Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Sermons et Méditations




Serviteurs inutiles.

Qui de vous, ayant un serviteur qui laboure ou paît les troupeaux, lui dira, quand il revient des champs : Approche vite et mets-toi à table ? Ne lui dira-t-il pas au contraire : Prépare-moi à souper, ceins-toi et me sers jusqu'à ce que j'aie mangé et bu ; après cela, toi, tu mangeras et boiras. Doit-il de la reconnaissance à ce serviteur, parce qu'il a fait ce qui lui était ordonné ? Vous de même, quand vous aurez fait tout ce qui vous est ordonné, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous n'avons fait que ce que nous étions obligés de faire.
Luc 17, 7-10.

Soyez semblables à des hommes qui attendent que leur maître revienne des noces, afin de lui ouvrir dès qu'il arrivera et frappera. Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillants ! Je vous le dis en vérité, il se ceindra, les fera mettre à table et s'approchera pour les servir.
Luc 12, 36. 37.

On aurait raison de dire, peut-être, que ces paroles de Jésus trouvent leur application spéciale à l'égard de ceux qu'on est convenu d'appeler les serviteurs de Christ et de l'Eglise. C'est à eux que sont données, ici, les leçons dont ils ont besoin pour l'accomplissement de leur tâche. Le Maître les abaisse et les élève tour à tour. Il leur impose une humiliation aussi salutaire que dure à accepter, aussi naturelle et nécessaire à ses yeux que peu conforme à la pensée et aux aspirations du coeur de l'homme. Quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, parce que nous n'avons fait que ce que nous étions obligés de faire. Qui donc trouverait facile de répéter cet aveu, enlevant jusqu'au dernier vestige de la satisfaction que voudrait éprouver, en contemplant son oeuvre, celui qui l'a accomplie ? Mais tournez la page et, dans une seconde parole, vous entendrez le Maître annoncer à ces mêmes hommes qu'en retour d'un service fidèle, ils seront de sa part les objets d'un acte de condescendance inouï sur la terre. Heureux, dit-il, les serviteurs que le Maître, à son arrivée, trouvera veillants. En vérité, en vérité, je vous dis qu'il les fera mettre à table et qu'il viendra les servir ! Tout mérite de l'homme détruit, toute gloire humaine changée en confusion de face, la grâce gratuite de Dieu vient ainsi donner à ceux qu'elle avait appauvris, dépouillés et jetés dans la poussière, un encouragement suprême et bien inattendu. Le serviteur inutile servi par le Maître. O spectacle surprenant ! Qui en dira la raison ?

Or, mes frères, si j'ai eu l'air, tout à l'heure, de vouloir rétrécir le cercle de ceux que regardent ces choses, j'ai hâte maintenant de l'élargir. Des serviteurs de Jésus-Christ, ne le sommes-nous pas tous, nous qui avons cru en son nom ? C'est la foi, ce n'est pas une vocation spéciale et terrestre seulement, qui fait entrer l'homme au service du céleste Maître. Il n'est, parmi ceux qui ont accepté son salut et dont le coeur a consenti à se donner à Jésus-Christ le Sauveur, personne qui n'ait reçu son emploi dans sa maison ! Pas un auquel il n'ait confié quelque tâche à faire ! Pas un, non plus, dont l'emploi ressemble en tout point à celui de l'autre ! Pas un dont le service soit trop humble pour que le regard du Maître ne le cherche et ne s'y arrête ! Pas un dont le service puisse être supprimé pour cette seule raison qu'il ne serait d'aucune nécessité ! Pas un qui soit incapable de faire quelque chose de valable pour les frères et pour Jésus-Christ ! Serviteurs et servantes du Seigneur, vous l'êtes tous, nous le sommes tous, mes frères ! Et puisqu'il en est ainsi, compagnons d'oeuvre pour l'édification du royaume de Dieu, mettons-nous ensemble aux pieds du Maître, pour lui dire : Parle, Seigneur, nous écoutons !

Mes frères, il n'y a dans toute l'étendue du royaume de Christ qu'un seul et unique chemin qui mène à la vie, au bonheur et à la gloire, c'est celui de l'humiliation. Qu'il s'agisse du salut en général ou bien de quelques détails, de ceci ou de cela, nous n'arrivons à rien, nous n'obtenons rien, nous restons, aux yeux de Dieu, indignes de tout, aussi longtemps que nous portons la tête haute et que nous faisons valoir des droits. Nous humilier, détruire nos prétentions, nous prouver que, sur le terrain de ce que nous nommons nos droits il n'y a pour nous rien à espérer, ce sera donc là la première oeuvre que Dieu voudra accomplir en nous par le St-Esprit. C'est celle aussi que Jésus poursuivait, un jour, en enseignant ses disciples : Qui de vous, dit-il, ayant un serviteur qui laboure ou qui paît les troupeaux, lui dira d'abord, quand il revient des champs : Assieds-toi et te mets à table. Mais ne lui dira t-il pas plutôt : Prépare-moi à souper et ceins-toi et me sers ; jusqu'à ce que j'aie mangé et bu, et après cela, tu mangeras et tu boiras. Est-il redevable à ce serviteur, parce qu'il a fait ce qui lui était commandé ? Vous aussi, de même, quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, parce que nous n'avons fait que ce que nous étions obligés de faire.

Je ne connais, sur les lèvres de Jésus, rien qui nous remette à notre place aussi simplement et clairement que ces paroles. C'est sous le coup qu'elles nous portent que tombent les illusions dont nous nous berçons quelquefois quant à la valeur de nos travaux et de nos oeuvres. Avons-nous estimé, peut-être, plaire à Dieu et nous assurer sa grâce par un peu d'obéissance à ses ordres, par quelque activité, à son service, par tel acte d'abnégation ou de sacrifice ? Avons-nous compté, pour nous-mêmes ou pour quelque frère, sur je ne sais quelle récompense du Seigneur, parce qu'il y aurait eu, dans notre vie, ou dans celle de ce frère, beaucoup de bonne volonté et peut-être quelque succès ? Vain raisonnement ! Espoir trompeur ! Jésus vient nous dire que tout notre temps, toutes nos forces, tout ce que nous avons à donner, appartient au Maître en qui nous avons cru et qu'il n'est en nous rien qui ne lui soit dû. Pas d'effort, pas d'oeuvre, pas d'acte de fidélité et de dévouement à lui-même ou aux frères que nous puissions lui offrir par-dessus ce qui nous est commandé ! Pas de vie, si chrétienne soit-elle, qui puisse lui être offerte sans qu'il ait le droit de la demander plus excellente encore et plus parfaite.
Quand vous aurez ; fait tout ce qui vous a été commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, voilà jusqu'où vont ses exigences ! Il y a là des termes devant lesquels s'arrêtent effrayés, scandalisés, ma vanité et mon orgueil. Qui donc, à moins d'avoir été éclairé par Jésus-Christ, aurait pensé que Dieu put être si sévère ! À la vérité, c'est bien autrement que nous avons interprété sa volonté à notre égard. Il nous a semblé qu'il suffisait, pour lui plaire, de faire quelque chose pour lui, et, opérant un habile triage, nous avons choisi, pour nous y conformer, une partie de ses ordres, ceux qui nous allaient et qui étaient les moins difficiles. D'autres, nous avons su les éviter, les oublier, parce qu'il y avait en nous un coeur qui les jugeait inacceptables ! Mais laissez-moi, pour quelques instants, supposer ce qui n'est pas et ce qui ne sera jamais. Laissez-moi penser qu'il puisse nous être donné de faire tout ce qui nous a été commandé : support et patience partout, pardons répétés septante fois sept fois charité qui excuse tout, qui croit tout, qui espère tout, qui supporte tout, témoignage chrétien rendu en toute occasion, sans crainte, devant la génération perverse et incrédule du jour, foi qui ne doute pas, confiance que rien n'ébranle, amour qui demande chaque matin : Que veux-tu que je fasse ? volonté prête à accepter n'importe quel service, reconnaissance humble et journalière. Laissez-moi la supposer devenue chez nous une réalité, cette vie irréprochable que ne flétrirait aucune infidélité, aucune résistance, aucun refus. Qu'en dirait Jésus-Christ ? Quel conseil donnerait-il à ceux chez qui il la trouverait ? Quelle pensée mettrait-il dans ce coeur et sur ces lèvres qui ne connaîtraient autre chose que le plus joyeux consentement à sa volonté ? Quel aveu s'efforcerait-il de faire naître chez cet homme dans lequel le monde chrétien saluerait un saint descendu du ciel sur cette terre de péché ? Mes frères, à cet homme obéissant sur toute la ligne, à ce fidèle d'entre les fidèles, il demanderait de s'associer, avec une pleine conviction, à l'humble et humiliante confession de ceux qui disent : Nous sommes des serviteurs inutiles, parce que nous n'avons fait que ce que nous étions obligés de faire.

Or, que vous en semble ? Si Jésus nous donne son appréciation sur ce que sont les meilleurs, ne serait-ce pas afin que nous fussions tous humiliés, toutes les fois que nous évaluons notre vie et notre oeuvre en sa sainte présence ? Ah ! qui ne connaîtrait pour l'avoir surpris, accomplissant son travail au fond du coeur, ce ver rongeur qui s'attache à la fidélité elle-même et qui se nomme la satisfaction de nous-mêmes et la complaisance pour nous-mêmes ? Qui ne se serait jamais cru utile au Seigneur, nécessaire à telle oeuvre chrétienne, digne d'une récompense, minime peut-être, de la part du Maître ? Qui n'aurait jamais vu naître en lui-même quelqu'une de ces prétentions sans nombre et sans nom dont le monde est plein, qu'il ne jugera jamais être illégitimes, mais que Dieu condamne, parce qu'elles ne conviennent pas à ses enfants ? Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous n'avons fait que ce que nous étions obligés de faire. Voilà sa volonté ! Elle anéantit nos droits. Elle ne nous laisse aucun mérite dont nous puissions nous prévaloir. Serviteurs inutiles ! que me reste-t-il après cela, à moi, pauvre malheureux auquel viennent d'échapper tous les moyens de salut sur lesquels j'aurais aimé pouvoir compter ? Serviteurs inutiles ! puisque le Maître a voulu qu'il en fût ainsi, quelle terre de refuge tient-il en réserve pour moi qui ai perdu mes droits ?

Mes frères, là où a sombré le mérite de l'homme, là où ont disparu les droits auxquels il rattachait ses espérances, là où je ne vois plus qu'un serviteur inutile dont son Maître sera libre de faire ce qu'il voudra ; devant cet homme que je suis, moi, et que vous êtes, mon frère, s'ouvrent les horizons bénis de la grâce. Le même Jésus qui nous a dépouillés de ce qui ferait notre propre justice, nous transporte, pour nous rendre espérance et bonheur, dans des régions nouvelles. À côté de la similitude que nous venons tout à l'heure d'entendre de sa bouche vient s'en placer une autre : Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées et soyez semblables à des hommes qui attendent que leur Maître revienne des noces ; afin que, quand il sera venu et qu'il aura heurté à la porte, ils lui ouvrent incontinent. Heureux ces serviteurs-là que le Maître, à son arrivée, trouvera veillants. En vérité, je vous dis qu'il se ceindra, qu'il les fera mettre à table et qu'il viendra les servir !

Vous souvient-il d'avoir jamais assisté à scène pareille sur la terre ? d'avoir rencontré quelque part ce maître qui, au lieu d'accepter les services qui lui étaient dus, donnait à ses subordonnés la place qui lui était destinée et ne se montrait préoccupé que d'une seule chose, c'est de les combler de témoignages de sa reconnaissance et de son amour ? Et si, d'une manière ou d'une autre, ce spectacle venait à se présenter ; si, dans la société où nous vivons, on avait l'occasion de parler d'un fait aussi surprenant, quelles seraient les réflexions qui se presseraient sur les lèvres de tous ? L'on ne trouverait, j'imagine, pas assez de paroles, soit pour vanter la condescendance de ce maître sans égal, soit pour dire le bonheur de ceux qui ont le privilège de le servir. L'on dirait que ce maître n'avait pas d'obligation à l'égard des gens de sa maison, qui l'avaient attendu debout, prêts à lui ouvrir la porte à sa rentrée et à pourvoir aux besoins de l'arrivant. Ces serviteurs, qu'avaient-ils fait, sinon leur devoir ? Où donc était leur titre à de telles bontés ? Nulle part. Auraient-ils pu espérer que les rôles seraient intervertis si complètement, espérer se voir placés à table et servis par le Maître ? Nullement. Inattendue, imméritée, agissant avec une souveraine liberté, la grâce du Maître s'est montrée, à l'heure où nul ne s'y attendait, dans toute sa grandeur, dans toute sa beauté, avec le bonheur qu'elle répand, la grâce dont rien ni personne ne dira jamais le pourquoi, dont nul n'expliquera l'intervention généreuse, la grâce enfin qui est la grâce !

Or, ce maître dont je parle et que l'on chercherait en vain dans le monde où l'on vit sous le régime du droit, ce maître qui agit selon sa grâce, Jésus nous dit qu'il l'est, lui. Il ne doit rien à aucun de ses serviteurs ; ils sont inutiles du premier jusqu'au dernier ; qu'ils se le tiennent pour dit et qu'ils s'en humilient. Mais lorsqu'il les verra s'employer à son service avec humilité ; lorsqu'ils mettront à ce service le peu de force dont ils disposent ; lorsque son oeil verra qu'ils occupent avec fidélité chacun la place bien humble, peut-être, qu'il leur a assignée ; alors, à ce service fait par amour, répondra, de sa part, un acte d'amour. Ces serviteurs, quoique leur pied foule encore le sol d'ici-bas, seront enveloppés d'une atmosphère qui n'est point celle de la terre. Les lois de ce monde nous disent qu'il sera fait à chacun selon ce qui lui est dû. Mais là-haut, c'est le règne de la grâce. Serviteurs, servantes de Jésus-Christ, vous qui confessez que vous avez si peu fait pour lui, votre Maître ne compte pas comme compte le monde. En vérité je vous dis qu'il se ceindra, qu'il vous fera mettre à table et qu'il viendra vous servir. Le croirions-nous, s'il ne l'avait pas affirmé lui-même ? Oserions-nous accepter, s'il ne nous l'avait pas donné lui-même, un tel encouragement ? O grâce, grâce de Dieu, que tu es grande ! O règne de l'amour, que tu es beau ! Serviteurs de Jésus-Christ, que vous êtes heureux ! Indignes de tout, et recevant tout ! Inutiles, et servis par le Maître ! Tel est votre sort ; je n'en connais point de meilleur. Amen.


 
Les
choses visibles et les choses invisibles.

Nous ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles.
2 Cor. IV, 18.

Je ne me tromperai peut-être pas en disant qu'avant même d'avoir examiné de plus près cette ligne de la seconde épître de St-Paul à l'Eglise de Corinthe, et de nous être rendu bien compte de la pensée qu'elle exprime, nous ne pourrons pas nous défendre d'une première impression, c'est que cette affirmation que nous trouvons sur les lèvres de l'apôtre, nous ne pouvons pas la répéter avec la même conviction que lui. Nous ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles : pour St-Paul, c'était là un point acquis, une chose bien apprise à l'école de l'Évangile de Jésus-Christ, une pratique adoptée et suivie dans la vie de tous les jours. Quant à nous, moins dociles, moins avancés que l'apôtre, nous hésitons à parler comme il a parlé. De légitimes scrupules nous retiennent. L'expérience nous dit que nos regards cherchent encore le visible bien plus que l'invisible, et qu'il y a dans les choses qu'on voit une puissance d'attraction à laquelle nous ne résistons pas facilement. Ce qui dans le coeur et dans la vie d'un St-Paul était un fait accompli, sera donc pour nous l'objet d'une ambition. À l'école du Saint-Esprit nous devons arriver à pouvoir affirmer, à notre tour, que nous ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles. Cela fait partie de notre vocation et de notre éducation chrétiennes et du bonheur même que la foi doit nous donner.

I

Nous appartenons, mes frères, par notre nature et la position que Dieu nous a faite, à deux mondes, au monde des choses visibles et au monde des choses invisibles ; mais pour plusieurs, pour le grand nombre, pour nous tous, à moins que Dieu n'intervienne et ne nous ouvre les yeux et l'entendement, le premier l'emporte sur le second.

Le monde des choses visibles, des choses que nos regards cherchent, que nos mains touchent et que heurte notre pied, ce monde tour à tour si beau et si troublant, quelle place prépondérante n'occupe-t-il pas en effet dans nos pensées et dans notre vie tout entière ! Bien certainement, il n'y a pas là une affaire d'âge seulement. Il est naturel, sans doute, que la jeunesse, sous les yeux étonnés de laquelle s'ouvre la vie présente pleine de promesses et d'appels, soit captivée par la terre. Nous prévoyons pour elle plus d'une déception et plus d'une amertume, mais nous comprenons le charme qu'elle subit et nous ne nous étonnons pas que les choses visibles soient pour elle au premier plan. N'observons-nous pas quelque chose de semblable dans la vie et le développement de l'humanité tout entière ? Au début, dans les pages de l'Ancien Testament, les choses visibles jouent le grand rôle. Petit à petit seulement et à mesure qu'Israël prend de l'âge, Dieu essaie de lui faire comprendre que le visible doit céder la place à l'invisible, et enfin, quand Jésus-Christ paraît, la dernière et grande leçon est donnée à ce sujet.

Mais si le jeune âge saisit et aime en premier lieu les choses visibles, est-il certain aussi que, dans la proportion où nous grandissons et vieillissons, nos yeux s'ouvrent inévitablement pour voir les choses invisibles ? Est-il certain surtout, que ce coeur qui, de nature, est si puissamment attiré vers les choses d'ici-bas, apprenne sans effort et comme naturellement à regarder aux choses invisibles ? Nous est-il permis de constater, chez d'autres et chez nous-mêmes que cette évolution s'accomplit, bonne, salutaire, voulue de Dieu ? Qui donc le soutiendra, sans qu'ici encore l'expérience vienne dire son mot humiliant et nous placer en face de la vérité ? Non, ce n'est pas l'âge mûr qui amène pour nous, comme avec nécessité, cet état d'âme et de coeur nouveau dont l'apôtre parlait à ses frères de Corinthe. Voyez plutôt : plus l'homme suivra sa voie naturelle, plus aussi, au lieu de regarder et de s'attacher à ce qui est invisible, il sera assujetti au pouvoir des choses qu'on voit. Ce qui dominera sa pensée, son coeur et son âme, ce sera la tâche journalière sous les mille aspects qu'elle revêt, la tâche à faire en dehors et au dedans de la maison, la tâche du père ou de la mère de famille, la tâche, quels qu'en soient le nom et la nature. Ce qui l'occupera, ce sera sa vocation terrestre, ce seront ses champs et ses vignes, ce seront ses affaires et ses travaux, ce seront les détails sans nombre dont se compose la vie de l'homme, toujours plus remplie, toujours plus fiévreuse, toujours plus haletante : ce sera la terre enfin, avec les exigences qu'elle fait naître, avec les obligations qu'elle crée et avec les promesses, si fallacieuses parfois, qu'elle se plaît à faire !

Vous me rappellerez, peut-être, que j'oublie une chose, c'est que, chez plusieurs, une partie de cette activité absorbante se déploie en faveur d'oeuvres de bienfaisance, d'oeuvres chrétiennes, d'oeuvres de relèvement, qu'elle a pour but, enfin, l'édification du Royaume de Dieu sur la terre. Mais sommes-nous sûrs de ne pas obéir, même en accomplissant ces fonctions sacrées, à la loi fatale à laquelle notre nature veut nous asservir ? Que demandons-nous ? Le succès, le progrès, le chiffre qui étonne, ce qui est visible, et non pas seulement ce qu'il nous faut pour savoir faire humblement, patiemment, par la foi qui sait attendre et espérer en silence, l'oeuvre de Dieu et de Jésus-Christ. Vraiment, ce sont, ici encore, les choses visibles qui viennent exercer sur nous leur redoutable empire. Essayez de leur échapper ; vous ne le pourrez, à moins que Dieu ne vous tende pour cela sa bonne et secourable main, et qu'il n'opère en vous, par son Esprit, un changement merveilleux.

II

Après nous être occupés du monde des choses visibles, nous aurons à parler, mes frères, du monde des choses invisibles. Voyons d'abord de quels moyens Dieu se sert pour nous donner des yeux qui voient ce monde nouveau, insaisissable. Plus d'un des mystères dont l'histoire du Royaume de Dieu et la vie des enfants de Dieu sont pleines, trouvera ici son explication. À plus d'un pourquoi sera donnée ici une réponse, et sur plus d'un sentier que la raison humaine dit être couvert de ténèbres, se répandra un rayon de lumière.

Considérez, entre autre, l'événement qui a marqué le commencement de l'ère chrétienne, le commencement des temps de la nouvelle Alliance, dont les membres, de préférence à ceux de l'Alliance d'autrefois, sont appelés à regarder non pas aux choses visibles, mais aux invisibles. Je veux parler de la fin que Jésus a prise à Jérusalem. Nous n'avons pas à nous occuper ici de l'oeuvre de salut qui s'est accomplie sur la croix de Golgotha ; nous n'avons à envisager celle-ci qu'à un point de vue spécial. Qu'était-elle, pour ceux qui se tenaient là, sinon l'anéantissement le plus complet des choses visibles ? Après cet événement, que restait-il à ces disciples du Seigneur qui auraient voulu voir, voir des yeux de la chair, le Royaume de Dieu venant sur la terre avec éclat ? Rien, mes frères, rien de ce qu'ils avaient espéré pouvoir contempler et toucher ! Les choses visibles, la main de Dieu les avait enlevées dans un suprême effondrement.

Nous serait-il difficile de deviner la grande leçon qui a été donnée par là aux générations chrétiennes de tous les temps ? Dieu a voulu leur enseigner, par une leçon de choses sérieuse entre toutes, à regarder, non pas aux objets passagers qui remplissent la terre, aux choses qui attirent et qui frappent l'attention de l'homme naturel, mais aux grandes et saintes réalités du monde invisible et éternel.
Mais à côté du fait unique en importance que je viens de rappeler, ravivez des souvenirs plus proches.

Quelle tournure inattendue les choses ne prennent-elles pas souvent dans nos vies à nous ! Quelles déceptions que celles qui nous sont réservées ! Les choses visibles qui avaient pris et auxquelles nous avions donné une place si grande dans nos préoccupations, ont engendré pour nous plus d'un chagrin et plus d'un souci. Nos affaires se sont compliquées, notre existence, à plus d'un égard, est devenue difficile, nos forces naturelles ont baissé, nous avons senti avec tristesse notre insuffisance à faire ce que, dans les jours d'autrefois, nous accomplissions sans effort ; nos appuis visibles, terrestres, sont tombés ; les amis de notre jeunesse se sont faits rares, et l'avenir, assombri par plus d'un nuage, n'est guère rassurant. Les choses, les hommes, rien ne semble plus être à sa place. Ce qui est visible est ébranlé. Le monde passe et nous passons avec lui. Est-ce là ce que nous avions rêvé et espéré ?

Un grand peintre a laissé à une de nos galeries suisses un tableau représentant un vieillard fatigué, affaissé, faisant errer un regard mélancolique sur le chemin que sa nacelle a parcouru sur l'océan de la vie, et cette oeuvre porte cette légende : « Les illusions perdues. » Mais croyez-vous que cette interprétation des déceptions humaines soit la bonne ? Dieu ne viserait-il, en faisant périr sous nos yeux les choses visibles, qu'à remplir le coeur de l'homme de tristesse et de découragement ? Celui, à la droite duquel il y a un rassasiement de joie à toujours, et en qui sont les sources de la vie, nous réserverait-il un sort si peu propre à révéler au coeur ses perfections divines ? Vous n'admettrez pas cela. Les intentions de Dieu sont autres. S'il veut que les choses visibles finissent, c'est afin qu'à la vue de ce spectacle douloureux, nous apprenions qu'il existe des choses invisibles qui ne finissent jamais. Vous pouvez trouver la leçon dure, elle n'en est pas moins bonne pour cela. Et jamais, si elle ne nous était donnée, nous n'arriverions à comprendre cette ligne de St-Paul : Nous ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles.
Le monde des choses invisibles, c'est le monde de la foi, de la charité et de l'espérance, le monde où règnent la vérité et la justice ; c'est le monde où la fidélité et la puissance de Dieu sont constamment à l'oeuvre pour le plus grand bien de ceux qui ont cru.

Vous ne voyez aucune de ces choses, mais Dieu veut, parce que ce sera là notre bonheur, qu'elles viennent occuper en nous la grande place. Le monde des choses invisibles, c'est le monde où Jésus-Christ règne et vers lequel il conduit son Église. Vous ne voyez pas ce bon Maître ; vous ne voyez pas, comme vous voyez les objets de la terre, l'amour dont son coeur est plein pour vous, la sagesse qu'il déploie en s'occupant de vos affaires, la force qu'il offre au faible, la main qu'il tend à son racheté afin que celui-ci ne tombe pas dans le chemin glissant ou rocailleux où il est appelé à marcher. Le monde des choses invisibles, c'est ce royaume qui ne peut être ébranlé après que ses fondements ont été jetés sur la colline de Golgotha par le Fils même du Dieu vivant, devenu l'homme de douleur par excellence. Vous ne le voyez pas, il est destiné à rester l'objet de la foi chrétienne, mais il existe, il appartient, avec ses richesses, sa gloire et sa paix, aux rachetés de Jésus-Christ. L'Écriture les nomme les héritiers du salut, et ouvre devant eux des horizons sans nuages dans la communion de Celui qui les a sauvés. L'apôtre l'avait compris, et son regard, fatigué des choses de la terre, s'était fixé sur ce qui ne se voit pas. Dans l'aspect des choses invisibles, il puisait la force de faire sa tâche de chrétien, et de combattre le bon combat. Comme lui, nous devons accomplir l'oeuvre à laquelle nous appelle la terre, être vaillants au poste qui nous est assigné. Dieu ne veut pas de pieux rêveurs, et sa bénédiction est promise au labeur, accepté sans murmure et accompli en son nom. Mais nul ne peut oublier, sans que son coeur et sa vie tout entière en souffrent, que l'âme, le coeur et l'esprit doivent être orientés, non pas vers la terre, mais vers le ciel, le ciel avec ses trésors invisibles de patience, de pardon, de vérité, d'amour et de salut.

Du reste, ne l'avez-vous pas remarqué plus d'une fois ? Le regard tourné vers la terre, trouble et fatigue le coeur ; nul ne supporte sans faiblir de marcher l'oeil fixé sur les choses visibles. Mais ce qui donne de la force à celui qui doit travailler, lutter, persévérer ; ce qui rend à l'âme et au coeur le courage que la terre leur a ravi, ce qui répand sur l'existence la plus assombrie même selon le monde, de larges rayons de lumière, c'est le regard levé vers les choses qui sont éternelles, vers ce Sauveur qui ne manque pas à sa promesse d'être avec ceux qui ont cru, vers ce monde nouveau où tout est paix et clarté. Vous donc qui dites : Mon pied a glissé ; vous que vos forces naturelles ont trahi, vous auxquels la tâche qui vous attend chaque matin parait bien lourde : regardez aux choses invisibles. Ce sont là les montagnes d'où vous viendra le secours. Pour être victorieux de la terre, il faut les forces du ciel. Pour demeurer debout au milieu du tourbillon des affaires, du monde qu'on voit, il faut un appel journalier et énergique au monde qu'on ne voit pas. Amen.


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