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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LA GRANDE AVENTURE
AU SERVICE DE DIEU


CHAPITRE IV

À LA FRONTIÈRE DE L'AFGHANISTAN

Nous étions enfin arrivés après une semaine où nous avions manqué de nourriture, d'eau et du plus élémentaire confort de la vie civilisée. Comme le dit saint Paul : « J'ai été en danger sur les rivières, en danger de la part des voleurs ; en danger dans les déserts... dans les peines, dans les travaux, dans les veilles... dans la faim, dans la soif ».
Mais toutes ces choses, Dieu nous avait permis de les surmonter.
Comme j'y réfléchissais, le coeur plein de reconnaissance, de nouveau une question se posa à mon esprit.
« Que signifiait tout cela ? Quelle est ma mission à présent à Patta-Hissar ? De quelle manière Dieu voudra-t-il que s'achève cette entreprise hasardeuse, insensée même, du point de vue de la froide raison ? »
Et pourtant j'éprouvais en même temps la certitude complète qu'il y avait au fond de tout ceci une sage et merveilleuse pensée d'amour pour « quelqu'un ». Et si c'est moi dont Dieu avait besoin pour transmettre ses bénédictions à ce « quelqu'un », que pourrais-je, que voudrais-je faire d'autre que de prier pour que vraiment « ma volonté soit à l'unisson de la sienne », pour être, pour agir et pour endurer ?

Patta-Hissar était un très petit endroit : quelques rues bien propres, de jolis bungalows aux jardins ombragés et des baraques pour la garnison composaient le quartier russe ; un peu en dehors se trouvaient un petit bazar et quelques caravansérails pour les Afghans qui arrivaient après avoir traversé l'Amou-Daria.

Je m'établis dans le quartier indigène de Patta-Hissar, dans un petit hôtel tenu par des juifs, sans même prendre un repos pourtant bien mérité mais poussée par le sentiment que la mission que j'avais à accomplir ici devait l'être promptement, quelle qu'elle fût ; je mis dans ma corbeille les quelques livres qui restaient et me dirigeai vers le bazar.

Comme je fus heureuse de constater que ces livres étaient exactement ceux qu'il fallait ici : en hébreu, en yiddish et en afghan (ou pouchtou). Les seuls commerçants du petit bazar étaient presque tous juifs ; ils prirent les derniers livres avec empressement et me suivirent même jusqu'à mon logement dans l'espoir d'en avoir d'autres. Combien ces petites choses, insignifiantes en apparence, acquièrent de valeur pour une âme qui aime à découvrir la sollicitude du Père Tout-Puissant, dans les plus infimes détails de l'oeuvre accomplie pour lui ! c'était mon cas d'une façon toute spéciale, car je marchais par la foi et l'obéissance, ne sachant où j'allais en ce moment précis.

En dernier lieu, j'entrai dans les caravansérails afghans. On examinait d'un air méfiant, du regard farouche qui caractérise les Afghans, cette femme étrangère qui offrait des extraits de l'Évangile. Quoi, on leur demandait d'accepter des livres offerts par une « kafir » (infidèle) ? Mais lorsque ces livres furent ouverts devant eux et qu'ils les virent imprimés dans leur langue, l'aversion fit place à la curiosité et j'eus la joie de voir tous les livres disparaître dans les sacs de voyage ou « khourdjoums ». Et maintenant que Dieu lui-même se charge de faire pénétrer ces écrits dans le pays fermé de l'Afghanistan.

À mon retour à l'hôtel, ma corbeille et mes mains étaient vides. « Que Dieu en soit béni ! Mais à présent, que dois-je faire ? » pensai-je. Je demandai à Dieu la lumière et la direction et la volonté de lui obéir.

Comme j'étais en train de méditer de la sorte, un coup de sifflet strident me fit tressauter ; m'informant de ce qu'il signifiait, j'appris que le bateau hebdomadaire venait d'arriver et qu'il allait repartir dans deux heures. « Et il n'y aura aucune autre occasion de quitter Patta-Hissar pendant toute une semaine, demandai-je, sauf par le chemin que je viens de faire ? - Aucune », répondit mon hôte. Je décidai aussitôt de retourner avec ce bateau. J'étais sûre que je devais agir de cette façon, si absurde que cela dût paraître à d'autres et à moi-même. Mais je n'avais qu'à obéir.

Je me rendis sur le quai et voulus prendre un billet pour Tchardjoui, petite ville sur l'Amou-Daria, par laquelle passe le chemin de fer qui traverse le Turkestan de l'ouest à l'est. On me le refusa. Je montai à bord et demandai au capitaine de me laisser embarquer sur ce bateau mais lui aussi refusa en disant : « Toutes les cabines sont réservées pour une noce de la famille du général. »
J'insistai en lui disant que je devais prendre ce bateau et aucun autre.
Il se fâcha et répondit d'un ton rude : « Dans ce cas, je ne puis vous offrir qu'une place sous la table du repas de noce pour y dormir. - C'est bien, je l'accepté », répondis-je, et je payai ma place sur le bateau.

Je retournai vite à mon hôtel, j'en rapportai mes bagages et je m'assis dessus, dans un coin, sur le pont. J'étais donc engagée dans de nouvelles aventures, Il me suffisait de savoir que Dieu en connaissait le but. Qu'il dispose de moi comme il l'entendra !
Je me sentais à présent heureuse et tranquille. Comme je regardais autour de moi, mes yeux tombèrent sur un groupe de mahométans qui attendaient de monter à bord. Ils étaient exposés aux rayons ardents du soleil de midi ; silencieux, patients et portant tous sur leur visage émacié une expression de souffrance et de lassitude qui me frappa ainsi que leurs vêtements particulièrement misérables et sales ; ils semblaient mentalement et physiquement abattus et exténués. Qui étaient-ils donc ?

J'étais tout émue. Ne pouvais-je rien faire pour eux ? Je remarquai surtout une femme âgée, un vrai squelette ; elle avait un gros goitre et des veines très enflées. Il était facile de voir qu'elle souffrait intensément de la chaleur excessive à laquelle elle était exposée.
Je ne pouvais plus supporter ce spectacle !
Pourquoi, au nom du ciel, ces misérables gens devaient-ils rester là à endurer des tortures ?

J'allai trouver l'homme préposé à l'entrée de la passerelle : « Laissez immédiatement ces gens monter à bord », lui dis-je d'une voix ferme. Il regarda autour de lui et allait refuser lorsque ses yeux tombèrent sur la croix rouge que je portais sur la poitrine et il comprit que j'avais le droit de parler avec autorité. Il fit un pas en arrière et les laissa passer ; en une minute tous ces pauvres gens se précipitèrent sur le pont et s'installèrent partout où ils pouvaient trouver la plus petite place sous la grande tente qui abritait le pont.
Je pouvais les voir de plus près maintenant. Pourquoi avaient-ils tous l'air d'avoir, comme le dit le proverbe russe, « passé à travers l'eau et le feu et par des tuyaux de cuivre » ?
Ils s'étaient, à présent, établis à l'ombre et peu à peu leurs traits se détendirent ; ils avaient l'air soulagés. Il y en avait environ une vingtaine, hommes et femmes, âgés pour la plupart. Ils avaient remarqué naturellement que c'était à mon intervention qu'ils devaient d'avoir échappé à leur station debout sous le soleil ardent et l'un après l'autre, ils me faisaient un signe de tête reconnaissant et j'étais heureuse d'y répondre moi aussi par un petit signe de tête et un sourire encourageant. Un vieillard à barbe blanche qui n'avait pas eu de place à l'ombre allait se trouver mal ; je lui prêtai mon ombrelle rouge et, protégé par elle, il me souriait d'un air content. La vieille femme au goitre avait par hasard trouvé une bonne place et comme je passais devant elle, elle me glissa dans la main une tranche gluante de concombre, se privant de ce qui était peut-être le dernier morceau de nourriture qui lui restait.

Sur ces entrefaites, la « noble » société des invités à la noce, presque tous des officiers avec leurs « dames », était montée à bord et occupait toute la partie du pont qui s'étendait entre moi à l'une des extrémités du bateau et mes pauvres amis à l'autre extrémité.
Bien que nous fussions séparés et qu'il ne me fût possible d'aller que de temps en temps leur apporter un peu de nourriture et quelques paroles amicales, mes pensées continuaient à les entourer. Sous leur apparence misérable, je pressentais quelque chose de mystérieux, quelque chose de fort et de grand qui les soutenait et les unissait. Un idéal commun paraissait être au fond de leurs souffrances si patiemment endurées ; leur abjecte pauvreté elle-même, supportée avec dignité, mettait sur eux comme une auréole. Qui étaient-ils ? D'où venaient-ils et où allaient-ils ?

Comme nous descendions le courant, notre voyage aurait pu ne durer que deux ou trois jours, mais nous étions arrêtés par les nombreux bancs de sable qui traversent l'Amou-Daria ; il fallait jeter l'ancre au coucher du soleil et si c'était près de la rive, les passagers avaient la permission d'aller à terre. La contrée située à notre gauche était sur sol russe ; nous y étions donc en sûreté.

Un soir je descendis moi aussi sur le rivage ; le voyage était des plus inconfortables pour moi : pendant la journée j'étais assise sur mon baluchon et la nuit je m'étendais sous la table du dîner où une autre voyageuse sans cabine m'avait rejointe.

J'avais à peine posé le pied sur le sable du rivage que je vis un de mes nouveaux amis tomber et rester inanimé sur le sol ; j'appelai immédiatement au secours et aidée d'un des voyageurs de première classe, un marchand boukharien, j'essayai de soulever le pauvre homme qui ne pouvait ni remuer ni parler ; comme je m'agenouillais à côté de lui, je regardai soudain le Boukharien et lui demandai : « Qui sont ces gens ? D'où venaient-ils donc lorsque je les ai aperçus pour la première fois, abandonnés et misérables, vis-à-vis de l'inhospitalière rive afghane ?
- Comment, répondit-il, vous ne savez pas que ce sont des pèlerins venant de la Mecque et retournant en Asie centrale ? Ce sont des « hadjis ».
- Ah ! des pèlerins ! » J'en savais assez à présent pour y voir clair. C'était donc là ce « quelque chose de sacré » qui, mon âme en avait eu l'intuition, enveloppait ce groupe des « pauvres de Dieu » et cimentait leur union.

Franchissant des milliers de kilomètres depuis leurs aouls, yourtes ou k'chlaks des steppes du Kirghisistan ou des montagnes de Kachgar, ils étaient venus, beaucoup emportant tout ce qu'ils possédaient, leurs dernières forces et leur dernier souffle de vie jusqu'à cette Mecque lointaine ; à travers des contrées étrangères où l'on parle des langues étrangères, bravant la tempête sur des mers qu'ils ne connaissaient pas, errant dans le désert, menacés de mille dangers, « danger des voleurs, danger de leurs cupides faux-frères, danger de la faim et de la soif et même d'une mort violente... » et tout cela, ils l'avaient supporté pour satisfaire le désir de leurs coeurs : adorer ! « Conceptions bien arriérées, souffrances inutiles », soit. Mais c'était pour Dieu, tel qu'ils le comprenaient qu'ils avaient suivi cette voie douloureuse !

Je savais à présent ce que Dieu avait voulu en me faisant quitter l'agréable séjour de Samarkand pour les contrées désertiques du Boukhara jusqu'à ces lointains rivages. Et il m'avait conduite ici juste à temps pour m'embarquer sur ce bateau et être témoin de la misère de ce petit troupeau de pèlerins épuisés, brebis sans berger.
Dieu avait rendu mes yeux prompts à les remarquer et mon coeur à s'en émouvoir.

En faisant remonter à bord le pauvre malade, mon âme ne pouvait que se prosterner dans l'adoration devant le Seigneur. J'étais pleinement satisfaite de ses directions. « L'Éternel a dressé un chemin dans la mer et un sentier à travers des eaux impétueuses. »

Tous les passagers étaient émus de compassion en entendant parler des souffrances endurées par les « hadjis » pendant leur long voyage de retour de la Mecque ; lorsque nous arrivâmes à Tchardjoui, une jolie somme avait été recueillie pour les aider à regagner leurs lointaines demeures sans être dans le besoin.
Comme il arrive toujours dans des cas semblables, en quelques minutes nous voilà tous dispersés et les liens qu'on avait noués, rompus. Mais non pour moi toutefois. Ce n'était pas :

« Comme des navires qui se croisent dans la nuit
Échangeant des signaux en passant. »

Non, ce n'était pas une expérience passagère. De toute mon âme, de tout mon esprit et de toute ma volonté, j'en avais saisi le sens ; cette aventure avait été voulue par Dieu pour donner aux pèlerins une place dans ma vie et dans mon oeuvre. Et j'acceptai cet appel. Désormais j'attendrai de recevoir de nouvelles lumières sur la route encore inconnue tracée devant moi.

Cela cadrait merveilleusement avec mon activité parmi les mahométans de l'Asie centrale ; non plus seulement par des écrits et des paroles mais par des actes de miséricorde et d'amour chrétien à l'heure même de la détresse, le Seigneur étendrait sa main rédemptrice vers les « brebis qui ne sont pas de sa bergerie ».

Les quelques explications qui suivent sont destinées aux lecteurs peu familiarisés avec le monde de l'islam.
Le « Hadj » ou Pèlerinage de la Mecque est l'un des principaux devoirs du fidèle mahométan. Pour autant que cela est possible, et même au prix de grands sacrifices, ce pèlerinage doit être accompli au moins une fois dans la vie, à une époque spéciale et de la manière prescrite. Ceux que leur âge ou leur santé empêchent de faire le pèlerinage peuvent s'en assurer le mérite en payant un remplaçant.

Les enfants nés à la Mecque sont considérés comme des hadjis (pèlerins) et ont le droit de porter le turban vert, insigne du hadji. Les pèlerins malades qui meurent à la Mecque ont plus de chance d'entrer dans la félicité céleste.

Les principales cérémonies du pèlerinage consistent à faire sept fois le tour du sanctuaire, la Kaaba, en baisant la pierre noire et à boire au puits « Zemzem » ; ce puits est censé être celui que l'ange a montré à Agar pour qu'elle donne à boire à Ismaël. Le troisième jour est le véritable « Baïram » ou jour de l'« Arafat » ; des cent mille pèlerins sacrifient chacun une brebis ou un autre animal pur, jusqu'à un chameau, et accomplissent le rite sacré de jeter des pierres à Satan ou « Chaïtan, le maudit ».
C'est une cérémonie dépourvue de signification spirituelle, associée à de vieilles légendes et à d'anciennes traditions. Le prophète Mahomet fut le premier à l'accomplir dans tous ses détails et il en fit une institution pour ses disciples. C'est un puissant moyen de maintenir l'union entre les multiples nations et races qui composent le « Monde de l'islam ». Pour les pèlerins qui y assistent pour la première fois ou pour les fervents, le Hadj a une importance énorme.

Un grand nombre de pèlerins fortunés se rendent à cette fête, à plusieurs reprises, soit pour en avoir le mérite, soit pour faire du commerce. Ils extorquent de l'argent à leurs compagnons de voyage ou vendent des objets rapportés de la ville sainte dans tous les pays du monde habités par les mahométans. (J'ai rencontré un homme qui avait fait vingt-deux fois le voyage de la Mecque.)

Ce n'étaient pas ceux-là que j'étais venue aider mais les âmes simples et pieuses pour qui ce pénible voyage représentait une étape sur le chemin du ciel ; les vieux, les malades, les pauvres et les solitaires, voilà le troupeau sans berger auquel j'avais été envoyée par notre grand Berger à tous et ils acceptaient le ministère que j'exerçais auprès d'eux.


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