien que les fossiles de la
préhistoire ; et d'autre part, nous ne
vivons pas dans l'avenir, puisqu'il n'existe
pas ; la fin de la phrase que je n'ai pas
terminée, existe aussi peu en cet instant
même que l'extinction future de l'astre
solaire, ou le retour du Seigneur sur les
nuées. Donc nous ne vivons,
littéralement, que dans le présent.
Or celui-ci, échappant toujours par
définition au passé comme à
l'avenir - à l'avenir comme au passé
- demeure hors du temps ; il est
éternel : les minutes qui fuient sont
en réalité des grains
d'éternité, enfilés comme les
perles d'un collier immortel. Mes frères qui
cherchez sincèrement (sans pactiser avec le
péché), apprenez qu'entre vous et le
Royaume inébranlable que vous portez en
vous-mêmes à votre insu, il n'y a
rien, - sinon les obstacles intérieurs que
nous opposons nous-mêmes à la venue du
Saint-Esprit, de l'Esprit sauveur, en notre
âme.
Cet Esprit vous
appelle :
« je me tiens à la porte et je
heurte ; si quelqu'un m'entend et m'ouvre la
porte, j'entrerai. » Et il va de soi que
l'Esprit de Dieu, quand il pénètre en
nous pour nous régénérer, nous
pardonner, nous inspirer, nous consoler, nous
immortaliser, le fait toujours dans le
présent, jamais dans le passé ou dans
l'avenir. Osez donc affirmer : « je
crois ! je sais ! je consens ! je
reçois ! Oui je possède en moi
le Royaume
inébranlable... »
Et l'action de grâces jaillira
ineffable, transformant de plus en plus notre
Église, malgré son épreuve, en
un véritable Oratoire, un sanctuaire de
prières et de louanges, où le Te Deum
catholique et le Laus Deo calviniste sont
dominés par l'Hymne chrétien
lui-même, le « Cantique à la
joie » de l'Eglise primitive :
« Recevant un Royaume
inébranlable, soyons pleins de
reconnaissance, rendant ainsi à Dieu, avec
vénération et respect, un culte qui
lui soit agréable. »
Amen.
|