Sermons et
Méditations
Ne crains point, crois
seulement.
Luc VIII, 50.
Ne crains point, crois seulement !
peut-être cette parole que Jésus
adressa un jour au chef de la synagogue,
Jaïrus, est-elle du nombre de celles dont le
chrétien, aujourd'hui encore, a le plus
besoin, Elle ne manquera dans aucun recueil de
passages destiné à
l'édification des fidèles. Vous la
retrouverez sur la paroi de plus d'un
intérieur chrétien. Elle fera
toujours vibrer une corde dans le coeur de l'enfant
de Dieu. Il y a là, tous le sentent, quelque
chose qui fait du bien à ceux dont le pied
foule cette terre pleine d'incertitudes, riche en
difficultés et en douleurs. Il y a là
comme un lieu de refuge et de salut s'offrant
à notre faiblesse. Il y a là une main
divine qui se tend au-devant de la nôtre et
que nous sommes invités à saisir,
afin qu'elle nous soutienne et nous sauve.
Ne crains point, crois seulement !
Vraiment, s'il est une parole qui nous prouve que
celui qui l'a dite a compris la situation qui nous
est faite ici-bas, c'est bien celle-là. Il
sait de quoi nous sommes faits ; il se
souvient que nous ne sommes que poudre. Les jours
de l'homme sont comme l'herbe ; il se
flétrit comme la fleur champs. Le vent ayant
passé par-dessus, elle n'est plus, et son
lieu ne la reconnaît plus. C'est par
Jésus-Christ, parlant
dans la maison de Jaïrus, qu'ont
été confirmées ces assertions
du Psalmiste. C'est par lui aussi que le Dieu des
miséricordes a fait renouveler à
l'âme croyante cette promesse de secours, qui
faisait la consolation d'Israël : Mais la
bonté de l'Éternel est de tout temps
et à toujours sur ceux, qui le craignent, et
sa justice sur les enfants de leurs enfants pour
ceux qui gardent son alliance et se souviennent de
ses commandements pour les accomplir.
Ne crains point, crois seulement ! Oui,
voilà sur les lèvres du Fils du Dieu
vivant, devenu notre frère, et dans les
termes de la nouvelle alliance, la ratification de
toutes les grâces du passé. Rien de
plus simple, rien de plus touchant, rien de plus
consolant non plus que cet appel. C'est
l'Évangile dans toute sa beauté,
l'Évangile adapté aux circonstances
de notre vie de tous les jours, l'Évangile
qui, après avoir éclairé de sa
lumière le chemin spirituel du pauvre
pécheur et guéri son âme,
répand encore sa clarté sur la route
souvent étroite et difficile, dans laquelle,
étranger et voyageur ici-bas, le
chrétien s'avance vers sa vraie patrie. Ne
crains point, crois seulement ! Oh !
bénissons Dieu de nous avoir donné
cette parole par Jésus, le Sauveur
I
Ne crains point ! Il est évident,
mes frères, que Dieu ne demande pas à
tous ses enfants le même
dépouillement
pénible. Sa sagesse cachée nous
conduit, nous qui avons cru en son nom, par des
sentiers qui ne se ressemblent pas.
Dans ses dispensations à notre
égard, pas plus que dans aucune autre partie
de son oeuvre, ne se trouve cette uniformité
que la raison humaine a l'air de vouloir
réclamer parfois de la part de la justice
suprême. Autant de vies, de coeurs,
d'âmes, autant d'éducations
différentes. Il serait difficile, cependant,
d'en découvrir, au sein de ces millions que
Dieu, par les moyens dont il dispose,
élève pour son céleste
Royaume, un seul qui n'ait jamais
éprouvé le besoin d'entendre ces
trois mots : Ne crains pas !
Ah ! je le sais, il y eut un temps, il
s'est trouvé même sur cette terre qui
nous porte, un lieu où l'homme a
ignoré la crainte. Mais au moment même
où la créature, sortie heureuse et
bonne des mains du Créateur, s'est
livrée au péché, tout a
changé ; la crainte a fait irruption
dans le paradis, et le coupable, se cachant sous
les arbres du jardin, a dit une première
fois : J'ai craint ! Dès lors,
l'inquiétude, le souci, le chagrin et la
peur se sont attachés aux pas du
pécheur. Pas un qui ne connaisse ces
trouble-fête, ces ennemis du bonheur et de la
paix. La lutte, et avec elle la crainte, a
été la part de tous. Ne la
rencontrons-nous pas à chaque instant, cette
lutte qui nous fait toucher du doigt toute notre
faiblesse, toute notre impuissance, et dont l'issue
nous semble incertaine ? Nous sommes si peu de
chose pour soutenir le combat contre les
épreuves et les douleurs
de la vie !
Prenez, à côté de tant
d'autres, un exemple frappant entre tous. Voyez
cette maison de Jaïrus, pour laquelle a
été prononcée, un jour, cette
parole : Ne crains pas, trois seulement !
Il y avait à Capernaüm une famille
heureuse et respectée. Chacun la
connaissait. Chacun se souvenait du beau jour
où Dieu, par le don d'un enfant resté
unique, avait couronné le bonheur
qu'abritait le toit du chef de la synagogue. Et la
jeune fille avait grandi, environnée de
sollicitude humaine et sous le regard protecteur de
l'Éternel. Elle avait atteint l'âge de
douze ans, lorsque la maladie la saisit.
Bientôt, il n'y a plus d'espoir et le
père, laissant son épouse au chevet
de la mourante, va se jeter aux pieds du puissant
prophète dont le nom était sur toutes
les lèvres. Il le supplie de venir dans sa
maison. Le Maître se met en marche, mais une
autre malheureuse, une femme malade depuis douze
ans, l'arrête. Un temps précieux
s'écoule et le terrible destructeur
achève son oeuvre. Ta fille est morte ;
ne fatigue pas davantage le Maître !
Terrifiant message ! Ah ! terre,
terre d'exil où nous cheminons,
courbés sous nos fardeaux, terre de
détresse, c'est ici que tu apparais à
nos yeux telle que tu es ! Les écoles
de patience et de soumission, les attentes pleines
d'angoisse, les espérances détruites,
les coups sans remède, les chemins sans
issue, les défaites et les larmes :
voilà ce que tu nous
réserves !
Et cependant, mon frère, ne crains
pas ! Quels que soient
ton
souci, ta peine, ta crainte, ne crains pas !
Quelle que soit la nature de tes
préoccupations, quelque forme qu'ait prise
l'adversaire qui s'est placé dans ton
chemin, ne crains pas ! Est-ce le
présent qui t'inspire de
l'inquiétude, la journée
d'aujourd'hui avec son labeur, la tâche
compliquée qu'elle t'a amenée, les
grands besoins qu'elle te fait sentir. les
épines qu'elle sème sur ton chemin,
la douleur qu'elle t'appelle à porter, ne
crains pas ! Est-ce l'avenir qui t'effraie,
l'avenir qui ne t'appartient pas, l'avenir avec ses
incertitudes et ses possibilités, l'avenir
avec les épreuves de foi qu'il te
réserve, l'avenir de ta famille, de ta
maison, de l'Eglise, du royaume de Dieu sur la
terre, ne crains pas ! La crainte, a-t-on dit,
est une grande faiblesse, la grande arme de
Satan ! Écoute donc l'appel de Celui
qui voudrait te mettre à l'abri des traits
enflammés de l'ennemi de l'âme
rachetée : Ne crains pas ! Livre
ta crainte entre les mains de ce Sauveur qui a le
droit de te la demander, parce qu'il a la puissance
de t'aider et qu'il est la délivrance
même.
II
Mes frères, il peut être
donné à un consolateur humain de
faire beaucoup de bien à ceux qu'il trouve
dans la tristesse. Elle est bonne à
entendre, elle peut accomplir une oeuvre
d'apaisement et calmer le coeur, cette
parole : Ne crains pas ! alors même
qu'elle ne serait
prononcée que par l'un de nos semblables.
Mais, tout bien considéré, qui
sommes-nous pour la répéter ?
Que pouvons-nous en faveur de nos
frères ? Le plus souvent, leurs peines
et leurs craintes semblent destinées
à nous faire comprendre notre impuissance,
plutôt que notre pouvoir de leur venir en
aide. Ne crains pas ! Quel prix aurait eu ce
petit mot pour Jaïrus, si quelqu'un de ses
serviteurs, ou même l'un des disciples de
Jésus, le lui avait dit ? Il aurait
constaté, en l'entendant, la bonne
volonté de ses amis, leur désir de
soulager son coeur oppressé et de ramener
dans son âme un rayon d'espérance.
Mais au dedans de lui, une voix n'aurait
cessé de murmurer : Ils ne peuvent rien
faire ; ton épreuve, trop grande,
échappe à leur faiblesse !
Ai-je besoin de rappeler qu'il en est tout
autrement de ce Jésus que Jaïrus
était allé trouver ? Ah !
mettez ces mots : Ne crains pas ! dans sa
bouche à lui ; laissez-les tomber de
ses lèvres dans l'âme troublée
et angoissée. et ils auront leur grande,
leur divine valeur. N'est-il pas le Sauveur auquel
le Père a donné puissance sur toutes
choses ? N'est-il pas Celui auquel
obéissent les vagues et les vents et dont un
mot suffit pour faire cesser la
tempête ? N'est-il pas Celui dont la
bénédiction, dans le désert, a
multiplié quelques pains et quelques
poissons si bien que des milliers en ont
été nourris ? Sa main n'a-t-elle
pas, rendu la santé aux malades ?
N'a-t-elle pas ouvert les yeux
des aveugles et brisé les liens du
démon ? Sa parole n'a-t-elle pas suffi
pour faire revivre les morts ? Ma fille,
lève-toi ! dit-il, et l'enfant du chef
de la synagogue revient à la vie !
Voyez, après ces temps où il
marchait visiblement au milieu des hommes atteints
de mille maux et de mille infirmités, ces
autres temps où, élevé
à la droite de Dieu, il accomplit la
promesse d'être invisiblement présent
au milieu des siens. Que de délivrances, que
de miracles accomplis en faveur de son
Église, de ses serviteurs, de ses servantes,
des plus petits et des plus faibles même
d'entre ceux qui avaient regardé à
lui ! Que d'interventions de son amour et de
sa puissance dans la vie d'innombrables
chrétiens ! Quelles grâces, quels
secours, quel appui accordés à ceux
qui en avaient besoin ! Quels
témoignages rendus à sa
fidélité dans la vie de chacun !
Vraiment, mes frères, c'est ici celui
qui a le droit de nous dire : Ne crains
pas ! parce qu'il a le droit aussi de nous
demander la foi en son nom puissant. Nous le
sentons, n'est-ce pas ? La place ne peut
rester vide au dedans de nous. Le lieu qu'occupait
la crainte, qui nous a été
enlevée, doit être occupé par
un hôte nouveau, des sentiments nouveaux, des
aspirations et des convictions nouvelles, Sinon,
à peine bannie, la crainte rentrera dans sa
maison qu'elle trouvera balayée et
ornée pour la recevoir. Aussi Jésus
a-t-il hâte de donner à Jaïrus,
de nous donner à tous aujourd'hui, ce second
conseil : Crois seulement.
III
Crois seulement. C'est dire que là
où il y avait de la crainte, il doit y avoir
la foi, - et la foi, c'est le regard
détourné des vagues et des flammes,
des difficultés qui augmentent, des
obstacles qui se multiplient, des sujets d'effroi
qui apparaissent, des douleurs qui surviennent, et
jeté sur Jésus, le libérateur,
le Sauveur ; - la foi, c'est la main
tremblante de l'homme posée dans la main
ferme et forte de Jésus-Christ ; - la
foi, c'est cette confiance que, pour celui qui, en
Jésus-Christ, est devenu enfant de Dieu,
tout ira bien, alors même que son chemin
semblerait obscur et sa route fermée.
Crois seulement ! Dirons-nous que cet
ordre sera toujours facile à suivre ?
L'était-il pour Jaïrus auquel on venait
annoncer que tout était fini et que sa fille
avait cessé de respirer ?
L'était-il pour ce père que recevait,
sur le seuil de sa maison, une agitation
effrayante ? l'agitation de
l'incrédulité et du désespoir
qui se moque des affirmations de Jésus.
L'agitation de la douleur, éclatant
partout ; domestiques, employés,
voisins, parents, tous se pressent en se lamentant,
sous ce toit que l'épreuve a visité.
Être calme, être ferme dans la foi au
milieu de tout cela, non, ce n'était pas
chose facile ! Et jusqu'à aujourd'hui,
elle est restée vraie, cette parole de
St-Paul, écrivant
à l'Eglise de Thessalonique : Il n'est
pas donné à tous d'avoir la foi.
Ah ! si la foi n'était pas la
foi ; si la foi, par je ne sais quelle
métamorphose, se transformait en vue ;
s'il était toujours possible au croyant de
toucher de sa main et de voir de ses yeux ce qui,
pour lui, doit demeurer invisible ; si les
mystères se dissipaient pour sa raison et
pour son coeur ; s'il n'y avait plus pour lui
ni point d'interrogation, ni énigme, - nul
doute qu'il ne trouvât son chemin facile!
Mais puisque la foi sera toujours la foi, parce
qu'elle sera, le plus souvent, une
obéissance aveugle du coeur, parce que celui
qui vit de foi, marche les yeux bandés et
doit mettre le pied dans le vide, non, la foi n'est
pas jeu d'enfant.
Mais à côté de cela,
rappelons-nous que, selon la belle parole d'un
chrétien éprouvé, la foi fut
« en tout temps la force du faible et le
salut du malheureux. » Nous affirmerons
même, sur le témoignage de plusieurs,
que seule elle donne du repos à l'âme
et de la paix au coeur, que seule elle verra la
victoire et la gloire de Dieu. Les choses se
passeront-elles, en toute occasion, comme dans la
maison de Jaïrus ? La lumière
succédera-t-elle toujours, aussi vite
qu'alors, aux ténèbres de la nuit
noire ? Nous ne le pensons pas. Mais ce qui
est certain, c'est que le chemin de la foi sera
toujours le chemin qui monte, le chemin de la vie
et du salut, le chemin du bonheur et de la joie, le
chemin du ciel. Ne crains point, crois seulement:
toi qui connais cette parole, toi auquel
aujourd'hui elle a
été redite, toi auquel Dieu l'a
offerte comme un don de sa grâce, va avec
cette force que tu as ! Va toujours, en
bénissant le Seigneur Jésus d'avoir
parlé un jour à Jaïrus, et en
lui demandant de répéter, tous les
jours, à ton coeur, son conseil et son
ordre. Amen.
Où tu ne voudrais pas.
En vérité, en
vérité, je te le dis : Lorsque
tu étais jeune, tu le ceignais
toi-même et tu allais où tu voulais.
Mais lorsque tu seras vieux, tu étendras tes
mains et un autre te ceindra et te mènera
où tu ne voudrais point, Jésus dit
cela pour marquer de quelle mort Pierre devait
glorifier Dieu. Et après avoir ainsi
parlé, il lui dit : Suis-moi !
Jean
21, 18.
Mes frères,
Ces paroles sont, sans doute, en tout
premier lieu, une prophétie faite à
Pierre touchant son avenir personnel. Le disciple
qui, par son triple reniement, avait rompu le lien
qui l'unissait à son Maître, avait
été réintégré
par Jésus dans sa vocation d'apôtre,
et Jésus lui annonce ce que sera la vie qui
l'attend. Cet homme qui, à trois reprises,
avec autant d'humilité que de ferveur, avait
affirmé être attaché à
son Sauveur, sera appelé à prouver,
au sein de grandes épreuves, la
sincérité de ses intentions et de ses
promesses. - Il sera permis, cependant, de voir
dans la révélation donnée par
le Maître à l'un de ceux qui devaient
jouer un si grand rôle dans
l'établissement de son règne sur la
terre, autre chose encore qu'une instruction toute
personnelle et individuelle. Elle est
destinée aussi, nous
semble-t-il, à répandre une
lumière fort utile sur la vie
chrétienne en général.
C'est à celle-ci, à quelque
temps qu'elle appartienne et à quelque nom
qu'elle soit liée, que s'applique cette
parole : Lorsque tu étais jeune, tu le
ceignais toi-même et tu allais où tu
voulais. Mais lorsque tu seras vieux, tu
étendras tes mains et un autre te ceindra et
te mènera où tu ne voudrais point.
Cela nous apprend qu'à mesure que le
chrétien avance, se fortifie et mûrit
spirituellement, son chemin se
rétrécira, sa tâche se
compliquera, sa volonté devra se courber
plus souvent et devant des arrêts toujours
plus inexplicables pour sa raison. Il ne descend
pas, non, il monte ; mais dans ce sentier
où il s'approche du ciel avec sa paix, sa
joie, sa pleine lumière et ses grandes et
saintes jouissances, dans ce sentier où il
se sent toujours mieux aimé et toujours plus
porté par ce Sauveur auquel il a
donné son coeur, dans ce même sentier,
il devra toujours davantage renoncer à
lui-même, il sera appelé à une
soumission toujours plus complète, il se
verra à une école toujours plus
difficile, il jouira toujours moins de cette
liberté de mouvement et de cette
indépendance qu'ambitionne la jeunesse et
que le Maître, autrefois, ne lui a
peut-être pas refusée
C'est là un sort qui pourra lui
paraître étrange, et Jésus
lui-même a l'air de s'attendre à ce
que l'homme auquel arrivent ces choses, en soit
troublé. Remarquez ces mots dont il fait
précéder son instruction: En
vérité, en vérité, je
le le dis. Ce sont les mêmes qu'il emploie
toutes les fois qu'il place
ses
disciples en présence d'un fait qu'ils
auront de la peine à comprendre. Ils sont
sur ses lèvres à l'heure solennelle
où il parle à Nicodème de la
nouvelle naissance par laquelle seule le
pécheur trouvera grâce devant Dieu.
Ils reviennent, lorsqu'il enseigne aux siens que,
pour entrer dans le royaume des cieux, ils devront
changer et être comme des enfants. Ils ne
manquent pas non plus dans cet entretien par lequel
Pierre est instruit quant à son avenir et
qui nous redit, à nous, aujourd'hui, ce que
sera la vie chrétienne. En
vérité, en vérité, je
te le dis : lorsque tu étais jeune, tu
le ceignais toi-même et tu allais où
tu voulais. Mais lorsque tu seras vieux, tu
étendras les mains et un autre te ceindra et
te mènera où tu ne voudrais pas. Et
nous, préparés ainsi par le
Maître lui-même à apprendre ce
que nous n'aurions pas attendu ou choisi,
approchons-nous de sa parole et demandons-lui de
bien vouloir nous l'expliquer par le Saint-Esprit.
I
Se ceindre soi-même, pouvoir s'attacher
autour des reins, sans avoir recours pour cela
à l'aide d'une main étrangère,
le long costume flottant oriental, être
prêt de la sorte pour la marche et pour le
travail, c'est l'image de l'indépendance
morale, de l'activité et
de la force qui ne connaissent pas d'entrave ;
c'est l'image aussi, fort bien trouvée, de
ce qu'avait été Pierre alors que
Jésus-Christ l'avait élu pour son
service, l'image de ce qu'il était encore
à l'heure où le Maître
était venu lui parler dans ce même
pays et sur ces mêmes rives, où, un
jour, il l'avait appelé à quitter sa
barque et ses filets pour le suivre. Quelle
vivacité toute juvénile, quelle
énergie indomptable, quelle
indépendance de caractère, quelle
force de volonté dans cet homme tel que nous
le présentent les Évangiles !
Quand les autres se taisent, c'est lui qui
parle ; quand ils hésitent on reculent,
c'est lui qui s'avance ; quand ils demeurent
assis dans la barque pour regagner le rivage en
ramant, c'est lui qui, ceignant sa robe de dessus,
se jette à l'eau pour aller au-devant de
Jésus. Il y a là des qualités
admirables à plus d'un point de vue ;
il y a là une puissance dont la valeur sera
grande au service de Jésus-Christ ; il
y a là une flamme qui embrasera le
monde ; il y a là une nature utile,
généreuse, belle et riche, que
l'Eglise appellera une de ses gloires ; mais
il y a là aussi la nature et le
caractère d'un homme qui trouvera plus
difficile que d'autres de renoncer à sa
volonté et de se voir mis dans la
dépendance d'autrui. Et cependant,
remarquez-le, ce n'est pas des aptitudes qu'il
possède pour le service qui l'attend, ce
n'est pas des succès de son apostolat que
Jésus entretient Simon Pierre. Il ne craint
pas au contraire de lui dire, avec une parfaite
franchise, qu'il sera appelé à
glorifier le Maître qu'il
aime, dans un chemin diamétralement
opposé à celui qui aurait eu ses
faveurs. Lui, l'homme de l'action courageuse,
l'homme né pour diriger et non pour
dépendre, lui, Pierre, devra apprendre
à attendre, à patienter, à
faire taire sa volonté, à voir sa
main réduite à l'inactivité,
à laisser faire les autres au lieu d'agir
lui-même, à sacrifier sa force et sa
liberté, à accepter l'impuissance et
les liens. Tu étendras les mains et un autre
te ceindra et te mènera où tu ne
voudrais point !
Perspective pénible, chemin
douloureux, plein de mystère et
d'obscurité pour le coeur, la nature de cet
homme ! Pourquoi ces dispensations
divines ? Pourquoi cette épreuve, cette
humiliation dont la pensée, depuis l'heure
où elle lui avait été
révélée par le Maître,
n'aura plus quitté le disciple ?
Pourquoi tout cela ? Simon Pierre, à
l'école de Jésus et du Saint-Esprit,
aura fini par le comprendre. N'est-ce pas en
consentant à ce ministère de
soumission, d'abnégation, de
dépouillement et de souffrance, bien mieux
encore que par les énergies et la vaillance
d'un ministère actif, qu'il lui sera
possible de prouver son amour pour le
Seigneur ? L'amour ne demande-t-il pas, pour
se montrer, la tâche la plus ingrate, et
n'est-il pas heureux d'accomplir le sacrifice le
plus grand ? Et si Jésus ne craignait
pas de l'appeler, lui, le disciple qu'il
connaissait de si près, à une
tâche si difficile, ne lui faisait il pas
sentir par là qu'il était plus
content de lui que par le passé ? Un
jour, Pierre, fort de sa force naturelle,
s'était offert à
aller avec le Maître et en prison et à
la mort, et le Maître l'avait
déclaré incapable de réaliser
sa promesse. Tu laisserais ta vie pour moi ?
Je te dis qu'avant que le coq ait chanté
deux fois, tu m'auras renié trois
fois ! Mais l'humiliation a porté son
fruit. Pierre n'est plus le même
qu'autrefois. Des larmes du repentir est né
en lui un nouvel homme. Jésus le constate en
honorant son disciple d'une mission de confiance.
Il l'honore, dis-je, en lui demandant de renoncer
à lui-même et de se charger de sa
croix. Dites, si vous le voulez, qu'il y a
là une étrange manière de
témoigner sa satisfaction et de
répondre à ce triple : Je
t'aime, qui s'était échappé du
coeur et des lèvres de Simon Pierre. Il n'en
reste pas moins vrai que Jésus a su ce qu'il
faisait et que sa manière d'agir envers ses
rachetés n'a jamais cessé de
ressembler à celle que nous constatons
maintenant avec étonnement.
II
Je viens ici en appeler à
l'expérience chrétienne. Quittant
Simon Pierre, je me tourne vers ceux qui, comme
lui, se sont attachés à
Jésus-Christ, qui sont, comme lui, au
service de ce Sauveur, et qui le connaissent.
Qu'ont-ils vu, qu'ont-ils observé, soit chez
d'autres, soit chez eux-mêmes, sinon le
renouvellement des choses arrivées à
Pierre ? Je ne dis pas que tous les
détails de la vie de l'apôtre se
soient retrouvés ou se
retrouvent tels quels chez ses frères et
soeurs dans la foi, et que tous aient passé
ou soient appelés à passer exactement
par le chemin qu'il a suivi. Mais, ici et
là, les grandes lignes seront les
mêmes.
Il est, en effet, un fait qui n'a pas
manqué d'impressionner et de
préoccuper plus d'un chrétien et qui,
sur la route de plusieurs, a été une
pierre d'achoppement et de chute, c'est que la vie,
la tâche, le ministère du croyant, au
lieu de se simplifier et de devenir plus faciles ou
plus conformes à ses goûts naturels,
se compliquent dans le cours des années qui
se succèdent, et prennent quelquefois une
tournure qui est fort loin de plaire à
l'homme. Le matin, inondé de lumière
et riche en promesses, fait place au
crépuscule annonçant la nuit
où personne ne peut plus travailler.
L'horizon se charge de nuages. La route du
pèlerin se resserre ; étroite,
la porte par laquelle il doit passer, l'oblige
à se courber et à laisser en
arrière ce qu'il avait tenu à
emporter. L'écharde, sous une forme ou sous
une autre, s'enfonce dans sa chair ; et
lorsque, humilié, troublé, il demande
à en être délivré, il
lui est fait cette réponse qui sera pour
lui, de même qu'elle l'a été un
jour pour Paul, un nouvel appel à la
soumission aussi bien qu'un encouragement : Ma
grâce te suffit, car ma force s'accomplit
dans la faiblesse. Ah ! qui les dira, toutes
ces écoles de dépouillement et
parfois de souffrance et de douleur, où la
volonté du Maître
juge nécessaire de placer
ses serviteurs et ses servantes ?
De mille manières, elle trouve son
application pour eux aussi, cette parole dite par
le Sauveur ressuscité à Simon
Pierre : Quand tu étais jeune, tu te
ceignais toi-même et tu allais où tu
voulais. Mais lorsque tu seras vieux, tu
étendras les mains et un autre te ceindra et
te mènera où tu ne voudrais pas. Et
si, en présence de cette grande
variété d'expériences humaines
et de moyens employés par Dieu, je cherche
à découvrir le but que poursuit sa
sagesse, je trouve que ses intentions sont partout
les mêmes. Ces chrétiens, par des
chemins variés, mais chacun par celui qui
est le meilleur pour lui, doivent être
amenés à apprendre cette grande chose
qui s'appelle le renoncement à
soi-même, le renoncement à leur
volonté, le renoncement à cette
liberté de mouvement qui leur était
accordée par le passé et dans
laquelle se résumaient leurs ambitions et
leur gloire, le renoncement même à la
liberté de pensées que réclame
l'homme naturel, mais qui sera refusée au
chrétien dont toutes les pensées
doivent être amenées captives et
être soumises à l'obéissance de
Christ. Le monde ici se récriera. Il
reculera devant ce qu'il appelle l'insuccès
le plus complet et une honteuse défaite. Lui
qui rêve l'indépendance et dont tous
les efforts tendent à se libérer de
toute chaîne ; lui qui, par une illusion
inconcevable, se flatte de réussir à
s'affranchir, tandis que, de fait, il forge des
liens qui le serreront toujours de plus
près ; lui qui ne comprend rien aux
choses de Dieu, le monde
déclarera ne rien vouloir d'un Sauveur qui,
au lieu d'ouvrir la route de la vie toute grande et
toute large devant ceux qui l'aiment et de leur
laisser une liberté complète, leur
demande le sacrifice de leur volonté et de
leurs forces naturelles.
Mais nous, mes frères, qui avons
été instruits par l'Évangile,
nous ne raisonnerons pas comme raisonne le
siècle présent. Nous nous
souviendrons que Jésus a donné
à Pierre une preuve de sa confiance et qu'il
a honoré l'oeuvre accomplie dans le
disciple, en lui disant, dans un jour
mémorable : Quand tu seras vieux tu
étendras tes mains et un autre te ceindra et
te mènera où tu ne voudrais pas.
Avant sa conversion, Pierre eût
été indigne de ce message ;
c'est pour s'être véritablement
donné à Christ qu'il le
mérite
Lors donc qu'à notre tour, nous
recevrons de la bouche du Seigneur quelque appel
semblable, et qu'il nous demandera le sacrifice de
nos libertés et la soumission à sa
volonté à lui, sachons que nous
sommes montés en grade et que le
Maître nous honore !
Ah ! mes frères, nous nous
méprenons bien facilement au sujet de ce qui
est grand aux yeux du Seigneur. Il nous arrive de
penser qu'il tient, avant tout, à
l'activité, aux succès
éclatants, à des
démonstrations de piété
visibles pour chacun. Mais ce que nous oublions,
c'est que l'oeuvre chrétienne par excellence
sera l'obéissance, la soumission, le
renoncement à la volonté qui voudrait
se faire valoir en dehors de Christ et de la
direction divine. Qu'est-ce qui est le plus
beau, au point de vue moral
et
spirituel, dans la vie de
Jésus-Christ ? Qu'est-ce qui est le
plus grand dans ce Sauveur, et j'allais dire le
plus divin ? Ce n'est pas son activité
infatigable, ce ne sont pas ses paroles pleines de
grâce et de vérité, ce ne sont
pas ses miracles, tout étonnants qu'ils
soient, ce n'est pas son héroïsme en
face de la mort ; c'est plutôt ce petit
mot qu'il prononça sous les oliviers du
jardin, mais qui avait été le mot
d'ordre de sa vie, la parole de son coeur :
Que ta volonté soit faite et non pas la
mienne ! Or, si Dieu cherche ce mot en nous
aussi, si Jésus-Christ veut le trouver sur
nos lèvres et le retrouver pratiqué
dans nos vies, il demande le fruit le plus
excellent que soit capable de produire l'arbre que
sa main divine cultive. Suis-moi, consens à
marcher sur la route que je tracerai, moi, et non
pas sur celle que tu aurais choisie, toi.
Suis-moi ! tel fut, un jour, l'ordre que
Jésus donna à Pierre,
régénéré pour une vie
nouvelle. Il ne pourra non plus exiger de nous rien
de plus conforme à l'Évangile, rien
de plus grand, rien de mieux fait pour le glorifier
et pour prouver que nous sommes à lui. Amen.
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