Sermons et
Méditations
Nous l'aimons parce qu'Il nous a
aimés le premier.
1
Jean, IV, 19.
SERMON PRONONCÉ A L'OCCASION D'UNE
RÉCEPTION DE CATÉCHUMÈNES
Mes chers frères et soeurs,
Vous avez accompagné dans ce lieu de
culte quatre enfants de l'Eglise chrétienne
qui, après avoir été
baptisées à l'entrée de leur
carrière terrestre, se présentent
aujourd'hui devant leur Dieu pour faire une
confession volontaire et publique de leur foi, pour
être admises à la table sacrée
de Christ et pour recevoir la
bénédiction du Seigneur. En leur nom,
et au nom des familles auxquelles elles
appartiennent, je vous remercie de vouloir leur
servir de témoins, de les environner d'une
affection qu'il serait impossible de ne pas sentir
et de les soutenir par vos voeux chrétiens
et par vos prières. Nul doute que cette
journée ne soit belle, grande pour elles.
Plaise à Dieu d'en faire pour nous tous une
journée de bénédictions et de
grâces !
Lorsque j'ai cherché dans nos
Saintes-Écritures, lorsque j'ai
demandé à Dieu une parole propre
à nous fournir, dans la solennelle
circonstance qui nous réunit, le sujet de
notre méditation religieuse, mes regards ont
été attirés et fixés
sur cette ligne qu'écrivait, à la
dernière époque du siècle
apostolique, sous la couronne de ses cheveux
blanchis au service du Maître, Jean, le
disciple que Jésus aimait et qui, mieux que
personne, s'était
pénétré des enseignements et
de la pensée du Christ : Nous, nous
l'aimons parce qu'il nous a aimés le
premier. Il y a là, dans des termes d'une
extrême simplicité, tout
l'Évangile ; l'Évangile avec
toutes ses divines gratuités : Il nous
a aimés le premier ; l'Évangile,
aussi, avec les résultats que, par sa vertu
régénératrice, il est
appelé à produire dans nos coeurs, de
nature si pleins d'indifférence à
l'égard de Dieu et de Jésus-Christ,
si peu enclins à se donner, si
égoïstes : Nous l'aimons.
Ah ! les miracles d'amour qui se pressent ici
sous mon regard étonné !
Aimé de Dieu, du Dieu puissant en
sainteté ; aimé, moi, enfant de
la poussière, pauvre pécheur, homme
au vêtement et au coeur
souillés ; aimé, avant que
j'eusse fait au-devant de lui le plus petit
pas ; aimé, avant que mon soupir, mon
cri de détresse l'eussent
cherché ; aimé, si bien que la
flamme de cet amour merveilleux allume en moi -
foyer éteint - une autre flamme, la flamme
de l'amour pour Celui qui m'a aimé le
premier ! Mes frères, venez,
groupez-vous autour de ces choses
divines ;
apprenez, une
fois de plus, avec ces catéchumènes,
ce que Dieu a fait, ce qu'il a été
pour nous et ce qu'il veut faire en nous. Et Toi,
divin Maître de la Parole, verse sur cette
assemblée ton Esprit de lumière et de
grâce ! Fais-nous marcher à la
clarté de ta face et bénis-nous,
chacun de la bénédiction qui lui est
propre !
Mes frères, si l'on me demandait de
formuler, en peu de mots, la différence qui
sépare la religion du Dieu
révélé en Jésus-Christ,
la religion chrétienne que nous professons,
d'avec n'importe quel autre système
religieux qu'a vu surgir le monde, je
répondrais : Ici, en dehors du domaine
de la foi chrétienne, on demande à
l'homme de s'élever le premier
jusqu'à Dieu, de faire toutes les avances,
de donner avant d'avoir reçu ;
là, au contraire, où est
proclamé le saint nom qui a
été prononcé sur nous à
l'heure de notre baptême déjà,
on dit, sur la foi des Saintes-Ecritures, que Dieu
nous prévient, que Dieu est descendu vers
notre misère, qu'il a mille fois
parlé, béni, donné, avant
d'exiger de ceux dont il s'occupait, le premier mot
d'amour, le plus petit don. Il nous a aimés
le premier.
Si l'on me demandait encore de
résumer dans un seul mot ce dont la Bible
est pleine, de dire la vérité qui
rayonne partout mais qui, dans plus d'une des pages
du volume sacré, resplendit comme le soleil
dans tout son éclat, si bien que, semblable
à Moïse, se tenant dans la fente du
rocher et voyant passer la
gloire de l'Éternel, je
m'incline aussitôt vers la terre pour
adorer ; si l'on me demandait ce qu'il y a
dans la Bible, je ferais cette
réponse : Ce n'est pas nous qui avons
aimé Dieu les premiers ; c'est lui qui
nous a aimés et a donné son Fils en
expiation de nos péchés. Que fait la
Bible, en effet ? Elle nous prend tels que
nous sommes, elle nous dit avec la plus grande
franchise que le bien n'habite point en nous, que
nous sommes des créatures misérables
qui, si Dieu voulait plaider avec elles, ne lui
répondraient pas une fois sur mille ;
elle fait naître, devant nos yeux
effrayés, des sujets de condamnation qui ne
font qu'augmenter dans la mesure où nous
apprenons à la lire plus
soigneusement ; elle ne nous laisse plus aucun
lambeau de justice qui nous soit propre ; elle
va jusqu'à nier que nous puissions nous
relever nous-mêmes de la
poussière ; elle nous dit incapables de
tout bien ; elle nous humilie aussi
profondément que cela est possible, afin de
nous faire voir par là jusqu'au fond de
l'abîme que le péché a
creusé entre Dieu et nous. Et puis, cette
oeuvre de destruction accomplie, cette effroyable
révélation bien établie, elle
nous annonce, quoi ? Que c'en est fait de
nous ? Que Dieu nous repousse, nous
condamne ? Ou bien qu'il attend notre retour
à Lui ? - Non, mes frères, ce
qu'elle nous apprend, c'est que Dieu nous a
aimés le premier, aimés avant la
création du monde, aimés, avant
même que l'aspect de notre misère
provoquât sa pitié ;
aimés, tout en prévoyant à
quel point nous serions indignes
de lui et de sa bonté ; aimés,
toi et moi qui, les uns et les autres, avons connu
des journées où la pensée
même de l'amour divin ne nous abordait pas.
Il nous a aimés le premier, oui, toute la
Bible me dit, me répète cela.
Et puisque le vrai amour, l'amour digne de
ce nom, ne se déclare pas seulement, mais
qu'il se montre, agit, intervient et se sacrifie,
le livre divin, à ses affirmations
positives, ajoute le récit de faits non
moins assurés. Il nous raconte ce que Dieu a
fait pour que nous voyions, nous qui voulons voir,
qu'il nous a aimés le premier. Où
trouverai-je le temps de reprendre tous ces
détails ? Il faudrait ici faire un long
pèlerinage, partir du jardin d'Eden et
aboutir au rocher de Patmos, où Jean
traçait les pages de son Apocalypse. En
route, et en présence de ce que Dieu a fait
pour de pauvres pécheurs semblables à
nous, il faudrait mille et mille fois nous
arrêter pour bénir cette main si
puissante et si fidèle. Mais laissons cela.
Il est un point de l'histoire des
générations humaines qui, comme nul
autre, fait éclater cet amour de Dieu qui
nous a prévenus, nous, les perdus. Il est un
sommet de miséricorde gratuite et abondante
où l'Évangile conduit mes pas
tremblants. C'est ici une terre sainte, c'est ici
dans toute sa divine splendeur, avec ses
inépuisables richesses, l'amour dont Dieu,
le premier nous a aimés. Quand les temps
furent accomplis, Dieu a donné son Fils, son
unique, afin que quiconque croit en lui ne
périsse point, mais qu'il
ait la vie éternelle. L'amour de Dieu a paru
en ceci, c'est qu'il nous a fait don du
Sauveur.
Un jour, en effet, les cieux se sont ouverts
sur cette terre de péché et les
multitudes qui y erraient, victimes
immensément malheureuses de leurs erreurs.
Un jour, ô jour de salut qu'avaient attendu
les siècles ! est descendu, au milieu
de nous et afin de se faire immoler pour nous sur
la croix, ce Jésus dont la mort seule a pu
nous sauver. Un jour, Dieu a livré pour nous
tous le Fils de ses entrailles. Qu'avais-tu fait,
mon frère, qu'avions-nous fait pour nous
rendre dignes de tant de compassion, que
dis-je ? de ce miracle d'amour où se
perdent et ma raison et mon coeur ? Abraham
avant de sacrifier Isaac sur Morija avait
été comblé de
bénédictions par Dieu. Il rendait
à Dieu ses bienfaits. Mais nous, par quel
témoignage d'affection, par quelle parole,
par quelle pensée aurions-nous
mérité que Dieu nous fit don de son
Fils ? Il n'y a eu en nous rien pour lui
plaire, et cependant, Christ, envoyé du
Père, est venu mourir pour nous. C'est ainsi
que nous avons été aimés
premiers, et c'est d'un tel amour de Dieu pour nous
que nous parle la Bible. Prends et lis, toi qui
voudrais le savoir.
Et si, après m'avoir consulté
sur la Bible, l'on me priait enfin de dire, en un
seul mot, les expériences de ma vie qui sont
aussi celles de la vôtre, mes frères;
si on nous appelait, les uns et les autres, nous,
ici présents, à nous tenir sur les
chemins, à regarder, à nous
enquérir touchant ces dix, vingt, trente,
quarante, cinquante ans et au
delà que nous avons parcourus ; si l'on
nous pressait de bien considérer les choses,
à la lumière de Dieu, et de nous
prononcer ensuite sur les impressions que nous a
laissées tout ce passé, que
répondrions-nous ? Nous nous
écrierions, n'est-il pas vrai, comme Jean le
fit, en songeant à sa vie à lui, et
à celle de ses frères : Il nous
a aimés le premier !
En disant cela, je réclame d'abord le
témoignage de ceux qui, mûris à
l'école du Seigneur, ont derrière eux
un grand bout, le plus long, peut-être, de
leur carrière d'ici-bas.
Mes frères, je vous sais d'accord
avec moi pour affirmer que ce qu'il y a eu de plus
constant, de plus frappant, de plus touchant dans
nos vies, c'est l'amour par lequel notre Dieu
Sauveur nous a prévenus. Ce n'est pas nous
qui l'avons aimé le premier ; jamais il
n'a attendu cela, non plus, pour nous faire du
bien, nous aider, nous relever, nous consoler et
nous sauver. Ah ! que serions-nous devenus,
s'il s'était borné à nous
rendre ce que nous lui aurions donné ?
Au lieu de cela, il a été pour nous
un Dieu plein de patience et de grâce toute
gratuite. Confondus à la pensée de
ses bontés et de ses miséricordes
qui, jour après jour, sont allées
au-devant des besoins de notre âme et de
notre corps, humiliés par le souvenir de nos
infidélités qui ont pu l'attrister,
mais non pas arrêter son amour, nous
disons : Qui suis-je, Seigneur Éternel,
et quelle est ma maison que tu m'aies fait venir
jusqu'au point où je suis ? Est-ce
là la manière d'agir des
hommes, Seigneur
Éternel ? Voici, Je suis trop petit au
prix de toutes les faveurs et de la
vérité que tu as gardée dans
toutes tes promesses envers ton serviteur. Du
premier jour de ma vie jusqu'à ce moment, en
toute occasion, en mille détails, c'est toi
qui m'as aimé le premier, moi, toujours
indigne de toi, indigne du moindre même des
innombrables témoignages de ton
amour !
J'ai parlé au nom de ceux dans les
rangs desquels je me trouve. Je m'adresse
maintenant à vous, mes bien-aimées
catéchumènes que le Maître a
confiées à mes directions. Lorsque je
me reporte à quelque seize ou dix-sept
années en arrière, à ce moment
ou nous, vos parents, dans ce même lieu, nous
vous avons présentées au Seigneur et
où, une première fois dans cette
chapelle, j'ai posé les mains sur vos
têtes pour vous bénir ; lorsque
je songe à l'heure solennelle de votre
baptême, alors apparaît à mes
yeux l'éclatant témoignage d'amour
que vous a donné votre Dieu Sauveur. Vous
n'aviez pas eu pour lui la plus petite
pensée, quand déjà il est venu
vous environner des promesses de sa grâce et
vous dire, vous prouver que c'est lui qui vous a
aimés le premier. Et lorsque je songe
à ces années pendant lesquelles je
vous ai vues grandir ; lorsque j'évoque
les souvenirs sans nombre qui sommeillent dans mon
coeur, ce qui s'en détache comme une voix
puissante, c'est cette parole : C'est toi,
Seigneur. qui les a aimées le premier.
Qu'avez-vous fait pour attirer sur
votre jeunesse cet amour qui
vous a portées, gardées,
enveloppées, bénies ? Où
sont les avances que vous ayez faites à Dieu
et à Jésus-Christ ? Je n'en
découvre aucune. Ah ! que ne puis-je
graver dans vos coeurs, en lettres de feu, cet
Évangile qui vous dit que le Seigneur a tout
fait pour vous qu'il a été pour vous,
un père, un Sauveur, un ami sans
égal. 0 mon Dieu, dis-le leur toi-même
par ton Esprit. Prêche à ces enfants
ton nom ! Passe devant elles et leur
dis : Je suis l'Éternel,
l'Éternel, le Dieu miséricordieux,
compatissant, lent à la colère,
abondant en grâce et en
fidélité, Celui qui aime le
premier !
Et vous, que répondrez-vous ? Et
nous, mes frères, qui connaissons Dieu et
son Christ mieux encore que ne peut le
connaître cette jeunesse, que
répondrons-nous à ce message
divin ? Quel fruit cet amour que nous a
témoigné notre Dieu doit-il et
peut-il faire mûrir dans nos coeurs ?
Quel est le résultat qu'est appelé
à produire cet Évangile si plein de
douceur et de puissance ? Nous l'aimons,
écrit saint Jean. Nous l'aimons :
voilà ce que Dieu cherche en nous,
voilà la seule et unique chose qu'il nous
demande en retour de sa grande et
inépuisable charité.
Nous l'aimons ! Serait-ce trop
exiger ? Oui, si mon Dieu ne m'avait
pressé le premier sur son coeur plein
d'amour. Oui, s'il n'était venu
réchauffer mon coeur si froid de nature.
Oui, s'il me demandait mon amour avant de m'avoir
donné le sien. Mais aimé comme je
l'ai été, pourrais-je me
refuser ? Ce serait m'arracher
aux étreintes des
compassions divines, repousser la main la plus
tendre et la plus puissante qui existe dans
l'univers ; ce serait défaire une
oeuvre à laquelle Dieu a travaillé
sans relâche, et qu'à ce moment encore
et plus que jamais, il poursuit en nous.
Nous l'aimons. Serait-ce étonnant que
Dieu tînt à notre amour ?
Peut-il, puisqu'il est l'amour même, ne pas
vouloir notre bonheur ? Or, l'aimer, ce sera
notre bonheur, seul vrai bonheur, puisque l'aimer,
ce sera suivre Jésus-Christ et le servir, ce
sera obéir à ses commandements, ce
sera rechercher sa communion, ce sera nous en
remettre journellement pour toutes choses à
lui seul, ce sera croire en la sagesse de ses
directions et reposer avec assurance entre ses
bras. Emportés ci et là, flottant
entre la crainte et l'espérance, malheureux
jusqu'au milieu de leur rire, sans paix, tels sont
ceux qui n'aiment pas Dieu. Mais heureux ceux qui
s'écrient : Nous l'aimons parce qu'il
nous a aimés le premier !
Nous l'aimons ! O miracle de
l'Évangile ! 0 fruit précieux de
l'amour dont nous avons été
aimés ! Qui ne te
désirerait ? Qui serait assez ingrat et
assez aveugle pour te refuser ? Qui ferait
à son Dieu l'impardonnable affront de te
repousser ? - Aimez-le, mes chers
frères et soeurs, qui que vous soyez,
puisque l'amour de votre Dieu vous a, de tout
temps, appartenu à tous. Aimez-le, mes
chères catéchumènes. Nous, vos
parents, dont vous êtes le plus cher joyau,
nous cédons, dans vos coeurs, la
première et la grande
place à Dieu et à
Jésus-Christ. Ce n'est pas nous qui pourrons
vous rendre heureuses à toujours ; le
pourrions-nous, bien volontiers nous le ferions au
prix de n'importe quel sacrifice. Mais aimer Dieu,
Jésus-Christ, aimer Celui qui vous a
aimées le premier, voilà ce qui vous
garantira de tout mal et vous fera vivre jusqu'en
éternité. Dites-lui, je vous en
supplie, que vous l'aimez, et, en pleine confiance,
je vous laisse poursuivre votre chemin.
En parlant de la sorte, serais-je
infidèle à cet enseignement de la
Bible qui nous dit que, pour prospérer
spirituellement, il nous faut une seule
chose : la foi ? Ne le croyons pas. La
vraie foi, telle que Dieu la cherche dans nos
coeurs, elle n'est autre chose que cet amour qu'en
son nom, je vous demande à tous, à
cette heure. Aimer Celui qui nous a aimés le
premier : ce sera croire et ce sera, en
même temps, porter les fruits de l'Esprit,
les fruits de la foi. 0 Dieu de notre salut, Dieu
d'amour ! fais naître dans nos coeurs
à tous ce cri de reconnaissance et de
bonheur, cette preuve que nous te connaissons, toi,
le seul vrai Dieu et Jésus-Christ que tu as
envoyé, ce témoignage de ton travail
en nous, ce signe de vie nouvelle et
éternelle : Nous, nous l'aimons, parce
qu'il nous a aimés le premier ! Amen.
Le
coeur rempli de
sagesse.
(FIN D'ANNÉE.)
Enseigne-nous à compter
nos jours tellement que nous puissions en avoir un
coeur rempli de sagesse.
Ps.
XC, 12.
Toute fin d'année nous apporte une
leçon pleine de sérieux, leçon
que nous avons mille fois apprise et mille fois
oubliée : c'est que nous sommes ici-bas
pour un peu de temps seulement, que nous sommes
à l'école pour apprendre à
vivre de la vie de l'éternité, et
qu'une heure de suprême décision nous
attend pour faire de nous ou bien des
héritiers du ciel et de son bonheur, ou bien
de pauvres perdus plongés dans un
éternel malheur. En face de ces grandes
réalités, laissez-moi évoquer
le souvenir de la figure austère de celui
que la Bible appelle l'homme de Dieu, la figure de
Moïse, traversant à la tête du
peuple de Dieu de l'ancienne alliance le
désert qui le séparait, lui avec les
siens, du pays de Canaan. Il s'est trouvé
sur ses lèvres une parole bien propre
à nous enseigner. Cet homme qui voyait les
milliers d'Israël succomber à ses
côtés et devant lequel disparaissait
toute une
génération, s'est
écrié dans cet admirable cantique
qu'il a laissé aux enfants de Dieu de tous
les temps et que nous nommons le psaume XC :
Enseigne-nous à compter nos jours, tellement
que nous puissions en avoir un coeur rempli de
sagesse ! À l'exemple du héros
d'Israël et humbles comme lui, nous
demanderons que Dieu fasse de nous des
élèves dociles à apprendre la
leçon qui nous dit que la fin approche et
qu'il nous faut, à nous aussi, un coeur
rempli de sagesse.
Mes frères, si haut que l'on
remonte dans l'histoire des
générations humaines qui se sont
succédé sur la terre, Dieu subsiste
et l'homme périt. Les siècles qui
s'envolent rendent à Dieu de leur voix
puissante cet éternel
témoignage : Mille ans à tes
yeux sont comme le jour d'hier quand il est
passé et comme une veille de la nuit. Tu as
jadis formé Ici terre, et les cieux sont
l'ouvrage de tes mains. Ils périront, mais
tu subsisteras ; ils vieilliront tous comme un
vêtement ; tu les changeras comme un
habit et ils seront changés ; mais toi,
tu es toujours le même et tes années
ne finiront point. Quant à l'homme, quel
qu'il soit, puissant ou faible, connu ou
ignoré, utile ou inutile, aimé ou
haï, bon ou mauvais, son histoire se termine
invariablement par ce seul et même
refrain : puis il mourut.
Puis il mourut ! Le spectacle
s'est
si souvent répété sous nos
yeux, il a pris place parmi les
événements journaliers à tel
point qu'il ne nous frappe plus. On s'habitue
à tout, on s'habitue aussi à
contempler la fragilité de la vie humaine,
quelque humiliante et quelque
douloureuse qu'elle soit. L'homme du monde et le
chrétien se disent que la fin vient, et ni
l'un ni l'autre ne s'en étonne. La Parole de
Dieu ne leur dit rien de nouveau, lorsque, dans
plus d'une page elle répète, avec un
accent d'un grand sérieux, que toute chair
est comme l'herbe et toute sa grâce comme la
fleur de l'herbe. Mais les choses les mieux connues
ne sont-elles pas, fait étrange, tout
à la fois celles que nous reléguons
au dernier plan de notre raisonnement et celles
auxquelles nous refusons le plus obstinément
une place dans nos vies ? Il faut
mourir !
Qu'ils sont rares ceux qui vivent avec
cette pensée, et qu'ils sont nombreux ces
autres qui ont l'air de se bercer de cette illusion
que la fin ne vient pas ! Nombreux, jusqu'au
milieu de la chrétienté, les
imitateurs de cet insensé sur les
lèvres duquel nous surprenons cette
parole : Mon âme, tu as beaucoup de
biens en réserve pour plusieurs
années, repose-toi mange, bois et te
réjouis.
Nombreux, toujours nombreux dans tous
les âges de la société humaine,
les escompteurs de l'avenir. Nombreux, bien
nombreux ceux auxquels une vie toute remplie
d'obligations imposées par la terre, de
labeurs et de tourments ne permet pas de se
replacer, dans un salutaire recueillement, devant
ce fait qu'il sera dit de chacun d'eux aussi, dans
quelque jour rapproché ou lointain :
puis il mourut. Si donc il en a été
ainsi de tout temps, convenez que Moïse a bien
compris ce qu'il lui fallait à
lui-même, ce qu'il fallait
à ce peuple qu'il était appelé
à diriger et à l'humanité tout
entière, lorsqu'il s'est
écrié : Enseigne-nous à
compter nos jours tellement que nous puissions en
avoir au coeur rempli de sagesse ! Eh
quoi ? ceux qui vivent avec la pensée
qu'ils sont des étrangers sur la terre, des
pécheurs en route pour la cité qui
est à venir, ne trouveront-ils pas plus
facile de se conformer à ce précepte
de l'apôtre : Ce que je dis, mes
frères, c'est que le temps est court
désormais. Que ceux qui pleurent soient
comme s'ils ne pleuraient pas ; qui sont dans
la joie, comme s'ils n'étaient pas dans la
joie ; ceux qui achètent comme s'ils ne
possédaient rien et ceux qui jouissent de ce
monde comme s'ils n'en usaient point, car la figure
de ce monde passe ? Et quand ils se
rappelleront que le Maître peut être
à leur porte pour les chercher, jugeront-ils
encore impossible de pardonner, d'oublier et
d'aimer ? Et lorsqu'ils auront compris que la
nuit vient où personne ne pourra travailler,
ne mettront-ils pas plus de zèle et de
ferveur à servir Jésus-Christ, chacun
avec le talent qu'il a reçu, chacun dans son
cercle d'activité, aussi longtemps que dure
encore le jour ? Oh ! la chose utile et
bonne que de savoir et de nous
répéter que nos jours sont
comptés !
Mais il est un second ordre
d'idées auquel j'ai hâte d'arriver. La
fin vient. Que sera-t-elle ?
Mes frères, je ne pense pas, tout
bien considéré, qu'il y en ait, parmi
les incrédules et les moqueurs même,
un grand nombre qui soient bien persuadés
que la fin sera la fin, une
fin
après laquelle on ne trouve plus rien. Je
pense, d'autre part, qu'il ne serait pas impossible
de rencontrer, parmi ceux-là mêmes qui
se montrent chrétiens, plus d'un homme
auquel la vérité vraie, à ce
sujet, reste cachée.
Quant à ceux pour lesquels il ne
peut plus exister à ce sujet
d'obscurité ni de doute, il leur sera utile,
néanmoins. de se laisser redire, par la
parole du Seigneur, ce qu'elle leur a
déjà dit toutes les fois qu'ils lui
ont demandé ses lumières. La fin qui
nous attend, à laquelle nous
n'échapperons point et qui pourra nous
surprendre à l'heure où nous nous en
doutons le moins ; la fin sera pour nous de
deux choses l'une : elle sera ou bonne ou
mauvaise. Elle sera une fin dans la lumière
ou bien une fin dans les
ténèbres : elle sera le ciel ou
l'enfer.
En vain chercherait-on quelque
entre-deux. En vain demanderait-on à
l'Écriture de nous trahir le secret de
quelque lieu dans lequel il serait permis à
l'homme de refaire la vie perdue, de revenir sur
ses erreurs et de réparer ses fautes. La fin
- mais écoutez donc le témoin
infaillible ; il ne nous restera, quand il
aura parlé, aucune incertitude, aucune
question ouverte. L'un sera pris et l'autre
laissé. L'un sera porté par les anges
dans le sein d'Abraham ; l'autre sera
jeté dans les tourments. À l'un le
Maître dira : Cela va bien, bon et
fidèle serviteur tu as été
fidèle en peu de choses, entre dans la joie
de ton Seigneur ! Pour l'autre retentira. cet
ordre plein de sévérité :
Jetez le serviteur inutile dans les
ténèbres de
dehors ; là, il y aura des pleurs et
des grincements de dents.
Pour les uns, ce sera cette parole
pleine de bonheur : Heureux les serviteurs que
le Maître trouvera veillant quand il
arrivera ! Quant aux autres, leur portion leur
sera donnée avec les infidèles.
Aux uns sera fait cet accueil qui les
fera tressaillir de joie : Venez, vous qui
êtes bénis de mon Père ;
possédez en héritage le royaume qui
vous a été préparé
dès la création du monde. Aux autres
sera réservée cette inexorable
sentence : Retirez-vous de moi, maudits !
et allez dans le feu éternel qui est
préparé au diable et à ses
anges.
Vierges sages, les uns seront admis aux
noces de l'Agneau ; vierges folles, les autres
trouveront la porte fermée. Seigneur,
Seigneur, ouvre-nous ! - Je vous dis en
vérité que je ne vous connais pas.
Est-ce assez clair, mes frères ?
Le Maître aurait-il pu nous dire
avec plus de précision ce que sera pour nous
la fin ? Aurait-il pu nous mettre en garde
plus fidèlement et plus consciencieusement
contre les écarts d'une imagination qui se
joue des plus graves questions, et nous placer plus
près de la vérité ? La
fin, oui, elle sera ou bien un éternel
bonheur, ou bien un éternel malheur !
Et puisqu'il en sera ainsi, elle est toujours
actuelle, et nécessaire à tous, cette
parole de Moïse : Enseigne-nous à
compter nos jours, tellement que nous puissions en
avoir un coeur rempli de sagesse ! Ce qu'il
nous faut, à nous qui consumons nos
années comme une pensée, ce qu'il
nous faut dans le tourbillon qui nous
entraîne et dans l'agitation croissante du
siècle présent,
c'est cette sagesse qui porte sa pensée sur
la fin et qui dit : Que faut-il que je fasse
pour être sauvé ?
Et ceci me conduit à un dernier
point. Ce sera celui sur lequel je voudrais fixer
toute votre attention. Puisque la fin, au-devant de
laquelle nous allons, sera ou bonne ou mauvaise,
que ferons-nous pour qu'elle soit
bonne ?
N'auriez-vous jamais été
frappés, mes frères, de rencontrer,
auprès de quelque tombe ouverte, une
confiance irréfléchie et des
espérances bien vagues ? N'avez-vous
pas vu les hommes asseoir leur tranquillité
sur un fondement branlant, alors qu'il aurait fallu
un fondement assez sûr pour résister
à la tempête et au feu du jugement
divin ? Le fondement branlant dont plusieurs
se sont contentés. c'était une vie
toute faite de travail et d'honnêteté,
une vie qui n'avait ignoré ni les oeuvres,
ni les exercices de piété, une vie
sans tache selon le monde. Le fondement branlant
qu'on a déclaré suffisant pour porter
l'édifice de l'éternité,
c'était, tout bien compté et d'une
manière plus ou moins avouée, le
mérite de l'homme, l'utilité de
l'homme, l'excellence de l'homme.
Mais l'Écriture vient renverser
ces calculs. Elle déclare que si la justice
du pauvre pêcheur ne dépasse celle des
pharisiens et des scribes, il n'entrera point dans
le royaume des cieux. Elle déclare qu'il n'y
a sous le soleil qu'un seul nom qui ail
été donné aux hommes pour
être sauvé savoir le nom de
Jésus de Nazareth, le Crucifié et
le Ressuscité. Elle
déclare que la condamnation qui pèse
sur nos vies coupables ne sera ôtée
qu'à une seule condition, c'est que nous
soyons en Jésus-Christ.
Elle rattache toutes les
espérances qu'elle nous laisse à la
seule personne de ce Sauveur, à la seule
oeuvre de salut qu'est venu accomplir sur cette
terre le Fils du Dieu vivant, à la seule
grâce gratuite que nous offre, pour l'amour
du sacrifice de son Bien-aimé, le Saint et
le Juste, l'Éternel des armées. Elle
n'ouvre devant nous, pauvres naufragés sur
la mer tourmentée de ce monde de
péché et de misère, qu'un
unique port de refuge et de salut -
Jésus ! C'est dans ces eaux-là
qu'il nous faudra jeter notre ancre ; partout
ailleurs, les vents et les vagues en fureur
l'arracheront et nous livreront à une
perdition certaine.
Jésus, Jésus !
là est la paix, là est la vie dans la
mort même, là est le ciel, là
est le revoir avec ceux qui sont morts dans la
foi ; là est la joie éternelle
rayonnant sur la tête des
rachetés ; là est cette
éternité pleine de lumière et
de bonheur que nous demandons.
Et si ces choses que je dis sont vraies,
- et je prends à témoin qu'elles le
sont Jésus-Christ lui-même, ses
apôtres et les hommes de Dieu de tous les
temps, - si cet Évangile-là est la
vérité, que sera, en dernier lieu, la
sagesse que nous demanderons à Dieu de nous
donner ? La sagesse, ce sera un humble et
journalier recours à Jésus-Christ.
L'homme sage, ce sera celui qui, par la foi,
regarde à ce seul Sauveur, s'appuie sur ce
seul Sauveur et dont la foi se résume
dans cette parole de
St-Paul : Celle parole est certaine et digne
d'une entière confiance, c'est que
Jésus-Christ est venu au monde pour sauver
les pécheurs dont je suis le premier. Mais
j'ai obtenu miséricorde, afin que
Jésus-Christ fit voir en moi une parfaite
clémence pour servir de modèle
à ceux qui croient en lui pour avoir la vie
éternelle. 0 Dieu, Dieu de notre salut,
donne-nous des coeurs pleins de cette divine
sagesse ! Amen.
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