SENTINELLE ! QUE
VOIS-TU ?
Comment l'Eglise n'a-t-elle pas encore
compris que la seule chose qui puisse la
réhabiliter, c'est la manifestation d'une
sainteté véritable ? Tout ne
le lui crie-t-il pas de toutes parts ? Jusques
à quand lui prêchera-t-on du haut des
chaires chrétiennes - nous croyons savoir
qu'on l'a fait souvent et qu'on le fait encore, -
et laissera-t-elle enseigner que Dieu nous
maintient dans la corruption de nôtre
péché par pure miséricorde et
de peur que l'ivresse de la sainteté ne nous
tourne la tête ? Oh ! modestie
diabolique qui anéantit le conseil de
Dieu !
Non, si je veux être saint, ce n'est
pas pour goûter la jouissance de ma
sainteté, ni pour en contempler la
splendeur. Ce serait descendre au rang des
démons ; mais uniquement parce que Dieu
m'a dit : « Sois saint »,
et pour obéir à son impérieux
commandement. Ne dois-je pas vouloir ce qu'Il
veut ? Et s'Il le veut, que lui
objecterai-je ? Toute cette humilité,
toute cette prudence, toutes ces
raisons spécieuses que
nous avons coutume d'invoquer, toutes ces
barrières dont nous nous entourons pour
échapper à l'obligation d'une
sainteté positive et complète, tout
cela ne démontre qu'une chose : il nous
en coûte trop de vouloir ce que Dieu veut. Le
parfait amour ne bannit-il pas toute crainte ?
Ah ! sans doute, pour atteindre ce
sommet, il est une condition difficile :
l'absolu renoncement à soi-même, et
l'on renonce, hélas ! moins
aisément à ses vertus qu'à ses
vices. Beaucoup de chrétiens qui souffrent
de leurs fautes, n'ont pas encore perdu toute
confiance en eux-mêmes. Le regard
attristé qu'ils portent sur leurs
imperfections, mais qu'ils y portent, remarquez-le,
en nourrissant encore l'espoir trompeur de s'en
corriger eux-mêmes, ce regard ne devrait plus
se détourner de Celui qui veut et doit
être leur vie. Est-ce aux endroits
périlleux des sommets qu'on mesure la
profondeur des précipices ? Pour
n'être pas victime d'un vertige, qu'y a-t-il
à observer sinon chaque pas du guide ?
Le chemin très étroit de la
sainteté, lui aussi, côtoie les
abîmes, mais est-ce une raison pour douter du
Christ qui s'est engagé à nous
conduire au but ? C'est sa vigilance qu'il me
faut et non la mienne, car « si
l'Éternel ne garde la maison, ceux qui la
gardent, la gardent en vain ». Ce n'est
pas ma prudence qui me sauvera, mais la sienne et
la connaissance d'un chemin qu'Il connaît
pour l'avoir Lui-même parcouru.
« Satan, dit l'Écriture,
cherche à séduire les élus
eux-mêmes, » mais elle
ajoute : « si c'était
possible. » Ce n'est donc pas possible.
Et pourquoi ? Parce que les élus sont
ceux « qui n'ont pas aimé leur
vie », ni leurs aises, ni leurs vertus,
ni leur sagesse, ni leur science, ni leur petite ou
leur grande théologie, ni leur gloire, ni
même, dans le sens égoïste, leur
propre salut. Ils ont jeté toute cette
« chair » - c'est St-Paul qui
appelle cela de ce nom - et tous les avantages
qu'ils en pouvaient tirer dans le sépulcre
de Christ mort pour nos fautes, afin de ne
dépendre plus que de l'amour de Celui qui
est devenu tout pour eux.
À l'autel d'or sur lequel Jean voyait
offrir les prières des saints, et au
trône sur lequel Dieu les fait monter, les
élus ne songent plus à apporter
d'autres parfums que celui de Christ seul. En ce
lieu auguste où nous accédons le jour
où nous avons cessé de nous
contempler nous-mêmes, aucune autre vertu ne
saurait être célébrée,
aucun autre nom ne saurait être
prononcé. Pour les élus, le chemin
c'est Christ, la vie c'est Christ.
Serait-ce trop nous répéter
que de redire que les églises ont
cherché partout ailleurs le remède
à leurs maux et à ceux du monde, que
c'est pour cette raison qu'elles ont
échoué dans leurs efforts, qu'elles
ont fait ou sont en voie de faire banqueroute,
couvrant d'opprobre Celui du nom duquel, bien qu'en
le trahissant, elles ont l'audace de se
parer ?
Passe encore si leur impuissance et leur
défaite les trouvaient humiliées et
repentantes ! Mais non. Rarement
peut-être ont-elles paru
aussi satisfaites d'elles-mêmes. Elles se
vantent de leurs constitutions, de leur
organisation, de leurs conciles ou de leurs
synodes, de leurs prédicateurs, de leurs
écoles de théologie, de leur science,
de leur critique, de leurs dogmatiques, de leurs
formules, de leurs temples, de leurs missions, de
leurs oeuvres innombrables. Et, jalouses de leur
crédit, par crainte de paraître
ignorer l'angoisse de l'humanité ou
simplement les questions qui la travaillent, ne les
voit-on pas se mettre docilement à la
remorque des systèmes et des tendances du
jour, s'essayer même à capter la
faveur des foules en dissimulant le nom du
Maître qu'elles veulent servir ?
Ne se doutent-elles donc pas du sort qui les
attend sur cette voie ? Et cependant ceux
qu'elles s'imaginent gagner de la sorte ne les en
mépriseront que davantage ; leur
mépris pourrait même se changer en
fureur. Déjà le monde irrité
s'attaque à l'église de Rome. Qui
nous dit qu'à notre tour nous ne le
remplirons pas d'un pareil dégoût et
d'une semblable colère ? Plaise
à Dieu que, dans nos églises
protestantes du moins, cet avertissement provoque
l'humiliation salutaire et le ralliement dans
là demeure du Père !
Qui eût jamais connu le coeur de
l'enfant prodigue, qui eût deviné
celui de son père, si celui-ci n'avait eu le
courage de laisser son fils faire la preuve de sa
folie ? De même Dieu qui a comblé
l'Eglise de tous les biens de sa maison, ne l'y a
point retenue de force ; Il l'a laissée
descendre le chemin de la déchéance
et de l'hypocrisie, afin que l'excès
même de son
infidélité lui
révélât ses turpitudes et la
désespérante méchanceté
de son coeur et qu'elle pût mesurer et
regretter enfin la gloire d'une sainteté
perdue.
Le premier homme, quoique informé de
la fin à laquelle il s'exposait, n'a pas
craint de parvenir à la connaissance par
l'expérience du mal ; l'Eglise, elle
aussi, semble avoir eu moins peur des
« profondeurs de Satan », que
de l'obéissance au Dieu qui ordonne la
sainteté. Comme Adam, elle ne peut qu'en
mourir.
Mais la tombe elle-même, dans les
pensées de Dieu, n'est le dernier mot de
rien. En pleine ruine, en plein désastre,
les prophètes ne cessent d'annoncer :
« les ossements desséchés
revivront », « le désert
fleurira comme la rose ! » Du jour
où le monde foulera à ses pieds
l'Eglise prostituée et croira s'être
débarrassé pour jamais de l'objet de
sa haine, se dressera devant lui, pour sa surprise
et pour son effroi, un peuple de croyants,
vainqueur du péché, témoin
fidèle d'un Évangile authentique,
conservé irrépréhensible pour
l'avènement de notre Seigneur
Jésus-Christ, et dont l'unité
d'esprit sera celle-là même qui unit
le Fils au Père. Car la volonté de
Christ peut être méconnue et
violée ; elle ne cesse pas d'être
la loi de son peuple. N'a-t-Il pas prononcé
lui-même : « Les cieux et la
terre passeront, mes paroles ne passeront
point ? »
Qui de nous maintenant
demandera à Dieu avec une foi
nouvelle : « Que ta volonté
se fasse sur la terre comme elle
s'accomplit dans les cieux ? »
Qui voudra recevoir de Dieu l'efficace de cette foi
et s'exposer virilement aux conséquences
qu'elle entraîne : Qui osera voir enfin
dans la seule communion en Christ sauveur, mais
dans une communion vivante, organique et totale,
l'unique remède offert au grand mal dont
souffre l'humanité ? Qui comprendra que
du jour où, renonçant à nous
occuper de religion par intérêt
personnel, pour ne plus nous en occuper que pour
Dieu, et pleinement associés à Christ
dans une même pensée d'amour pour le
Père retrouvé et pour nos
frères perdus, nous aurons pris rang parmi
les vainqueurs, ce jour-là, le
« monde sera à nous »,
parce que nous serons incontestablement à
Christ et que « Christ est à
Dieu ? »
Alors certainement nous pourrons dans un
transport de joie céleste répondre
à la question de Jésus et lui
dire : Oui, Seigneur, quand tu viendras, tu
trouveras encore de la foi sur la terre.
Nous prévoyons les objections qu'on
ne manquera pas de faire à ce que nous
venons d'avancer.
Comment exiger du
chrétien l'absolue sainteté,
alors que Paul lui-même, écrivant aux
Philippiens, avoue n'avoir pas atteint le
but ? - Soit, répondrons-nous, il ne
nous est pas permis de spéculer sur la
très sainte humilité de
l'apôtre ; mais supposez, dans nos
Églises, cent hommes seulement qui puissent
écrire, en toute conscience, ce qu'il
écrivait au même chapitre de la
même lettre ; cent
hommes qui regardent réellement
« toutes choses comme une perte à
cause de Christ », qui les regardent
« comme de la boue, afin de gagner
Christ », « et de
connaître la puissance de sa
résurrection, et la communion de ses
souffrances, en devenant conformes à Christ
dans sa mort » ; et qui consentent
à mourir jusqu'à n'être plus
capables de concevoir quelque chose par
eux-mêmes ! - Oh ! que de tels
hommes ont été et sont rares ! -
Supposez-les vivant et agissant de la sorte au
milieu de nous. Ne sent-on pas que le monde
attentif en frémirait et que Dieu serait en
mesure de leur accorder une puissance de jugement
et de salut bien propre à nous
étonner nous-mêmes et à
transformer beaucoup notre manière de voir
accoutumée ?
D'autres pensent que c'est
matérialiser et, par suite affaiblir la
notion de l'Eglise que de la vouloir visible au
monde dans son état de perfection. Tel n'est
pas, disent-ils, l'enseignement des
Écritures. Elles semblent indiquer
plutôt que l'Eglise, de plus en plus
humiliée, dénuée, affaiblie,
impuissante et peut-être crucifiée
comme son Chef, sera telle qu'elle est, recueillie
dans la gloire sans que le monde s'aperçoive
de sa disparition, autrement que par les
calamités, les souffrances, les
châtiments qui le frapperont alors et qui
auront pour but de révéler ce qu'il
en coûte aux hommes de se détourner du
Dieu vivant. Et quand enfin la
sévérité d'un châtiment
qu'une Église absolument
fidèle aurait peut-être
épargné, les aura rendus sages
à salut, alors Jésus apparaîtra
dans la gloire avec ceux auxquels il avait fait
l'incompréhensible faveur de les retirer de
devant la tribulation qu'ils méritaient, et
par une faveur plus incompréhensible encore,
remettra le sceptre du monde dans leurs mains, trop
débiles autrefois pour en saisir le
salut.
Est-ce là, vraiment, l'enseignement
scripturaire ? Et si c'est cela, où est
la justice de Dieu ? Ne faites-vous pas de sa
grâce un favoritisme immoral ?
Comment ! Celui que nous invoquons comme notre
Seigneur aurait exprimé sa volonté
suprême en demandant à Dieu que ses
disciples réalisent la même
unité que celle qui, unit le Fils au
Père, et voici que ses disciples, totalement
infidèles à cette volonté,
seraient néanmoins jugés dignes
d'exercer le gouvernement du monde ?
Seraient-ce leurs divisions, par hasard, leurs
querelles, leurs luttes intestines, leurs
rivalités parfois diaboliques - dont ils ont
donné au monde le spectacle
démoralisant - qui les qualifieraient pour
cette fonction ?
Et quant à leur enlèvement
préalable, est-il plausible que Christ
introduise au séjour de l'absolue
sainteté des êtres qui n'auraient pas
été d'abord purifiés de toute
souillure ? Qu'on ne s'y trompe point :
un pécheur ne peut pas plus habiter le ciel
qu'un poisson ne pourrait vivre dans un grenier.
Non, mille fois non, ce n'est pas
matérialiser les choses de Dieu que de les
vouloir réelles et réalisées.
De quelle valeur, nous le demandons, serait
un principe, une unité de
principe, qui ne se traduirait jamais en
fait ? Serait-ce autre chose qu'un principe,
une unité de principe en imagination ?
Dieu est Esprit, sans doute, et il faut l'adorer en
esprit, mais il est un Esprit qui ne cesse de se
révéler par des oeuvres, de se
manifester par des actes qui sont la
démonstration palpable et concrète de
son existence et de son activité
spirituelle. Ne nous berçons donc pas de
l'illusoire confiance que l'unité du peuple
de Dieu serait dès maintenant
réalisée, sous prétexte
qu'elle se réalise en Christ.
La formule est vraie, mais elle devient
fausse et se vide de tout contenu dès
l'instant qu'elle n'aboutit pas au fait historique
comme à sa contre-épreuve et sa
garantie. Ne rabaissons pas l'idéal de notre
Seigneur au point de le ramener à une
doctrine dénuée d'application
pratique. Ne nous jugeons pas nous-mêmes et
ne jugeons pas l'état actuel de l'Eglise
d'après une théorie humaine qui
serait un outrage à la sainteté de
l'Éternel, à cette sainteté
redoutable et glorieuse, devant laquelle les
chérubins se prosternent, criant à
travers tous les cieux : « Saint,
saint, saint est l'Éternel des
armées. » Prenons garde, bien
plutôt, que les jugements terribles, dont
nous croyons le monde menacé, ne fondent
d'abord sur nous et nos Églises. Car, plus
favorisés que d'autres, nous avons
peut-être moins fidèlement servi Dieu,
et, loin de nous préparer à
l'enlèvement dans la gloire, nous nous
avançons au-devant des saintes corrections
de la justice divine.
Si l'apôtre, dans le même
passage où il déclare n'être
point encore parvenu au but, a pu exprimer
l'intense désir qui l'animait de participer
à la mort, à la résurrection
et aux souffrances de Christ, « afin de
parvenir.... si possible, à la
résurrection d'entre les morts » -
c'est-à-dire peut-être à
l'enlèvement - dans quelle crainte et dans
quelle humiliation ne devrions-nous pas nous tenir
devant Dieu, nous dont la marche est si peu
semblable à la sienne ! Avons-nous
même le droit de parler du jugement du monde
avant d'avoir atteint « la pleine stature
de Christ » ? Cette
égoïste préoccupation d'un salut
personnel qui nous laisse indifférent au
péché et à la perdition de nos
frères, n'est-elle pas, aux yeux de Dieu,
une véritable infamie ? Ne nous
exclut-elle pas de la pensée du
Christ ? ne nous ferme-t-elle pas le
séjour du Sauveur du monde ? Ah !
plutôt préoccupons-nous de ressembler
davantage à notre Maître, de
reproduire le caractère et la figure du
Christ, de faire nôtres sa miséricorde
et ses saintes compassions, et alors, mais
seulement alors, nous aurons le droit de demander
au Fils ce qu'Il pense faire du monde, Et
savez-vous alors ce que deviendront nos
questions ? Une prière. Une
prière d'intercession si
véhémente qu'elle ira jusqu'au
sacrifice de nous-mêmes, et, s'il
était possible, de notre propre salut pour
le salut de l'humanité perdue. - Et si
néanmoins le jugement devait intervenir, si
même il était imminent, nous y
trouverions une raison de plus pour implorer la
pitié divine en faveur de nos frères,
pour nous charger devant Dieu de
leurs fautes et pour en subir
avec eux les conséquences. Nous ne saurions,
à plus bas prix, être revêtus de
la sacrificature royale, c'est-à-dire de la
parfaite conformité avec Christ.
Nous avons
parlé de l'unité réelle des
enfants de Dieu comme de la seule
préparation possible de l'Eglise à la
rencontre du Seigneur. Il est à craindre
qu'on nous fasse une objection et qu'on nous
interroge sur la manière dont nous concevons
cette unité visible dans les conditions
actuelles de l'existence et de la
société humaine ? Nous pensons
que la question est oiseuse. C'est affaire à
Dieu d'y répondre et non point à
nous. N'a-t-Il pas créé le
monde ? Et personne à l'avance n'aurait
su concevoir le monde tel que nous le contemplons.
Nous laisser arrêter par les
difficultés imaginaires ou même
vraisemblables serait faire injure au pouvoir
créateur et à la sagesse divine. Elle
a voulu le but, soyons sûrs qu'elle donnera
les moyens quand nous les voudrons avec elle. De
bien autres difficultés se dressaient devant
l'oeuvre de Jésus. S'en est-Il même
préoccupé ? Il a simplement
obéi, le regard fixé sur le
Tout-Puissant. Faisons comme Lui et nous verrons
l'impossible s'accomplir sous nos yeux.
On nous objectera certainement aussi que
notre manière de voir ne concorde pas avec
celle de la dogmatique traditionnelle. Mais cette
dogmatique est-elle infaillible ? Et ne
faudrait-il pas auparavant s'enquérir de ce
que valent ses
affirmations ? Pierre et le collège des
douze, bien que baptisés du St-Esprit
à la Pentecôte, n'ont-ils pas
hésité longtemps sur les droits des
païens à la grâce de Dieu ?
Pourquoi n'en irait-il pas de même
aujourd'hui encore ? Et n'est-il pas
admissible que de très fidèles et de
très authentiques disciples du Christ
peuvent ne pas discerner clairement quels sont les
privilèges et les responsabilités de
l'Eglise ?
Jacques, après avoir fixé
« la loi de la
liberté », ajoute :
« Le jugement est sans miséricorde
pour celui qui n'a pas fait
miséricorde ; la miséricorde
s'élève par-dessus la
condamnation. » L'association de ces
trois mots - liberté, miséricorde,
condamnation, ne laisse-t-elle pas supposer, de
notre part, une libre intervention, attendue de
Dieu, en faveur d'un monde condamné ?
Mais il y a plus. Il y a l'exemple de Moïse
(Ex. XXXII, 11-14) ; il y a
celui de Daniel
(IX) ; il y a le mot sublime de
St-Paul : « Dieu veut que tous les
hommes soient sauvés », et celui,
plus sublime encore : « Je voudrais
être anathème et séparé
de Christ pour mes frères - Il y a enfin, il
y a surtout la prière de notre Modèle
« Père, pardonne-leur, ils ne
savent ce qu'ils font. »
Nous avons cherché à
démontrer ce qu'il y a d'injuste et
d'immoral dans la doctrine, par laquelle des
êtres encore souillés et imparfaits
seraient appelés à juger le monde,
alors qu'ils participent encore à son
péché. Mais nous
rencontrons aussi des âmes
nobles, émues de toute la souffrance
humaine, qui, d'un trait de plume, voudraient
supprimer la condamnation prononcée sur le
monde. L'amour de Dieu, pensent-elles, ne peut
s'accommoder du triomphe brutal de la justice. Les
menaces qui apparaissent encore dans les
écrits du Nouveau Testament doivent
être un écho lointain des foudres du
Sinaï. Si Jésus lui-même a
conservé dans ses enseignements quelque
chose de ces rigueurs, cela ne trahit-il pas son
origine juive et une erreur partagée par
toute l'antiquité ? La vraie
pensée du Dieu de paix ne peut être
qu'une pensée de miséricorde trop
haute, trop sublime pour s'arrêter à
la rétribution de nos fautes.
Pour raisonner ainsi, il faut
méconnaître les privilèges et
les devoirs de la liberté. C'est parce qu'il
est possible à l'homme de monter si haut
dans l'échelle que, s'il vient à
mépriser le chemin qui lui est ouvert du
côté d'une vie sainte, pure,
éternellement heureuse, il se condamne
lui-même d'une façon aussi effroyable.
Ce n'est pas Dieu qui le condamne à la
perdition, c'est lui-même qui s'y
précipite, d'autant plus sûrement
qu'il a été plus averti. À
moins d'anéantir cette liberté de
l'homme qui ne peut entrer dans les demeures de
Dieu que par un libre choix - il n'en est pas de
l'homme spirituel, conscient et responsable, comme
de l'homme naturel qui entre dans le monde sans
l'avoir voulu, et c'est précisément
cette supériorité de l'être
moral qui constitue la différence
fondamentale des deux ordres - il est impossible,
comme quelques-uns en ont la
prétention, de biffer la menace
écrite en lettres de feu dans le Livre de
Dieu. La liberté à laquelle nous
avons été appelés, nous
confère des charges que nous ne saurions
esquiver sans compromettre notre qualité
d'enfants de Dieu, et il se trouve même que
plus nous devenons véritablement libres,
réellement libres, plus aussi nous
éprouvons un intense besoin de nous associer
à la pensée du Créateur, de
nous y soumettre en esclaves, tant elle nous
apparaît de plus en plus comme la perfection
absolue, renfermant en elle l'Amour, la
Beauté, l'Ordre. Nous ne voulons servir
cette volonté que parce que nous l'aimons
passionnément et par-dessus tout.
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