TITLE>Les Temps Héroïques de la Croix-Bleue - Mémoires d'un Vétéran - Le rayonnement de la Croix-Bleue.

Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Les Temps Héroïques de la Croix-Bleue
Mémoires d'un Vétéran



La Croix-Bleue dans la partie protestante du Jura.



Le rayonnement de la Croix-Bleue.

 

Si la Tempérance n'avait réussi qu'à relever des buveurs invétérés, condamnés à une ruine certaine, elle aurait déjà fait un travail immense, mais elle a fait davantage encore : elle a eu un rayonnement. En mettant la loi du sacrifice à la base de son activité, elle a inspiré toute espèce de dévouements, elle a eu ses oeuvres indirectes. Je voudrais n'en signaler que trois, comme simples exemples, parmi les jeunes filles, parmi les jeunes gens et parmi les hommes.

Parmi les jeunes filles.
Nous avions un groupe de jeunes abstinentes décidées, horlogères pour la plupart. Dans les ateliers où elles travaillaient, elles rendaient leur témoignage de fidélité et, lorsque les quolibets pleuvaient, elles savaient entonner un de nos beaux cantiques qui étouffait la voix des adversaires. La piété de ces jeunes filles était saine et savait se traduire en actes de dévouement, dont voici un exemple.

À quelque distance de Moutier, dans une masure couverte de bardeaux, demeurait une toute vieille femme, pauvre, abandonnée, que personne ne visitait et qui se trouvait dans le dénuement le plus complet. Un jour de paie où les ouvriers ne travaillaient pas, passant par là, j'aperçus une certaine animation autour de la vieille maison. Je m'approchai. Que vis-je ? Quatre jeunes filles avaient décidé de profiter de leur temps libre pour remettre de l'ordre dans l'affreux taudis de la vieille délaissée. L'une d'elles récurait le plancher de la chambre. Une autre blanchissait la cuisine. Une troisième assujettissait de petits rideaux blancs aux fenêtres qu'elle venait de laver. La dernière avait assis la vieille femme sur un tabouret devant la maison, et était en train de la peigner ; ce n'était pas chose facile, je vous assure. Ces jeunes servantes du Seigneur remplissaient de gloire la chaumière abandonnée.

Et les jeunes gens ne restaient pas en arrière.
Au terme d'une de mes instructions religieuses, un catéchumène m'avait déclaré à la veille de Pâques qu'il ne communierait pas le lendemain ; il ne se sentait pas prêt et préférait renvoyer cet acte à plus tard. À la vérité, je l'estimais comme l'un des meilleurs, mais je respectai pleinement sa détermination et lui conseillai, en effet, de venir me retrouver plus tard. Il attendit cinq ans. Une veille de Pâques, donc, je vis entrer chez moi un soldat revenant de son service militaire. C'était mon jeune ami, F. B., qui venait me déclarer son désir de communier le lendemain.

Il demeurait dans le petit village de P., où se trouvait une belle jeunesse décidée pour Dieu. F. B. les réunit et leur dit : - Nous autres jeunes, nous n'avons point d'endroit pour nos réunions religieuses ; si nous bâtissions nous-mêmes une petite maison ! Je m'engage pour mon compte à aller faire sauter les pierres de construction dans la carrière, le matin, avant de me rendre au travail de la fabrique. Est-ce que vous ne pourriez pas obtenir de vos parents le bois de charpente nécessaire et les chevaux pour aller chercher tout ce matériel dans la forêt ?

Le Conseil communal du village, entendant parler de cette détermination, offrit gratuitement et le terrain et le bois. Tous se mirent à l'oeuvre ; l'initiateur, dès trois heures du matin, faisait sauter les rochers de la montagne. À la fin de l'automne, la maison était construite.
Comment pourrai-je oublier la joie débordante qui, le jour de l'inauguration, remplissait le coeur des parents et des enfants ?
Voilà ce que savaient faire les jeunes d'alors.

Il y eut aussi un mouvement parmi les hommes.
À l'occasion de la semaine de prière organisée chaque année par les Unions chrétiennes de jeunes gens, au mois de novembre, j'avais été chargé d'ouvrir une de ces séries qui devait se prolonger pendant toute la semaine dans les différents villages des paroisses de Moutier et de Grandval. Le premier soir, grâce à un malentendu, nous n'étions que sept, et le sujet du programme que j'avais à traiter était celui-ci : « Le renouvellement de notre consécration. » Je leur dis : « Mes amis, de deux choses l'une : ou bien nous ne nous sommes pas encore consacrés à Dieu, et, dans ce cas, c'est le moment de le faire, ou alors, c'est chose faite, et, peut-être, y aurait-il lieu de la renouveler. » Nous nous mîmes à genoux pour la prière et nous relevâmes en nous serrant la main : nous nous étions compris ; quelque chose de profond s'était fait en nous. Il fut entendu que nous raconterions ce qui venait de se passer dans les réunions subséquentes. Soir après soir, et de village en village, ces jeunes gens rendirent leur témoignage ; à la fin de la semaine, tout un mouvement s'était opéré parmi la jeunesse de la vallée.

Je me dis alors : Et les hommes ? N'y aurait-il pas moyen de les atteindre aussi ? Sommes-nous donc condamnés à ne parler qu'aux jeunes ? J'eus alors l'idée de mettre dans la Feuille d'Avis une annonce conçue en ces termes : « Le pasteur Morel convoque tous les hommes du village à tel endroit et à telle heure, pour une communication très importante qu'il a à leur faire. »

Viendront-ils ? me demandai-je en me dirigeant vers la salle. Elle était plus que pleine. Il y avait là des hommes de toutes les classes : fonctionnaires, notaires, docteurs, aubergistes, protestants, catholiques. Très intrigués par ma convocation, ils se figuraient, à ce que j'appris plus tard, que je parlerais contre une loi qui allait être soumise à la votation populaire ; d'autres croyaient que j'allais donner ma démission. J'eus de la peine à gagner l'estrade, tellement le couloir était encombré.

Je leur dis à peu près ceci : « Ce n'est pas comme citoyen que je désire vous parler ce soir, c'est comme pasteur. Je voudrais que vous pussiez être dans ma peau pendant six semaines, vous vous rendriez compte de ma responsabilité. Comme pasteur national, je suis, en effet, votre pasteur à tous. Or, je constate avec souffrance que bien peu parmi vous s'occupent de la question religieuse, que plusieurs même ne viennent jamais à l'église. Le prophète Ezéchiel apostropha un jour les pasteurs d'Israël en leur disant : « Malheur à vous, pasteurs, parce que vous ne faites pas paître toutes les brebis de mon troupeau ! » Mes amis, je ne voudrais pas tomber sous le coup d'une pareille réprimande. Mais ce n'est pas comme pasteur seulement que je désire vous parler, c'est comme homme. Je vous ai à peu près tous vu pleurer à la maladie ou à l'enterrement de l'un des vôtres. Or, dans la souffrance, on apprend à se connaître et à s'aimer. Aussi, voudrais-je vous voir heureux comme je le suis moi-même de par mes convictions religieuses. Quand vous êtes ensemble au café, vous savez parfaitement bien tomber sur le ministre et le critiquer. Eh bien ! je vous donne, en cet instant, l'autorisation de tomber sur moi et de me critiquer à fond. Je vous assure que je ne vous en voudrai pas et ne vous garderai pas rancune ; s'il y a quelque chose dans ma manière d'agir qui doive changer, je le ferai ; mais il faut que nous nous entendions ; nous sommes ici entre hommes, ayons le courage de nous dire la vérité. J'aurais même une proposition à vous faire, c'est qu'une fois par mois, pendant l'hiver, nous nous retrouvions dans ce local pour traiter les principes constitutifs du christianisme ; je vous proposerais, par la voie du journal, un sujet que nous discuterions ensemble. Mais je ne le ferai que si vous le désirez, car je préférerais me taire plutôt que de parler aux murailles. Et maintenant, je vous donne la parole. »

Ce fut d'abord un brouhaha général, semblable à celui des assemblées municipales. Il y eut partout de petites conversations particulières. Enfin, un des principaux du village se leva et dit : « Je remercie le pasteur de ce qu'il vient de nous dire et je demande pour mon compte l'organisation de ces rendez-vous mensuels. J'espère que tous mes amis y viendront et que nous réussirons à faire rentrer tous les sectaires au sein de notre Église nationale. »

Je répondis : « Puisque M. X. demande ces réunions d'hommes mensuelles, elles sont organisées. Un avis de journal vous rappellera la prochaine. Quant au désir de voir disparaître tout ce qui n'appartient pas à l'Église nationale, vous admettrez que si, au point de vue politique, la plus grande liberté doit régner en Suisse, il doit en être de même au point de vue religieux. Soyons ce que nous devons être, comme membres de notre Église ; ce sera le meilleur moyen de travailler à l'unité de tous. »

Comme je continuais à donner la parole à tous ceux qui désiraient la prendre, un ancien militaire français, adversaire décidé de toute religion, se leva et dit : « M. le pasteur, que pensez-vous de l'Armée du Salut, ces saltimbanques qui nous viennent au son du fifre et du tambour et qui nous troublent jusque dans nos nuits ? J'aimerais avoir votre avis. - Monsieur, lui répondis-je, je n'ai jamais été réveillé par l'Armée du Salut, mais je le suis chaque année, régulièrement, par les saltimbanques du carnaval. » Il n'eut pas les rieurs de son côté.
Comme plus personne ne prenait la parole, je terminai la soirée en demandant à Dieu de bénir notre projet. Ce fut la première réunion d'hommes à Moutier.

Pour les autres rencontres de l'hiver, je proposai à la discussion des sujets d'un caractère tout général, comme celui-ci, par exemple : Napoléon et Jésus-Christ. Évidemment il se fit un triage et les assemblées furent beaucoup moins nombreuses. Il y eut cependant un petit groupe qui resta fidèle jusqu'au bout de la saison.

Au commencement de l'hiver suivant, je sentis le besoin de donner à l'entreprise une tournure nettement religieuse. Je fis venir MM. A. de Meuron et Fr. Thomas, de Genève, pour une série de réunions pour hommes seulement. La salle se remplit dès le premier jour d'une foule compacte ; ces réunions nous donnèrent de grandes joies. Le dernier soir, M. Fr. Thomas montra dans une allocution pressante que le temps était passé où tout ce qui l'entourait le dominait ; en Christ maintenant, il arrivait de plus en plus à tout dominer. Plusieurs témoignages suivirent ; je ne cite que celui de J. R., jeune homme plein de vie, qui raconta ce qui suit : « J'étais profondément malheureux, parce que j'étais assujetti à mes mauvais instincts. Un certain jour, je sortis du village et me retirai dans un champ en pleine campagne. Je me jetai à genoux et je dis : « Seigneur, tu as prouvé que tu es le Sauveur des buveurs, si tu es aussi celui des jeunes gens, montre-le moi ! » Eh bien ! ajouta-t-il, je puis vous affirmer que j'ai été entendu. Voilà deux ans et demi que je suis délivré ! »

Tous ces témoignages, on peut bien le penser, firent grande impression sur l'assemblée. Je clôturai la série par cette invitation : « Nous avons tous été abondamment bénis ces jours-ci ; pour que nos bonnes résolutions ne s'évanouissent en fumée, je propose que jeudi prochain, ceux d'entre nous qui sont décidés à rester fermes dans le Seigneur, se retrouvent ici. « Il en vint soixante. Nous eûmes entre nous une réunion mémorable. « Nous ne sommes plus ici pour des discours, mais pour des actes, leur dis-je ; il doit y avoir entre nous une grande ouverture de coeur. Si quelqu'un parmi nous a un interdit, c'est le moment de le faire sortir. » Après un instant de silence, un membre du Conseil de paroisse se leva et dit : « Il y a ici quelqu'un à qui je ne parle plus depuis trois ans ; je lui demande de me pardonner. » Puis s'approchant, il lui tendit la main dans un geste plein d'affection. Je n'ai pas besoin de dire que ce serrement de mains mit une détente dans l'assemblée qui s'ouvrit largement à la bénédiction de Dieu.
- Il me semble, leur dis-je, que nous devrions terminer notre réunion par un acte de consécration définitif. Je propose que tous ceux qui désirent vivre comme des rachetés de Jésus-Christ se lèvent en déclinant leur nom, de façon à se faire connaître de tous. Les soixante se levèrent, ce certain jeudi, dans la salle des catéchumènes du village de Moutier ! Ce sont des heures, je vous assure, qu'on ne peut oublier !


À l'ordre !

M. Wilfred Monod disait : « Un seul abstinent convaincu, bienveillant et de bonne humeur, sert parfois la cause plus efficacement que toutes les conférences et toutes les affiches ; cet unique abstinent peut devenir légendaire en son milieu ; sans prononcer une parole et en posant la main sur son verre au bon moment, il devient un gêneur très importun, un éveilleur d'esprits, un inquiéteur de consciences, un libérateur d'esclaves. Qu'on le raille ou qu'on l'admire, le but est atteint : son acte a saisi l'opinion publique. »

Il y a quarante ans nous étions tout juste tolérés au sein de la nation ; à l'heure qu'il est, nous avons pris droit de cité. Nos drapeaux, nos fanfares, nos cortèges disent avec force que nous sommes des gens établis et que l'opinion doit désormais compter avec nous. Je dirai même que nous avons créé une nouvelle opinion qui s'impose avec une autorité grandissante. Grâce à nos insignes, on a appris à rougir. Il y a des habitudes invétérées, des servitudes séculaires, des traditions déplorables qui ont reçu à tout jamais le stigmate de la réprobation publique. Un colonel d'artillerie affirmait que si nos soldats tirent beaucoup mieux aujourd'hui qu'il y a trente ans, c'est grâce à la lutte énergique entreprise par les sociétés antialcooliques.

Mais toutes ces victoires ont le danger de nous endormir. Si la conscience publique a été remuée par notre témoignage, que des abus flagrants ont été stigmatisés, que des habitudes de modération se sont infiltrées un peu partout et qu'une phalange de libérés réveillent les échos de nos vallées de leurs cantiques d'allégresse, faut-il en conclure que, l'impulsion ayant été donnée, nous pouvons nous asseoir et savourer l'ambroisie de nos fêtes.

« Tu es devenu gras, épais et replet », disait Moïse à Israël ! Ah ! périsse toute société religieuse qui, sur cette terre, ferait pareille bombance ! « Comment, vous êtes déjà rassasiés, disait saint Paul aux Corinthiens qui s'apprêtaient à prendre ces allures de rentier, déjà vous êtes riches, sans nous vous avez commencé à régner ! Et puissiez-vous régner, en effet, afin que nous aussi nous régnions avec vous ! Car Dieu a fait de nous, apôtres, les derniers des hommes, des condamnés à mort, nous sommes en spectacle au monde, aux anges et aux hommes ; nous sommes fous à cause de Christ, mais vous, vous êtes sages ; nous sommes faibles, mais vous êtes forts ; vous êtes honorés, et nous sommes méprisés, ... errant çà et là, ... injuriés, persécutés, calomniés, nous sommes devenus comme les balayures du monde et le rebut de tous. »

Ah ! nous voudrions le crier bien haut. Quand la Croix-Bleue aura cessé d'être pour le monde une société de gêneurs, c'est que nous aurons perdu quelque chose de notre saveur. Nous ne ferons du bien à nos compatriotes que dans la mesure où nous les gênerons. Le tocsin qui ne réveille plus les gens du village n'est plus bon à rien ; il faut le remplacer. Nous avons la mission de mettre en branle au sein de notre patrie la grande cloche d'alarme. Malheur à nous si notre bras faiblissait !

Quand, en temps de guerre, un chef militaire termine son rapport (cet exposé clair et vivant de la situation, de la position de l'ennemi et des dispositions à prendre), fixant la petite phalange de ses officiers debout devant lui, il leur dit : A l'ordre ! c'est-à-dire : transformez en actes immédiats ce que vous venez d'entendre, les officiers saluent, font demi-tour et courent à l'ordre.

C'est par ce terme militaire que je voudrais terminer cette première partie de mon exposé. Chers collègues dans le ministère, pasteurs et évangélistes, présidents de sections, secrétaires, membres des commissions de visites, vous tous qui, par le témoignage de votre fidélité, pouvez bâtir avec nous la muraille que Dieu cherche à élever pour opposer une digue au torrent destructeur qui nous menace de tous côtés : À l'ordre ! Équipons-nous à nouveau et recommençons la lutte dans les vallées et sur les montagnes de notre chère patrie. Nous n'avons plus de temps à perdre. Le Vainqueur est avec nous !


Table des matières

 

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