MARTYRS
ÉPISODE DES
PERSÉCUTIONS RELIGIEUSES
sous
RANAVANOLA 1
ère REINE DE MADAGASCAR
ACTE II
L'accusation
PERSONNAGES :
- LA REINE avec un grand manteau de
cour.
- L'ESCLAVE, portant le parapluie
rouge, insigne de la royauté. LE
CONSEILLER,un vieillard affairé.
- LES FILLES DE COUR, accompagnant la
reine à son entrée et à sa
sortie, et chantant, tout en marchant, avec des
mouvements rythmés et des claquements de
mains.
RAMANANA}
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sorciers, plus costumés que
précédemment.
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RAMAHERY}
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La scène peut représenter, au
choix, une grande chambre mie, avec un siège
élevé pour la reine, dans la cour
devant la maison d'Andriampoinimerina, dont on
pourrait faire un agrandissement pour le fond, avec
une porte laissant passer le cortège
royal.
Les femmes peuvent être
coiffées des différentes
manières malgaches et chargées de
bijoux (verroterie). Quand elles vont s'asseoir,
elles s'accroupissent, les mains étendues,
tombantes, et les coudes sur les genoux.
Préparer une palette de
bois mince, avec quelques signes. Elle est
employée par le sorcier, qui étudie
le destin des hommes.
SCÈNE PREMIÈRE
(La Reine entre, accompagnée de
l'esclave au parapluie.
Les Filles de Cour chantent,
tout en s'installant, divisées en deux
groupes ;
elles chantent tour à
tour, comme s'entre-répondant.
Elles répètent
leur cantilène plus on moins vite, chantent
ensemble la finale, pour recommencer, etc.).
E E E Voici no- tre rei- ne
E E E Notre bonne reine E
SCÈNE II
LE CONSEILLER (entre. Il s'incline
profondément)
Vis à jamais, à
Reine, vis à jamais ! Si ton serviteur
trouve grâce devant toi, il se tiendra debout
pour te faire entendre quelques courtes paroles. Tu
es la Reine, et je suis ton serviteur.
LA REINE
C'est bien. Parle. Ne scelle
point la vérité.
LE CONSEILLER
Depuis quelque temps, Je suis
inquiet. Les étrangers aux oreilles rouges
ont semé des idées bizarres dans
l'esprit du peuple. Hier, un des aides de camp m'a
fait savoir que deux hommes avaient à me
parler au sujet de la couronne, l'un d'eux
étant capable de dire ce qui tic se voit
pas, et l'autre de lire dans le firmament.
J'étais étonné, et incertain
... Mais la confiance, ô Reine, que tu donnes
à ton serviteur m'a fait un devoir
d'écouter ces hommes, et leurs
révélations m'ont jeté dans un
grand trouble. (Il met la main devant sa bouche
en poussant l'exclamation : Ma !
ma ! ma ! crescendo.)
C'est si grave pour la
sécurité de l'État, que j'ai
cru devoir... Mais, si je n'ai point tort, ô
Reine, vis à jamais, vieillis autant que le
peuple sous le ciel ! (Il s'incline.)
Ne serait-il point à
propos que tu entendes leurs déclarations
étranges ?
RADAMA Ier en
costume d'apparat. 1810-1828.
LA REINE
Qui sont ces hommes, et
d'où sont-ils ?
LE CONSEILLER
Ils viennent du canton de la
Ruse et sortent du village du Mensonge. Tu les
connais l'un et l'autre. Ramanana, qui
possède tous les secrets, et Ramahery,
l'homme fort, car il garde les dieux.
LA REINE
C'est bien. S'ils disent vrai,
qu'ils viennent déposer devant moi, la
Reine, celle qui a succédé aux douze
grands rois ayant régné sur les douze
montagnes.
LE CONSEILLER
(déjà inquiet pour lui-même
et connaissant la versatilité de ses
administrés.)
Mais, ô Reine, ils ont
déjà parlé, ; la
vérité est sortie de leur bouche, et
peut-être que, devant toi, ...
LA REINE
(vivement)
C'est bien, va ! (Geste
impératif.)
(Le conseiller sort à
reculons, en faisant de grandes
révérences. La reine s'absorbe dans
un court monologue.)
SCÈNE III
LA REINE
Voilà, certes, des choses
nouvelles, et, tout au fond, qu'est-ce que cela
peut-être ? Qui le sait, ? (Elle
hausse les épaules.) Et qui pourrait le
savoir ? S'agit-il d'un piège des
étrangers ? D'une calomnie contre mes
sujets ? D'une atteinte à mon
autorité ? (Elle se tourne vers
l'esclave au parasol.) As-tu entendu parler de ces
choses ?
L'ESCLAVE
(prudent)
Oui, maîtresse, mais les
conversations et les contes...
LA REINE (à ses
filles)
Et vous ?
LES FILLES (sur des tons
divers)
On en parle beaucoup.
LA REINE
(pensive)
Ah qu'il est difficile de savoir
la vérité !... Comme ils sont
longs à revenir ... (On entend du
bruit.) Ah ! les voici, nous allons
connaître le mystère, peut-être.
SCÈNE IV
LE CONSEILLER (grognon et dur)
Allons, entrez !
LES TROIS HOMMES
(s'avançant, s'inclinent)
Vis à jamais, ô
Reine ! Vieillis avec le peuple de la terre
jetée au milieu les torrents.
(Après une nouvelle
révérence, ils se
reculent.)
LE CONSEILLER
Voici, ô Reine, les hommes
dont j'ai parlé.
LA REINE (qui veut les
éprouver)
Savez-vous pourquoi je vous ai
cités devant moi
RAMANANA
Vis à jamais, ô
Reine, brille comme le soleil dans les cieux !
Ma main ne s'est pas avancée, mon pied ne
s'est pas posé, que, déjà, je
suis informé, Le fait de demain m'est
révélé aujourd'hui. Ce que
sera l'an prochain, je le dirai demain. Vis
à jamais, ô reine, je sois ton
serviteur. (Se tournant vers le conseiller.)
Qu'on aille chercher la palette
sacrée ! J'ai besoin de lire les
anciens oracles.
SCÈNE V
(Un esclave va chercher la palette et la
rapporte avec précaution et
solennité. La scène est double dans
sa première partie. Tandis que Ramahery
parle, Ramanana fait le sikidy
(1), que tous
deux auront l'air de lire.)
Ramahery
Oui, Ô Reine, vis à
jamais, la terre t'appartient. Ce qui n'a pas
été nettoyé depuis longtemps,
c'est la corne des dieux. Les cheveux les plus
longs sont ceux qu'on n'a pas coupés. Quand
ton père était là,
j'étais déjà vieux. J'ai servi
de support à son heureuse chance. Ton mari
est venu, j'ai mis de la lumière dans ses
ténèbres. Et, maintenant, à
ton tour, tu es là, Ô Reine ! Vis
à jamais, laisse tes mains se remplir de
confiance, fais fuir l'inquiétude de toit
coeur. Mes pouvoirs sont immenses. D'un bout de
l'île à l'autre, j'entends les boeufs
mugir, et Je distingue là-bas, sur la
montagne, un moustique mâle d'un moustique
femelle.
Ramanana (ayant fini le
sikidy, se lève tout
illuminé)
C'est clair, les ancêtres
ont parlé Si ton serviteur n'a point tort
à tes yeux, il parlera.
LA Reine (avec un peu
d'impatience)
Eh ! parle
donc !
RAMANANA (solennel)
Je lis dans les combinaisons du
destin : Premièrement, ce que la Reine
désire, c'est la paix du royaume, le bonheur
des sujets, la sécurité du
gouvernement ; deuxièmement, ce que
veut la reine, c'est que le peuple soit aussi
nombreux que les sauterelles pressées dans
le panier, où elles ne peuvent remuer,
troisièmement, ce que la reine
désire, c'est l'union de tout le peuple dans
une seule pensée de respect des
ancêtres et d'unique corvée. N'est-ce
pas cela ? (Il se tourne
vers Ramahery qui fait semblant de lire avec lui
dans le sikidy.)
RAMAHERY
oui, c'est bien cela.
RAMANANA
Aussi, ô Reine voici ce
qu'il conviendrait.
RAMAHERY (à Ramanana,
à part, et désirant jouer son
rôle.)
Ah ! tais-toi, lit va trop
vite.
LA REINE (qui n'a rien
entendu)
Votre zèle pour les
affaires de l'état me touche
profondément. Je récompenserai un si
grand dévouement.
RAMAHERY
Ce n'est pas cela seulement,
ô Reine ! car, depuis le règne de
ton glorieux père et celui de ton mari,
c'est moi qui ai fait cuire même ce qui ne
pouvait aller au feu, qui ai fait bouillir
même ce qui n'entrait pas dans la marmite.
À plus forte raison, ô Reine !
vis à jamais, ne sois jamais malade,
souviens-toi du passé, de ce bon vieux temps
où l'étranger n'avait point de
place : le lait était doux comme le
miel, le riz aussi nourrissant (tue lit viande,
l'hiver aussi chaud que l'été, les
hommes plus rusés que les bêtes, les
noirs plus puissants que les blancs. (S'adressant
avec emphase à Ramanana.)
Révèle, donc, toi qui lis dans les
cieux, qui sais ce qui ne se dit pas, qui devines
ce (tue la montagne cache, oui,
révèle les destins des temps
passés, la force des charmes des,
ancêtres, le bonheur des sujets, la
majesté des rois ...
LA REINE (à part,
emportée par la superstition)
Ils m'effraient, ces gens.
Seraient-ils, en effet, les messagers des
ancêtres ?
RAMANANA (montrant les
charmes à chaque
énumération)
Oui, reine et maîtresse de
tous ceux qui habitent sous le ciel, dans le bon
vieux temps :
Les sauterelles ne
dévoraient point le riz : c'est que
celui qui les arrête était là.
La foudre ne tuait
personne : c'est que celui qui l'arrête
était là.
Les hommes n'étaient
point malades : c'est que celui qui
protège l'ombre était
là.
Les récoltes
étaient abondantes : c'est que l'oeil
du bien était là.
Et combien d'autres. (Il
secoue les charmes.) Oui, Ô Reine !
vis à jamais, ne sois pas malade. En ce
temps-là, les enfants étaient
habiles, les hommes forts et courageux, les grands
invincibles, le peuple sans désirs. Les
morts dormaient en paix, les coeurs se
nourrissaient de résignation, les estomacs
étaient satisfaits, les
épidémies fuyaient loin. On voyait
beaucoup d'enfants, la terre couchait dans le
silence, et le gouvernement. ...
LA REINE (à part, mais
pour être entendue)
C'est peut-être vrai, ces
choses.
BESAKANA
Case
Royale dans laquelle Ranavalona 1 ère a
été sacrée
Reine.
Habitée auparavant par
Andrianampoïnimerina.
RAMAHERY
Et maintenant, ô
Reine ! pourquoi serais-tu frappée
comme le riz par le pilon ? Pourquoi les
mouches s'engraisseraient-elles de ta
richesse ? Pourquoi y aurait-il mesure comble
de douleur ? Pourquoi ne parlerait-on plus que
de mort à celle qui doit vivre à
jamais ? Est-ce que Je rêve ? Ton
trône devrait-il chanceler, se coucher dans
la tombe préparée par les
étrangers, et toi-même, serais-tu
couverte de lèpre ? Ce qui est vrai ne
passera pas ici sans y demeurer.
LE CONSEILLER (pressant le
mouvement)
Aussi bien, dites donc la
vérité, et dites-la tout droit, et
sans passer par les petits chemins.
LA REINE
Oui, finissons-en. Soyez sans
crainte ; vous êtes mes
enfants.
RAMAHERY
Si les paroles prononcées
sont considérées, ô
maîtresses de la terre jetée au milieu
des torrents, il n'y a pas eu de détours, de
longueurs ou d'erreurs. Aussi bien le soleil court
à la maison et plonge à l'ouest.
Maintenant, il faut donc tout dire. Est-ce
sage ? Je ne sais. Mais je le dis pourtant,
parce que c'est la faute aux « oreilles
rouges ». Ils ont apporté ici des
chiffons de papier sur lesquels sont des taches de
mouches si nombreuses ! Des boeufs trop
nombreux dans un parc ! Ces papiers
ensorcellent les gens. Un grand nombre de
sauterelles se sont laissé prendre. Elles ne
savent plus distinguer entre l'épine qui
transperce et le riz qui nourrit. Oh ! malheur
effroyable ! (Il gesticule.) Nous serons
bientôt envahis, submergés par les
idées nouvelles. Déjà on en
entend parler au marché, dans les rues, dans
les cases. Ton palais même, ô
Reine ! est infesté. On se montre dans
le secret des écritures qu'on appelle
« Saintes ». Ils disent :
« C'est la Bible, c'est
l'Évangile. » Et les gens
deviennent prieurs, évangélistes. Et,
depuis que la graine étrangère a
été semée, il se lève
une moisson de malheurs. La famine frappe à
la porte, la peste se promène, la
fièvre commande. Et que feras-tu donc,
ô Reine ! La grêle détruit
le riz. L'homme, affamé, maigrit, et les
maisons des morts s'appellent des tombeaux. Tes
ennemis vont te dévorer.
LA REINE
Y a-t-il, en
réalité, des prieurs dans le
pays ? Et de quoi, au juste, les
accuse-t-on ?
(le conseiller fait un geste
affirmatif.)
RAMANANA
Ils se réunissent la
nuit, et, même, nous en avons trouvé
dans une grotte. Ce sont des esclaves qui prennent
la parole et font des enseignements, Les ordres des
ancêtres sont rejetés. On ne sert plus
Ranavalona, la reine succédant aux douze
grands rois, mais un certain Jéhovah et un
nommé Jésus. Le premier, c'est
probablement le roi des Anglais, et Jésus
est son vassal ...
LA REINE
Pourquoi ai-je ignoré
tout cela, et pourquoi ne me l'a-t-on pas fait
savoir ? (Fâchée.) Conseiller,
leur avais-tu laissé la
liberté ?
LE CONSEILLER
Vis à jamais, ô
Reine ! Ne deviens pas malade ! Ces gens
ne se cachent guère, et leur folie est
douce. J'ai cru, les blancs t'ayant parlé
à toi-même, que tu avais permis leurs
charmes. N'as-tu pas aussi fait un
édit ?...
LA REINE (fâchée
et se tournant vers les sorciers et les
conseillers)
Où donc as-tu
l'esprit ? De quel édit
parles-tu ? Jamais je n'ai voulu
tolérer des pratiques contraires à
celles des ancêtres. Ce serait ma mort et
celle de mon royaume. C'est aujourd'hui que je
ferai un édit, et, sous toute
l'étendue du ciel, je veux que les prieurs
aient la bouche fermée. Le peuple sera
réuni ici, au palais, pour entendre la loi.
Qu'on s'en souvienne ! J'ai parlé.
(Elle s'apprête à sortir et se
ravise.) Ce soir, nous invoquerons les
ancêtres. C'est un honneur pour vous ... et
pour moi un plaisir. . ...
Tous (levant les mains,
s'agitant)
E E E. Merci. Vis à
jamais. E E.
(La Reine sort, et ses filles
d'honneur l'accompagnent en chantant et en battant
des mains, comme précédemment.
Jusqu'à ce que le groupe soit sorti, on
chante. Les voix s'affaiblissent.)
E E E honneur à la Reine E E E E
LE CONSEILLER (sort, tandis qu'on entend
encore le chant)
Ça brûle ! La
colère de la Reine va
éclater.
(Restent les deux sorciers.)
SCÈNE VI
RAMAHERY
Eh ! eh ! Qu'eu
dis-tu ? (Il rit.)
RAMANANA (les mains sur les
hanches, en se dandinant)
Vendre du mensonge - change les
destinées.
Savoir Dire les contes - fait la
vérité.
À qui défend les
dieux - la ruse est bien permise.
RAMAHERY (élevant son
idole et lui parlant)
0 charmes sacrés,
puissance des ancêtres, encore une fois votre
force s'est montrée. L'Erreur est vaincue.
Ce que vous avez été pour les
pères, vous l'êtes pour les enfants,
vous le serez jusque là-bas. ... jusque
là-bas. (Il pointe les lèvres vers
un point désignant l'infini, tenant toujours
son idole.)
RAMANANA (un peu
moqueur)
Oui, tu as raison. Quand ou est
heureux, c'est qu'ou est content. Allons dansons un
peu.
(Ils dansent sur place,
s'agitent, se plaignent. Ils sont en
transes.)
RAMAHERY (paroles sans suite,
comme dans un délire.
Balançant le grand
bâton qui l'accompagne
toujours.)
Les dieux sont sur moi ... La
lutte rouge ... Les blancs ... Poulets Folie ...
Andriampoïnimerina ria, Leidama ... (Il
tombe et soupire, étendu.)
RAMANANA (qui a suivi la
scène en mimant, lui aussi, est hagard. Il
lit dans l'espace comme les devins en
transes.)
Le destin des hommes inscrit
dans le firmament là. à l'est, le
soir. Il est écrit sur la montagne, plus
haut, à l'horizon. Les ancêtres
contents ... Les blancs seront vaincus. (Il
s'affaisse.)
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