Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Les Temps Héroïques de la Croix-Bleue
Mémoires d'un Vétéran



La Croix-Bleue dans la partie catholique du Jura.



Les témoins du Jura catholique.

 

Un certain jour, je me trouvais à C., un des endroits que j'ai le plus visité ; c'était, si j'ai bonne mémoire, un lundi de Saint-Martin ; la réunion avait été particulièrement fréquentée, le monde remplissait les corridors, et les enfants du catéchisme, en sortant des vêpres, étaient venus entourer mon estrade, leur chapelet à la main, sous la conduite de leur instituteur. Quelle ne fut pas ma surprise, à la sortie de la réunion, de voir nos amis apporter sur la place les bancs de la maison d'école, et même ceux du jardin de la cure, en vue d'une photographie de cette magnifique assemblée qui ne comptait pas moins de 130 participants, 80 hommes, 30 femmes et une vingtaine d'enfants.

Pour donner une idée de la nuée de témoins que le Pays de Porrentruy a fournis à la Tempérance, je ne puis mieux faire que de reprendre cette photographie et d'indiquer bien rapidement quelques-uns de ses représentants les plus marquants, vrais monuments de la grâce de Dieu.

Voici le porte-drapeau de Fontenais, G. G., un de nos premiers buveurs relevés, devenu un des piliers du groupe. À côté de lui, M. Joseph Grillon, maire de Fregiécourt, dont j'ai déjà parlé et qui fait partie de notre Comité central. Cet homme à barbe grise est un ancien buveur de Cornol, qui ne mangeait plus de salade à cause du vinaigre qui aurait pu lui rappeler l'alcool. Voici Joseph Bregnard, de Bonfol, tenancier du café de Tempérance de cette localité. À côté de lui, Gigon, de Chevenez, tenancier lui aussi du café de Tempérance de son village.
Pour amener son monde aux réunions qui se tenaient parfois à l'autre extrémité du district, il attelait son char à échelles à deux chevaux et l'ornait de sapineaux et de guirlandes. Cet autre, aux moustaches noires, est mort comme un saint ; c'est Constant Grillon, de Cornol, le premier signataire de cette localité.
Buveur de « goutte » invétéré, que la passion avait complètement délabré, maigre, blême, la poitrine enfoncée, les épaules saillantes, accroupi sur lui-même, il ressemblait à une masure en ruines ; son estomac abîmé refusait toute nourriture ; taciturne, il restait assis dans un coin de son affreux taudis, les bras croisés, attendant la mort. Eh bien ! cet homme que tout le monde regardait comme un tas de décombres qu'il faut se hâter d'enlever pour livrer la voie publique à la circulation, ce pauvre homme ravagé, oublié et méprisé de tous, entendit un jour parler de Jésus-Christ, ami des pécheurs, guérisseur des lépreux, expiateur des péchés, créateur des vies nouvelles. « Seigneur, lui dit-il, je suis un homme qui sent mauvais, mais j'ai confiance en vous, je vous livre mon corps détruit, faites-en ce que vous voudrez. » Et savez-vous ce qu'il arriva ? Cette ruine d'homme devint un temple, ce corps pourri qui sentait mauvais se transforma en un vase d'albâtre exhalant une odeur de vie. Je le vis de près, J'appris à le connaître intimement. Jusqu'à la fin, il fut un silencieux, mais un silencieux qui traversait tout le district de Porrentruy pour assister à une réunion, tant était grande sa soif de vérité. Il allait s'asseoir à la place la plus humble, croisant les bras comme dans sa chaumière ; mais il y avait dans tout son être une telle distinction, une si grande beauté morale, que jamais je ne quittai son village sans emporter sa bénédiction.

Cet homme maigre, à tournure ascétique, est le père B., un ancien buveur de « goutte » aussi, brûlant pour la Croix-Bleue aujourd'hui ; caissier du groupe de Porrentruy, il s'occupe des collectes avec une grande fidélité. À côté de lui, voici avec un gros ruban à la boutonnière, un ancien et terrible contrebandier. Il m'a raconté que, sur les côtes du Doubs où il exerçait son métier, il lui était arrivé plus d'une fois de tirer sur les douaniers. Une certaine nuit de Sylvestre, il se trouvait non loin de la frontière, dans la cuisine d'une ferme isolée, entouré de la bande dont il était le chef. Ils buvaient ensemble leurs rasades d'eau-de-vie. Il entendit tout à coup les douze coups de minuit qu'un clocher éloigné lançait dans l'espace, signalant ainsi le passage d'une année dans une autre. Remué jusqu'au fond de sa conscience, ce chef contrebandier se leva subitement, saisit son verre d'eau-de-vie et dit : « Mes amis, je vous déclare que c'est le dernier petit verre que je boirai de ma vie. » Puis, l'ayant vidé, il le brisa sur les dalles de la cuisine. Il s'établit dans la vallée de Delémont où j'eus l'occasion de le visiter à plus d'une reprise.

Le dernier homme tout à droite est Eugène Wuillemin. facteur de Porrentruy, complètement troublé par l'alcool, il distribuait ses lettres au petit bonheur et fut mis à pied parce qu'il se trompait de boîtes et remettait à M. X. ce qui revenait à M. Y. Il prit un engagement de Tempérance qu'il tint fidèlement jusqu'à sa mort. Grâce à son amour ardent pour les buveurs, il fut nommé agent de la Croix-Bleue en pays catholique. C'est lui qui fut l'organisateur de toutes nos réunions. Sans Eug. Wuillemin, je ne sais pas ce que nous aurions fait.

Voici encore deux ou trois figures particulièrement intéressantes que je voudrais mettre en relief avec quelques détails.

C'est d'abord J.-A., de C., victime de l'eau-de-vie. Je le vois encore dans son logement délabré, maigre, blême et décharné, entouré de sa femme accablée et d'une bande de petits enfants. Il prit un engagement de trois mois qu'il tint. Au terme de ce premier trimestre, constatant les bons effets de l'abstinence, il m'écrivit une lettre dans laquelle il me demandait de le faire nommer, si possible, garde-forêts de l'arrondissement oriental du district de Porrentruy. Le brave ami se figurait, comme beaucoup d'autres, qu'étant à Berne, les portes des administrations cantonales ou fédérales m'étaient ouvertes à deux battants. Il ajoutait en post-scriptum que l'on pouvait se procurer, au prix de cinq francs, de vieilles capotes militaires à l'arsenal de Berne et me priait de lui en faire parvenir une pour affronter les intempéries lors de ses inspections en forêts.
J'allai trouver l'inspecteur forestier et lui exposai ce cas spécial, en le recommandant à sa sollicitude.
- Nommons-le, me dit-il.

J'achetai à la caserne une vieille capote, que je lui envoyai en lui annonçant le résultat de ma démarche. Il paraît que, lorsque ce trésor lui arriva, il fut tout ému ; réunissant sa famille et prenant l'attitude d'un sacrificateur, il dit aux siens :
- Je déclare qu'à partir d'aujourd'hui, plus jamais une goutte d'alcool n'entrera dans notre maison. Et il tint ferme.
J'ai vu grandir ses enfants, au nombre de treize ; ils furent élevés dans l'abstinence la plus stricte. À une certaine fête de la Saint-Martin, J. A. m'invita à son foyer, que je trouvai complètement restauré ; des meubles propres et bien entretenus ornaient la maison. Je n'ai pas besoin d'ajouter que les relations restent particulièrement cordiales entre nous. Plusieurs de ses enfants occupent des places régulières. Un jour, il m'écrivait : « Dimanche prochain aura lieu à Berne l'assemblée fédérale des ramoneurs ; mon fils aîné, qui est entré dans le métier, doit s'y rendre ; comme il court le risque de rencontrer de mauvaises compagnies, je viens vous demander de l'accompagner à l'assemblée. » Je dus lui répondre que j'avais à la même heure un culte à présider !

Ce chef de famille, qui fut un des derniers du village, est maintenant honoré et respecté de tous. J. A. et sa digne compagne me racontaient dernièrement qu'à l'occasion de leurs noces d'argent, ils avaient réuni leurs enfants et petits-enfants dans la grange, où ils avaient dressé la table de fête et qu'ils étaient trente-cinq !

Voici une autre figure.
Dans le village de F., on rencontrait parfois un homme portant de longs cheveux en désordre, une manche déchirée jusqu'au coude pendant misérablement, une savate à un pied, un sabot à l'autre ; dans cet accoutrement, et un demi-litre d'eau-de-vie dans la poche, cet homme allait camper dans la forêt avec les buveurs de la localité. Pour obtenir cette maudite boisson, il usait de toutes les ruses et des stratagèmes les plus perfides, surtout vis-à-vis de sa femme, qui détenait le porte-monnaie. Et avec cela, il était profondément malheureux, hanté par l'obsession du suicide. Il m'avoua être allé certain jour jusqu'à huit fois de suite au bord d'un étang pour s'y détruire.

Et voilà qu'un certain 15 août, je le vis à la réunion du verger de cerisiers de Fregiécourt, assis au premier banc, bien peigné, bien rasé, avec sa femme et ses enfants.
- Comment, c'est vous, B. ? lui dis-je. Qu'est-il donc arrivé ?
- Ce qui est arrivé ? L'agent Wuillemin nous a donné, il y a trois mois, une réunion de Tempérance. Dix lépreux, nous a-t-il dit, étaient venus trouver notre Seigneur Jésus-Christ. Il les guérit tous, mais, de ces dix, neuf ne tardèrent pas à reprendre la lèpre, parce qu'ils avaient quitté notre Seigneur, tandis que le dixième fut non seulement guéri, mais préservé à jamais d'un retour de l'affreuse maladie, parce qu'il resta toujours avec notre Seigneur. Quand j'entendis cela, je courus à la grange, me jetai à genoux derrière le tas de foin et je dis : « Seigneur, c'est moi qui suis ce lépreux, tout est pourri en moi, de la tête aux pieds ! Je vous demande deux choses ; c'est que, d'abord, vous me guérissiez de la lèpre et qu'ensuite vous permettiez que nous soyions toujours ensemble, pour que la lèpre ne revienne plus. » Et il m'a exaucé, me dit-il, le visage tout illuminé. Voilà trois mois que nous sommes les deux toujours ensemble !

L'année suivante, comme aumônier, je suivais les manoeuvres de son régiment près de Dombresson, au Val-de-Ruz, je me trouvais devant le front du bataillon 24, le bataillon de l'Ajoie. Un homme sortit du rang et vint me saluer, c'était A. B. « Ce matin me dit-il, alors que nous tiraillions dans la vallée, nous étions toujours les deux ensemble ! »

J'ai revu A. B. il y a quelques mois. Nous reparlâmes des événements de sa conversion. Il m'apprit ceci que j'ignorais. Peu de jours après avoir pris son engagement de tempérance, il eut une très forte tentation. Il courut dans la forêt et se jeta à genoux dans la neige, au pied d'un sapin, où il se passa entre son Sauveur et lui quelque chose de mystérieux. « En me relevant, me disait-il, le goût de la boisson me fut complètement enlevé. » Et voilà vingt-six ans que cela dure.

Et que dire de ce jeune homme, E. G. ! Sans être buveur, il fréquentait assidûment nos réunions. Il avait soif des choses de Dieu ; à une certaine fête de l'Assomption, sous les cerisiers de Fregiécourt, alors que, revenant de Belgique, je racontais ce que j'avais vu chez les mineurs du Borinage, il me prit à part après la réunion et me dit : - Tout ce que vous avez raconté m'a vivement intéressé, mais vous n'avez pas encore donné le pain dont mon âme a besoin, dites-moi encore quelque chose qui me fasse du bien.
Nous allâmes au fond du verger, avec un de ses amis, nous nous assîmes derrière la haie, et là je pus encore l'exhorter et prier avec lui.
Il s'est marié depuis avec une jeune fille pieuse. Et comme il ne voulait à la célébration de son mariage ni un prêtre, ni un pasteur, mais le président de la Croix-Bleue, c'est moi qui eus le privilège d'assister à la fondation de ce foyer qui luit dans son village comme une maison de Dieu.

Portons nos couleurs !

Il y a quelques mois, les anciens signataires de la Croix-Bleue du Pays de Porrentruy m'ayant demandé une réunion, nous nous rendîmes à la maison d'école de Fregiécourt qui était trop petite pour nous contenir tous. Combien je fus heureux de revoir ces vieux et chers amis qui avaient signé il y a vingt, vingt-cinq ans et plus ; je les retrouvais grisonnant, quelque peu vieillis, mais combien heureux !

À la sortie de la réunion, au moment où chacun remontait dans le véhicule qui devait le reconduire dans son village, je remarquai celui de la section de Porrentruy ; c'était un char à échelles orné de branches de sapin et de drapeaux ; les chevaux même avaient des rubans bleus à leurs crinières. La vue de ces rubans bleus attachés aux crinières des chevaux du Pays de Porrentruy m'humilia profondément.

Je me dis : Comment ! toi, ancien président central du Jura bernois, qui, dans ce pays, as été le témoin ému de tant de miracles accomplis par la grâce de Dieu, toi qui, aux premiers jours de la Tempérance, faisais coudre un ruban bleu à la boutonnière de tes habits, tu te laisserais dépasser par ces chevaux de l'Ajoie qui portent sur eux un coin du drapeau de la plus belle de nos oeuvres religieuses ?

En rentrant chez moi, j'assujettis notre emblème de la croix-bleue à ma boutonnière, et j'espère le porter désormais jusqu'à la fin de mes jours.
Peut-être y aura-t-il un imitateur parmi mes lecteurs !


Table des matières

 

- haut de page -