Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LE VEILLEUR SUR LA TOUR



L'INQUIÉTUDE HUMAINE (1)

Les jours vont venir, dit le Seigneur Yahvé, où j'enverrai la faim dans le pays. Non pas une faim de pain, ni une soif d'eau, mais la soif d'entendre les paroles de l'Éternel. Ils erreront d'une mer à l'autre, et du nord au levant ; ils iront çà et là, pour chercher la Parole de l'Éternel, et ils ne la trouveront point. En ce jour-là, les belles vierges et les jeunes hommes mourront de soif.
(Amos 8: 11-13.)

Un des plus nobles esprits de ce temps, James Darmesteter, a inscrit ces paroles d'Amos en tête de son beau livre sur les Prophètes d'Israël. Le malaise aperçu par le pâtre de Thékoa lui semblait identique à celui dont souffre notre génération. Quant au remède, il le cherchait justement dans ces écrits prophétiques où s'exprime d'une façon si poignante l'aspiration de l'humanité en quête de la Parole de Dieu.
Pourquoi ne pas chercher dans l'Évangile la réponse à des aspirations que l'Évangile seul, l'histoire en témoigne, a pu satisfaire ?
C'est que Darmesteter était juif. Si détaché qu'il fût de tout confessionnalisme étroit, son attachement chevaleresque à la tradition de ses pères lui interdisait de remonter au delà des prophètes, jusqu'à Celui dont ils ont préparé la venue. Il n'en a pas moins donné sa formule à cette renaissance idéaliste dont on parlait beaucoup il y a une dizaine d'années. Et aujourd'hui même, où le salut paraît s'éloigner de nous, l'aspiration n'est que plus ardente à laquelle nous avions dû ce commencement de renaissance. Après de longs jours de pluie, les nuées s'étaient écartées pour laisser filtrer au couchant un rayon de soleil. On se disait : « C'est le beau qui revient. » Mais les gens qui étaient versés dans l'observation des signes des temps savaient bien que ce n'était pas ainsi. « Il fait encore trop lourd, disaient-ils ; il y a de l'orage dans l'air ; ces souffles plus purs qui ont passé sur nous étaient trop tièdes et trop parfumés : ce n'était pas encore l'âpre brise qui devait chasser les nuages et nous rendre le ciel bleu. Il faudra qu'il pleuve encore longtemps. » En effet, les nuages se sont reformés et les espérances des idéalistes ne se sont pas réalisées. Il semble que le salut soit plus éloigné que jamais. Point de renaissance spiritualiste, point de renaissance chrétienne ; mais du néant et de la nuit. « Les jours vont venir, où j'enverrai la faim dans le pays. »

Le monde contemporain n'est pas satisfait de ses conquêtes : il est triste, triste infiniment.
La raison de cette tristesse est très simple. Lé monde a expulsé Dieu.

Il y a dans l'oeuvre folle de Nietzsche une page superbe et poignante. Quand le Sage idéal dont il trace le portrait descend vers les villes des hommes pour leur apporter son nouvel Évangile, il rencontre dans les bois un vieil ermite.
« Que fait le saint dans la forêt demande-t-il ? Et l'ermite lui dit :
- Avec des chants et des pleurs, des rires et des murmures, je loue Dieu, qui est mon Dieu.

Sur quoi le Sage s'éloigne en disant :
- Serait-il possible ? Ce vieux saint, dans sa forêt, ne sait pas encore que Dieu est mort. »

Dieu est mort ! parole effroyable, qu'aucun siècle encore n'avait prononcée ! Il était réservé au siècle qui vient de mourir de la faire entendre. Dieu est mort. Quel blasphème, dites-vous, et quelle folie ! Mais regardez donc autour de vous. Dans ce monde qui vous environne, où est Dieu ?

Jadis, sur le Sinaï environné de nuages, dans le fracas du tonnerre, à la lueur des éclairs Dieu faisait entendre sa Loi à un peuple prosterné : « Écoute, Israël ! je suis Yahvé, ton Dieu, qui t'ai retiré d'Égypte. » Israël était le peuple de Yahvé ; Yahvé était le Dieu d'Israël. Dans ce peuple, tout lui était consacré ; donc tout lui appartenait : les hommes, et aussi, comme on l'a dit, leurs pensées, leurs oeuvres, leurs outils de labourage et leur postérité.

Dans la cité antique, les devoirs religieux se confondaient avec les devoirs envers l'État. Entre la religion et le patriotisme, il y avait un lien indissoluble.
De nos jours, la loi a perdu son caractère sacré ; et, si ceux qui gouvernent les peuples se disent encore quelquefois souverains « par la grâce de Dieu », il y a là un archaïsme qui perd chaque année un peu de sa signification.

Les États modernes, qui sont nés et ont grandi sous la protection de l'Eglise, ont longtemps mis leur glaive au service de ses querelles. Peu à peu, cependant, la séparation s'est opérée entre le temporel et le spirituel ; et, sans doute, la liberté de conscience y a trouvé son compte. Mais l'usage était resté d'invoquer Dieu aux grandes dates de la vie des peuples, et d'appeler son aide sur les entreprises de la nation. Or, cet usage, qui était légitime et touchant, tend à disparaître dans les autres pays ; et chez nous, dans ce pays de France qui, au temps de saint Louis et de Jeanne d'Arc, accomplissait si fièrement par le monde les gestes de Dieu, il a disparu.

Il y a plus : bien loin que toutes choses soient pénétrées par le sentiment religieux, les hommes de notre temps conçoivent la possibilité d'une existence intégrale où le sentiment religieux ne tiendrait aucune place, si ce n'est toutefois sous cette triple forme de la science, de la morale et de l'art par où, suivant le mot souvent cité de Renan, Dieu n'étant pas, il se crée.

Sombres jours que ces jours d'éclatante civilisation ! On dirait que les puissances d'En Haut sont liées, que le travail de quarante siècles est détruit, que la science a tué la religion dans les âmes. Un des maîtres dont se glorifie à juste titre la pédagogie moderne, Paul Bert, n'a-t-il pas écrit : « Les cieux ne racontent plus la gloire du Dieu fort : ils racontent la gloire de Newton et de Laplace ! » Ainsi, aux yeux de l'homme, l'homme a remplacé Dieu : l'humanité se divinise sur les ruines de ses cultes abolis.

En face de cette révolution, il est des gens qui s'attristent. Nous comprenons leur tristesse, sans pouvoir cependant la faire nôtre. Laissons-les à leurs regrets. Les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées. Si telle est sa volonté, qu'elle s'accomplisse !
Après tout, il est bon peut-être que, dans toute la vie sociale, il soit fait table rase de la religion. Il est bon que tout enseignement à base déiste soit officiellement banni de nos écoles, et que la morale apparaisse dépouillée de ses sanctions divines. Il est bon que nos magistrats ne se réunissent plus pour demander la bénédiction de Dieu sur leurs travaux, et qu'ils ne voient plus l'image sanglante du Crucifié se dresser devant eux pour les prémunir contre les égarements de la passion et contre les suggestions viles de l'ambition et de l'intérêt. Il est bon qu'à leur chevet, les malades de nos hospices ne voient plus de ces sourires qui, sur les tristesses de la terre, mettaient un reflet de la joie du ciel, et qu'ils n'entendent plus de ces paroles qui, dans l'angoisse suprême, leur montraient la maison du Père, ouverte pour les accueillir. Il est bon que, dans les oeuvres colossales de leur génie, les hommes ne trouvent que des occasions de s'exalter eux-mêmes, et que ces monuments fragiles dont s'enorgueillissait, il y a deux ans, notre capitale, et qui auraient pu être les cathédrales de la pensée et de l'art, n'en aient été que les Babels. Il est bon que Dieu soit mis hors de tout et que dans toute notre vie sociale il soit fait table rase de la religion, si, à ce prix, la faim et la soif de la Parole de Dieu s'éveillent dans les âmes aujourd'hui indifférentes et veules.

Ne fallait-il pas que l'Enfant Prodigue eût faim sur la terre étrangère, pour qu'il se résolût à retourner vers la maison du Père ? De même aussi, il faut sans doute que l'humanité moderne, libérée des religions d'État et de leur formalisme inévitable, apprenne ce que c'est d'être sans Dieu et sans espérance dans le monde, pour qu'elle reprenne sa route et qu'elle cherche d'un bout à l'autre de la terre la Parole de Dieu.

Que la religion, chassée de la vie sociale, se réfugie à l'intérieur des consciences, qu'on ferme nos temples, qu'on dissolve nos sociétés religieuses, on ne fera qu'accomplir le mystérieux programme de la prophétie : « Les jours vont venir, dit le Seigneur, où j'enverrai la faim et la soif dans le pays. Non pas une faim de pain ni une soif d'eau, mais la soif d'entendre les paroles de l'Éternel. Ils erreront d'une mer à l'autre, cherchant la Parole de l'Éternel, et ils ne la trouveront point ».

Rien n'est effroyable et grandiose à la fois comme un silence de Dieu. Un tel silence avait précédé la venue du Christ. Pendant près de quatre siècles, la parole des prophètes s'était tue. Vainement le monde païen cherchait, soit dans la souillure de ses orgies, soit dans l'imaginaire purification de ses mystères, l'apaisement de l'inquiétude qui tourmentait son coeur. Vainement, le sang des taureaux et des béliers coulait sans interruption sur les autels d'or de Jérusalem. Dieu se taisait. Soudain, au milieu de ce silence, a retenti le chant des anges, annonçant à la terre la venue de son Libérateur.

Ainsi en sera-t-il de notre temps. L'attente poignante, douloureuse, angoissée du salut, qui caractérisa ces siècles de silence, a reparu. Un malaise s'est emparé des hommes. Parmi les triomphes mêmes de leur industrie, la nostalgie de l'infini les a ressaisis. Rien de ce qu'ils font ne les peut satisfaire ; et ce qu'il y a de plus remarquable, ce ne sont point les oeuvres qu'ils accomplissent, ce sont celles qu'ils voudraient accomplir. Dans l'art moderne se traduit partout la même aspiration, toujours inapaisée, vers un idéal trop grand pour être saisi et fixé en des formules claires. La réalité est constamment dépassée par le Rêve, et il importe moins à l'artiste de reproduire fidèlement la réalité, que d'ébaucher le rêve. C'est la lutte de la Chimère et du Sphinx. C'est là, dans la poursuite du rêve insaisissable, que s'acharne la poésie d'un Verlaine ou la sculpture d'un Rodin (2).

Et si Wagner est le musicien qui répond le mieux aux aspirations de ce temps, celui qui sait, nous parler un langage qui émeut notre âme jusqu'en ses dernières profondeurs, n'est-ce pas justement parce qu'il s'efforce d'étreindre l'Infini et de matérialiser l'ineffable ? Cette aspiration tour à tour triomphante et désespérée vers la Beauté et vers Marmonie, ce désir éternellement inassouvi de l'Infini, cet effort pour traduire en langage d'humanité ce qui nous dépasse et nous dépassera éternellement, c'est bien ce qui donne à l'oeuvre de nos artistes modernes son caractère de beauté. C'est aussi ce qui en fait l'imperfection, la recherche de l'Infini ne se conciliant point avec cet achèvement de la forme qui caractérisait les oeuvres antiques.
C'est que les hommes frissonnent de se sentir seuls, perdus dans l'espace sans bornes. Ils voudraient arracher au mystère l'axiome explicatif de l'univers, et leurs entreprises, même les moins religieuses, portent la marque de cette sublime inquiétude. Étrange obsession, qui se manifeste dans les âmes les plus révoltées, comme un travail de Dieu, comme une espérance de vie.
C'est pourquoi aussi ils s'en vont d'une mer à l'autre, cherchant la Parole de l'Éternel. On voit quantité de gens dont la vie semble être en état d'équilibre instable. Ils ne se peuvent fixer nulle part. Ils délaissent leurs foyers pour « tuer le temps », s'étourdir, dissiper l'ennui de leurs âmes : ils voyagent, mais le mal est en eux, et ils le promènent d'une mer à l'autre sans pouvoir le guérir. Ce qu'il leur faudrait, à ces inquiets, ce serait une parole de l'Éternel.

On voit d'autres âmes qui s'en vont furetant de droite et de gauche, tirant de l'oubli et de la poussière les débris des vieilles religions, cherchant à les agencer ensemble, et à reconstituer ainsi des religions nouvelles qui les satisfassent. Elles cherchent, mais elles ne trouvent pas la Parole de l'Éternel.
Et particulièrement, comme au temps du vieux prophète, ce sont les jeunes gens et les jeunes filles qui meurent de soif. Oh ! cet avenir aux perspectives raccourcies, cet utilitarisme stupide des modernes qui ramène tout aux questions d'intérêt et d'amour-propre, pour qui il n'est question que de bien vivre sur la terre, et d'y faire fortune, ou, quand on est déjà riche, d'y tenir son rang ! Cet utilitarisme qui, partout où le coeur devrait régner, lui substitue ce qu'il appelle la raison, et qui s'appelle en réalité le calcul ! Et, pour le dire d'un mot, cette conception matérialiste de la vie qui a pris possession de tant d'âmes, parmi celles-là mêmes qui se disent chrétiennes.

Les triomphes de la science peuvent élargir à ce point les perspectives humaines, qu'on perde momentanément de vue l'insuffisance d'un but qui serait purement terrestre. Pourtant, le détachement profond de l'existence vient apporter aux thuriféraires du scientisme de constants démentis. L'optimisme officiel peut exalter les victoires de l'intelligence. Il n'est pas en son pouvoir de donner aux hommes des raisons de vivre. Oh ! une parole, une seule parole de vie ! Pour elle, les hommes de notre temps donneraient l'océan de vaines redites par lesquelles des rhéteurs sans âme prétendent tromper en eux la soif du divin.

Sans doute faut-il encore attendre que le malaise des privilégiés soit devenu le mal de tous.

L'apôtre du matérialisme moderne, Karl Marx, a prétendu que la question sociale, c'était la question du ventre. Il calomniait l'humanité. Comme le prédit cet admirable Jaurès, c'est quand la faim du pain aura cessé de torturer les entrailles de la multitude qu'elle sentira s'éveiller en elle la faim inextinguible de la Parole de Dieu. Les insensés, qui s'imaginaient exorciser la chimère religieuse et faire crouler les Églises en conviant les travailleurs au banquet de la vie ! Affranchissez d'abord les hommes des misères physiques, qui les empêchent de penser. Ensuite, ils chercheront la Parole de l'Éternel.

Vous êtes des représentants de l'idée chrétienne affranchie des superstitions, libérée de l'autorité extérieure. Vous êtes peu nombreux, mais vous représentez la plus grande force morale, puisque vous représentez le Christ.

Au moyen âge, les Églises s'ouvraient dans les temps d'épreuve, pour distribuer le pain aux foules affamées. Serez-vous prêts, le jour où notre peuple viendra nous réclamer le pain de vie et l'eau qui désaltère pour l'éternité ? Serez-vous prêts à parler selon votre foi et à accomplir les sacrifices nécessaires ? Serez-vous consacrés, pleinement consacrés au service du Roi des cieux et de la terre ? Aurez-vous fait le sacrifice de tout préjugé traditionnel, de tout orgueil de caste ?
L'avenir vous réserve une belle tâche. Un jour, Dieu enverra une manifestation d'Esprit et de puissance pareille à celles qui, au temps d'un François d'Assise, d'un Luther, d'un Wesley, ont bouleversé l'Eglise.

En cette veillée des armes qui précède la Pentecôte, recueillons-nous dans l'attente de l'appel prochain qui conviera aux luttes suprêmes les disciples du Rédempteur.
Conscients de notre faiblesse, sachant que tout salut vient d'En-Haut, comprenant que si Dieu parle, on peut tout espérer, unissons-nous pour répéter l'ardente supplication du prophète : « Oh ! si tu ouvrais les cieux, et si tu descendais ! »


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(1) Allocution prononcée à la Fête de la jeunesse, à Lyon (1902).

(2) Il serait facile de mettre ici d'autres noms, aujourd'hui.

 

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