Sermons et
Méditations
La tourmente apaisée.
Ce même jour, sur le soir,
Jésus leur dit : Passons à
l'autre bord. Après avoir renvoyé la
foule, ils l'emmenèrent dans la barque
où il se trouvait ; il y avait aussi
d'autres barques avec lui. Il s'éleva un
grand tourbillon et les flots se jetaient dans la
barque, au point qu'elle se remplissait
déjà, Et lui, il dormait à la
poupe, sur le coussin. Ils le
réveillèrent et lui dirent :
Maître, ne t'inquiètes-tu pas de ce
que nous périssons ? S'étant
réveillé, il menaça le vent et
dit à la mer : Silence !
tais-toi ! Et le vent cessa et il y eut un
grand calme. Puis il leur dit : Pourquoi
avez-vous ainsi peur ? Comment n'avez-vous
point de foi ? Ils furent saisis d'une grande
frayeur et se dirent les uns aux autres : Quel
est donc celui-ci à qui obéissent le
vent même et la mer ?
Marc
IV, 35-41.
Celui qui lit attentivement le livre des
Psaumes, ce recueil de cantiques des fidèles
du passé, est frappé de voir avec
quelle humilité et quelle
persévérance ces hommes cherchent le
secours et la protection de Dieu. Peut-être
aura-t-on raison de dire que les grandes questions
de la vie chrétienne, celles du pardon et de
la grâce divine, sont encore, pour
quelques-uns d'entre eux, au second rang. Mais ce
qu'on ne niera pas, c'est qu'il y ait eu en eux
tous un sentiment profond de la faiblesse humaine,
qui réclame à grands cris un soutien,
un guide, un protecteur. Ce qui n'est pas moins
certain, c'est que ces croyants
de l'ancienne alliance ont su se réfugier
avec une confiance touchante à l'ombre des
ailes de leur Dieu ; qu'ils ont remis la
direction de leur vie entre les mains du
Tout-Puissant, et qu'ils nous ont laissé de
magnifiques témoignages rendus à la
fidélité de Celui qui, dans toutes
leurs détresses, leur a tendu une main
paternelle et secourable.
Pour nous, qui leur avons
succédé dans les rangs des enfants de
Dieu sur la terre, rien n'a changé quant aux
conditions de la vie quotidienne. Notre existence,
ici-bas, ressemble à tout point de vue
à la leur. Elle n'est ni plus calme ni plus
assurée. Peut-être aura-t-on raison de
dire que les siècles écoulés
ont ajouté aux jours de l'homme des
incertitudes et des tourments inconnus autrefois.
Quoi qu'il en soit, la consolation d'Israël
existe aussi pour nous. Je dirai même que
nous la possédons non seulement pleine et
entière, mais augmentée, plus
vivante, plus personnelle. Que vous dit cet
admirable récit que nous avons lu tout
à l'heure et dont les détails
semblent avoir laissé une impression
profonde dans l'âme des disciples de Christ,
si ce n'est que Dieu, dans la personne de son Fils,
est venu partager les dangers que court et les
luttes que doit soutenir sa créature ?
Que nous dit-il encore, si ce n'est que Dieu a
donné à quiconque croit, dans la
personne de Jésus, un ami tout-puissant qui,
d'une main sûre, guidera la nacelle des siens
à travers les éléments en
fureur, jusque dans le port
désiré ? Que nous dit-il, sinon
qu'avec une assurance plus ferme
encore que celle d'Israël, nous devons tout
remettre à Celui que nous nommons notre bon
et miséricordieux Sauveur ?
I
Peut-être, pour bien comprendre la valeur
et la beauté de ces appels et de ces
promesses, faut-il avant tout nous rendre compte,
une fois de plus, des conditions du chrétien
qui traverse la terre, envisager en face les
réalités de la vie présente,
dire les choses telles qu'elles sont. Pour
ceux-là mêmes qui connaissent
l'Évangile et qui ont cru au Sauveur du
monde, le voyage de la vie ressemble d'une
manière frappante à cette
traversée du lac de
Génézareth, si mouvementée,
où la barque portant Jésus et ses
disciples était exposée aux plus
grands dangers.
Remarquez que la présence du
Maître qui, à ce moment, était
à l'apogée de son activité et
qui venait d'accomplir toute une série de
miracles plus beaux les uns que les autres, n'a pas
garanti ses amis de l'accident que les
évangélistes décrivent en ces
termes : Et il s'éleva un grand
tourbillon de vent, et les vagues se jetaient dans
la barque, en sorte que la barque s'emplissait
déjà. Quoiqu'il fût là,
lui dont la réputation était sur
toutes les lèvres et qui, en portant un
regard d'amour sur la famille
spirituelle qui l'entourait, avait dit :
Quiconque fera la volonté de Dieu,
celui-là, sera mon frère, et ma soeur
et ma mère, - quoiqu'il fût là,
Celui qui avait de la sorte épousé en
plein la cause des siens, les disciples
n'échappèrent pas à cette
heure de suprême angoisse.
Remarquez encore que leur divin Ami,
après avoir laissé venir la
tempête, permet à celle-ci de se
déchaîner dans toute sa fureur. Il
était à la poupe, dormant sur un
oreiller. Sa bouche qui avait su commander, avec
autorité, à tant de malheurs, tant
d'épreuves, tant de puissances de
l'abîme, tant de désolations et tant
d'épouvantes, ici, elle demeure muette. Sa
main, qui s'était étendue pour
guérir, pour délivrer, ici, elle
repose inerte. Il est là, on le touche, lui,
devant lequel tout avait plié, mais il a
l'air d'avoir oublié, il sommeille !
Remarquez, enfin, que ces hommes qu'il
abandonne à leur grande détresse,
sont au bout des ressources que leur fournissaient
leur habitude du lac, les années qu'ils
avaient vécu sur ses eaux, toute leur vie de
pêcheurs. Des lèvres de ces
vaillants ; vous entendez sortir un cri
désespéré. L'auraient ils
poussé, s'ils avaient connu encore quelque
moyen d'échapper à une mort qui leur
paraissait certaine ? Et maintenant, dites,
n'est-ce pas là l'image de la vie du
chrétien, non pas telle que l'homme l'a
rêvée, mais telle que le Maître
l'a voulue pour n'importe lequel de ses disciples.
Il s'en est trouvé, sans doute, qui se sont
dit que le chrétien, vivant dans la foi au
Fils de Dieu, occuperait au sein
de l'humanité livrée à mille
maux, constamment menacée dans sa
prospérité, souffrante et saignante,
je ne sais quelle place privilégiée,
à l'abri des vagues, des vents et de la
tempête. Le Seigneur permettrait-il que ses
bien-aimés aussi fussent surpris par
l'épreuve ? Ne veillerait-il pas
à ce que l'homme qui s'est confié en
lui, échappât à l'embarras,
à l'heure sombre, aux atteintes de la
maladie, aux humiliations d'une situation trop
compliquée, trop difficile pour sa
faiblesse, dépassant ses forces
intellectuelles et physiques ? Vain
espoir ! Pas plus que sur le lac de
Tibériade, la présence de
Jésus dans une maison, dans un coeur, dans
une vie, ne garantit un ciel toujours serein, ni le
calme d'un beau soir.
Les plus excellents d'entre ceux qui ont
marché sur les traces du Sauveur, ne
parlent-ils pas des souffrances du temps
présent, et n'ont-ils pas vu éclater
sur leur tête plus d'un orage qui les a fait
trembler ? Pas plus que pour les premiers
disciples, voguant sur une mer en fureur, le
Seigneur n'est toujours intervenu au moment
même où l'homme l'eût
jugé opportun et nécessaire. Il a
dormi dans la barque. Ne dirait-on pas qu'il dort
encore, là où se prolongent les
difficultés, où s'accumulent les
obstacles, où chancellent les oeuvres
chrétiennes, où l'iniquité
triomphe, où le peuple de Dieu succombe, ou
bien aussi lorsque quelque chrétien
isolé attend d'année en année
que le Maître agisse et délivre, lui,
dont la Bible et l'expérience
chrétienne proclament la bonté
et la puissance ?
Oh !
qu'elle est actuelle, dès lors, qu'elle est
excellente, aujourd'hui encore, cette parole de
l'auteur de l'épître aux
Hébreux : N'abandonnez pas votre
confiance qui doit avoir une si grande
récompense, car vous avez besoin de
patience, afin qu'après avoir fait la
volonté de Dieu, vous remportiez l'effet de
la promesse. Elle est grande enfin, de nos jours,
autant qu'à l'heure où la troupe des
disciples traversait le lac avec le Maître,
elle est grande, la faiblesse de l'homme. Son
insuffisance éclate de toutes parts !
Bien vite le plus habile trouve son maître.
Bien souvent la journée amène
l'imprévu et la perplexité. Nos
aptitudes, notre savoir-faire, nos trésors
d'expériences, nos plus sages
précautions, les calculs de notre prudence
les mieux combinés, aucune arme, prise dans
cet arsenal, ne suffit pour combattre avec
succès l'ennemi de notre bonheur !
Vraiment, la situation du chrétien, elle
peut être, elle peut devenir, d'un instant
à l'autre, celle de ces hommes que, tout
à l'heure, nous avons vus voguer sur la mer
galiléenne.
II
Mais voyez. Ce n'est pas là le seul trait
de ressemblance qui existe entre eux et nous. Il en
est un autre encore, et j'ai
hâte de le signaler. Tout à coup, je
vois se dresser cette figure qui reposait immobile
et impassible au fond de la barque. En Celui qui,
naguère, ne semblait être autre chose
qu'un homme sujet aux mêmes infirmités
que nous, un être fatigué,
accablé sous le fardeau du jour,
épuisé pour avoir trop donné,
succombant, vaincu ; en ce Jésus se
présente à mon regard
étonné le Fils de ce Dieu dont le
psalmiste avait dit : Sa voix retentit, sur
les grandes eaux ; le Dieu de gloire,
l'Éternel fait tonner sur les eaux ; la
voix de l'Éternel est magnifique ; la
voix, de l'Éternel est puissante ! Le
Maître - oh ! c'est ici qu'il l'est plus
que jamais - le Maître se lève, il
réprimande le vent et dit à la
mer : Tais-toi, fais silence ! Et devant
la majesté de cet ordre s'inclinent les
éléments. Le vent s'apaise ; il
se fait un grand calme ! Les forces vives de
la nature en convulsion sont domptées. Le
péril est conjuré. Les disciples ont
la vie sauve. L'incrédulité, ici, n'a
vu qu'un langage figuré ; elle a
déclaré les victoires de Jésus
sur la création inanimée plus
incroyables encore que ses guérisons de
malades et ses miracles opérés sur la
personne des possédés du
démon. Pour nous, loin de nous laisser ravir
un Sauveur dont la main n'est jamais trop courte
pour délivrer, ni l'oreille trop pesante
pour entendre, et pour lequel n'existe aucune de
nos impossibilités humaines ; pour
nous, qui ne lirons jamais cette page de nos
Évangiles sans une émotion profonde,
nous dirons que Jésus règne et
qu'il mettra, aujourd'hui
comme
jadis et à l'heure favorable, sa divine
puissance au service de l'homme qui croit et qui
regarde à lui.
Eh quoi ? La vie du
chrétien, l'histoire de nos familles,
l'histoire des missions évangéliques,
l'histoire de l'Eglise de Jésus-Christ,
l'histoire de son règne sur cette terre, ne
sont-elles pas là pour prouver que le temps
des miracles semblables à celui du lac de
Génézareth, le temps des
délivrances signalées, merveilleuses,
si grandes souvent et si inattendues que l'homme
est resté muet d'étonnement, n'est
pas encore passé ? Qu'ils
s'éveillent pour rendre leur
témoignage, ces souvenirs qui sommeillent au
fond de nos coeurs et de nos mémoires.
Arrachons à l'oubli où nous les avons
laissées tomber, ces choses que nos yeux ont
vues et qui nous ont parlé de la puissance
et des compassions infinies de Dieu en
Jésus-Christ ! Que de fois, au milieu
des tempêtes déchaînées
sur nos têtes et des vagues soulevées
pour engloutir notre barque, n'avons-nous pas
entendu, nous aussi, cette parole : Tais-toi,
fais silence ! Nous avons compris alors la
grandeur de nos privilèges. Assimilés
aux enfants de ce monde dans l'épreuve qui
nous a frappés tout aussi bien qu'eux, nous
ne leur avons cependant pas ressemblé, nous
autres sur les lèvres desquels Dieu a fait
naître ce cantique de louange : Dans
toutes leurs détresses, il a
été en détresse et l'ange de
sa face les a délivrés ;
lui-même les a rachetés par son amour
et par sa pitié ; il les a
portés et il les a élevés et
il a été leur
Sauveur ! Le
chrétien, c'est l'homme béni, l'homme
heureux, l'homme au sort duquel il faut porter
envie, parce que ses heures de tribulation et
d'angoisse même servent à faire
éclater la gloire du Dieu d'amour, du
Seigneur tout-puissant qu'il sert.
III
Je sais, et il ne m'est point permis de taire
qu'il a plu à Dieu et à
Jésus-Christ de lier leur promesse à
une condition : Si tu crois, a dit, sur la
tombe de Lazare, le Maître à son amie
en détresse. Si tu crois, il nous le redit
à nous aussi. Mais la foi qui obtient la
délivrance, qu'est-elle ? Je ne demande
pas ce qu'elle devrait être, parce que votre
coeur le sait : une foi qui ne doute pas, une
foi trop ferme pour trembler, une foi qui, jusqu'au
milieu de l'orage, repose, confiante, entre les
bras de Dieu. Mais je demande quelle est cette foi
à laquelle le Seigneur daigne
déjà regarder, qu'il ne repoussera
pas et qu'il ne déclarera pas absolument
indigne de son bienfait. Je demande au récit
qui nous occupe, et pour rassurer les âmes
craintives et hésitantes, quelle est la foi
dont, plein de condescendance, Jésus-Christ
se contentera et à laquelle il
répondra par la manifestation de sa
puissance ? Effrayés,
bouleversés, se croyant
perdus, que font les disciples ? Ils
réveillent le Maître endormi et ils
lui crient : Ne te soucies-tu point que nous
périssions ? Hélas ! dans
leur manière d'être, dans l'accent de
leur voix, dans la nature de leur appel, il
découvre un élément impur qui
l'afflige. Dans ces hommes dont il s'était
tant occupé et qui avaient été
les témoins de ses hauts faits, son regard
trouve les restes du seul péché qui
ferme devant la créature humaine le ciel
avec toutes ses vertus. À cette foi qui
s'élance au-devant de lui et qui lui demande
le miracle, il voit mêlée
l'incrédulité. pourquoi ?
dit-il, êtes-vous ainsi craintifs ?
Comment n'avez-vous pas de foi ?
Néanmoins, - je constate le fait, - il sauve
cette troupe de pauvres perdus ! Pour agir, il
n'attend pas que leur foi soit parfaite. Il a
compassion de leur faiblesse. Il se dit que c'est
en le voyant les arracher à la mort, qu'ils
apprendront à croire d'une foi plus digne de
ce nom. Il les blâme, oui, mais avant de
blâmer, il bénit et il
délivre ! Et moi qui lis ces choses sur
les pages du volume sacré, je prends
courage, parce que je comprends que mon Sauveur ne
brise pas le roseau froissé et
n'éteint point le lumignon qui fume à
peine. Je me dis qu'il me recevra, moi aussi, dont
la foi est encore si petite et si
entremêlée de doute. Tel que je suis,
je me lève, je vais à lui et je lui
dis : Sauve-moi, car je péris ! Et
lui, qui n'a pas abandonné les disciples sur
le lac, il ne m'abandonnera pas non plus. Comme
eux, je verrai sa gloire et je comprendrai toujours
mieux que tout est grâce
et que ma foi même n'a rien
mérité. Oh ! mes frères,
qu'il grandit à nos yeux comme il a grandi,
un jour, aux yeux de ses premiers disciples, le
Sauveur qui agit de la sorte à
l'égard du misérable qui le cherche.
La majesté divine qui leur est apparue en
Jésus, arrache à ceux qu'il a
sauvés des flots ce cri
d'étonnement : Qui est Celui à
qui le vent et la mer obéissent ? Ce
qu'ils ont dit, nous le répéterons
sans doute ; mais nous ajouterons, confus et
humiliés autant que réjouis :
Qui est Celui qui attend de nous si peu et se
plaît à nous faire de si grandes
choses ? Amen.
Zachée le
péager.
Il faut que je demeure
aujourd'hui dans ta maison.
Luc
XIX, 5.
Qui ne connaîtrait, qui n'aimerait le
récit de la rencontre de Zachée, le
péager de Jéricho, avec Jésus,
montant à Jérusalem pour y
mourir ? Peut-être n'y a-t-il, dans la
Bible, pas beaucoup de pages qui nous parlent,
d'une manière plus simple et plus touchante,
de la bienveillance du Sauveur, de sa bonne
volonté envers l'homme qui le cherche, de
son empressement à aller au-devant des
premières aspirations d'une âme qui se
tourne vers lui. C'est devant ce beau trait que
nous voudrions placer, non pas tout d'abord les
chrétiens affermis, connaissant le
Maître dès longtemps et ayant
marché depuis nombre d'années sur ses
traces, mais ceux-là plutôt, qui,
ballottés entre la certitude et le doute,
ont jeté sur lui un regard interrogateur.
Nous voudrions amener ici les commençants
dans la vie chrétienne, qui ont entendu
parler de Jésus et qui, sur la foi de ce qui
leur a été dit, se demandent s'ils ne
feraient pas bien de se joindre à la troupe
de ses disciples. Nous
voudrions montrer ce Sauveur encore à
quiconque aurait de la peine à supprimer la
crainte de n'être pas assez avancé en
connaissance, en amour, en foi pour pouvoir lui
plaire et être digne de lui. Nous voudrions
parler de lui, enfin, à l'homme qui,
après avoir compris que le monde ne saurait
lui suffire, ni le rendre heureux, ne sait pas
encore que le bonheur, le salut, la paix et la vie
sont dans la personne de Jésus et seront
reçus par qui possédera ce Sauveur.
Venez donc, vous qui hésitez encore, qui
savez à moitié, qui avez
éprouvé les premiers attraits de
l'amour de Jésus-Christ, venez voir le
Seigneur se portant lui-même au-devant de
Zachée et accomplissant dans cet homme une
oeuvre à peine commencée. Venez,
voyez-le sauvant l'un de ceux qui étaient
perdus, et qui, sans lui, eussent été
perdus à toujours.
I
À deux lieues du Jourdain, à sept
de Jérusalem, reposait, au sein d'une oasis
délicieuse, Jéricho, la ville des
palmiers. On y fabriquait un baume qui, très
recherché, se vendait dans toutes les
parties du monde alors connu, et le commerce
très considérable de la
localité - avait nécessité
l'établissement d'un
bureau de douanes romain. Or, avec celui-ci,
l'armée des publicains de l'empire, gens
dédaignés, redoutés,
haïs, y avait fait son entrée et y
exerçait son métier souvent plus
qu'inique.
C'est dans ce milieu que vivait
Zachée, juif d'origine comme le fait
supposer son nom, directeur des péages,
homme riche, St-Luc nous le dit. S'il souffrait de
la défaveur du peuple qui répandait
sur son existence une ombre noire, il
possédait par contre ce qui, selon
plusieurs, fait le bonheur de l'homme : une
position assurée et de bons revenus.
Cependant, il ne se sentait pas satisfait. On
devine ici une âme qui cherche et demande
autre chose. Je ne voudrais rien
exagérer ; je me garderai de vous faire
croire qu'il y avait en Zachée des
dispositions et des désirs extraordinaires.
Très sobre, le récit biblique ne nous
dit que deux choses, c'est qu'il cherchait à
voir quelle figure avait Jésus et que,
étant, de petite faille, il monta sur un
sycomore, sous lequel devait passer le
cortège accompagnant le Rabbi de Nazareth.
Bien évidemment, il avait entendu parler de
cet homme dont chacun disait tant de bien.
Peut-être lui avait-on rapporté ce
trait particulier que ce Juif, si différent
en cela de tant d'autres, portait dans sa poitrine
un coeur plein de compassion, même pour des
péagers. Il n'y a donc, au fond, rien
d'étonnant à ce qu'il ait
désiré connaître les traits de
ce bon Maître. Mais ne pensez-vous pas qu'il
nous soit permis de faire ici quelque
supposition ?
Zachée me rappelle tel homme,
telle femme qui, poursuivis par
le sentiment que la terre n'est pas tout ce qu'il
nous faut, éprouvant, en eux-mêmes, je
ne sais quel vide, quelle inquiétude, quels
besoins auxquels rien ne répond, quelle soif
d'une eau meilleure que celle qui jaillit sous
leurs pas, se sentent attirés, vaguement
peut-être, et cependant
irrésistiblement, vers ce Jésus que
confessent et que prêchent les
chrétiens. Vous les voyez sortir des rangs
des indifférents et des moqueurs, accomplir,
comme Zachée, un premier acte de courage,
braver les qu'en-dira-t-on, s'exposer hardiment aux
jugements des voisins, franchir le seuil d'un
temple, d'une chapelle, se mêler au petit
troupeau et écouter. Vous les voyez observer
les confesseurs de Christ, afin de surprendre en
eux quelques traits de la figure de Celui dont la
voix s'annonce tout bas dans leur coeur. Qu'est-il,
que dit-il, que peut-il, ce Jésus dont on
parle tant ? Serait-ce le Christ ?
Serait-il le chemin du bonheur ? Serait-il le
repos et la paix du coeur et de l'âme ?
Serait-il le but vers lequel tendent
secrètement les aspirations les plus intimes
de l'homme ? Je crois, mes frères, que
ceux qui se posent ces questions sont plus nombreux
que nous ne le croyons. Il est assez rare, tout
bien considéré, de trouver des
convictions arrêtées, des coeurs
complètement donnés, des
chrétiens formés. Mais ce qui est
bien fréquent, c'est de rencontrer des
Zachée, hommes et femmes accourant pour voir
et pour entendre et se demandant ce qu'il faut
faire.
Peut-être serions-nous
disposés, nous autres, à estimer
étrange qu'on puisse encore en être
là, ou à dire que l'heure de la
grâce et du salut ne sonnera pas encore de
sitôt pour ceux dont le coeur n'est pas plus
décidé à accepter la
vérité. Nous ressemblons en cela
à ces disciples que le Maître fut
obligé de blâmer, parce qu'il trouvait
en eux si peu de sa sagesse et de sa patience.
Combien, en effet, n'a-t-il pas été
bon, indulgent, plein de condescendance et rempli
d'un savoir-faire qui n'habite pas en nous !
Je suis touché, ému, en voyant sa
conduite, envers Zachée. Je me sens confus
en constatant que c'est précisément
la maison de cet homme, encore si peu digne de lui,
qu'il a choisie pour s'y rendre.
Vous savez ce qui s'est passé. En
s'approchant du sycomore qui cachait le
péager, Jésus appelle celui-ci. Le
nom de Zachée, découvert par la
foule, courait-il, à ce moment, de bouche en
bouche ? Tous les visages s'étaient-ils
tournés vers lui ? Quoi qu'il en soit,
Jésus qui avait vu Nathanaël sous le
figuier, voit le publicain sur son sycomore. Il
aperçoit en lui une âme qui le
cherche. Il comprend que le Père a mis sur
son chemin cette brebis perdue de la maison
d'Israël et de sa bouche jaillit cette
parole : Zachée, descends en
hâte, car il faut que je demeure aujourd'hui
dans la maison.
II
Eh quoi ! c'est donc à la table de
Zachée que s'assiéra
Jésus ? N'y en avait-il pas d'autres
qui eussent mieux mérité cet honneur,
et que leur passé, leurs conditions
sociales, leurs dispositions morales et
spirituelles eussent mieux préparés
à recevoir cet hôte auguste ?
Telle qu'est l'humanité, je m'explique les
murmures qui s'élèvent dans la foule.
Elle ne comprend pas, elle s'indigne. Elle dit
très haut que le Maître
vénéré fait mal en entrant
chez cet homme de mauvaise vie pour loger chez lui.
Mais Jésus ne s'arrête pas à
tout cela. Il faut, dit-il, que je demeure chez
toi. La loi de l'amour m'y contraint. Le
Père me l'ordonne. C'est ton toit qu'il a
choisi pour moi. Oh ! la grâce
inattendue, grande, merveilleuse qui éclate
ici. Gratuite, abondante, incompréhensible
pour l'homme qui calcule ses mérites, elle
vient embrasser l'existence du péager qui
était venu pour voir. Elle saisit, comme au
passage, cet homme pour lui faire faire un grand
pas en avant. Que Zachée comprenne, qu'il se
dise que le salut est maintenant près de
lui, qu'il accepte l'offre du Maître, qu'il
le reçoive, et un nouveau jour se
lèvera sur son coeur et sa vie. - Mes
frères, il y a ici, sous la forme d'un trait
historique, l'image de la miséricorde et de
l'amour divins tels qu'on les a vus se manifester
tant de fois, depuis les jours
de Zachée. Peut-être Jésus, sur
l'ordre du Père, agit-il, à ce moment
même et à l'égard de plus d'un
d'entre nous, comme il agissait envers le publicain
romain sur la route de Jéricho. Nous sommes
venus écouter et voir. Mais voici, le
Sauveur ne se contentera pas de nous donner le peu
que nous avons demandé ou cherché.
Mon frère, ma soeur, pour qui
Jésus n'est encore autre chose qu'un homme
qu'on admire ou bien un Sauveur qui a fait beaucoup
de bien à d'autres ; toi, qui t'es
approché de lui, qui as voulu le saluer,
dans ce jour du dimanche, avec la foule qui le
bénit et l'adore, laisse-moi te dire qu'il a
sur toi des intentions d'amour et de paix dont tu
ne t'es peut-être pas douté. Que
serait-ce, s'il te disait comme à
Zachée, - et pourquoi ne le ferait-il
pas ? - il faut que je demeure aujourd'hui
dans ta maison. Mais rendons-nous compte de ce que
cela signifierait. Ce serait Jésus, devenu
d'un Dieu de loin qu'il était, un Dieu de
près, l'hôte du foyer, l'ami de la
famille, le confident du coeur, le Sauveur de
l'âme perdue. Ce serait le pécheur
jeté dans les bras de Jésus et
Jésus prenant possession du pécheur.
Ce serait un rapprochement qui amènerait les
plus grandes conséquences. Que de
détails devront changer dans la demeure
devenue la demeure de Jésus ! Que de
petits désordres devront disparaître
en présence de l'hôte
céleste ! Lui reçu, ce sera
l'obligation de le confesser, de prendre des
décisions devant lesquelles la
lâcheté du coeur a toujours
reculé. Pas moyen de cacher
telvoyageur de distinction qui
aurait franchi notre humble seuil ! Pas moyen
non plus de cacher Jésus, une fois qu'il a
fait son entrée chez nous ! - En face
de cette situation, je me demande, mes
frères, ce que nous ferions, je te demande,
mon ami, ce que tu ferais, si Jésus te
disait aujourd'hui : Il faut que je demeure
dans la maison. Zachée, à l'appel du
Maître, descendit rapidement de son sycomore
et le reçut chez lui. Et toi, imiteras-tu le
péager ? Éprouveras-tu la joie
qu'il a éprouvée ?
T'empresseras-tu d'accepter comme il a
accepté ? Lui ouvriras-tu ta maison, je
veux dire ton coeur, dans le pressentiment qu'enfin
tu tiens le bonheur et que tu sauras, par
expérience, ce que sont la vie
chrétienne et le salut ? Oh !
n'hésite pas, ne permets pas aux objections
de ta raison ou de ton coeur d'élever leur
perfide voix. Il n'y a ici rien à
perdre ; il y a ici tout à gagner.
Jésus, logé sous ton toit ; ta
maison, devenue sa maison ! je le
répète : ce sera le bonheur,
puisque ce sera la paix et le salut. Hâte-toi
donc de lui ouvrir ta porte, et pour que tu sois
encore mieux instruit de ce qui t'attend, suis-moi
dans la demeure du péager ayant reçu
le Sauveur.
III
Il est une erreur bien répandue, c'est de
croire qu'une première rencontre de
Jésus avec le pécheur
suffit pour transformer
celui-ci. Ce serait le coup de baguette du
magicien. Mais la Bible ignore ces
miracles-là. Elle ne cache pas, pour en
revenir au récit qui nous occupe, que
Zachée, même après avoir
passé avec Jésus quelques heures, que
sais-je ? une journée, n'a pas
été un disciple de Christ accompli.
Elles nous étonnent quelque peu, n'est-il
pas vrai, elles nous scandalisent presque, ces
paroles que le publicain prononce devant son
hôte : Seigneur, je donne la
moitié de mes biens aux pauvres, et si j'ai
fait tort à quelqu'un en quelque chose, je
lui en rends quatre fois autant. Il n'avait donc
rien de mieux à dire ! Eh quoi ?
Une petite apologie ! Un petit mot qui
signifiait à peu près ceci :
« Tu ne t'es pas mépris en
acceptant l'hospitalité sous mon toit ;
tout péager que je suis, j'ai mes
qualités. » Et voilà la
réponse de cet homme à la haute
distinction, à la grâce magnifique
dont il a été l'objet !
Oh ! combien il est difficile au coeur humain
de ne pas dévoiler, même dans une
heure bénie, quelqu'une des innombrables
faiblesses qui le caractérisent. Coeur
rusé, coeur
désespérément malin, oui,
c'est bien cela ! Mais s'il y a là un
détail qui ne saurait manquer de me frapper,
il est un autre fait qui m'étonne plus
encore : c'est que Jésus, plein de
patience et de support, ne se détourne pas
avec un soupir de l'homme qui saisit si mal, si
difficilement la vérité. Remarquez
qu'il n'a pour Zachée pas le plus petit
blâme, pas le plus petit mot trahissant son
étonnement, sa surprise, sa
déception. Au lieu de
cela, j'entends sortir de
ses
lèvres cette belle parole : Le salut
est entré aujourd'hui dans cette maison,
parce que celui-ci est aussi enfant d'Abraham.
C'est dire que ce Sauveur, quelque grande que soit
encore, pour l'heure présente, l'oeuvre qui
reste à faire dans Zachée, ne
désespère pas ; non, il est
plein d'espoir, car ce pauvre pécheur
possède, lui aussi, les promesses de
Dieu ; elles s'accompliront pour l'amour de
Celui qu'il a accueilli à son foyer.
Jésus, c'est le salut, et Zachée
fût-il encore bien éloigné du
royaume de Dieu, Jésus, son hôte, l'y
amènera et le sauvera.
Mes frères, je m'empare et je
vous supplie de vous emparer tous par la foi de
cette pensée. Lorsque Jésus, dans
quelque jour béni, dans quelque heure de
grâce, tels que Dieu les donne, aura
été reçu par le
pécheur, lorsqu'il sera devenu l'hôte
de la maison, le grand pas est fait. Qu'il reste
là plus d'un triste souvenir qui rappelle ce
que nous sommes de nature, plus d'une douloureuse
humiliation, qui le nierait ? qui ne le
saurait ? qui n'en aurait jamais
pleuré ? Mais croyons-le, en
Jésus nous tenons néanmoins le salut.
Avec lui, le salut est entré dans notre
maison. Nous le comprendrons en le voyant s'occuper
de nous par son Esprit, nous reprendre, nous
ramener à l'ordre, nous relever, nous
instruire, nous consoler, nous fortifier, nous
former pour son Royaume. Son oeuvre, il ne la
laissera pas inachevée. Il l'accomplira en
son temps et pour sa gloire, lui, venu pour
chercher et sauver ce qui
était perdu. Une seule chose importe, c'est
que notre maison lui reste ouverte, qu'elle demeure
sienne et que nous le recevions avec joie quand il
nous dira comme à Zachée : Il
faut que je demeure chez toi. Amen.
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