MARTYRS
ÉPISODE DES
PERSÉCUTIONS RELIGIEUSES
sous
RANAVANOLA 1
ère REINE DE MADAGASCAR
ACTE IV
Le Jugement
PERSONNAGES :
Les mêmes que
précédemment :
- CHRÉTIENS.
- PAÏENS.
- PEUPLE.
- QUATRE JUGES.
- UN PIQUET DE SOLDATS.
- UN OFFICIER.
La place pour le jugement est la même que
celle du Kabary. Pour gagner du temps,
préparer la scène d'avance. La Reine,
le Conseiller, les Juges sont en place. La foule
est réunie.
Les soldats sont vêtus de
chemises courtes, serrées à la
taille. Il n'est pas nécessaire qu'ils aient
un uniforme. Les juges ne se distinguent du reste
de la foule que par la place qu'ils occupent.
SCÈNE PREMIÈRE
LA REINE (à son esclave au
parapluie)
Tu as vu condamner des hommes
par des hommes : aujourd'hui, il y aura Dieu
contre Dieu. Nous voulons chasser les
étrangers. (On entend du bruit à
la cantonade. Sur la scène on,
écoute.) Voix à
l'extérieur : En avant ! Faites
tourner les prisonniers. Attention. Saluez.
SCÈNE II
(Les quatre chrétiens entrent,
liés de cordes, conduits par des soldats.
Tous s'inclinent.)
Tous (en se relevant)
Vis à jamais. Ô
reine, que personne ne te trompe !
L'OFFICIER
(raide)
Les prieurs ici présents
ont été saisis hier. 0 Reine !
ils n'ont tenu aucun compte de tes ordres. Ils sont
demeurés ensemble et ont dit des choses
folles : « Digne est l'Agneau de
recevoir honneur, louange et gloire. »
Qui peut comprendre ce qu'ils veulent dire ?
Interrogés, ils n'ont pas nié. Ils
n'ont pas même essayé de fuir, et,
s'ils sont liés, c'est de crainte qu'ils
n'aient des amis dans le peuple. On dit les prieurs
plus nombreux que nous ne le pensions...
La REINE
C'est bien. Les juges feront
leur devoir, et le peuple apprendra quelle force a
la parole de Ranavalona, reine de
Madagascar.
UN JUGE (aux
chrétiens)
Vous avez entendu. Vous
êtes accusés d'avoir
méprisé les ancêtres,
dédaigné nos divinités,
méconnu l'autorité de la Reine. Vous
troublez la paix. Vos noms ?
RAFANALA
Rafanala.
RAMAZAVA
Ramazava.
RAVELO
Ravelo
RAMASY
Ramasy.
L'OFFICIER (qui craint que ce
ne soit long et qu'on ne mette trop de
formes)
O vous qui avez autorité,
souvenez-vous que ces gens ont foulé aux
pieds tout ce qui vous est sacré. Ils sont
redoutables, tels des brigands sur les routes...
LA REINE
On jugera suivant la loi. (A
part, à son esclave) Ces gens font
pourtant bonne impression.
UN JUGE
Que l'aîné des
accusés parle !
RAFANALA
Vis a jamais, ô
Reine ! et vous, chefs du peuple, devenez
vieux. La raison pour laquelle nous sommes ici,
c'est que nous avons voulu trouver le repos pour
nos âmes et devenir serviteurs du Dieu unique
et vivant. Il remplit la terre et les cieux. Les
ancêtres n'en avaient point eu connaissance,
et leur erreur (rumeur), leur erreur prouve
seulement que déjà Dieu les cherchait
les, sacrifices n'avaient d'autre valeur que de
montrer à quel point nous désirons
tous un moyen de rédemption (rumeur), les
mpisikidy trompaient le peuple (vive rumeur
trompaient le peuple par un langage habile et des
inventions curieuses Alors ...
RAMANANA (criant)
On ne le fera pas taire ?
RAFANALA
Alors, quand nous vint la grande
nouvelle, la bonne nouvelle qui fit de nous les
enfants de Dieu, grâce à Celui dont le
nom est au-dessus de tout nom ... (Vive rumeur,
agitation.)
LE PEUPLE
(crie)
Et Ranavalona, Ranavalona,
Ranavalona ! ...
RAMANANA (aux
juges)
Voilà des paroles graves.
Ces gens se condamnent eux-mêmes. Qu'on leur
impose le silence !
RAMAHERY
Oui, silence à ces
lèvres menteuses !
LA REINE (intervenant du
geste et de la voix)
Laissez parler les
accusés.
UN JUGE (à
Ramazava)
Et toi, qu'as-tu à
dire ?
RAMAZAVA
Le Dieu des chrétiens
veut être servi sans peur et sans honte, et
vous, juges, vous êtes devant Lui. Prenez
garde
UN JUGE
Quelle folie ! Alors, tu ne
prieras plus par les douze montagnes
sacrées, ni par les douze grandes idoles,
comme faisaient nos douze rois, dont Ranavalona est
l'enfant ?
RAMAZAVA
Les montagnes sont faites de
terre on de rochers, les idoles, ouvrages (le la
main de l'homme, sont de bois ou de
pierre.
UN JUGE
Le dimanche sera pour toi jour
sacré ?
RAMAZAVA
C'est le jour du Seigneur, car
il a dit : « Tu travailleras six
jours et feras toute ton oeuvre ; le
septième jouir est le jour de repos pour
l'homme, afin qu'il puisse servir
Dieu. »
UN JUGE
Alors, tu ne prieras ni par
Andriananipoïnimerina, ni par son
fils ?
RAMAZAVA
Ils sont les maîtres
à qui Dieu a donné le pays ;
nous les respectons, mais les prier, jamais. Dieu
seul peut être prié.
UN JUGE
Alors, tu ne veux pas même
prier notre reine Ranavalona ?
RAMAZAVA
Elle est reine, il faut la
servir. Elle est femme, nul ne peut la
prier.
LA REINE (essayant
d'intervenir, à un juge)
Ne pourriez-vous pas essayer de
convaincre ces insensés
RAMANANA (qui a entendu,
hypocritement)
Si tu permets, Ô
Reine ! qu'on essaie de détourner ces
malheureux, afin qu'ils puissent échapper
à la mort. Leur opiniâtreté
même fait pitié.
UN JUGE (à
Ramasy)
Toi, Masy, ne te sens-tu pas
honteuse devant cette noble assemblée et
tout le, peuple ? Ignorante, en sais-tu plus
que nous tous ? Rejette les contes des blancs.
Tu rejoindras ta famille en larmes. Toi-même,
tu pleures.
RAMASY
J'ai honte de ma faiblesse et
non de mon Sauveur.
UN JUGE
Regarde donc ton
bébé. Il a besoin de toi
encore.
RAMASY
J'ai confiance en Celui qui est
le père des orphelins.
UN JUGE
C'est donc vrai, tu ne veux pas
prier ni les ancêtres, ni les idoles, ni
notre Reine ?
RAMASY
Dieu bénisse la
Reine ! Quant aux idoles, elles sont faites de
bois à brûler. Les montagnes sont la
terre sur laquelle il faut marcher.
(Inspirée) Pour moi, semblable au vase de
terre dans lequel on cuit le riz ou conserve le
miel, Je suis saturée de choses bonnes et
douces. Voici ce que Dieu a fait pour moi.
J'étais esclave, et il a consenti à
faire de moi son enfant. Je n'aurai point d'autre
Dieu, je ne l'abandonnerai pas. Ma compagne et moi
ne voulons pas autre maître.
UN JUGE (à
Ravelo)
Tu refuserais donc aussi de
rendre hommage aux douze rois, à la Reine et
à nos idoles sacrées, de prier par le
ciel et par la terre ?
RAVELO
Moi ? Non, je ne prierai ni
les rois, ni leurs idoles. Les montagnes sont
l'oeuvre de Dieu, le ciel est son palais, et la
terre son marchepied.
UN JUGE
Tu ne jureras donc ni par ton
père, ni par ta mère ?
RAVELO
Ce qui est vrai n'a pas besoin
de serment. Le oui doit être oui, le non,
non. Celui qui dit plus dit trop.
(Gestes de
découragement des juges. La Reine, le peuple
s'agitent.)
UN JUGE
(sévèrement, à
Rafanala)
Vieillard qui entraînes
ces gens à leur perte, ne feras-tu pas un
effort pour les sauver ? On obtiendrait leur
grâce si tu pouvais répondre d'eux.
RADAMA Ier dans
son costume national.
RAFANALA (inspiré et
prophétisant)
Gloire soit rendue à Dieu
le Divin Créateur ! ... Pour moi, je
n'ai rien à demander. Si mon Roi avait
pensé que je dusse servir de sel à la
terre, Il m'aurait protégé, mais,
voici, Il m'a livré entre vos mains, et je
n'ai point de craintes. En vérité, en
vérité, je vous le dis, quel que soit
le traitement que vous puissiez nous
réserver, la prison, les souffrances ou la
mort, nous sommes plus heureux que vous. En notre
coeur demeure une paix que vous ne pouvez troubler.
(Il désigne la Reine.) Quant à toi,
ô Reine ! tes jours sont comptés,
et dans peu de temps tu viendras rejoindre ceux que
tu fais souffrir aujourd'hui. En ce jour-là,
tu te souviendras de ton injustice présente,
des iniquités que tu as permises. Le Dieu
des chrétiens est un Dieu d'amour, et
c'est aussi un juste juge. (Il se
tourne vers les chrétiens.) Et vous,
« ne craignez pas ceux qui peuvent tuer
le corps, craignez Celui qui peut jeter votre
esprit dans la
géhenne. »
(Mouvement dans la foule.
Murmures. On pleure.)
LA REINE (se lève
vivement et s'en va avec quelques personnes et son
esclave)
Ah ! si ce n'est pas un
malheur !
SCÈNE III
LE CONSEILLER, substitut de la Reine
Refuseriez-vous
réellement d'obéir aux ordres de
votre Reine ?
RAVELO
La Reine n'aura pas de meilleurs
serviteurs que les serviteurs du Rois des
rois.
LE CONSEILLER
Songez que, dans vos demeures,
ou se lamente à cause de vous. Vous
déchirez les entrailles qui vous ont
portés.
RAFANALA
Celui qui ne sait pas renoncer
à ses parents à cause de Moi n'est
pas digne de Moi, dit notre
Maître.
LE CONSEILLER
Mais les angoisses de la mort
sont terribles. Vous serez jetés hors du
tombeau de famille. Vos os iront blanchir au soleil
ou seront dévorés par les
chiens.
RAMAZAVA
O mort, où est ton
aiguillon ?
RAMASY
O sépulcre, où est
ta victoire ?
LE CONSEILLER
Donc vous vous jugez
vous-mêmes. Tournez-vous vers le peuple.
Qu'il voie, qu'il entende et soit témoin de
votre entêtement ! (Il parle au peuple.)
Voici ce que tu dois entendre, ô
peuple ! car c'est toi qui prononces, la Reine
ne prononce pas seule. Ces femmes, ces hommes se
refusent à prier nos dieux, nos
ancêtres. Ils ne sont plus des nôtres.
Ils blasphèment, ils adorent les
ancêtres des blancs. Ils ne veulent jurer ni
par le père ou la mère, ni
par le frère ou la soeur.
Ils sont plus entêtés que le bois ou
la pierre. La Reine les livre au jugement.
(Mouvement dans le
peuple.)
UNE VOIX
(crie)
Qu'on en finisse
donc !
L'OFFICIER
Les nommés Rafanala,
Ramazava, Ravelo et Ramasy, ici présents,
sont accusés de corrompre le peuple, de
mépriser les ancêtres, d'introduire
les étrangers dans le pays et de se
révolter contre la Reine.
UN DES JUGES (aux
accusés)
Qu'avez-vous à
répondre ?
RAFANALA
« Vous serez heureux
lorsqu'on vous dira des injures et que vous serez
faussement accusés à cause de
Moi. »
L'OFFICIER (aux
juges)
Sont-ils
coupables ?
LES JUGES
Oui, ils sont
coupables.
(Rumeurs dans le peuple. Les
chrétiens se regardent et
s'encouragent.)
L'OFFICIER
Les gens reconnus coupables des
crimes de corruption, de révolte et de
trahison doivent, selon la loi
édictée par la Reine et
acceptée par le peuple, être
condamnés à mort.
UN JUGE (très
ému, aux chrétiens)
Mais c'est si peu de choses
qu'on vous demande, des paroles, quelques gestes,
un serment. Ayez pitié de nous, ayez
pitié de vous-mêmes
RAVELO
Celui qui voudra sauver sa vie
la perdra ...
LES CHRÉTIENS
Celui qui la perdra la
sauvera.
L'OFFICIER
Quelle est la sentence des juges
devant les coupables ?
LES JUGES
(debout)
Qu'ils meurent !
UN JUGE (aux
chrétiens)
Au nom de la Reine et du peuple
qui règne avec elle, vous êtes
condamnés à mort, comme juste peine
de vos crimes, La sentence aura un effet
immédiat. Vous n'avez plus rien à
demander ?
L'OFFICIER
Encore ! Mais ils vont
s'échapper !
RAFANALA
Non, rien qu'un
moment..
RAMASI
pour prier et
chanter.
LE CONSEILLER (à
l'officier qui s'avance)
Laissez-les faire.
(Les juges, le peuple s'en
vont. Le peuple murmure. Les soldats entourent les
chrétiens en leur tournant le dos.)
SCÈNE IV
(À quatre voix)
LES CHRÉTIENS (sont à genoux.
Ils chantent.)
- Non, ce monde n'est pas notre patrie
(1)
- La joie est, ici-bas, trop
flétrie !
- C'est la terre des pleurs, des chutes,
des douleurs
- Elle est vraiment ailleurs, notre
patrie !
- Sans crainte, désormais, bien que
meurtrie,
- Mon âme marche en paix vers la
patrie.
- Et, parce que je suis las, une voix dit
tout bas
- « Courage, encore un pas vers
la patrie ! »
- Auprès de ton Sauveur, âme
ravie,
- Tu verras le bonheur et la patrie,
- Paix, amour, liberté, joie,
immoralité,
- Dans la sainte cité, dans la
patrie !
UNE VOIX (à la
cantonade)
Qu'on se hâte,
là-bas !
RAFANALA (debout,
bénissant)
Que l'amour de Dieu notre
Père, la grâce de Notre Seigneur
Jésus-Christ, et ...
L'OFFICIER (interrompant
brusquement. Les soldats se tournent.)
C'en est assez. (Bruit. Le
rideau tombe.)
UNE VOIX DE FEMME
Père, pardonne-leur...
Porte
d'entrée de la cour de la Case
Royale
sous
Andrianampoïnimerina ( 1810).
|