LA GRANDE AVENTURE
AU
SERVICE DE
DIEU
CHAPITRE XI
ÉPILOGUE (1)
Si ma soeur quitta la Russie soviétique,
ce ne fut pas de son plein gré.
Personnellement, elle eût
préféré finir ses jours en
prison ou en exil afin de poursuivre son
ministère de
« témoin ».
Cependant, lorsque, à la suite de
l'intervention de Lord Noël Buxton, à
Moscou, elle reçut l'ordre de quitter le
pays, elle dut s'exécuter. C'était en
1935. Quinze ans auparavant, elle était
retournée au Turkestan après cinq ans
d'absence. Elle avait entendu l'appel et elle
tenait à y répondre coûte que
coûte. Quand, après un long et
pénible voyage à travers le
Béloutchistan et la Perse, elle mit le pied
sur le sol russe à Askhabad, elle eut
l'impression qu'une trappe s'était
refermée sur elle ; et c'était
bien le cas.
Il n'est pas possible de raconter en
quelques lignes tout ce qu'elle eut à subir
une fois de retour dans ces lieux du Turkestan qui
lui étaient si familiers. Pendant assez
longtemps, elle fut complètement libre de
ses mouvements et put circuler
à son gré, que ce fût à
Tiflis, à Tachkent ou dans les montagnes du
Kirghisistan où elle fonda un petit
hôpital après avoir au
préalable assumé les frais
d'études d'une jeune femme qui devait en
devenir le médecin.
Bien que ma soeur eût, comme la
plupart des gens, perdu tout ce qu'elle
possédait en Russie, elle jouissait encore
de revenus largement suffisants grâce
à des fonds étrangers dont j'avais la
gérance.
Après une période où,
devenue suspecte, elle fut placée sous la
surveillance de la police, son arrestation eut
lieu. Elle était à ce
moment-là à Leningrad.
Alors commença son existence de
recluse, parfois, cependant, on la faisait sortir
de prison pour l'envoyer en exil dans quelque
lointain village ou quelque petite ville,
après quoi elle était
incarcérée à nouveau. Cela se
répéta huit fois. Elle acceptait tout
comme étant la voie tracée pour elle
par son Maître. Elle ne se tourmentait
pas ; tout cela faisait partie du plan de Dieu
à son égard. Tout au long de ces
années de prison et d'exil, jamais un doute
ne l'effleura, quant à sa conviction d'avoir
fait un acte d'obéissance à son
Maître en retournant en Russie à un
moment où tous ceux qui pouvaient la quitter
s'empressaient de le faire. Et c'est cette
assurance d'être là où Dieu
voulait qu'elle fût, qui la soutint dans les
sombres heures de sa longue
captivité.
Personne ne saura jamais d'une
façon complète ce
qu'elle endura pendant ses huit emprisonnements
consécutifs.
Lorsque je me trouvai auprès
d'elle, après son retour de la Russie
soviétique, elle me fit part de
quelques-unes de ses expériences, mais en
somme elle m'en dit peu de chose. On lui a
demandé d'écrire un livre sur cette
période de sa vie, mais je doute qu'elle le
fasse jamais. C'est par un tiers que j'appris qu'on
l'avait obligée, un jour, à assister
à l'exécution de cinquante
prêtres et de deux femmes
évangélistes. On lui dit que si elle
persistait dans sa foi et dans son attitude, elle
subirait le même sort, mais la mort ne
l'effrayait pas.
La détention dans une cellule en
compagnie de dix-neuf femmes condamnées pour
des crimes de droit commun fut, certes, une
expérience pénible, mais la solitude
de la réclusion ne l'était pas
moins.
Elle avait, en outre, un grand sujet de
tristesse mais sans aucun rapport avec sa situation
personnelle : c'était la pensée
que les milliers de traités en uzbek qu'elle
avait écrits ou traduits n'accompliraient
pas leur mission. On ne l'avait pas
autorisée à en emporter dans la
Russie des Soviets ; elle avait dû les
renvoyer à Mechhed. Cette graine ne
serait-elle jamais semée ?
Depuis lors cette tristesse s'est
changée en joie car des amis de la mission
de l'Asie centrale découvrirent qu'au
Turkestan chinois les musulmans de langue uzbek
pouvaient lire ces traités. Et ainsi, cette
précieuse semence tombe sur un bon terrain,
dans des coeurs musulmans.
Depuis l'automne de l'année 1938,
ma soeur vit au Canada qui est devenu sa seconde
patrie. C'est une femme âgée de
soixante-dix-neuf ans, frêle et
délicate, physiquement brisée par les
terribles souffrances de ses années de
prison mais mentalement et spirituellement aussi
vivante que jamais. Sa grande joie est d'exercer un
ministère, par sa science biblique,
auprès de ses compatriotes, des Russes
évangéliques, établis dans ce
grand pays libre et hospitalier.
Cédant aux pressantes
sollicitations d'amis canadiens et
américains, elle a écrit quelques
articles sur sa vie qui forment la substance du
présent volume, ce qui explique le
caractère un peu décousu de ses
récits. Pour combler des lacunes, je me suis
efforcée de donner quelques explications et
renseignements complémentaires en ajoutant
un certain nombre de notes en bas de page.
Des lecteurs du Canada et des
États-Unis se sont adressés à
l'éditeur pour lui exprimer leur
désir de savoir si l'auteur de ce livre
vivait encore et ce qu'elle faisait actuellement.
Quelques-uns nous ont demandé quel avait
été le résultat de cette large
diffusion de la Parole de Dieu et ce qui en
était de la moisson de cette
précieuse semence. Ma soeur a répondu
dans son avant-propos à cette
légitime question.
Il faut une grande humilité pour
pouvoir, sans en avoir le coeur
déchiré, jeter des regards en
arrière, vers tant de choses
commencées dans la foi sans qu'il y ait
toutefois de résultat apparent.
Dans mon esprit, ma soeur est la vivante
illustration de la pensée si admirablement
exprimée par sainte
Thérèse : « Sa divine
Majesté aime et recherche les âmes
courageuses, mais elles doivent être humbles
dans leur conduite et ne pas mettre leur confiance
en elles-mêmes. »
En 1925, trois ans après le
passage à Jérusalem de ma soeur qui
se rendait au Turkestan, je me trouvais dans cette
ville et je rendis visite, à sa demande,
à quelques pauvres pèlerins russes
qu'elle avait aidés pendant son
séjour dans la cité sainte. Parmi eux
se trouvait une vieille femme qui me dit en parlant
de ma soeur : « Son souvenir est
comme l'encens. »
Il en est ainsi partout où elle
passe.
SONIA E. HOWE
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