Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



MARTYRS
ÉPISODE DES PERSÉCUTIONS RELIGIEUSES
sous
RANAVANOLA 1 ère REINE DE MADAGASCAR



ACTE III
Le Kabary (1)

PERSONNAGES :

RAFANALA, chrétien.
RAMAZAVA, chrétien.
RAVELO, chrétienne.
RAMASY, chrétienne.
LA REINE.
Le CONSEILLER.
UN VIEILLARD, délégué du peuple.
UN OFFICIER, aide de camp.
LES FILLES D'HONNEUR, accompagnant la reine.
LE PEUPLE.
RAMANANA, sorcier, qui fait le sikidy.
RAMAHERY, sorcier, le gardien des idoles.
RAKOTORESY, ou LE VAINCU, chrétien qui renie la foi.

Même tableau que précédemment, ou place publique d'Andoholo, avec un grand rocher au milieu (la pierre sacrée du gouvernement).



SCÈNE PREMIÈRE
 (Les chrétiens entrent.)

RAFANALA
Oui, ce n'est que trop vrai, frères et soeurs bien-aimés, nous sommes accusés, et le Kabary d'aujourd'hui nous est destiné. Dieu prenne pitié des faibles et nous garde des lâchetés. (Il soupire.)

RAVELO
Serions-nous tristes ? Déjà ! Et pourquoi ? Parce que la parole du Maître se réalise à notre égard. C'est une raison de plus de croire en Lui.

LES CHRÉTIENS ensemble et protestant. (Chacun dit une phrase différentes)
Non, certes !
Pas découragés !
Prêts à vivre, mais aussi prêts à mourir.

RAMAZAVA
Soyons calmes ! Nous allons, du reste, savoir ce que l'on veut de nous.

RAMASY
Mais cela peut-il être vrai ? Prier Jéhovah est un crime ! Tout mon corps tremble, et j'ai la chair de poule.

RAMAZAVA
Tue la peur, soeur, ou la peur te tuera. Tu es la servante de Celui qui a dit : « N'ayez point de peur. »

RAMASY (entendant des chants, arrête sa compagne qui veut Parler)
Tu dis vrai, mais ... Écoute, les voilà ...



SCÈNE II
 (Les chrétiens entrent.)

(La Reine et sa suite chantante arrivent Le peuple se presse et s'accroupit. Le conseiller se met aux côtés de la Reine. Le chant se poursuit jusqu'à la fin de l'installation. On bat des mains pour accompagner le chant.)

E E E E E E E

Tout l'honneur à Ra-na--va-- a -lou-nae

LE CONSEILLER (debout à côté de la Reine)
O peuple ! tu es assemblé au nom de la Reine. Qu'elle vive à jamais et que son peuple la serve ! Qu'elle demeure libre dans ses décisions et qu'elle puisse les prendre unie à son peuple !

LE PEUPLE (Criant)
Que la Reine vive à jamais ! (Rumeurs.)

KABARY. Place d'Andohalo.
Ancienne photographie prise au temps du règne de Ranavalona II (1868-1882).

LE CONSEILLER (déroule un grand papier, le Kabary)
Hommes et femmes, vous avez été appelés ici afin que vous ayez connaissance de ce que dit la Reine. Et moi, le substitut du gouvernement, devant vous, j'ajoute : Ce que l'oreille entend, l'esprit doit le garder, la langue le redire, pour que nul de ceux qui couchent auprès de nous ne puisse ignorer la volonté (le la Reine. Ainsi donc, écoutez. (Mouvements divers. On se prépare. Le Conseiller, avec emphase, lit.)

C'est moi, Ranavalona, reine unique de tout Madagascar, qui parle et ordonne et fais savoir aussi loin que s'étend la force de son autorité. J'ordonne qu'on meure, et il faut mourir. Je fais vivre, et il faut vivre. Aussi ma parole devra-t-elle être observée avec respect par les grands, étudiée avec soin par les enfants, et retentir jusqu'aux extrémités de la terre jetée au milieu des torrents. Je ne veux point détruire la richesse du peuple, ni mettre mes enfants en esclavage, ni arracher J'époux à l'épouse. Est-ce que je ne suis pas la protectrice du peuple, celle qui veille à la prospérité de la nation et de l'État ? N'est-ce pas cela ?

LE PEUPLE (avec bruit)
C'est cela...

LE CONSEILLER (lit)
Aussi je publie cet édit afin que nul sous le ciel n'en ignore. Mâchez lentement, c'est bon. Avalez bien, c'est doux pour ceux qui obéissent, ce sera amer pour ceux qui voudront se révolter. Je sais et j'ai vu que des étrangers sont venus apporter ici des fables qui troublent l'esprit, des contes de blancs, des folies qu'on lit dans un livre appelé la Bible ou encore l'Évangile. Des esprits faux, des coeurs faibles se sont laissé prendre. Ils sont devenus prieurs. Je sais et j'ai vu qu'ils veulent le renversement de l'État, le malheur (lu peuple, la disparition des pratiques que les ancêtres nous ont léguées. J'ordonne que ceux qui conduisent le peuple là où je ne commande pas cessent leurs agissements coupables. J'ordonne à ceux qui se sont laissé séduire de venir à nouveau faire les sacrifices sacrés. J'ordonne que, en signe de repentance, ils désignent leurs anciens complices. Alors, ils seront absous. Je sais punir, et je connais la miséricorde. Mon peuple et moi, sommes-nous bien d'accord ?

LE PEUPLE
Oui. Vis à jamais !

LE CONSEILLER (lit)
Je mettrai à mort et ceux qui baptiseront et ceux qui seront baptisés. C'est moi, Ranavalona, qui parle, parce qu'ils changent ce qui a été ordonné par les douze grands rois qui ont régné sur les douze grandes montagnes. Vous chercherez les coupables avec le soin de ceux qui cherchent des poux sur une tête, et quiconque sera convaincu de trahison sera tué. Oui, hommes, femmes ou enfants, tuez-les, car ils sont condamnés par moi, la Reine, et ils disparaîtront tous, seraient-ils jusqu'à la moitié du royaume. Quiconque voudra contrevenir à l'édit, changer les habitudes des ancêtres, ira prier l'ancêtre des blancs et non Andrianampoïnimerina, Leidama, les douze rois qui ont régné sur les douze montagnes, quiconque apportera le moindre changement à tout ce qui est établi maintenant, je le condamne à mort, et c'est moi, Ranavalona Reine, qui parle. (Il roule son édit.) Vous avez compris ?

TOMBEAUX ROYAUX
dans la Cour du Palais à Tananarive.

LE PEUPLE
Oui. (Longue rumeur indistincte.)

UN OFFICIER DU PALAIS
La Reine a parlé, le peuple a entendu, la loi est promulguée. Les coupables seront percés avec les lances, ou jetés sur les rochers, ou brûlés au bois vert, ou exécutés au sabre. Quand celui qui tient la grande cuiller son lève le couvercle de la marmite et regarde, c'est que les morceaux vont remuer. Si quelqu'un veut parler, qu'il parle ! Ranavalona Reine ne règne pas seule. Elle règne avec vous, son peuple.

(Murmures. Rumeurs. Silence de quelques secondes.)

LE DÉLÉGUÉ DU PEUPLE (s'avançant avec peine)
Tes paroles sont douces. O Reine ! vis à jamais. Puisses-tu n'être jamais trompée ! Ton peuple a entendu, il a compris. Tu parles bien, tu es la divinité descendue parmi nous. Nous croyons en toi, crois en nous. Que ton esprit ne soit point troublé par les inquiétudes ! Tes ordres seront exécutés, Qui donc oserait mettre sur le dos ce qui doit être à plat ventre ? Quand tu ordonnes. le peuple obéit. (Il se tourne vers le peuple.) C'est bien cela ?

LE PEUPLE
Oui, c'est ça, oui, oui !

(la Reine s'en, va avec son cortège, qui chante et claque des mains. Le peuple s'écoule très rapidement. Il ne reste plus sur la scène que les quatre chrétiens avec leurs enfants).



SCÈNE III

RAMASY
Hélas ! toutes nos craintes sont dépassées. Bientôt, il faudra mourir. À moins que ...

RAFANALA

Non, ce n'est pas mourir,
ô brebis du Sauveur,
Que suivre son pasteur jusqu'à la bergerie.
Où tu t'abreuveras aux sources de la vie.

RAVELO
Nous étions avertis. L'Écriture ne dit-elle pas : « Ce qu'ils ont fait au bois vert, ils le feront au bois sec. » Pourrions-nous nous étonner quoi qu'il arrive ? Nous avons déjà notre consolation. Le Maître a dit « Je serai avec vous jusqu'à la fin, jusqu'à la fin ... » (Appuyé.)

RAMAZAVA

Tournons donc nos pensées
Vers l'éternel séjour.
Que nos plaintes lassées
Se taisent pour toujours
Nous marchons vers la vie,
La mort en est le seuil.
Par Christ, l'âme ravie,
Triomphe dans le deuil.
Du sein de la poussière
Qui doit couvrir nos os,
Salut à la frontière
Du pays du repos.



SCÈNE IV

(Les sorciers entrent, causant avec animation. Ils voient les chrétiens.)

RAMANANA
Tiens ? Que t'ai-je dit, ils sont encore là. Ils sont obstinés, ces gens-là.

RAMAHERY (aux chrétiens, qui font mine de partir.)
Attendez un peu. Vous allez payer vos dettes, parait-il. Cependant, on se montrerait plein de miséricorde, peut-être, si vous vouliez ...

RAFANALA
Du grand jour de l'éternité nous ne craignons l'aurore. Tous unis par la vérité, la mort ne nous fait point trembler. À l'heure dernière, nous dirons, encore : Digne est l'Agneau de recevoir honneur, louange et gloire

LES CHRÉTIENS (en frappant des mains)
Vous vous condamnez vous-mêmes.

(Gestes divers des chrétiens. Ils se retirent au moment où entre Rakotoresy.)



SCÈNE V

RAMAHERY
Insensés, ces gens-là. insensés.

RAKOTORESY (avance en saluant très bas, hésitant, honteux)
C'est vous que je cherche. Salut à vous, qui êtes mes père et mère. Vivez longtemps !

RAMANANA (à part, à Ramahery)
Voilà du nouveau !

RAMAHERY (à part, à Ramanana)
Je l'avais cru prieur, celui-là. On ne le voyait plus aux sacrifices sacrés ...

RAMANANA (sévèrement)
Tu as offensé les ancêtres. J'ai lu ton destin, le soir, an coucher du soleil. Ta conduite est étrange. Viens-tu pour t'accuser ? Parle, et sans tordre ta pensée.

RAKOTORESY (tristement, tremblant)
Salut à vous. Vous êtes mes père et mère, la divinité même sur la terre. J'ai été pris par les enchantements des blancs. Ils m'ont mangé le coeur, et je les ai suivis. J'ai négligé les ancêtres. J'ai cru au Dieu qu'ils disent seul vivant. J'ai même partagé avec eux le repas sacré. J'ai cru être heureux, vivre longtemps sur la terre, mais j'ai en tort. La Reine a parlé. J'obéis à la Reine. Je ne veux pas mourir, je veux vivre.

RAMAHERY
L'offense est grave.

RAKOTO
Je le sais.

RAMANANA
Le rachat coûteux.

RAKOTO
Je paierai.

RAMANANA
Le sacrifice difficile.

RAKOTO
Je le ferai.

RAMANANA

Les voeux inviolables.

RAKOTO
Je les accomplirai

RAMAHERY

Tu dénonceras les prieurs ?

RAKOTO
Je... les dénoncerai... peut-être...

RAMANANA
C'est bien, nous allons procéder au sacrifice de substitution. Où sont les témoins ? (Geste de Rakoto.) Appelle-les.



SCÈNE VI

(les témoins, deux ou quatre, ont un rôle muet. Ramanana allume du feu qui doit produire de la fumée dans une petite coupe de terre.)

RAMANANA (à Rakoto)
Tu seras délivré des enchantements des hommes aux yeux clairs, ou tu seras enterré, dans ma tête en passant par mon front.

RAMAHERY (à Rakoto)
Tu jures devant les représentants du peuple, et devant nous, représentants des dieux et du gouvernement, tu jures par les ancêtres, par les esprits, par les charmes, par les douze rois, par les douze montagnes ?

RAKOTORESY
Je jure par les ancêtres, les esprits, les charmes, les douze rois, les douze montagnes ... Que je meure si je ne tiens pas le serment ! (Il frappe sur un objet, une corne sacrée, que lui présente Ramahery.)

RAMANANA
Tu parles, je parle. (Il exorcise le chrétien, et, pendant qu'il prononce la formule, Ramahery entoure Rakoto de fumée, lui en souffle sur le visage. Rakoto est impassible.)
Le voici, le sacrifice, on lui a donné une forme, on ne l'a pas inventé, on a interrogé le sikidy, les ancêtres, les esprits et tous les charmes. Ils ont répondu, ils sont ici. Vous donc, haricots, maïs, germes de vie, levez-vous. Voici Rakoto ensorcelé par les ancêtres des blancs. Luttez, délivrez-le, vous êtes tout-puissants. On substitue à lui-même ce sacrifice pour que tous les enchantements disparaissent, On a voulu détruire sa vie, on a voulu prendre son esprit, ce n'était pas lui, c'était un autre. Il souffre, il faut que son démon soit chassé. Sors, va-t'en ! Fuis au loin ! (Il gesticule beaucoup en tenant un chiffon qui contient le faditra ou sacrifice de substitution. Au gardien d'idoles : ) Continue, toi, moi J'ai oublié la formule.

RAMAHERY (prend le sacrifice, RAMANANA la coupe, et le manège précédent continue.)
Le balai balaie la malédiction ; on la met dans nu vêtement de deuil pour qu'il n'y ait plus de deuil. On la balaie avec une plume de poule blanche, car elle est venue par les blattes. On la balaie en faisant boire à Rakoto un peu d'eau mêlée de terre rouge (Rakoto boit le contenu d'un verre préparé et qu'on lui présente), car il a mangé et bu ce qui venait de l'étranger, et, maintenant (il remet le sacrifice à quelqu'un qui sort), on rejette bien loin la malédiction, on la met dans un trou, la pluie tombe dans le trou, le trou laisse aller la pluie, la pluie va au ruisseau, le ruisseau va à la rivière, la rivière va au fleuve, le fleuve va vers la mer, la tuer retourne la malédiction aux étrangers qui Pont apportée.

RAMANANA
Tu es délivré...

RAKOTO (répète, comme inerte)
Je suis délivré !

RAMANANA
Tourne ton lamba. (Tout le monde tourne son lamba, de crainte que la malédiction se soit posée là.)

RAMAHERY
Maintenant, tu es un homme nouveau.

RAMANANA
Va, maintenant. Marche à reculons et sans regarder en arrière. Tu ne mangeras plus de poulet, c'est fady (2), ni ne boiras avec ta main. Tu entreras chez toi par la porte du sud, tu sortiras par la porte du nord. Ce sont là les décrets du destin. Si tu transgresses ces ordres, tu mourras, les yeux regardant vers le sud, tu rencontreras la malédiction, et ton cadavre sera traîné dans les champs.

Païen invoquant les ancêtres devant un tombeau.

RAKOTO (remercie en étendant les deux mains comme pour recevoir.)
Soyez vivants. Devenez vieux. Vous êtes mes père et mère. Celui qui vous a pour père et mère a les dieux pour parents. (Les sorciers s'éloignent.)

RAMANANA (sèchement)
Sois vivant !

BAHAHERY (moqueur)
Deviens vieux !

RAMANANA
Ne jette pas à terre ce qui est debout.
RAMAHERY
Ce qui est couché pourrait se lever. (Ils s'éloignent et rient.)



SCÈNE VII

RAKOTO (s'éloigne à son tour)
La vie est douce, et, pourtant, Judas s'est pendu.


Table des matières

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1 Le mot Kabary, ici, veut dire « Édit de la Reine ».

2 Fady défense d'ordre religieux.

 

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