MARTYRS
ÉPISODE DES
PERSÉCUTIONS RELIGIEUSES
sous
RANAVANOLA 1
ère REINE DE MADAGASCAR
ACTE PREMIER
Surpris
PERSONNAGES :
LES CHRÉTIENS :
- RAFANALA (La Rosée),
déjà d'un certain âge.
- RAMAZAVA (Le Jour), plus jeune.
- RAVELO (La Vivante), femme
accompagnée d'un enfant dont le
rôle est muet.
- RAMASY (La Voyante), jeune femme avec
nourris dans le lamba.
- LES SORCIERS :
- RAMANANA (Celui qui a), étudiant et
corrigeant le sort au moyen des graines
sacrées ou
« sikidy ».
- RAMAHERY (le Fort), gardien des Idoles
à X.
(La scène se passe dans une grotte ayant
deux ouvertures. On y est éclairé par
un quinquet malgache. Les deux chrétiens t
sur la scène au lever du rideau ; puis
entrent « les soeurs » ;
enfin paraissent les sorciers, costumés de
manière un peu étrange et couverts de
coquillages et de verroterie. Les hommes sont
habillés d'une chemise de rabane et
coiffés du chapeau de bourjane. On peut se
servir d'un lamba tout simplement. Les soeurs ont
dé, longues robes et le lamba ; leurs
cheveux sont divisés en deux grandes nattes,
qui retombent devant, sur chaque épaule.
Pour les costumes, étudier des photographies
malgaches ; ils ne demandent aucun ornement et
peuvent être des pièces de calicot.
SCÈNE PREMIÈRE
(Rafanala et Ramazava entrent
avec précaution.)
RAFANALA
Enfin, nous sommes ici,
frère, bien à l'abri ! J'ai cru,
un moment, que nous ne pourrions nous réunir
aujourd'hui. Tout de même, je suis inquiet.
Il court des bruits peu rassurants au palais. Se
peut-il qu'on nous mette au rang des
brigands ? À propos ... où sont
nos soeurs... sais-tu ?
RAMAZAVA (un peu abattu)
Je ne sais. Où
pourraient-elles être, sinon auprès
des malades ou des hésitants ? Elles
ont un grand courage, nos soeurs.
RAFANALA
Est-il convenable que nous
demeurions ici dans l'attente ? Un danger les
menace peut-être ?
RAMAZAVA (avec un geste
d'hésitation)
Qui le sait ? (Ils
réfléchissent.) Sortir deux serait
une faute. S'il faut aller, c'est à moi de
sortir, je suis le plus jeune. (Il fait mine de
sortir.)
RAFANALA (retenant Ramazava
par le lamba)
Non, non, ne va pas. Si elles
sont épiées, elles seraient perdues.
Si on nous a suivis, nous révélerions
le lieu de notre retraite ... Elles sont
courageuses ... Elles sont prudentes. Attendons.
Serions-nous déjà affaiblis dans la
foi, que nous perdions la paix ? (Il chante
doucement, tandis que Ramazava semble prier.)
- Ne te désole point,
(1)
- Sion, sèche tes larmes.
- L'Éternel...
(Il est interrompu par un bruit insolite. Les
deux hommes écoutent.)
SCÈNE Il
(Ravelo et Ramasy
entrent.)
RAVELO
À la bonne heure,
frères, le découragement n'a point de
place ici. Nous avons besoin de chrétiens
solides. Le diable envoie ses démons contre
nous, mais le peuple de Dieu augmente. On trouve
des chrétiens même au
palais,
RAMASY
Notre foi illumine aussi la case
du pauvre ... On cherche pourtant à enrayer
les progrès du Royaume de Dieu
...
RAFANALA
Vous avez donc entendu dire
aussi que nos adversaires sont furieux. Les
préceptes de Jésus n'ont pourtant
rien qui puisse inquiéter la reine. Ils font
de notre Dieu le Dieu des étrangers... Mais
qui donc est étranger sur la terre, sinon
chaque homme ? L'enfant qui naît dans
nos maisons n'est-il pas le petit étranger
qui s'installe ? (Il parle comme à
lui-même.) Vraiment, ne
pourrait-on pas lever les yeux
vers le ciel - espérer - ou bien, comme dit
le proverbe : « Le riz sera toujours
écrasé sous le
pilon. »
RAMAZAVA
Tais-toi, frère.
L'épreuve est en honneur. L'or pur sort du
creuset. Qui de nous refusera de porter sa croix,
si Dieu la pose sur nos épaules ? Les
serviteurs obéissent au
Maître.
RAVELO
Frères, parlez sans
détour. Quel danger nous menace ? Nous
sommes des femmes, mais des femmes qui suivent le
Sauveur.
PALAIS
ROYAL (vue prise du sud)
RAMASY
Oui, parlez. Peut-être
est-il temps d'aviser, il y a des frères
à protéger. Au reste, nous ne sommes
point à nous-mêmes.
RAFANALA
Soyez bénies, soeurs. (Il
semble hésiter, puis parle rapidement.)
Voici : Au palais, les Gentils se
préoccupent de nous. Ils veulent avertir la
reine que, nous travaillons à ruiner la
sécurité de l'État. L'heure
est venue de faire un choix définitif. Il
faut persévérer, croire aux paroles
du Maître. Vous serez
heureux lorsque, à cause
de moi... (Il se parle à lui-même.)
Être heureux !!! Est-ce possible ?
Oui, je veux croire, je veux
persévérer... Mais des prières
... contre des soldats. (Il désigne les
soeurs.) Des agneaux au milieu des loups. (Levant
la main.) « Celui qui
persévérera jusqu'à la
fin » (Les deux femmes pleurent
doucement.)
RAMAZAVA
Ne laissons point le malin
entrer en nous. Et toi, Rafanala, qui nous as
parlé de l'Évangile le premier, que
ton exemple fortifie notre coeur
RAVELO
Oui, oui, soyons forts, mais
souvenons-nous aussi de notre faiblesse c'est
d'hier que nous sommes chrétiens. Sans
doute, le gardien des idoles espère que,
seule, la frayeur nous fera renoncer à notre
folie. Je savais que nous étions
menacés ... mais pas que ce fût si
proche. Dis-moi, Ramasy, ma soeur (elle se jette
à son cou), je compte sur toi, il te faudra
m'aider.
RAMASY
« Jésus-Christ
est le même hier, aujourd'hui,
éternellement ... »
Tous (et avec
ensemble)
« À lui
l'honneur, la louange et la gloire.
Amen ! »
RAVELO
Et qu'allons-nous
faire ?
RAFANALA
Nous en remettre à Dieu
d'abord.
Tous (sur des tons
divers)
Oui, sans doute.
Évidemment. (Chacun ne dit qu'un
mot.)
RAMASY
En attendant, j'aimerais bien
pouvoir entendre encore la lecture des Saintes
Feuilles.
RAVELO
J'aime ton empressement. Mais il
a fallu cacher les Feuilles. On les enterre, et
celui qui peut en avoir quelques-unes
possède un trésor.
RAFANALA (tout heureux,
fouille dans son vêtement et en sort un petit
paquet que tous veulent voir)
Voici. Dieu nous a permis ce
bonheur. Je les ai prises dans la cachette, et j'ai
laissé quelques pages au fond de la boite,
que j'ai enterrée de nouveau au pied du
manguier, sur la Montagne de la
Vérité. D'autres frères
connaissent l'endroit ; ici et là, dans
la province, il en existe d'autres, et
plusieursfrères
travaillent à des copies. La parole de Dieu
n'est point liée. .. quand
même...
RAVELO
Oh ! lisons.
Voulez-vous ? Lisons !
RAFANALA (lit avec
solennité)
- « Il a été
meurtri pour nos péchés et
frappé pour nos iniquités. Le
châtiment qui nous procure la paix est
tombé sur lui, et, par ses
meurtrissures,
nous avons la guérison.
Nous étions tous errants comme des
brebis, nous
suivions chacun notre
propre chemin, et l'Éternel a fait venir
sur lui
l'iniquité de nous
tous. Il est maltraité, il est
affligé et il n'ouvre pas
la bouche, comme
un agneau mené à la boucherie,
comme nue brebis muette
devant celui qui la tond, il
n'ouvre pas la bouche ... »
(Silence. Ils prient quelques
secondes.)
RAVELO
Chantons. (Elle entonne.)
- Dieu lui-même, ô
mystère ! (2)
- Descendant sur la terre,
- À voulu se vêtir de notre
infirmité :
(À quatre voix.)
- Chétif et misérable,
- Il naît dans une étable.
..
- Nous dirons son amour pendant
l'éternité (bis)
(Tous chantent doucement ; pendant qu'ils
sont absorbés, entrent les deux sorciers,
qui se font des signes, frôlent les murs.
Tout d'un coup, Ramasy a un geste de surprise.
Juste avant le dernier mot, tous s'arrêtent.
Poses de surprise diverses.)
RAMANANA
Ah ! ah ! (Il se
met le poing devant la bouche.) Qu'est-ce donc
que vous faites ici ? (Railleur.) Au palais,
on vous voit chercher à détourner les
serviteurs de la reine ; au dehors, vous
êtes les sectateurs de la religion des
étrangers ; ici même, vous
complotez. Vous voulez sauver les autres, et vous
ne pourrez vous sauver vous-mêmes. Plus
d'espoir dans les blancs ! On les a
chassés, et vous, les rachetés, avec
quoi allez-vous vous racheter ? (Il
rit.)
RAMAHERY
Oui, qu'est-ce que vous
voulez ? Du maïs ? Mais vous semez
des haricots. C'est la mort probablement, car vous
mangez des clous. O E E. (Il se
trémousse et raconte les
événements, qui ne sont vrais qu'en
partie. Solennel.)
Le peuple est dans une grande
rumeur à votre sujet. Vous troublez la paix
publique. Le capitaine de la garde est averti.
L'ordre donné par la reine
est : « Cherchez-les
partout, et amenez-les-moi. »
Déjà, j'ai entendu le
cri :
« Tuez-les ! »
À mon avis, votre affaire est claire.
« La vie est douce. » Il est
bon de rentrer à la maison. Implorez vite.
Dites : « Sauvez-nous !
sauvez-nous» (Les chrétiens se sont
serrés les uns auprès des autres,
faisant face aux sorciers.)
TSINJOARIVO
Résidence royale près
des chutes de l'Onivé.
RAFANALA
Merci ! « Un
homme averti en vaut deux. » Vous
êtes nos amis, mais nos services sont
différents. Les dieux des ancêtres
étaient morts : le nôtre est
vivant et vivra éternellement. La reine
serait-elle plus puissante, et la garde plus
nombreuse que les fourmis, que nous ne pourrions
encore renier notre Sauveur ! Il est notre
Maître. Notre loi, c'est la Bible. Nous
suivons un chemin où nul ne droit regarder
en arrière. Si nous vous écoutons,
nous perdrons notre âme ; si nous vous
repoussons, nous perdrons la vie. Et le
Maître que nous servons nous a dit :
« Ne craignez rien de ceux qui peuvent
vous ôter la vie ... » Entre Dieu
et les hommes, le choix est fait. Notre
pensée est cassée, et vous la
connaissez. (Se tournant.) N'est-ce pas cela, mes
frères ?
LES CHRÉTIENS
(ensemble)
C'est bien cela. (Ils se
retirent.)
SCÈNE IlI
RAMAHERY
Ils sont fous, ces gens, qu'en
dis-tu ? Ils sont fous, mais ils font notre
affaire. (Il danse sur place.)
RAMANANA (comme pour se
préserver du sort, énumère ses
charmes et les montre)
Ceci empêche la grande
marmite de s'ouvrir. La mort fait toujours peur.
Ceci, c'est celui qui est, tout en n'étant
pas ; ou le place sur le chemin. ... Il faut
se méfier de ce Dieu nouveau. Il pourrait
agir. Qui sait ? Ceci, c'est le charme qui tue
tous les charmes ... Ainsi, ils n'ont qu'à
bien à se tenir, parce que ...
RAMAHERY
Eh ! dis donc, ne perds pas
ton temps. (Il se promène et s'approche
de Ramanana.) Sais-tu que, pour moi, il y a des
mois que J'en ai assez ? Ils ont affamé
la divinité,; il a même fallu que
j'achète moi-même les offrandes ces
temps derniers. Ah ! malheur !
RAMANANA
Oui, mais il faut trouver une
idée afin de faire « prendre ces
racines de manioc pour des racines de
lilas »... parce que les unes sont
douces, les autres amères. Ainsi
...
RAMAHERY
(agité)
Ah ! j'ai trouvé.
(Il réfléchit.) C'est difficile
peut-être. (Il met le poing sur la bouche.)
Écoute. Les petits sont mangés par
les gros. ... les gros se méfient des petits
et ce sont ceux qui sont entre deux qui
échappent. Comprends-tu ? Ah ! tu
ne comprends pas !
RAMANANA
Eh ! mais oui, Je
comprends. Mais ... (Il réfléchit.)
Écoute aussi. Quand on dit au maître
du troupeau qu'on lui vole ses boeufs, tu
comprends ? et qu'on le lui fait dire par
propre fils, tu comprends ? ... La reine est
le maître d'un grand troupeau, et le
conseiller, c'est propre fils.
RAMAHERY
Ah! ah superbe !
RAMANANA
Écoute encore. Il faut
aller voit ceux qui remuent la satire (faits la
marmite, car, quand on la renverse, c'est ce qui
est au fond qu'on voit d'abord ... Et les
juges ?...
RAMAHERY
Ainsi, nous serions la gloire de
l'Imierina, les soutiens du trône, les
libérateurs du pays, et ces étrangers
de malheur..
RAMANANA
Entendu, et soyons sans crainte.
Cette besogne sera menée rondement. Il faut
faire dire partout que des ennemis de la reine, des
brigands se t réunis pour inventer des
contes, des menges. Il ne faut pas trop parler,
mais laisser croire beaucoup,
RAMAHERY (saute, danse,
tourne, rit)
Ah ! leur Dieu vivant, il
ne leur a pourtant pas parlé à
l'oreille. Ils risquent d'ignorer comment nous
avons préparé leur compte. (Il
s'arrête, pose les mains sur les hanches, se
dandine, parle comme un oracle.)
- Le menge est permis - il faut
n'être pas pris.
- Tromper habilement - crée la
renommée.
- Se venger en parlant - comble le coeur de
joie.
(Il reprend, l'air naturel.)
Allons, en route !
RAMANANA
Oui, allons, fais vite,
déjà « le soleil entre dans
le mortier ». Prenons garde de le faire
se lever à l'ouest. Avertis bien les femmes
et beaucoup d'enfants. Il faut que le doux manioc
devienne le lilas amer.
RAMAHERY
Sois sans crainte. Je me charge
de passer « le charbon le plus noir sur
le manioc le plus blanc », et, je te le
demande, si c'est moi qui parle, qui pourra bien
savoir que... ?
(Les deux hommes se
méfient l'un de l'autre et prennent leurs
précautions.)
LES DEUX SORCIERS (chacun de
leur côté, à part et
ensemble)
S'il me
dénonçait ? ...
RAMANANA
(flatteur)
Quelle habileté !
... Ton plan est sans erreur. On parlera longtemps
de ton intelligence...
RAMAHERY
Tu as tout
préparé, c'est à toi qu'est
l'honneur. Ne laisse pas l'inquiétude te
manger le foie. La crainte cause plus de pertes que
tous les obstacles. On donne tout à celui
qui ose tout.
RAMANANA
Allons. (Signal du
départ.)
RAMAHERY
Allons-nous-en.
RAMANANA
Sois vivant. (Il s'incline et
recule.)
RAMAHERY
Sois vivant et sans maladie. (Il
s'incline et recule.)
RAMANANA
Deviens vieux. (Il s'incline
et recule toujours. Les voix
s'affaiblissent)
RAMAHERY
Oui, deviens vieux
(Ils sont sortis.)
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