Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LA GRANDE AVENTURE
AU SERVICE DE DIEU


CHAPITRE III

PAR LES MONTS ET LE LONG DES ABÎMES

J'avais fait un merveilleux séjour dans ce beau Samarkand. Le charmant mois de mai avait jeté un voile coloré sur ses vignes et ses nombreux jardins ; une brume chaude et bleuâtre recouvrait les montagnes voisines et les fameuses mosquées du grand Tamerlan. Le soleil de ce pays oriental se levait jour après jour dans un ciel d'azur au-dessus des habitants affairés et aux vêtements bigarrés. Samarkand était renommé à juste titre pour ses couleurs chatoyantes ; c'était une fête pour les yeux. Mais j'avais d'autres raisons et de meilleures pour me sentir heureuse : j'étais venue ici comme colporteuse des saintes Écritures et j'avais trouvé un bienveillant accueil de la part de la population. Pendant près d'une semaine, j'avais parcouru la ville, surtout les quartiers des bazars et des maisons de thé, et non seulement on ne m'avait pas empêchée mais on m'invitait même à faire la lecture de quelques passages de mes livres et à répondre à des questions concernant la Vérité, telle « qu'elle est révélée par le Christ ».

Je n'avais pas rencontré à Samarkand la dure indifférence des gens de Tachkent, ni l'opposition fanatique des Boukhariens. L'Uzbek de Samarkand, bien nourri, de bonne humeur et coiffé d'un gai turban avait au contraire des manières simples et aisées et un esprit ouvert.

Une ou deux semaines s'étaient écoulées de la sorte lorsque soudain, je perçus un ordre mystérieux : « Va à Patta-Hissar ». J'étais interloquée. « Où était Patta-Hissar ? Qu'avais-je à y faire ? » J'avais déjà entendu ce nom une fois mais il ne signifiait rien pour moi.
Toutefois j'avais appris au cours de mon ministère à saisir les ordres de Dieu et à leur obéir.

Je me rendis à la station postale pour me renseigner sur Patta-Hissar. Où y avait-il une ville ou un village de ce nom ? Et comment l'atteindre ? On me dit que c'était une petite garnison de frontière dans le Boukhara du Sud, sur le fleuve Amou-Daria, en face de l'Afghanistan. « Combien de jours faut-il pour y arriver et quels sont les moyens de transport ? - Vous devez compter au moins six ou sept jours. La route est pénible et peu sûre. Vous serez obligée de passer les nuits dans les stations postales où vous changerez de cheval et de conducteur. »

J'étais consternée. Qu'avais-je à faire là-bas ? D'où venait l'appel ? Cet ordre venait-il de Dieu ou avait-il pris son origine dans mon esprit entreprenant ? Je priai ardemment d'être éclairée et décidai de rester à Samarkand quelques jours de plus jusqu'à ce que l'ordre fût répété ou cessât de se faire entendre. Mais bientôt je reçus l'assurance intérieure que c'était réellement la voix de Dieu qui m'ordonnait de m'aventurer si loin. Je n'avais plus qu'à obéir et à son heure le « comment » et le « pourquoi » m'en seraient révélés.
Je commandai un cabriolet au poste. Je ne crois pas qu'à cette époque-là il y eût une seule auto dans tout le Turkestan. Je recueillis des informations sur les conditions dans lesquelles allait s'effectuer ce voyage.

J'avais à franchir un col de montagne très élevé, de Samarkand (Uzbékistan) à l'émirat de Boukhara qui était presque autonome ; toutefois le gouvernement russe y exerçait un droit de contrôle. Les communications postales entre Samarkand et Patta-Hissar étaient également entre les mains des chefs de poste russes qui vous procuraient des chevaux de relais, tous les cinquante ou soixante kilomètres. La population de l'émirat, entièrement mahométane et sans culture, était hostile au passage d'étrangers et de chrétiens à travers le pays qui, en outre, était infesté par les bandits ; aussi ces stations postales étaient-elles construites comme de petites forteresses en pays ennemi, aux murailles très hautes, sans fenêtres, mais percées de meurtrières ; elles étaient toujours fermées par un grand portail de fer, qui, de jour, s'ouvrait à tous les voyageurs, mais de nuit, seulement aux chrétiens (ceux-ci étaient exclusivement russes). Les caravanes de chameaux et leurs conducteurs devaient passer la nuit, dehors, en plein désert.

À l'intérieur de cette petite forteresse se trouvait une cour et au milieu de cette cour un puits. Autour des murs, qui s'élevaient à plus de deux fois la hauteur d'un homme, étaient disposées les chambres des hôtes, celles des Russes séparées de celles des mahométans, un petit logement pour le maître de poste, des écuries et la chambre du conducteur. Les hôtes ne pouvaient se procurer autre chose que de l'eau froide ou chaude, chacun était censé apporter des provisions pour toute la semaine. Mais on pouvait obtenir du fourrage pour les chevaux auprès du chef de la station ; à chaque forteresse on changeait de chevaux et de conducteur. Je me conformai aux instructions et je pris en fait de bagages une valise remplie d'extraits de l'Écriture sainte en persan, en uzbek et en afghan ainsi qu'un bon nombre de livres et de traités en russe, un sac contenant mes affaires personnelles et un panier de provisions.

C'est ainsi que le matin, à l'aube, je quittai Samarkand, qui m'était devenu si familier, pour ce Patta-Hissar inconnu. Il me suffisait de savoir que Dieu, lui, connaissait la raison de ce voyage et quelle en serait l'issue.

Bien que plus de vingt-cinq ans se soient écoulés depuis, les moindres détails de cette aventure et les réactions qu'ils provoquèrent chez moi me reviennent vivants à l'esprit, et ayant conservé toute leur fraîcheur. J'étais partie de Samarkand avec un conducteur russe et notre chemin traversait des montagnes nouvellement boisées jusqu'au col de 1600 mètres d'altitude où nous nous sommes arrêtés pour la nuit, encore sur sol russe. Je pris avec le plus grand plaisir un excellent repas russe dans la famille hospitalière du maître de poste. Je savais que ce serait le dernier de toute une semaine.

Vers le lever du soleil, je me mis en route avec le conducteur qui était déjà ivre, hélas ! Nous avions à grimper plus haut encore puis à descendre quelques milliers de mètres par un chemin très raide taillé en zigzags dans la montagne jusqu'à la plaine qui s'étendait devant nous sous le soleil matinal ; c'était beau, mais c'était le désert...

Comme je plongeais mon regard sur la route qui serpentait, je me sentis poussée à demander à mon conducteur - « Avez-vous mis le frein à la roue de derrière ? » Il se retourna et répondit d'une voix mal assurée : « Le frein ? nous n'en employons jamais ! Les chevaux ont l'habitude de se lancer à leur gré au bas de la descente en entraînant la voiture dans les tournants. Quelquefois, bien sûr, ça finit mal pour nous tous. Regardez, voilà les restes de la dernière voiture qui a été précipitée en bas. » Il prenait un malin plaisir, semblait-il, à l'éventualité d'une fin aussi tragique à notre course folle au bas de la pente. Cela cadrait bien avec le proverbe russe d'après lequel : « Pour un homme ivre, la mer ne monte pas plus haut que ses genoux ».

Je priai le conducteur de s'arrêter un moment avant de commencer la descente. Les prairies étaient couvertes de fleurs alpestres : des gentianes d'un bleu intense et des edelweiss de velours argenté. Cette vue réchauffa mon coeur anxieux et, les mains pleines de ces fleurs, je m'installai dans la voiture, je regardai En haut, et... en route pour la descente ! Ce fut terrible. Les chevaux, tout frais, dégringolaient la pente à un rythme endiablé, stimulés par les hurlements du conducteur ivre ; les brusques virages ne ralentissaient pas le moins du monde la rapidité de leur course ; l'un des côtés de la voiture se trouvait toujours au bord de l'abîme.

Cette situation me rappela soudain ce que nous disait notre chère mère, lorsque nous étions enfants, sur nos « anges gardiens », et je me surpris à crier tout à coup - "Viens, chers anges gardiens, et retenez les roues de derrière ! » Effectivement ces esprits, envoyés aussitôt au secours d'un serviteur de Dieu, exercèrent leur ministère en agissant comme un frein. Toute frayeur disparut de mon coeur. Je pus demeurer tranquillement assise dans la voiture cahotée jusqu'à ce que nous fussions arrivés sains et saufs, dans la plaine. Je rendis grâces à Dieu et pris courage, comme le grand serviteur de Dieu en avait éprouvé le besoin et probablement plus d'une fois (Actes 28, 15). Nous avancions.

Devant nous se trouvait une rivière qu'il fallait franchir. Ses eaux étaient grossies par les torrents de la montagne. De nouveau je demandai à mon conducteur : « Savez-vous où l'on peut passer à gué cette rivière si rapide et gonflée par ses affluents ? » De nouveau il se contenta de répondre : « Où passer à gué ? Qui peut le savoir ? Nous allons y entrer et Dieu seul sait si nous en sortirons ! »

Nous plongeâmes dans la rivière ; les chevaux avaient de l'eau jusqu'au ventre et les flots balayaient la voiture que secouaient violemment d'invisibles rochers. Les chevaux avançaient de leur mieux, excités par les cris de ce casse-cou de conducteur. Je me cramponnais d'un mouvement convulsif à la voiture... et à Dieu qui seul pouvait nous aider à émerger de ces flots tumultueux.
À la première station postale, on me donna un autre conducteur et je me sentis fort soulagée d'être désormais entre les mains de musulmans sobres et tranquilles.

La vie dans ces forteresses aux murailles blanches était solitaire et monotone. À part quelques officiers et fonctionnaires russes et boukhariens, presque aucun voyageur n'y passait jamais. Les maîtres de poste étaient pour la plupart célibataires ; ils étaient privés de toute vie sociale et de la chaude atmosphère de la vie de famille.

Chaque fois que je passais par ces stations (et cela m'arriva dix à douze fois au moins), je profitais de l'occasion qui m'était offerte pour réveiller chez ces hommes le « lumignon fumant » de leur vie spirituelle, durant mes quelques heures de halte auprès d'eux ; je leur parlais et je leur distribuais des textes de l'Écriture sainte et de bons livres en russe. Mon uniforme de « soeur », avec l'insigne respecté de la Croix-Rouge sur ma poitrine, fut d'un grand secours ; il inspirait confiance. N'était-il pas le symbole de l'amour fraternel et de la sympathie pour toutes les misères ? Plus d'un de ces maîtres de poste, isolé dans sa forteresse, exprima sa reconnaissance d'avoir pu parler ainsi à coeur ouvert en toute confiance, d'avoir été réconforté et d'avoir appris à s'adresser au Père céleste.

Je me souviens en particulier d'un homme rencontré à Derbent dans le Boukhara du Sud, le cinquième jour de mon voyage. La beauté de la nature et la misère de ces hommes sans Dieu m'ont laissé une vive impression. La route que nous gravissions était taillée dans de l'albâtre blanc qui étincelait au soleil. Comme nous arrivions au sommet, nous aperçûmes tout à coup, au-dessous de nous, une large vallée, recouverte d'herbe d'un magnifique vert émeraude et au milieu de laquelle surgissait une forteresse blanche aux gracieuses tourelles. En face de nous s'élevaient des montagnes rouge brique et à ce paysage si coloré le ciel du soir ajoutait encore de délicates teintes rosées.

Quel contraste ce tableau n'offrait-il pas à mon coeur plein de compassion avec l'âme sombre et désespérée du maître de poste ! C'était un intellectuel qui avait fait un naufrage de sa vie et qui avait échoué sur ces rives solitaires. Il avait soif de sympathie humaine car il avait perdu courage et espoir, étant sans Dieu dans le monde ; et il me confessa qu'il avait eu l'intention de se suicider le lendemain. Quelle grâce lui accorda le Père céleste en lui envoyant le plus humble de ses serviteurs juste à temps pour conduire cette âme en détresse à celui qui pouvait pardonner au fils prodigue, le purifier, le vêtir, le prendre sur son coeur et « faire toutes choses nouvelles » !
Dieu merci, cet homme était disposé à écouter et à accepter cette bonne nouvelle, à « se lever et aller vers son Père ».

Je quittai la forteresse de bonne heure dans la matinée avec l'assurance que le Seigneur lui-même achèverait dans cette âme l'oeuvre qu'il y avait commencée. Ce voyage à travers le Boukhara fut morne et désolé ; aucun village n'était visible, ni aucun champ cultivé. Jour après jour, nous gravissions et descendions des montagnes dénudées et dans la plaine elle-même, il n'y avait aucune végétation. La chaleur était excessive. On ne rencontrait pas d'autres voyageurs ; une fois seulement un petit groupe d'hommes montés et armés nous arrêtèrent ; ils perquisitionnèrent dans notre voiture et après avoir déclaré d'un ton bourru que nous n'étions pas ceux qu'ils cherchaient, ils nous laissèrent continuer notre route. J'avoue que pendant une minute ou deux je m'attendis à recevoir traîtreusement une balle par derrière.

Un soir, tard, alors que j'avais décidé de voyager toute la nuit, nous fûmes arrêtés au bout de deux heures par une rivière tellement gonflée par les averses tombées sur la montagne que l'unique pont avait été emporté par les flots et qu'il était impossible de passer à gué. Il n'y avait qu'une alternative : ou passer la nuit et peut-être la journée du lendemain en plein air dans ce lieu solitaire ou retourner à la station postale d'où nous étions partis dans la soirée, Je choisis le second terme et à dix heures du soir environ nous avons fait rebrousser chemin à nos chevaux et sommes remontés jusqu'à notre point de départ.

Il faisait nuit noire. J'avais remarqué, tandis que nous descendions au crépuscule, que la route était étroite et bordée d'un côté par la pente des montagnes et, de l'autre, par un précipice. Je me rendais compte du danger de notre situation encore accru parla profonde obscurité dans laquelle conducteur et chevaux devaient trouver leur chemin en se gardant de l'abîme. Et mes appréhensions devinrent de l'angoisse lorsque je m'aperçus que les chevaux ralentissaient de plus en plus le pas et que le conducteur s'était endormi.

J'affrontai la situation résolument, et ne cessai d'implorer Dieu car « si l'Éternel. ne garde pas la ville, celui qui la garde veille en vain ». C'était donc ce que je pouvais faire de mieux. Puis je m'efforçai de tenir éveillés l'homme et les chevaux, je me misà chanter à haute voix dans la nuit sombre et silencieuse des hymnes et divers chants, à siffler et à réciter tout ce qui me venait à l'esprit ; de temps en temps je donnais un amical mais énergique coup de poing dans le dos de mon conducteur, je secouais les rênes des chevaux, je criais très fort pour les exciter et... je priais, priais.

À tout moment, je m'attendais à voir les chevaux sortir de l'étroit chemin et nous entraîner par-dessus bord au fond de l'abîme. Ma voix n'était plus qu'un murmure rauque, les forces m'abandonnaient, mais je continuai cependant à exciter les chevaux et à donner des coups de poing à mon conducteur jusqu'au moment où nous arrivâmes enfin à la forteresse que nous avions quittée six heures auparavant. On ne nous aurait pas ouvert la grille à une heure aussi insolite - il était deux heures du matin - si le gardien à l'intérieur ne m'avait pas entendue lui crier quelque chose en russe. Étendue en sécurité dans la chambre des hôtes, j'élevai du fond du coeur de muettes actions de grâces à Dieu qui nous avait bien réellement conduits, selon sa promesse, à travers la nuit et le danger et nous avait sauvés de l'agonie d'une mort lente au fond du précipice.

Nous restâmes à la forteresse jusqu'à ce que la nouvelle nous parvint qu'on pouvait traverser la rivière. En repassant, en plein jour cette fois, par la dangereuse route que nous avions gravie de nuit, je tins à faire remarquer au conducteur de quelle merveilleuse façon « Allah al-rahman al-rahira » (Allah le miséricordieux) nous avait gardés de tout mal et nous avait sauvé la vie.

Le dernier jour du voyage fut le pire de tous. Nous avions longé, de l'aube au coucher du soleil, le lit d'une rivière desséchée ; sur chaque bord s'élevaient des montagnes rouge brique, à l'aspect sinistre et qui projetaient sur nous la chaleur de leurs flancs. Aucune ombre nulle part. À midi, nous nous reposâmes un moment, mais sans eau et sans nourriture, hommes et bêtes ensemble, à l'ombre d'un énorme bloc erratique échoué là depuis un temps immémorial. Le souvenir de cet abri de la fournaise qui nous entourait me revient dès lors chaque fois que je lis les paroles prophétiques d'Esaïe sur le Roi qui sera « comme des courants d'eau dans un lieu desséché et comme l'ombre d'un grand rocher dans un pays altéré ».

Peu à peu nous laissions les montagnes derrière nous et nous avancions à travers des espaces de sable et de dunes. Vers le coucher du soleil nous atteignîmes une petite ville, la seule qui fût sur notre route, de Samarkand à la frontière afghane. Là, la station postale russe ordinaire avait remplacé la forteresse isolée aux murailles blanches. Et une brave femme, toute maternelle, me voyant chanceler dans la fraîche salle d'attente, m'offrit aussitôt un bol plein d'un délicieux jus de fruit. Cette boisson me fit l'effet de venir du paradis et je dis à la femme que Dieu la récompenserait, selon sa promesse, « pour un verre d'eau donné en son nom ». Avant le lever du soleil, nous repartions pour Patta-Hissar, course de quelques heures. Le sable que nous foulions était connu pour l'or qu'il contenait mais l'émir avait interdit de le laver et personne n'osait enfreindre son ordre.

Le soleil se leva dans la splendeur triomphante qu'il revêt dans ces vastes horizons désertiques. Dans le lointain, nous pouvions apercevoir Patta-Hissar, et plus loin encore, les dunes de sable des rives afghanes de notre grand fleuve l'Amou-Daria.


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