Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SANS DIEU DANS LE MONDE

Épisode de la vie du peuple Slovaque




IV

Ce fut un beau jour pour Martin ; de sa vie entière il ne se souvenait pas d'avoir joui d'un tel bonheur ; il emprunta au fossoyeur une petite charrette et se mit à la recherche de Joseph ; la mère de celui-ci lui avait laissé en mourant un petit mobilier ; plusieurs choses : un bahut plein de linge, une grosse couverture, un banc, une table et une chaise de paille furent vendus par la commune et sur le produit de cette vente, après avoir acquitté les frais des obsèques, il resta à l'enfant une somme de dix francs ; cela lui serait d'un grand secours, pensait-on, pour payer ses frais d'apprentissage.

Les femmes se réunirent près de la maison d'Huda ; plusieurs riaient à gorge déployée en voyant passer Martin avec sa charrette, mais d'autres le plaignaient : « Les pauvres enfants ! qui se ressemble, s'assemble. Ce sont des compagnons de souffrance. »

Celles-ci placèrent sur la charrette un petit coffre contenant le linge et les vêtements de l'enfant, et elles formèrent un paquet avec une petite couverture et deux oreilles ; puis elles chargèrent toutes sortes de chiffons et de vivres, pommes de terre, légumes, oignons, et le peu que la pauvre Anna avait laissé. Les garçons s'attelèrent à la charrette et quittèrent joyeusement le village « Obéis bien à ton petit père », criait-on encore ironiquement aux enfants lorsqu'ils s'éloignaient.

Ceux-ci ne se dirent rien jusqu'à leur arrivée sur le seuil de la cabane ; ils se regardèrent alors et Joseph commença à pleurer et Martin fit de même.
« Ne pleure pas, Joseph », disait Martin en essayant de consoler son jeune protégé. « Moi aussi je suis un orphelin comme toi, mais depuis que je sais que Dieu a tellement aimé le monde qu'il a laissé clouer son Fils sur la croix, et aussi que le Seigneur Jésus me voit toujours, depuis lors je ne me sens plus aussi seul dans le monde. Toi aussi, tu ne dois rien craindre, tu verras que tout ira bien et que nous nous aimerons beaucoup ».

Joseph cessa de pleurer ; tous deux déchargèrent le chariot et le ramenèrent chez le fossoyeur. Celui-ci leur offrit, en grand mystère, en cachette de sa femme, un gros morceau de pain, et celle-ci, en trichant que son mari ne s'en aperçoive pas, donna à Joseph un petit fromage. Peu après, en chemin, ils firent leur petit repas de midi ; lorsqu'ils furent de retour chez eux, Martin fit le lit ; de sa vie il n'avait encore couché dans un lit de plumes ; ordinairement, il s'étendait sur la paille en s'enveloppant d'un vieux manteau ; mais maintenant il serait vraiment couché ! Joseph ouvrit le petit coffre ; les voisines lui avaient laissé, de la succession de sa mère, un drap de lit et une nappe : tout cela fut utilisé.

« Ici, nous placerons les livres », dit Joseph.
- Oui, les livres seraient parfaitement bien dans ce coin, mais je n'en ai aucun. Pourquoi en aurais-je puisque je ne sais pas lire ? » dit Martin tout triste. « C'est ce qui m'a poussé à te prendre avec moi, continua-t-il, parce que je veux t'éviter d'aller en service, où tu oublierais vite ce que l'on t'a enseigné à l'école, tandis qu'ici, tu pourras continuer à fréquenter l'école ; tu sauras alors lire ce qui est écrit de Dieu dans les livres et tu sauras comment le Fils de Dieu est mort pour nous et comment il reviendra.
- Mais je sais déjà lire », affirma Joseph, en s'étonnant qu'un grand garçon comme Martin ne le sût pas encore. « Lorsque ma petite mère était malade, je lui lisais justement comment le Seigneur Jésus est ressuscité et sorti vivant du tombeau. Nous ne manquons pas de livres. »

Joseph chercha parmi ses effets et en tira un paquet ; il le défit et en étala le contenu sur la table ; ce fut d'abord un alphabet, puis un livre de lecture, le catéchisme, l'histoire biblique encore toute neuve, dernier présent de sa mère ; puis un gros psautier, un livre. de prières intitulé Sources de la vie, un vieux volume de sermons hérité de son grand-père, enfin un gros livre soigneusement recouvert.
« Ceci est la Sainte Écriture, la Bible, expliqua-t-il à Martin étonné.
- Et il s'y trouve tout ce qui est écrit de Dieu
- Oui tout, et rien que sur Dieu, depuis le commencement du monde, lorsqu'il créa la terre en six jours ; mais cela est aussi dans mon histoire biblique qui est illustrée. »

Les garçons se mirent à regarder ces gravures ; Joseph expliquait comment Dieu créa le monde et les hommes, comment le serpent séduisit Adam et Eve lorsqu'ils habitaient le paradis si beau ; comment Eve tomba dans le péché en désobéissant et en mangeant le fruit de l'arbre défendu.
Eve entraîna Adam ; ils péchèrent tous deux et le Seigneur Dieu les chassa du paradis, racontait-il toujours ; ils eurent deux fils, Caïn et Abel ; Caïn était méchant et Abel était bon et Caïn tua Abel.
Martin ne se serait jamais lassé d'entendre tout cela.
« Et on vous a raconté tout cela à l'école a demanda-t-il.
- Nous apprenions un peu de cela à l'école, et ma mère m'a de bonne heure raconté le reste ; maintenant je puis le lire moi-même. »
Joseph commença à lire et quoiqu'il n'eût que huit ans, il s'en tira fort bien ; Martin suivait des yeux ; il s'apercevait maintenant du tort que lui avaient causé ses protecteurs en ne l'envoyant pas à l'école ; maintenant il saurait lire et profiter du saint livre. Combien il se réjouissait d'avoir maintenant un tel livre dans la maison ; il possédait enfin la Parole de Dieu et avait même quelqu'un pour la lui lire ; par suite d'une vieille habitude, Martin gardait son chapeau sur la tête, mais, à peine Joseph avait-il lu le titre ; La Sainte Écriture, qu'il le retira de lui-même, et depuis ce jour, il ne resta plus couvert lorsqu'il pénétrait dans la pièce où se trouvait le saint volume ; sa protectrice lui avait appris à se découvrir devant les gens du Inonde et les autorités ; mais il jugeait que, plus qu'aux hommes de la, terre, il convenait de rendre honneur au livre de Dieu.



V

Pendant les quatre premiers jours de son installation avec Joseph, Martin n'avait pu manger à sa faim, car les femmes du village n'avaient en rien voulu augmenter leur contribution qui devait désormais suffire pour deux ; les garçons s'étaient décidés à emporter de chez eux quelques pommes de terre avec du sel ; Martin partageait le tout en deux parts, dont il gardait la plus petite qui suffisait pour lui et pour son chien fidèle. Pendant qu'il surveillait le bétail, Joseph ramassait des mûres, mais Martin n'en acceptait pas sa part : « Joseph n'en aura pas trop pour lui au retour, pensait-il, car il aura faim. »

Les paysannes n'osèrent pas tenir rigueur aux enfants plus longtemps, lorsqu'elles virent combien ils rentraient ensemble joyeusement du pâturage, chargés de paquets de jonc, et combien ils se regardaient et causaient amicalement l'un avec l'autre. Ce spectacle touchant réjouit ces femmes qui, dès lors, à l'exception de quelques avares endurcies, augmentèrent quelque peu leur contribution de légumes et de soupe.
« Nous ne manquons nous-mêmes de rien, disait la femme du garde-champêtre, et nous ne devons pas laisser ces enfants souffrir de la faim. »

C'était à tort qu'on les appelait « les pauvres », car personne dans le village n'était plus heureux qu'eux. Chaque matin, Martin éveillait tout joyeux son camarade ; ils se débarbouillaient dans le ruisseau voisin, se peignaient et procédaient soigneusement à leur toilette. Joseph prononçait la prière « Notre Père » et Martin la répétait à voix basse ; ils se chargeaient d'un petit bagage composé de l'alphabet, de l'histoire biblique, du couteau de poche et de la ficelle pour bien lier les joncs. Martin prenait le cor, Joseph lâchait Fidèle et - vive la joie ! - tous trois parcouraient gaiement le village et se dirigeaient ensuite avec le troupeau vers la forêt.

Lorsque Martin avait installé le bétail, tous trois s'asseyaient et attaquaient ce que les paysannes avaient bien voulu leur donner pour déjeuner ; Joseph lisait un passage de l'histoire biblique et indiquait à Martin la lettre de l'alphabet qu'il devait étudier ; lui-même allait surveiller le bétail ou couper les joncs pour les corbeilles et les balais ; lorsqu'il en avait assez, Martin prouvait déjà comprendre les lettres et les reconnaître ; Joseph s'émerveillait souvent de ses progrès. Martin disait parfois : « J'ai toujours pensé que la lecture était une chose très difficile, mais cela me paraît être un jeu. Que le Seigneur Dieu bénisse les gens intelligents qui ont inventé l'alphabet ; on aurait de la peine à l'apprendre, mais puisqu'ils ont peint une image sur chaque lettre, il faudrait être bien sot pour ne pas faire du progrès. Quand j'ai vu tout cela seulement trois fois, je le sais déjà ; cela me sert à la fois pour apprendre à lire et à écrire, et, à vrai dire, je pourrai peut-être apprendre bientôt à écrire. » Joseph possédait justement une ardoise ébréchée et un morceau de crayon qu'ils prirent désormais avec eux, et Martin apprit aussi à écrire.

Lorsqu'il s'asseyait paisiblement devant l'abécédaire ou devant l'ardoise, en réfléchissant à la joie qu'il aurait, l'hiver suivant, de pouvoir lire la Sainte Écriture, il levait les yeux au ciel en priant : « Je ne me suis jamais en vain adressé à toi, Seigneur Jésus, je désirais tant apprendre à lire, et tu. m'as envoyé un enfant si intelligent et qui m'enseigne ; je t'en suis bien reconnaissant. »

Lorsque Joseph avait coupé assez de joncs, ce qu'il faisait bien volontiers, et les avait apportés à Martin, tous deux les nettoyaient et les liaient en paquet ; en outre, Martin apprenait à son camarade à distinguer les bonnes plantes des mauvaises. « Apprends. lui disait-il, quelles sont les plantes qui sont utiles aux hommes et aux animaux et celles qui leur sont nuisibles ; tu es appelé à paître toi-même le bétail ; tout cela te servira. »

Un jour, Joseph revint brisé de fatigue ; il avait trouvé des quantités de mûres, et il n'eut aucun repos jusqu'à ce qu'il eut obtenu de Martin l'autorisation d'emporter le jour suivant une corbeille de la maison, et de la remplir de mûres qu'il vendrait au garde-champêtre. Celui-ci, qui avait bien connu sa mère, s'informa de ce qu'il faisait maintenant ; if lui paya largement sa récolte et plaça dans la corbeille différents menus cadeaux pour les enfants ; ensuite il demanda à Joseph de lui apporter du village sa provision de viande les mercredis et samedis en lui promettant chaque fois trois sous pour sa commission. Tout joyeux, l'enfant retourna chez lui.

Dès ce jour, Joseph seconda souvent le garde-champêtre pour ses courses, notamment en allant à la poste lui chercher ses lettres ; il avait même entendu les femmes du village se plaindre d'attendre si longtemps, par suite de la négligence du facteur, une lettre soit de leur mari, soit de leur fils, qui restait souvent près d'une semaine en dépôt à la poste; le garde-champêtre l'encouragea dans son dessein de s'offrir pour ces commissions, et lorsque les voisines eurent connaissance de son désir, elles l'employèrent souvent pour s'épargner des courses fatigantes. Cela procura à Joseph toutes sortes de profits, et Martin n'eut plus à partager avec lui son maigre repas ; mieux encore, il pouvait penser à faire quelques économies pour l'hiver. Une ménagère lui donna des oeufs, une autre des Pommes de terre et des betteraves, une troisième quelques légumes ; plus que cela, on leur permit de ramasser les fruits tombés des pommiers et des poiriers, nombreux sur la montagne Les garçons appréciaient tous ces dons et les serrèrent soigneusement en vue de l'hiver ; ils savaient bien que, pendant cette rigoureuse saison, lorsque les champs sont désolés, la famine guette les pauvres gens.



VI

Le dimanche suivant, Joseph fut vivement contrarié de ce que Martin ne voulut pas le prendre à la forêt ; mais celui-ci, avait ses raisons pour se priver de sa compagnie : « Toi, tu sais lire, tu comprends tout et tu ne voudrais pas aller à l'église ? Vas-y donc, et fais bien attention à ce que le pasteur aura prêché, afin de pouvoir me le répéter à ton retour. »
À vrai dire, Joseph n'avait pas retenu grand chose de la prédication entendue, mais on avait chanté un cantique qu'il connaissait et il le chanta de nouveau devant Martin, qui se le fit répéter jusqu'à ce qu'il l'eût complètement retenu.

Tous les cantiques lui plaisaient. mais surtout celui-ci qu'il chantait constamment lorsqu'il se trouvait seul :

Où, cher Sauveur, demeures-tu ?
Où te trouverai-je, toi et ta douce paix ?
Envoie sur moi ton rayon, pure lumière,
Car je ne puis vivre sans toi, le plus précieux des biens,
Je ne cesserai de te chercher jusqu'à ce que je t'aie trouvé,Jour et nuit je m'élève à toi ;
Révèle-toi, ô Jésus, à ton enfant attristé,
Console-moi et purifie-moi de mes péchés !


« Celui qui a autrefois composé cette poésie, pensa Martin, ne savait pas grand chose de plus que moi à ton sujet, ô Seigneur Jésus. »
Lorsque les garçons rentraient des champs le soir, ils allumaient la petite lampe, héritage de la mère de Joseph, et chaque samedi. ils se munissaient d'huile à cet effet ; Joseph devait souvent lire et relire le récit des souffrances et de la mort du Seigneur Jésus ; il désirait souvent lire d'autres chapitres, mais Martin ne le permettait pas.
« En hiver, nous parcourrons tout le Nouveau Testament et aussi un peu l'Ancien, mais maintenant nous ne devons lire, jusqu'à ce que nous le sachions par coeur, que le récit des souffrances du Seigneur Jésus, afin que nous ne l'oubliions jamais et que nous le repassions dans notre coeur. »

Joseph dut lire ces chapitres encore longtemps, jusqu'à ce qu'ils fussent gravés dans la cour de Martin. Il ne manque pas d'enfants et aussi d'adultes qui ne pensent jamais aux souffrances que le Seigneur a endurées pour eux ; Martin, par contre, méditait sur cette lecture et, lorsqu'il était seul, il ne pensait pas à autre chose.

Un dimanche, il rentra de la forêt plus tard que d'habitude ; il faisait déjà sombre, et la lune commençait à se montrer lorsqu'il poussa son troupeau sur le chemin du retour. Tout à coup, il lui sembla distinguer sur le sol un homme étendu, les mains jointes sur la tête, et il crut entendre en même temps un gémissement douloureux, comme une plainte prolongée. Il s'effraya tout d'abord, puis il s'approcha, et s'aperçut que tout cela n'était qu'un tronc d'arbre couché sur le sol ; la lune brillait déjà et les arbres de la forêt gémissaient. Martin s'arrêta un moment et se plongea dans ses pensées : « C'est ainsi que le Fils de Dieu soupire, pleure et prie, en répandant pour moi sa sueur de sang. » Ah ! quelle angoisse s'emparait du coeur de Martin lorsqu'il réfléchissait à ces choses en pleurant tout le long du chemin, il formait un voeu : « Si je pouvais aller bientôt vers Dieu et vers le Seigneur Jésus, je tomberais à genoux devant lui et je le remercierais de tout ce qu'il a fait pour moi. »
Ce soir-là et d'autres fois encore, les voisines remarquèrent combien Martin était sérieux et silencieux ; elles le raillèrent : « Il se prend pour le père d'un si grand garçon. »

Martin ne répliqua rien à ces paroles.
« Le Fils de Dieu n'ouvrit pas la bouche lorsqu'on le couvrit d'injures, et il n'empêcha pas les gens de le frapper. » Il ne riait pas aux moqueries dont il était l'objet, ni surtout lorsqu'il entendait les villageois jurer effroyablement sur leur âme, en y mêlant le saint nom de Dieu ; il s'enfuyait plutôt, s'il le pouvait. « Certainement Dieu et le Seigneur Jésus les entendent de là-haut, car si Dieu est partout et voit tout, il entend aussi tout, pensait Martin ; nous devons nous efforcer de marcher sur le droit chemin, comme l'a fait son cher Fils lorsqu'il était sur la terre. » Martin commençait à s'apercevoir combien les hommes pensaient peu à leur Dieu et vivaient comme s'il n'existait pas.

L'automne enfin tira à sa fin ; le bétail fut relégué dans les étables ; on vêtit de neuf les jeunes bergers en leur répétant encore, lorsqu'ils eurent revêtu de superbes vêtements, pantalons, chemises, vestes, souliers et même manteaux, qu'ils pouvaient maintenant se marier. Mais Martin, - ah ! comme cela fit rire dans le village, - Marin accompagnait Joseph à l'école et prenait place parmi les tout petits écoliers. L'instituteur n'avait tout d'abord pas voulu le recevoir, car il craignait que les enfants se moquent de lui ; mais quand il l'eût interrogé et constaté combien il était déjà avancé en lecture et écriture, il l'autorisa à suivre la classe. Il avoua plus tard qu'il n'avait jamais eu d'écolier si appliqué. Martin ne faisait guère attention aux moqueries des enfants qui le poursuivaient sur la route aux cris de « stupide, stupide ! », et qui, en hiver, l'assaillaient de boules de neige. Il faisait comme s'il n'entendait rien ; vêtu d'un habit usé, il s'asseyait silencieusement au dernier rang. Plus tard, le maître lui donna une place plus flatteuse, et l'hiver n'était pas écoulé qu'il était classé parmi les élèves plus avancés, pouvant apprendre par coeur le catéchisme, les cantiques et l'histoire biblique.

Si tous les élèves avaient ressemblé à Martin, cela aurait été une vraie joie d'être leur instituteur. « Pendant que vous vous querellez et flânez, lui étudie sa leçon », disait souvent le professeur ; aussi s'attacha-t-il à Martin, parce que celui-ci était plein d'ordre et de prévenances. Il arrivait à l'avance avec Joseph, et lorsque l'école n'était pas balayée, il s'acquittait lui-même de ce soin, aérait la salle, ramassait les lambeaux de papier, rangeait la table du maître et remplissait la cruche d'eau ; ensuite il repassait sa leçon et aidait les plus petits à l'apprendre, lorsque ceux-ci n'en venaient pas à bout tout seuls ; aussi l'aimaient-ils beaucoup et l'écoutaient-ils volontiers quand il leur parlait du Seigneur Jésus, leur disant comment il était mort pour eux et leur racontant les histoires bibliques qu'il avait lui-même apprises ; il les occupait ainsi jusqu'au commencement de la classe, les empêchant de sauter bruyamment sur leurs bancs ; il avait pris au sérieux ce qu'avait dit un jour l'instituteur : « Enfants, la poussière que vous soulevez tous avant mon arrivée finira par me tuer. » Parfois les enfants étaient fatigués des histoires bibliques ; alors, pour les tenir silencieux, il leur racontait comment les oiseaux construisaient leurs nids dans la forêt, comment les écureuils bondissaient ; il leur parlait des gros serpents qu'il découvrait et des lièvres que pourchassait Fidèle ; souvent, à l'arrivée du maître dans l'école, les enfants se tenaient tranquillement autour de Martin et riaient de plaisir. Vraiment, l'instituteur de Raschovo n'avait jamais eu d'élève qui lui donnât plus de satisfaction.

Mais ce ne fut pas un mince souci pour Martin que de pourvoir à l'entretien de deux enfants allant à l'école ; comme, pendant ce temps-là, il n'était pas complètement au service des villageois, ceux-ci rognaient le plus possible sur la nourriture qu'ils fournissaient ; aussi longtemps que durèrent les vivres apportés par Joseph ou le produit de la vente des corbeilles et des balais, cela marcha à peu près, mais ensuite !

Les mercredis et les samedis, il arrivait souvent à Martin d'avoir les doigts abîmés à force d'avoir tressé les joncs ; il s'occupait encore à scier et à fendre du bois pour les gens du village ; Dieu prit soin des enfants et ils eurent le nécessaire. Martin se vantait même souvent : « Je n'ai encore jamais été aussi au chaud que durant cet hiver ; pendant la matinée, nous nous chauffons à l'école, puis nous emportons tous deux du bois sec que nous a donné le garde-champêtre et que nous jetons dans la cheminée ; cela durera bien jusqu'au printemps. »

Cette année-là, Martin ne jouit pas autant de ce nouveau printemps, parce qu'il ne pouvait aller ni à l'école, ni à l'église. Lorsqu'il était entré pour la première fois à l'église, dans l'automne précédent, il ne savait où porter ses regards. On célébrait en même temps la fête de l'Eglise et la fête des Moissons ; des lumières brillaient dans les lustres et sur l'autel, l'orgue se faisait entendre et les gens chantaient ; le pasteur, dans sa prédication, rappela qu'il y avait eu un temps dans lequel les fidèles étaient empêchés de s'assembler pour servir Dieu et lire sa Parole, mais ils obtinrent plus tard la permission de construire cet édifice. II y avait lieu de remercier Dieu pour cela, car, quoique Dieu soit partout, qu'il voie et entende de partout les hommes, il était bon pourtant d'avoir un lieu public où l'on soit plus recueilli. Ici, dans cet édifice, on pouvait tout dire au Seigneur Jésus, le remercier et le prier, et on pouvait entendre parler de Dieu. Ensuite le prédicateur rappela combien Dieu les avait abondamment bénis, dans leurs champs et dans les vergers, pendant cette année. Martin aurait presque à haute voix approuvé ces paroles et lorsque, à la fin, eut lieu la collecte, il désira offrir à Dieu un témoignage de sa reconnaissance et mit dans la bourse du collecteur tout l'argent qu'il avait sur lui, quoiqu'il fût destiné à bien des achats urgents.

Dès lors, il ne manqua aucun culte du dimanche, mais il ne pouvait, à son grand regret, se joindre encore aux jeunes gens du choeur ; il avait été scandalisé de voir comment ceux-ci se bousculaient, s'arrachaient les cheveux et bavardaient entre eux. Il s'asseyait plutôt avec Joseph au banc des mendiants, sous l'escalier de la tribune, près de la porte, un endroit où personne ne les dérangeait ; avec recueillement ils écoutaient tout ce que le pasteur disait ; ils pouvaient prier et, lorsqu'on chantait un cantique connu, s'y joindre de mémoire, et plus tard au moyen du psautier de Joseph. Les femmes se retournaient souvent pendant le chant du côté de Martin, car il avait une voix claire et argentine, aussi harmonieuse que la musique des forêts, et il chantait de toute son âme. C'était vraiment édifiant de contempler ces jeunes garçons quand ils entraient à l'église, propres et rangés ; prenant place en silence sur leur banc ; on les plaignait de savoir qu'ils seraient bientôt privés de cette joie d'assister au culte.


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