Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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LA GRANDE AVENTURE
AU SERVICE DE DIEU


CHAPITRE XI

TROIS VISIONS

I

Dans les trois courts récits qui vont suivre, je voudrais montrer comment Dieu s'est révélé à des âmes musulmanes encore plongées dans les ténèbres.

C'était en décembre 1920. On nous avait envoyées, une amie missionnaire et moi, faire une tournée de pionniers au sud des monts Atlas, de l'oasis de Biskra jusqu'à Touggourt. Au cours de notre voyage de deux à trois semaines, nous touchâmes à vingt-six petites villes, hameaux ou oasis. C'est mon amie qui se chargeait de la conversation car elle savait bien l'arabe ; de beaucoup son aînée, je jouais un peu le rôle de chaperon. Une des premières petites villes que nous avons visitées est Tolga. On n'y avait jamais encore ouvert de station missionnaire.

Les premières personnes abordées par mon amie lui racontèrent une chose étrange: l'homme le plus riche de l'endroit, propriétaire de la plus vaste plantation de dattiers, se trouvait menacé par la ruine et la misère par suite de l'extrême sécheresse. Il avait eu beau effectuer des sondages pour faire des puits artésiens, nulle part il n'avait trouvé d'eau. Cet homme, on le savait en ville, avait décidé de se suicider et avait même fixé la date.

La veille de ce jour fatidique, pendant la nuit, - dormait-il ou était-il éveillé, je ne m'en souviens plus -, un homme en blanc lui apparut et lui dit de ne pas s'ôter la vie mais d'effectuer un nouveau sondage dans un endroit de son jardin qu'il lui désignait et que, là, il trouverait de l'eau. Ce message était si catégorique que le planteur reprit courage et résolut de tenter sa chance une dernière fois. On effectua des forages à l'endroit indiqué et, ô merveille ! l'eau se mit à jaillir avec l'impétuosité et l'abondance d'un torrent ! Elle coulait avec une force irrésistible, si bien qu'elle inonda bientôt non seulement le jardin du propriétaire mais toutes les plantations avoisinantes et la petite ville elle-même.

Les voisins qui, tout d'abord, s'étaient réjouis avec cet homme et enviaient sa bonne chance, prirent peur ; craignant même que la fièvre ne fît son apparition dans l'oasis, ils proférèrent des menaces et le sommèrent d'arrêter ce torrent sous peine d'être tué.
C'était une situation plutôt fâcheuse pour ce pauvre homme, impuissant à endiguer ces flots. Il leur fit alors une proposition, celle de lui acheter une partie de cette surabondance d'eau qui serait alors dirigée dans leurs jardins et viendrait au secours de leurs plantations qui souffraient également de la sécheresse. Les voisins acceptèrent et versèrent au propriétaire une somme de 75.000 francs. Cette eau jaillissante fut captée, nous dit-on, dans le jardin, à la place même où elle était apparue et amenée à un bassin rond, en béton, d'où partaient deux conduites également en béton, l'une à droite, l'autre à gauche ; la première irriguait la plantation du propriétaire, et la seconde les plantations des habitants de la ville. Et ainsi la paix fut rétablie pour le plus grand profit de tout le monde.

Cette histoire nous paraissait à toutes deux invraisemblable, mais elle nous intéressa vivement ; nous en fûmes même fort émues car nous étions là de nouveau devant un cas où Dieu est intervenu pour sauver un homme, un mahométan, et l'empêcher de mettre fin à ses jours ; en outre, il avait répandu sa bénédiction sur la population de cette petite localité en lui accordant l'eau dont elle manquait si cruellement.

On nous indiqua l'endroit où était située cette plantation et nous arrivâmes bientôt dans le jardin au milieu duquel coulait ce flot miraculeux. C'était vraiment un spectacle saisissant.
Des profondeurs de la terre, jaillissait en flots ininterrompus un volume d'eau égal au tronc d'un arbre que deux bras pourraient à peine entourer. Tout était exactement comme on nous l'avait décrit. Ce qui nous frappa d'étonnement et d'admiration, ce n'était pas seulement l'extraordinaire abondance de l'eau mais aussi sa couleur.
Quiconque a vu de l'eau sortir d'un glacier, claire, verdâtre, avec une étrange lueur blanche comme de la neige fondante, trouverait la même froide beauté, si l'on peut dire, à cette onde qui sortait impétueusement de la terre boueuse du désert.
Nous restions muettes d'émerveillement et même saisies d'une sorte de crainte respectueuse ; puis nous penchant sur l'onde vivifiante, légèrement écumeuse, jaillissante, bouillonnante, nous en bûmes avec délices.

Mais nous avions envie de voir le propriétaire lui-même afin de lui transmettre le message que cette eau magique devait lui apporter. Comme il était absent, c'est son fils qui vint nous saluer ; mon amie entama la conversation et exposa de la manière attrayante qui lui était propre la signification spirituelle de cette merveilleuse expérience que son père, ainsi que tous les habitants de Tolga, venait de faire. Le jeune homme parut comprendre qui était celui dont parlait ma compagne et de quelle eau il s'agissait car il courut à la maison et en rapporta un Nouveau Testament en français que des missionnaires d'Alger lui avaient donné. Selon toute évidence, il en avait lu quelques fragments, sinon il n'aurait pas reconnu avec nous l'existence et la valeur unique de cette eau vive que Christ est venu apporter aux coeurs altérés.

Nous sommes reparties avec le sentiment que cette âme ouverte à l'influence du Saint-Esprit pourrait être amenée par le miracle de l'eau visible aux sources éternelles.

II

Voici un autre cas où Dieu a abaissé le mur entre le visible et l'invisible afin de parler à une âme plongée dans les ténèbres.

J'étais alors détenue dans la plus grande et la plus sévère des prisons russes et j'avais été transférée d'une salle dans une autre plus vaste. Assise sur le bord du cadre de fer qui servait à la fois de lit et de chaise et garni d'un sac de toile grossière, je laissai mon regard errer sur mes vingt à vingt-deux compagnes de prison. Mes yeux tombèrent sur une femme de grande taille, aux yeux de couleur foncée et dont le visage et l'attitude me frappèrent comme étant différents des autres. En réponse à la question que je lui posai, elle m'apprit qu'elle était une princesse caucasienne, mahométane et que son fils était également en prison, mais elle ne pouvait rien dire sur la cause de leur détention.

Une mahométane ! Ici, dans la même salle que moi ! Ne dirait-on pas que c'est un fait exprès ? pensai-je. Et je m'approchai d'elle avec des paroles amicales. Elle eut l'air heureuse de parler à quelqu'un et se mit aussitôt à décharger son coeur. C'était son fils, le prince de Nakhitchevan qui lui causait surtout du chagrin et de l'anxiété. Elle-même était la fille du dernier souverain indépendant de la petite principauté de Nakhitchevan dans le Caucase du Sud ; celui-ci avait volontairement cédé ses droits et son autorité à son puissant et cupide voisin, le tsar de Russie. Princesse du sang, elle avait été admise, avec son fils, à la Cour impériale de Russie et lorsque son époux, le général Ali Khan, fut tué par une bombe révolutionnaire, elle avait fait son « home » dans les cercles de la Cour.

Quand elle parlait de l'impératrice Alexandra et de son entourage, j'étais frappée de l'entendre employer à plus d'une reprise, sous leur forme orthodoxe russe, le mot de Sauveur (« Spassitel ») ou le nom de la vierge Marie (« la mère de Dieu »). C'était étrange et inattendu de la part d'une mahométane. « Pouvez-vous me dire, lui demandai-je, qui vous appelez le « Spassitel » et ce que ce nom signifie pour vous, une musulmane ? » Ma question sembla lui faire plaisir et elle répondit : « Eh bien ! voilà : quand j'étais à la Cour, j'ai si souvent entendu l'impératrice, ses dames d'honneur et ses hâtes nommer la « mère de Dieu » et parfois aussi, mais plus rarement, le « Spassitel » que j'en vins à faire de même. Toutefois, je dois avouer que j'ignore pourquoi on appelle ces deux personnages d'un nom si étrange. Pouvez-vous m'expliquer qui est ce « Spassitel » et pourquoi il se nomme ainsi ? » Elle ne me demanda pas ce que la « mère de Dieu » pouvait bien signifier.
Les mahométans répugnent à cette expression et évitent même de s'en servir de peur de blasphémer contre Allah. Mais cette dame avait fréquenté pendant des années des personnages russes si haut placés !

Elle me regardait d'un air suppliant. « Votre âme n'est-elle jamais entrée en contact personnel avec ce Sauveur, chère madame ? » lui demandai-je. Elle parut soulagée de pouvoir parler à coeur ouvert et répondit : « Oui, je crois, et tout récemment, ici, en prison. À la Cour, on mentionnait son nom beaucoup moins souvent que l'autre nom ; je pensais donc que la « mère de Dieu » avait une bien plus grande importance que le Sauveur. Cependant il m'est arrivé quelque chose d'étrange et depuis je pense davantage au « Spassitel » et je me pose des questions à son sujet.

« J'ai subi quelques semaines de réclusion dans la tour de Pougatchef et dans une horrible et abjecte cellule infestée de rats. L'unique lucarne avait les vitres cassées... par ce froid ! » Elle frissonna et une expression de souffrance passa sur son visage. « Une fois, reprit-elle, était-ce de jour ou de nuit, je ne m'en souviens pas, je vis un homme entrer silencieusement, s'arrêter près de la porte et me regarder. Il ne prononça pas un mot mais continuait à fixer sur moi un regard très doux et pourtant intense, comme s'il voulait m'apporter un message réconfortant. Puis, toujours en silence, il s'éloigna en me jetant un dernier regard avant de disparaître.
« J'avais aussitôt compris qu'il était le « Spassitel ».

Si souvent j'avais vu son visage sur les murs de la chambre de l'impératrice ! Il désirait que je le suive, ne croyez-vous pas ? et ne devrais-je pas, désormais, le placer plus haut que la « mère de Dieu » ? »
J'étais profondément émue à l'ouïe de ces paroles si simples, si sincères. Et quelle joie pour moi !
C'était un rayon de lumière après les mois si pénibles passés dans cette immense et sombre prison qui hébergeait, à ce moment-là, plus, de onze mille êtres humains privés de liberté.

Il fut convenu entre la princesse et moi qu'elle viendrait auprès de mon grabat pour de bonnes causeries. Je pouvais lui lire la Bible. Une Bible dans une prison soviétique où le régime était le plus strict de tous ! Comment cela se fait-il ? Il serait trop long de raconter de quelle manière le bibliothécaire de la prison, un juif âgé, m'avait envoyé une Bible anglaise dans ma salle. Elle avait providentiellement dû passer inaperçue car, à cette époque, tous les livres religieux étaient éliminés de la bibliothèque.

Jusqu'alors aucune de mes compagnes n'avait manifesté le désir que je lui fasse la lecture, à livre ouvert, en russe d'après le texte anglais. Et voilà enfin une âme qui se montrait non seulement disposée à écouter mais avide d'apprendre ce que la Parole de Dieu pouvait lui dire sur celui qui sauve. Le Saint-Esprit, l'interprète, celui qui donne la Vie lui parlerait à travers mes faibles paroles.
La société où nous nous trouvions ne s'intéressait pas à nos conversations ni à notre lecture de l'Écriture sainte. Nous respirions un autre air quand je l'entretenais de la Parole de Dieu et de mes expériences personnelles.

Qui est le Sauveur, d'où vient-il, pourquoi le Fils bien-aimé de Dieu est-il venu sur la terre, comment a-t-il pu sauver de pauvres pécheurs et les a-t-il fait asseoir avec lui dans les cieux, autant de questions qui se pressaient dans son esprit. Elle avait, hélas ! vécu des années dans une atmosphère de mysticisme malsain tel qu'il était professé et pratiqué à la Cour de l'impératrice Alexandra pendant les dernières et fatales années du tsarisme.

Je ne crois pas que la princesse eût déjà accepté le Christ comme son Sauveur personnel. Tout s'était passé pour elle d'une façon si inattendue : la vision du Christ dans sa cellule solitaire, la possibilité d'entendre parler de lui et d'avoir une réponse à ses questions ; mais je me souviens qu'elle écoutait la Bible sans émettre de doutes ni aucune des objections toujours mises en avant par les musulmans au sujet des vérités contenues dans l'Écriture sainte, particulièrement en ce qui concerne la divinité et la souveraineté de Notre Seigneur. C'était certainement là l'oeuvre du Saint-Esprit dans son âme. Elle possédait désormais une lumière pour la conduire sur le chemin du salut et savait qui était mort pour qu'elle ait la vie. La bonne semence était tombée dans un coeur avide de la recevoir et c'est ce que Dieu, sans aucun doute, voulait lui faire trouver grâce à notre rencontre en prison, le pain de vie et l'eau vive pour la soutenir au long du triste et long voyage qui devait la mener vers un lointain exil.

Il n'y avait que quelques jours que nous étions ensemble lorsque, soudain, alors que tout le monde dormait, un des gardiens-chefs entra dans notre salle. Nous nous dressâmes toutes sur notre séant, silencieuses et raides. Il se dirigea tout droit vers le grabat de la princesse et dit d'une voix rude et monotone : « Le verdict de la haute-Cour de Moscou est la peine capitale. » Silence. Puis il continua : « Mais la haute Cour a eu la clémence de commuer la peine en un bannissement à vie » et il nomma l'île redoutable de Solovietsky, dans la mer Blanche. L'officier sortit. La princesse dit seulement : « C'est une île dont on ne revient jamais. »

Dès que le verdict était communiqué aux prisonniers on les transférait dans une salle spéciale. La princesse rassembla ses rares possessions et vint vers moi. Son visage était baigné de larmes - larmes silencieuses : « Personne d'autre que vous ne me verra pleurer, dit-elle ; ce n'est pas sur moi que je pleure ; c'est sur mon fils. »

Elle me demanda tout d'un coup si je croyais en une résurrection. J'en fus saisie. « Y en a-t-il vraiment et pour qui ? » Je lui citai la parole du Christ : « Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi ne mourra jamais. Je vis et vous vivrez aussi. » Une courte étreinte et on l'emmena.

Nous apprîmes ensuite que son fils devait partager son sort ; pour lui aussi la peine capitale avait été, « par clémence », commuée en un bannissement à vie dans cette île des mers arctiques. La mère et le fils pourraient du moins porter leur croix ensemble.

Quelques mois plus tard, je fus exilée dans le Nord. Aussitôt que je pus correspondre avec un homme de confiance de Moscou, je fis envoyer à la princesse par son intermédiaire une somme mensuelle pour la secourir dans ce lieu de souffrances et d'épouvante et la préserver du froid et de la faim. Lorsque sept ans plus tard je fus libérée, j'appris que la princesse n'avait survécu que quelques mois et que le secours qui lui était destiné avait pu être utile à son fils.

J'ai confiance que le Christ, qui a cherché cette âme avec tant d'amour en lui donnant la vision du Sauveur lui-même et en la faisant suivre de notre brève rencontre, aura achevé l'oeuvre qu'il avait commencée.
Parmi les centaines de femmes dont j'ai partagé le sort dans nombre de prisons, elle seule était musulmane. Quoique morte, elle peut encore par cette courte histoire apporter son hommage à la gloire du « Spassitel ».

III

Le troisième récit me concerne personnellement. En 1922, j'étais retournée au Turkestan, à ce moment-là sous l'administration des Soviets. J'espérais, contre toute évidence, que Dieu me donnerait, une fois encore, accès chez les musulmans de l'Asie centrale russe pour lui rendre témoignage, bien que je fusse au courant des violentes persécutions auxquelles les chrétiens déclarés étaient exposés. J'avais emporté 8000 exemplaires de mes traités en uzbek. Pour arriver en Russie, j'avais passé par la Perse où je dus les renvoyer tous, sous peine de les voir brûler en public comme étant de la « littérature contre-révolutionnaire ». Il ne restait plus qu'un seul moyen d'entrer en contact avec mes Uzbeks, c'était de vivre parmi eux et comme l'un d'eux, aussi longtemps que la Guépéou et le peuple uzbek lui-même le toléreraient.

Mes cinq ans d'absence du Turkestan m'avaient fait perdre quelques-uns de mes anciens amis uzbeks de Tachkent où j'avais vécu des années avant et pendant la Grande Guerre. Une dame russe qui connaissait un vieux couple uzbek, demeurant dans le « vieux » Tachkent ou quartier mahométan, m'offrit de me conduire chez eux elle-même. Le « khodja » - ainsi se nomment les Uzbeks de noble naissance - descendait d'une ancienne famille de « khan » et parlait le russe ; il était connu des Russes aussi bien que des Uzbeks pour sa grande culture, sa dévotion et sa parfaite honorabilité. Autrefois un des plus riches propriétaires de Tachkent, il était réduit actuellement à une extrême pauvreté. Le coin de terre où il vivait avec son épouse était tout ce que le gouvernement soviétique lui avait permis de garder des quarante domaines qu'il avait possédés.

J'avais passablement oublié la langue uzbek, du moins pour la conversation ; j'étais donc heureuse que la dame russe pût me servir d'interprète. En entrant chez eux, nous les trouvâmes assis à la mode orientale, sur des tapis et des coussins, sous un auvent formé par la terrasse du toit et joint à une grange qu'ils habitaient ; celle-ci était entourée d'un verger devenu le seul moyen d'existence du khodja. Ce dernier se leva pour nous saluer ; il avait conservé une haute stature malgré ses quatre-vingts ans ; il avait un nez aquilin et un regard intelligent et dominateur. Nous nous assîmes sur des coussins et après un échange de salutations, l'épouse du khodja nous servit du thé vert. La dame russe exposa alors ma requête qui avait pour objet d'être admise comme pensionnaire dans leur demeure et leur vie de famille. C'était là une demande tout à fait inusitée. Plusieurs Russes, il est vrai, étaient établis dans le quartier musulman de Tachkent mais ils se bornaient à louer des chambres, sans partager la vie de famille ; or, c'était cela précisément que je désirais obtenir. Le vieillard me regarda attentivement, me toisa pour ainsi dire, puis consentit, à la seule condition que je ne recevrais jamais de messieurs ; c'était tout à fait légitime car son épouse observait strictement le « purdah », c'est-à-dire qu'elle ne montrait jamais son visage à un étranger ; par conséquent si un homme apparaissait, elle serait obligée de se cacher derrière le long voile en crin noir et épais, porté par toutes les femmes uzbeks.
Je ne demandais pas mieux que d'accepter cette condition et je promis que même les visites de dames seraient rares.

Je louai aussitôt la hutte qui se trouvait à côté de la grange. Elle me convenait à merveille ; elle était juste assez grande pour un lit de camp, une table, une chaise et un petit poêle de fonte. L'unique fenêtre n'avait point de vitres mais un petit rideau suffirait pour la nuit. J'avais vécu assez longtemps parmi les musulmans pour savoir que j'étais en parfaite sécurité sous l'égide de ce khodja.

J'avais prié avec ferveur pour que Dieu me dirigeât dans cette entreprise. N'était-ce pas déjà un exaucement que le consentement du vieux couple, que j'osais à peine espérer ? Je ne crois même pas qu'ils m'aient jamais demandé la raison de mon étrange requête. S'ils l'avaient fait, j'aurais répondu en toute franchise que, étant une disciple de Jésus-Christ, j'étais l'amie des musulmans. Le nom du Christ est vénéré par eux tous mais ils rejettent avec la dernière violence et même de la façon la plus hostile son titre de « Seigneur » qui implique son égalité avec Dieu. Cela, c'est un blasphème.

Je fus bien vite installée dans mon humble demeure, heureuse et profondément reconnaissante envers Dieu et envers le khodja et son épouse (la « khanoum »), car ils me traitèrent immédiatement comme une des leurs. Je ne puis donner ici de détails sur notre vie en commun ; de trop nombreux et précieux souvenirs me viendraient à l'esprit. Dieu m'accorda de parler avec une entière liberté de Jésus-Christ comme Fils de Dieu, comme Sauveur de l'humanité et comme mon Sauveur personnel. La vieille dame était étonnamment bonne pour la femme chrétienne, son hôte. Elle aimait à me faire part de vieilles histoires de famille des bons et mauvais jours ; elle ne faisait jamais d'objections à mes idées religieuses mais elle était trop âgée pour réagir soit en les contestant, soit en y acquiesçant ; elle se contentait de me montrer beaucoup d'affection et d'être heureuse de ma compagnie. Le khodja, au contraire, aimait à m'écouter lorsque je lui lisais dans l'un des quatre Évangiles ou dans mes traités uzbeks, les quelques traités que j'avais réussi à sauver de la Guépéou. Il continuait ses exercices religieux comme un fidèle musulman mais il était accessible aux vérités chrétiennes et les écoutait volontiers. Je ne saurais dire si elles avaient pénétré très profondément dans son coeur, mais son empressement à profiter de l'unique occasion, que Dieu avait donnée, à moi de rendre témoignage et à lui d'écouter, était déjà l'indice que Dieu avait mis sa bénédiction sur mon séjour chez ces amis.

Trois années consécutives, je passai deux à trois mois dans la maisonnette du verger, au printemps et jusqu'au début de l'été, accueillie chaque fois comme un membre de la famille. Une réelle et profonde amitié s'était nouée entre nous, Dieu merci ! Mais j'avais prié d'obtenir davantage et je continuais à espérer. J'avais combattu avec Dieu contre l'ennemi du Christ qui empêchait le khodja d'arriver à une décision. Je priai avec larmes et un désir ardent au coeur pour qu'un indice quelconque chez mon vieil ami me montrât que le Seigneur avait fini par conquérir ce coeur musulman.

Je savais que cette troisième année serait la dernière que nous passerions ensemble. Des signes certains indiquaient clairement que la Guépéou s'apprêtait à m'arrêter et à me mettre en prison ; c'étaient mes derniers jours et mes dernières semaines de liberté.

L'occasion vint enfin pour le khodja, comme exaucement à mes prières, de parler ouvertement. Cela arriva de la manière suivante.
La Guépéou avait ordonné au chef des mullahs de Tachkent de se rendre à notre demeure et d'y recueillir des documents de nature à me compromettre et à donner au gouvernement des Soviets un motif de m'accuser d'active propagande chrétienne ; celle-ci constituait en elle-même un acte « contre-révolutionnaire » et par conséquent interdit par la loi soviétique. Le mullah vint. La vieille dame disparut et j'eus avec lui une longue discussion sur les enseignements de l'islam et du Christ. Je lui signalai à la fin quelques affirmations absurdes et historiquement inexactes contenues dans le Coran, entre autres celle qui veut que la vierge Marie soit la nièce d'Aaron ! Tandis que le mullah restait silencieux et quelque peu embarrassé, mon vieil ami le khodja, qui nous avait écoutés sans prononcer un mot, s'adressa tout à coup à notre visiteur et lui dit, son visage rayonnant d'un éclat inaccoutumé : « Notre amie que voici nous a assurés que lorsque nous serons en présence d'Allah au jour du jugement, 'Isa al-Messih intercédera pour nous. »

Il n'en dit pas davantage mais cela fit tressaillir mon coeur. Cette déclaration d'un mahométan, faite avec la tranquille assurance d'un fait acquis, me prouvait que l'âme de mon ami s'était ouverte du moins à cet espoir, celui d'avoir un intercesseur à l'heure du jugement si redouté parles musulmans, et cet avocat - Jésus-Christ !

Le jour vint où je dus partir avec la triste certitude de ne jamais revenir. Nous étions réunis tous les trois, pour la dernière fois. Soudain le khodja me dit : « Je vais vous dire à présent ce qui m'a poussé à vous accepter tout de suite dans notre intimité ; avant de vous voir venir dans notre jardin, je vous avais déjà vue ! Oui, dès que j'ai jeté les yeux sur vous, je vous ai reconnue ; vous étiez la femme que Dieu m'avait montrée une fois en rêve et lorsque vous êtes venue chez nous, je savais que c'était Dieu qui vous avait envoyée. »

Voilà donc la raison qui l'avait décidé à m'admettre à son foyer ! Il m'avait accueillie comme une messagère de Dieu et pendant mes trois séjours dans sa demeure, par nos entretiens et nos prières dans le paisible jardin, le Saint-Esprit lui avait insufflé la confiance par laquelle son âme s'était ancrée dans les réalités invisibles, celles qui sont « au delà du voile ».
Soyons assurés que cet espoir ne l'a pas trompé.


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