LA GRANDE AVENTURE
AU
SERVICE DE
DIEU
CHAPITRE
VII
SOUS L'EMBLÈME DE LA CROIX-ROUGE
RUSSE
Lorsque nos pèlerins nous eurent
quittés, nous étions à bout de
forces et nous aspirions au repos. On était
à présent à la mi-octobre et
la Fête du Sacrifice, le « Corban
Baïram », avait lieu le 8 novembre.
Nous reçûmes tout à coup un
télégramme d'Odessa nous disant de
revenir immédiatement car des centaines de
pèlerins massés à
Sébastopol demandaient à grands cris
d'être transportés à temps pour
le Baïram.
Nous partîmes sur-le-champ et,
à toute allure, nous retournâmes en
Crimée ; on embarqua les
pèlerins et notre navire arriva sans
incident à Djeddah juste à temps pour
la célébration de la fête de la
Mecque. Mes expériences au cours de ce
nouveau voyage furent semblables aux
précédentes. J'ai pu faire comprendre
à mes malades que la soeur n'avait qu'un
désir, celui d'aider et de servir les
musulmans et d'être leur amie, et depuis
lors, sans aucun doute, la Croix-Rouge de mon
uniforme était devenue pour plus d'un
l'emblème de l'union
entre les chrétiens et eux, et non plus,
comme autrefois, le symbole de ce qui nous
sépare.
Deux incidents de ce voyage sont
restés gravés dans ma
mémoire : le nombre des Afghans qui
avaient besoin d'être entourés
maternellement s'était accru et, une fois de
plus, le mur de méfiance qui se dressait
entre nous s'abaissa sans difficulté tandis
que des liens de sympathie humaine nous
unissaient.
Une vieille grand'mère
sèche et maigre comme un squelette avait
été l'objet de tous mes soins. Seul
son désir passionné d'être
ensevelie dans la ville sainte la maintenait en
vie. J'avais promis de venir lui faire une
piqûre de camphre et de lui apporter une
bonne parole avant que la troupe de pèlerins
ne débarquât. Lorsque j'arrivai
auprès d'elle, au moment où nous
abordions à Djeddah, elle venait de
mourir ; son corps encore chaud fut mis dans
un sac par les soins respectueux de son petit-fils.
Celui-ci, après m'avoir remerciée
d'avoir prolongé la vie de la vieille femme
jusqu'à l'ultime minute, prit le
léger fardeau sur son épaule et
quitta le navire, heureux à la pensée
que le mérite du Hadj ne serait pas perdu
pour sa petite grand'mère, dans
l'au-delà. La dernière personne qui
descendit du navire était un de mes
patients, un beau vieux mullah qui se mourait de la
fièvre typhoïde. Il mit affectueusement
ses bras autour de mon cou comme j'avais à
le transporter dans le feluga et me bénit
moi, la femme chrétienne, du plus profond de
son coeur.
Après avoir fait ainsi la navette
pendant presque deux mois, au milieu d'une cohue
causée par les incessantes allées et
venues de trois mille hommes et femmes, nous
étions heureux de les voir atteindre en
temps voulu le but poursuivi - au prix de combien
de difficultés et de peines ! - mais
l'espoir au coeur.
Nous n'avions devant nous que deux
semaines avant que la masse des pèlerins se
réembarque pour le voyage du retour.
Atteinte d'une fièvre bénigne de
paratyphoïde contractée en soignant mon
vieux mullah, je dus m'aliter, mais aussitôt
que ce fut possible, je me fis transporter à
Djeddah par un bateau turc. Il ne serait pas dit
que je ne mettrais pas les pieds sur le sol
arabe !
Comme j'en franchissais le seuil,
j'évoquai devant Dieu les paroles qu'il
avait données à Josué comme
une promesse et un encouragement, au moment
où le peuple d'Israël entrait dans le
pays de Canaan : « Tout lieu que
foulera la plante de votre pied, je vous le
donne. »
Après avoir parcouru la ville
basse, je m'assis sur une pierre en face de la
porte s'ouvrant sur la ville sainte ; dans mon
coeur, je pris possession de Djeddah et je l'offris
au Seigneur par un acte de foi. Je portais mon
uniforme de soeur russe où se trouvait bien
en évidence la croix rouge, le
« salib », l'insigne
chrétien détesté des
musulmans. Soudain une pierre m'atteignit à
la poitrine ; je tournai la tête et je
vis un jeune Arabe également assis sur une
pierre, non loin de moi. Je lui souris
amicalement mais non sans
malice ; il me regarda d'un air défiant
et soupçonneux mais comme je restais
impassible, son expression changea ; il eut un
rire confus et penaud et je sentis que j'avais
gagné la partie.
Pendant l'absence de nos passagers, nous
menions une vie tranquille à bord de notre
grand Jérusalem ; les marins et les
officiers se promenaient en barque à la
recherche de corail blanc et transparent qu'ils
comptaient vendre plus tard à
Odessa.
À la fin de la seconde semaine,
un télégramme de la Mecque mit fin
à ce dolce far niente. Il informait nos deux
médecins que le choléra avait
éclaté à la suite de
l'abattage de dizaines de milliers d'animaux le
jour de l'Arafat et l'épidémie
semblait prendre une forme violente car tous ceux
qu'elle avait atteints étaient morts. On
nous dit de nous préparer à une
irruption de pèlerins saisis de panique et,
sans aucun doute, déjà
infectés. Des précautions furent
prises immédiatement et on fit les
préparatifs nécessaires. On fit des
piqûres anticholériques mais j'en fus
exemptée en raison de ma paratyphoïde
toute récente. Cependant on me confia le
petit bateau-lazaret. Il y eut un temps où
la seule pensée du choléra m'avait
fait frémir mais Dieu m'aida à
dominer ce sentiment. Pourtant le fait que j'avais
pris la maladie après avoir, à deux
reprises, été vaccinée contre
le choléra prouvait que je n'étais
pas immunisée contre la contagion, Mais le
sentiment du devoir et du privilège de
soutenir ceux qui en étaient atteints me
donna, grâce à
Dieu, une paix, et un complet oubli de soi.
Quelques jours après cette
nouvelle, les pèlerins apparurent sur la
rive et c'était bien une foule
frappée de terreur qui se pressait dans les
felugas pour s'embarquer sur le navire devenu pour
eux un sûr asile.
Comment pouvions-nous, à bord,
discerner parmi tous les pèlerins ceux qui
étaient infectés de ceux qui
étaient indemnes ?
On décida d'abaisser la
passerelle du bateau ; l'un des
médecins, ses assistants, le pharmacien et
moi-même se tiendraient de chaque
côté et admettraient ou refuseraient
les arrivants d'après l'aspect de leur
visage et d'après leur maintien. Tous ceux
qui avaient le teint gris verdâtre des
cholériques ou dont la démarche
chancelante dénotait leur manque de forces
étaient refoulés sur le feluga et
ramenés à la rive. C'était
cruel, mais on ne pouvait agir autrement. Cette
scène est restée pour toujours
gravée dans ma mémoire : les
cris de désespoir, les gémissements,
les bras tendus, les supplications, les
malédictions de ces milliers d'hommes et de
femmes désespérés et
épuisés qui nous imploraient et se
débattaient pour être admis dans le
refuge qu'était notre grand navire.
Ma première malade fut une femme
uzbek qui avait réussi à se faufiler
avec son mari et son petit garçon. Comme
toutes les Uzbeks, elle était couverte d'un
long voile de crin ; dès que je
l'aperçus, je fus frappée de son
état de complet épuisement ;
quand je soulevai le voile,
son
visage, qui était celui d'une femme mourante
du choléra, me révéla la
triste réalité. Elle tenait dans ses
bras un nouveau-né. Je la fis descendre dans
le petit hôpital et je l'y installai ;
son mari et son fils nous suivaient ; le
bébé fut confié au
père ; ils étaient probablement
tous atteints.
Le triage de ces milliers de
pèlerins dura des heures, mais à la
fin nous pûmes lever l'ancre et cingler vers
le nord. Trois jours de navigation encore nous
attendaient avant de pouvoir nous arrêter
à Tor, sur la côte occidentale de la
péninsule du Sinaï, où se
trouvait le camp international de quarantaine,
arrêt obligatoire pour tous les navires de
pèlerins, revenant de la Mecque.
Mon petit hôpital était
rempli ; les malades n'étaient pas tous
atteints du choléra mais ils étaient
tous mourants. Seuls le père et les deux
jeunes enfants dont j'ai parlé plus haut se
maintenaient en santé. Comme aide j'avais un
des infirmiers marins ; le médecin
n'apparaissait que sur le seuil de la porte, de
temps en temps. Il avait été convenu
que mieux valait pour lui ne pas courir le risque
de la contagion afin de pouvoir porter secours aux
autres pèlerins. Ces trois jours et ces
trois nuits se passèrent pour moi à
aider ces malheureux à mourir. Il
n'était pas question ici de distinguer entre
chrétiens et musulmans.
La pensée solennelle de cette
entrée dans l'inconnu et d'aller au-devant
du jugement nous étreignait tous de la
même façon d'une crainte
respectueuse et nous nous
sentions très près les uns des
autres. Toutefois nous n'étions pas
abandonnés : les musulmans imploraient
Allah et pour ma part j'invoquais, dans cet
hôpital rempli de soupirs et de cris, le
Sauveur secourable, je le remerciais des liens que
la souffrance et la mort avait formés entre
moi et des âmes qui, n'eût
été les circonstances, ne m'auraient
jamais permis de prier avec elles.
Notre bateau se dirigeait à toute
allure vers Tor pour y déposer sa pitoyable
charge. Tous les passagers de deuxième et de
troisième classe devaient être
évacués ; quant à nous,
nous devions rester à Tor jusqu'à ce
que les autorités du camp de quarantaine
aient jugé que nous pouvions continuer notre
route.
Nous arrivâmes enfin à ce
camp international et à peine avait-on
jeté l'ancre que des fonctionnaires
britanniques montaient à bord. Ils
écoutèrent mon rapport, visiblement
contents d'avoir affaire à quelqu'un parlant
anglais. Le transport de nos morts et de nos
mourants commença alors. Tous les passagers
étaient soumis à l'inspection et ceux
des deuxième et troisième classes
devaient quitter le bateau.
Ce camp avait l'air ordonné qui
caractérise les institutions des colonies
britanniques. Il était dirigé par des
représentants de pays dont la population
était entièrement ou partiellement
musulmane. Par conséquent ils voyaient
beaucoup de leurs ressortissants se rendre à
la fête annuelle de la Mecque.
Le camp avait été
créé par les autorités
britanniques à l'entrée du canal de
Suez afin de protéger d'autres pays en
même temps que le leur ; en effet, des
gens, qui venaient de subir la promiscuité
d'un si grand nombre de pèlerins - des
Orientaux sans culture - devaient
inévitablement apporter des germes
d'infection de quelque espèce.
Le bateau resta dix-sept jours en
quarantaine. Chaque matin les médecins du
camp venaient faire l'inspection des membres de
l'équipage et des pèlerins de
première classe. Dieu merci, nous nous
maintenions tous en santé. Je me souviens
à peine de ce que j'ai fait pendant ces
dix-sept jours mais je revis constamment les
scènes de désespoir dont j'ai
été le témoin ; ces
êtres en détresse se tournaient
instinctivement vers Dieu, le « Dieu
unique », celui de tout homme et de toute
femme quelle que soit la croyance dont ils se
réclament.
J'avais le coeur rempli d'une profonde
reconnaissance d'avoir pu partager ces
expériences avec des âmes
plongées dans la solitude de la mort, si
loin de tous ceux qui leur étaient proches
par le sang ou par le langage ; elles avaient
heureusement pu être
réconfortées par la sympathie et les
prières de
« l'infidèle » qui,
élevant ses mains, leur indiquait le
ciel.
Nous formions tous, pèlerins et
équipage, une société grave et
silencieuse. La vue que nous avions
devant nous était
austère et inspirait une sorte de crainte;
le rivage, entièrement de sable jaune,
s'étendait au nord et au sud du camp
derrière lequel, à une centaine de
kilomètres à l'est, s'élevait
le massif du Sinaï avec le couvent de
Sainte-Catherine invisible à nos yeux. La
pensée se reportait pour un instant,
même chez les indifférents, à
l'époque de l'Ancien Testament. Ici, en ces
lieux éloignés, un peuple d'esclaves,
le peuple d'Abraham pourtant, était
né de nouveau par l'alliance qui avait fait
de lui le « Peuple de la
Promesse ». C'est là que le
prophète Elie s'était reposé
et que saint Paul avait eu sa vision de la loi et
de la grâce.
Pendant les deux mille ans qui se sont
écoulés depuis que le Christ a
apporté la nouvelle alliance, des hommes
avaient vécu ici dans une solitude
austère, cherchant le salut dans les
oeuvres, et à présent encore ces
hommes vivaient d'une vie solitaire pour
acquérir le salut ; c'est là
également que Tischendorf avait
déterré et remis au jour le plus
vieil exemplaire de la Bible.
Quelle impression profonde produisait
tout cela !
Les officiers du bord reçurent la
permission de visiter une fois le camp de
quarantaine. Il était très bien
installé et les pèlerins n'y
étaient pas plus mal que sur le bateau.
Cependant ils s'y sentaient en prison ; ils
nous saluèrent de leurs baraques ou de leurs
tentes par d'amicales acclamations. À leur
grand plaisir, nous avons pu leur donner
l'assurance qu'ils nous rejoindraient sur le bateau
quelques jours plus tard. Tous ceux qui avaient
transmis la contagion étaient morts et
lorsqu'au bout de sept jours on constata qu'aucun
nouveau cas ne s'était
présenté, tous les
« hadjis » - nom qu'ils avaient
le droit de porter désormais après
avoir accompli le « Hadj » -
remontèrent en troupe sur le bateau.
Après avoir quitté Tor,
nous prîmes rapidement la route du
Nord ; notre prochain arrêt devait
être Suez, l'entrée du canal,
où allait se faire une nouvelle inspection.
Le médecin-chef, heureux de me laisser le
soin de la conversation avec les fonctionnaires de
la quarantaine qui viendraient à bord, me
pria de nier que nous ayons des morts sur le bateau
sinon on nous aurait imposé une nouvelle
quarantaine. De fait, l'un des patients du petit
lazaret, malade des reins, était mort juste
avant notre arrivée à Suez. On avait
enveloppé son corps d'une toile
goudronnée par les soins de l'administration
puis on l'avait glissé sous l'un des lits.
Je savais que si je déclarais ce
décès - qui ne pouvait faire de mal
à personne - ce serait la cause d'un nouvel
arrêt et d'un séjour à
Port-Saïd, cette fois. Et pourtant je ne
pouvais pas dire un mensonge à ces
fonctionnaires. Je refusai donc d'accéder
à la demande du médecin-chef ;
je fis usage du droit que j'avais de laisser ce
dernier faire toutes les déclarations
officielles et je ne me mêlai de rien.
Lorsque les fonctionnaires anglo-égyptiens
montèrent à bord, je les adressai au
médecin. Je n'ai jamais demandé
comment nous fûmes
libérés, toujours est-il que nous
avons pu poursuivre le voyage à la grande
joie de nos pèlerins qui étaient
épuisés et touchaient à la fin
de leurs provisions.
Silencieusement, nous passâmes le
long de l'étroit canal de Suez et ce fut
seulement lorsque nous sortîmes pour
déboucher dans la vaste étendue de la
Méditerranée qu'on laissa choir le
corps du défunt dans sa tombe au fond des
eaux.
Nos pèlerins, au nombre d'un
millier environ, n'étaient pas les
mêmes que ceux que nous avions amenés,
en deux voyages, à Djeddah. Ces derniers,
après le Baïram, s'étaient
rendus par voie terrestre à Médine
afin d'y prier sur les tombes sacrées de
leur Prophète et de quelques-uns des
Califes, ses successeurs. De là, ils
devaient continuer à travers le
désert jusqu'en Palestine, adorer à
la mosquée d'Omar devant le rocher
même, sacré à leurs yeux,
où « Ibrahim, l'ami de
Dieu », avait offert en sacrifice son
fils Isaac ; puis remontant au nord vers
Haïfa, ils devaient s'embarquer sur un navire
russe pour regagner enfin les rivages de la terre
natale. Dans l'un des ports de Crimée ils se
disperseraient dans les vastes espaces de la
Russie, au nord vers Kazan, le vieil empire
tartare, et à l'est en Sibérie.
Cependant la grande masse des pèlerins se
dirigerait au sud-est, vers le Caucase, la Perse,
l'Afghanistan, les grandes étendues du
Turkestan jusqu'à ce que les derniers
voyageurs, eux, atteignent la lointaine Kachgarie
et la frontière de la
Chine.
Brebis sans berger et pourtant cherchant
Celui qui les cherchait !
Cet épisode arrivait ainsi
à son terme. Durant le voyage du retour
beaucoup plus tranquille, j'avais eu tout le loisir
nécessaire pour réfléchir
à ces trois mois passés en compagnie
des pèlerins et de me demander devant
Dieu : Ai-je fait ce qu'il
désirait ? Ai-je compris ce qu'il
voulait ?
Plus d'une année auparavant, il
m'avait envoyée jusqu'à la
frontière afghane pour y rencontrer les
pèlerins épuisés revenant de
la Mecque. Aurais-je dû faire plus de ce
qu'on a coutume d'appeler « propagande
chrétienne » auprès des
cinq mille musulmans au milieu desquels je
m'étais trouvée pendant ces trois
voyages aller et retour au centre du monde de
l'islam ? Avais-je bien profité de
cette occasion unique ou alors en quoi avais-je
manqué ? Qu'est-ce que Dieu voulait
m'apprendre en vue d'un futur
ministère ?
Cet examen de conscience m'amena aux
réflexions suivantes : certes, j'avais
sujet de m'humilier devant le Maître et de
lui demander pardon des fautes que j'avais
commises, que lui voyait peut-être et dont
j'étais moi-même inconsciente. Et
cependant par son Esprit je sentais que sa
bénédiction était sur moi et
qu'il me conduirait plus loin sur la route
où je m'étais engagée sous sa
direction. Que de fois j'avais senti que ma
présence, mes secours, l'affection que je
leur témoignais, le seul fait qu'il y avait
quelqu'un là pour eux n'étaient pas
restés vains auprès de tous ces
musulmans ; ils en
avaient
ressenti les effets bienfaisants quoique ce
« quelqu'un » fût une
disciple déclarée de Celui dont elle
portait l'emblème bien en évidence
sur la poitrine. D'eux à moi, un pont avait
été jeté.
Je ne pouvais que discerner une
direction toute spéciale du Maître par
ce contact exceptionnel avec l'âme musulmane.
Seuls pourront me comprendre les missionnaires qui
ont fait l'expérience des difficultés
éprouvées lorsqu'on veut approcher
les coeurs des musulmans, surtout à
l'époque du pèlerinage, alors que
leur foi s'allume si vive et que, sur le point de
satisfaire l'une des plus dures exigences de leur
religion, ils se raidissent et deviennent
fanatiques envers le kafir, l'incroyant, le
chrétien. C'était la première
tentative de ce genre et Dieu avait choisi pour la
faire une de ses servantes les moins
préparées à cette tâche.
Combien était grande ma
responsabilité mais combien grande aussi
était ma joie ! C'était un de
ces cas où la missionnaire
indépendante que j'étais se trouvait
bien à sa place. Si j'échouais, je
serais seule à en subir le reproche.
Mais était-ce vraiment là
le résultat voulu par Dieu, de cette
occasion exceptionnelle qu'il m'avait offerte de
toucher le coeur de milliers de mahométans,
au moment même où ils étaient
particulièrement fanatisés par la
perspective du Baïram mais aussi
particulièrement sensibles à la
sympathie qu'on leur témoignait pour leurs
misères physiques ? Ce bref contact
avec eux au cours de mes voyages
aller et retour à la Mecque, était-ce
tout ce que pouvait l'amour chrétien ?
Comment faire appel à leur esprit obscurci
qui cherchait à plaire à Dieu par des
rites dépourvus de sens, survivance de
l'idolâtrie païenne ? Ne
pourrait-on franchir le seuil de cette porte
ouverte en se montrant plus résolument
témoin du Christ, en exerçant une
influence de plus longue durée grâce
à une vie vécue au milieu
d'eux ?
Les projets que je formais ainsi
incitaient mon âme à prier pour la
future tâche que j'espérais accomplir
parmi les pèlerins de la Mecque.
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