Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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PROMENADES À TRAVERS LE PARIS DES MARTYRS
1523 - 1559



CHAPITRE VI

 La Place de Grève (Suite)

Le concile ne pouvait pas oublier le péril « luthérien. » Le 22 mars, en effet, nous le voyons remontrer à la cour du Parlement que des plaintes ont été faites contre deux libelles récents que l'on expose publiquement en vente, tant au Palais qu'en ville, et s'élevant entre autres, contre le célibat des prêtres. Le concile avait prononcé des censures d'excommunication contre les imprimeurs et les vendeurs et il demandait au Parlement de les poursuivre au civil, de défendre la publication et la vente de n'importe quel libelle concernant la Ste-Écriture et la religion chrétienne sans qu'ils aient été visités par la Faculté de théologie. La Cour y consentit et fit défendre à son de trompe la vente et l'achat de ces libelles dangereux. Ceux qui les possédaient, devaient sans délai les déposer au greffe de la cour. Le Parlement décidait en outre de faire une enquête pour savoir qui avait apporté, imprimé et fait vendre ces livres.
Cette mesure qui provoquait des visites à domicile devait faire bien des victimes. Elle ne devait pas tarder à atteindre Louis de Berquin qui ne cachait guère ses opinions.

Dans une visite faite le 13 mai 1523, on trouva chez lui des livres suspects. Il y en avait de diverses sortes. Il y avait des traductions de Luther et de Mélanchton, par Berquin lui-même et des ouvrages des fameux hérétiques Le 8 juillet, Lizet fit un rapport dans lequel il demandait à la Cour de décider que tous les livres de Luther que l'on trouverait en ville, devraient être apportés au greffe et il en fut ainsi décidé le 8 juillet (1).

Le 11 juillet, Berquin comparaissait devant les enquêteurs, les conseillers A. Verjus et Jean Vérier. Il est entendu le 1er août par la Cour elle-même, et ce même jour, il est enfermé dans la tour carrée du Palais. Le 5 août, il est remis à l'évêque de Paris, qui devra commettre deux conseillers et deux docteurs pour lui faire son procès. L'enquête aboutissait à des poursuites. Mais ses amis veillaient. Ils craignaient pour lui le sort qui allait être réservé à un pauvre ermite de l'abbaye de Livry, Jean Vallière, chez qui on avait aussi trouvé des livres défendus. Le jour même où Jean Vallière expiait ses espoirs de réforme sur le bûcher du Marché aux Pourceaux (8 août 1523), le capitaine Frédéric de la garde royale, arrivait au Parlement porteur d'une lettre du roi qui évoquait l'affaire à son Conseil. Il avait ordre d'emmener le prisonnier et de procéder par la force si on résistait. La Cour répondit que Berquin n'était plus prisonnier de la Cour, mais de l'évêque de Paris, et, derrière cette échappatoire, elle laissa emmener son prisonnier. On ne put pas brûler Berquin ce jour-là. On se rattrapa sur ses livres (2). Berquin était libre. Que devait-il penser du malheureux ermite augustin sur qui la faveur du roi ne s'était pas étendue ? Pendant qu'il était recueilli au Louvre, on brûlait à deux pas de là le pauvre ermite normand.

Berquin était un homme courageux. Il continua sa propagande sans se laisser intimider. Le Parlement fut-il intimidé lui-même par l'intervention énergique de François 1er ? C'est possible. Car nous le voyons autoriser le 1er janvier 1524, l'impression de certains livres d'Érasme. Mais il continue ses sévérités à l'égard de Luther et de ses adhérents. Berquin lui-même, n'avait échappé que pour un temps, et, dès que les circonstances le permirent, il fut ressaisi.
Berquin, comme beaucoup de ses amis, devait être par contre coup, la victime des malheurs publics.

Le règne de François 1er, brillamment commencé, avait vu se produire de douloureux revers dûs aux imprudences royales. La perte de la bataille de Pavie, l'emprisonnement du roi, avaient fait régner la terreur à Paris.
À qui imputer les malheurs de la France ? Au roi, à ses conseillers ou à ses agents ? Non pas. La voix publique y voyait la main de Dieu punissant ceux qui avaient laissé « pulluler » en France ceux de la secte luthérienne. Le dimanche, 19 mars 1525, on trouva dans plusieurs chaires de Paris, le placard suivant :

« Peuple français, si vous voulez avoir de brief, bonne et ferme paix, il vous faut premièrement ôter l'empêchement d'icelle, et si vous le voulez savoir, c'est Madame Ambition, avec son chancelier rempli de toute hérésie in-corde et de toute infection, car, par leur obstinée et damnée vindication, ils sont cause que votre chef et aucuns de ses principaux membres sont en cette grande désolation et, qui pis est, ils ont mis ce noble royaume en la balance de toute destruction, et pourtant ledit chancelier est digne de toute punition, laquelle si, de brief, n'est mise à exécution, vous aurez des maux encore un million, et afin qu'il ne vous semble que, je mente, je suis dame Vérité qui parle aux amateurs de Justice. »

De toutes manières, les passions cléricales s'efforçaient d'exciter le peuple contre les novateurs et contre le roi que l'on accusait de connivence, ou tout au moins de faiblesse. Un docteur bénédictin, dom Josse, avait été mis à la Conciergerie parce que dans le cours de l'année 1524, il avait mal parlé du roi dans ses sermons, à Paris et ailleurs. Ce crime de lèse-majesté humaine, fut moins puni que simple fait de posséder et de lire des livres de Luther. Les amis de l'ordre ont de ces inconséquences. Lire Luther, c'était une « rébellion » digne de mort, attaquer le roi en chaire, c'était peu de chose. Dom Josse en fut quitte pour une année de prison environ.

Les chaires ne suffisant pas, les ennemis des idées nouvelles avaient aussi fait pleuvoir une nuée de plaquettes contre l'honneur du roi. Le 20 mars 1525, on relâcha ceux qui avaient été arrêtés comme imprimeurs et auteurs de ces libelles.
Par contre, les sévérités contre les « luthériens » reprirent de plus belle. Le Parlement profitait de l'absence du roi pour relâcher ses calomniateurs et pour poursuivre les partisans de la réforme de l'Eglise, tous englobés sous le nom de « luthériens ».
Le Parlement et la Sorbonne, ont presque le même personnel et, en tous cas, le même esprit. Ensemble, ils incarnent l'esprit de réaction et de répression impitoyable. L'absence du roi leur donnait libre carrière. Ils surent en profiter.

Il s'agit de donner des juges aux hérétiques. Jusqu'ici, à Paris, une seule exécution d'hérétique a eu lieu, celle de Jean Vallière. Et malgré les poursuites, les interrogatoires, les internements, la secte luthérienne pullule dans la capitale comme dans les provinces. Le roi a fait relâcher l'un des plus notoires propagateurs des idées nouvelles, Louis de Berquin. Le roi, sa soeur, sa mère peut-être, protègent le groupe suspect de Meaux, Briçonnet, Lefèvre, Michel d'Arande, Gérard Roussel, Farel, Toussain, Mazurier. Mais, depuis le désastre de Pavie (24 février 1525), le roi est captif. Il sera plus facile d'intimider sa soeur. Quant à la Régente, elle ne voit qu'une chose, les intérêts de son fils. Elle acceptera tout ce qui lui paraîtra les servir.

La première chose à faire, est de donner des juges aux hérétiques obstinés qui se répandent partout à Paris et dans le royaume. Pour Paris, le Parlement institue le 20 mars 1525 (n. s.), une commission formée d'un Président aux enquêtes, d'un conseiller clerc et de deux docteurs en théologie pour faire le procès des hérétiques. Il ordonne en outre, que l'évêque de Paris sera tenu de leur donner vicariat dans ce but.
La Régente approuva l'institution de cette commission et elle demanda même au pape de l'approuver. Ce qu'il fit.

Il fallait aussi purger la province. Dans ce but, la cour ordonna que les archevêques de Lyon et, de Reims, les évêques de Meaux, Orléans, Paris, Châlons, Amiens, Angers, les chapitres de Sens et de Bourges, donneraient vicariat, c'est-à-dire délégueraient leurs pouvoirs à la Commission du Parlement de Paris, pour faire le procès de ceux qui enseignaient les hérésies de Luther. Les prélats en question seront contraints à cette délégation de leur autorité par la saisie de leur temporel. Quant aux décisions de la Commission du Parlement, elles seront exécutoires, nonobstant tout appel, semola executione a diffinitiva. Il fut retenu dans l'esprit de la Cour in mente curiae que tous les exploits que feraient lesdits « vicaires », c'est-à-dire les quatre commissaires du Parlement, seraient expédiés au greffe de la cour comme s'ils étaient décernés par la Cour elle-même.

C'est ainsi que l'honneur, les biens, la vie de milliers de citoyens étaient remis par une législation d'exception entre les mains de quatre juges dont trois étaient ecclésiastiques et devaient apporter dans l'exercice de leur charge les passions de leur ordre surexcitées par l'ardeur de la lutte d'idées qui commençait.
Mais, parmi les évêques, il y en avait qui savaient mieux que personne, combien la réforme de l'Eglise était urgente.
Et ceux-là répugnaient à une répression qui risquait d'atteindre les meilleurs de leurs prêtres ou de leurs paroissiens. C'est pourquoi nous voyons le 8 avril 1525, le Parlement faire parvenir à la Régente des remontrances au sujet des hérésies. Il se plaignait que quand il en avait voulu faire justice, les coupables avaient tout éludé tant par évocations que pour avoir été tirés des prisons par puissance absolue (3). Il exposait donc qu'il serait à propos de faire exécuter les arrêts prononcés, de révoquer les évocations et que, pour « procéder » contre les évêques et autres prélats coupables ou véhémentement suspects, la Régente obtînt un rescrit du pape et qu'elle-même envoyât des lettres-patentes aux cours souveraines pour contraindre, les prélats défaillants à commettre les vicaires qui leur seront désignés par ces cours de manière que les parlements puissent procéder contre les coupables nonobstant toutes évocations.

La Régente, intimidée par l'agitation de Paris, les prédications anti-luthériennes, la guerre des placards contre son fils, dut céder à ces remontrances et le 28 avril 1525 le comte de Guise écrivait aux députés du Parlement qu'elle leur accordait d'écrire au pape pour obtenir un bref contre les luthériens.

Le pape fit diligence. Le 17 mai déjà, la Régente recevait un bref du pape, adressé au Parlement, par lequel il confirmait ce qu'il avait fait et la commission qu'il avait instituée » pour juger souverainement les hérétiques ». La reine le transmit à la cour le 20 mai ; elle mandait en même temps qu'on souffrit que lesdites bulles qui accompagnaient le bref fussent exécutées (4)

Le 17 juin de la même année, le Parlement faisait pieusement enregistrer un nouveau bref du pape dans lequel celui-ci le louait du soin qu'il avait eu d'extirper les hérésies de Luther et le conjurait de continuer.
Il continuait au moment même. Le 8 juin, il était averti. qu'il était venu d'Angleterre un Jacobin « qui tenait l'hérésie de Luther ». Elle « pullulait » aussi dans ce pays d'après les informations reçues par la Cour. Le Parlement commit aussitôt deux présidents aux enquêtes, un conseiller et deux docteurs pour interroger le jacobin anglais qui s'appelait Egerton. Il comparut en effet le 10 juin. Le 8 novembre, il était encore en prison sous la garde de l'abbé de Ste-Geneviève malgré les réclamations « des ambassadeurs d'Angleterre » qui demandaient qu'il soit délivré « selon le traité de paix. La cour décida simplement d'en écrire à la Régente ce dont, paraît-il, les ambassadeurs se contentèrent. Egerton fut élargi le 20 novembre. Sa qualité d'anglais l'avait fait échapper au bûcher.
Ainsi la puissante machine qui devait broyer la Réforme française naissante était montée.
Il nous reste à la voir fonctionner.

Les registres du Parlement pour l'année 1525 se ressentent de l'absence du roi. Ils sont pleins de délibérations relatives aux hérésies du temps.
La Cour avait pour elle le peuple et une grande partie des moines. En août 1525, les Cordeliers, par exemple, demandent au Parlement que « pour faire justice au fils de Dieu, on défendît de prêcher ou dire chose qui tende à détourner la dévotion envers la Vierge et les saints, de mettre leurs images, de lire leurs vies et vénérer leurs reliques et l'union de l'Eglise. » (5)
C'était dénoncer aux sévérités de la Cour Briçonnet et ses amis qui appelaient l'attention des fidèles sur Dieu, Jésus-Christ, la Bible (6) plus que sur la Vierge et les saints.
Briçonnet riposta en faisant demander au Parlement, le 19 août 1525, qu'on informât si, dans son diocèse, il y avait des abus touchant la foi. C'était sa réplique aux Cordeliers dont la conduite donnait prise ouverte à la critique.

L'heure était grave pour l'évêque de Meaux et ses derniers amis, car leur protectrice Marguerite de Valois était partie le 8 août pour Madrid. Aussi, pendant tout ce mois d'août, le Parlement est-il très actif contre les hérétiques. Le 29, on s'occupe du Commentaire de Lefèvre sur les Évangiles. Les « gens du roi » y relèvent onze propositions hérétiques. La Faculté de théologie avait voulu les condamner mais on le lui avait défendu, et elle l'avait fait savoir au Parlement qui l'engagea à reprendre l'ouvrage et à le censurer censu doctrinali « à la barbe de tout homme. »

Pendant ce temps que faisait le roi ? Mis au courant par sa soeur sans doute, il défend au Procureur-général, le 1er septembre 1525, de poursuivre la censure des livres de Lefèvre. Mais l'avocat-général ne se laisse pas arrêter par cet ordre royal. Il rappelle que le Parlement avait défendu de prêcher aucune doctrine luthérienne et il persiste à demander la censure des livres de Lefèvre « par provision » dit-il, à cause du scandale qu'ils font et il insiste pour que la censure raisonnée de la Faculté de théologie soit envoyée au roi ou à sa mère « pour en être par eux ou la cour ordonné. »

Si Briçonnet qui avait ouvertement pris parti contre Luther dès le 15 octobre 1523, pouvait être ainsi inquiété, ses anciens amis pouvaient trembler aussi. Les poursuites commencées engagèrent Lefèvre, Gérard Roussel et Michel d'Arande, à suivre l'exemple de Farel et de Toussain et à se réfugier à Strasbourg.

D'après les registres du Parlement, il semble que Berquin ait été emprisonné de nouveau en octobre 1525 (7). Réussit-il à s'enfuir, ou fut-il une fois de plus délivré par le roi ? On ne le sait encore. En tous cas, il est certain qu'il était à la fin de 1525 tantôt dans son domaine de Berquin en Flandre, tantôt chez un de ses amis et voisins le seigneur de Rambures dans l'évêché d'Amiens.

Naturellement, il avait depuis longtemps propagé ses idées dans cette région, car, déjà à la fin de l'année 1523, le 23 décembre, la Cour informée qu'un chanoine de l'église d'Amiens nommé J. Morand, avait prêché des propositions luthériennes, prit des informations et décréta prise de corps contre lui en ordonnant que le chapitre d'Amiens donnerait vicariat pour faire son procès au chanoine incriminé. Elle enjoignait de plus au bailli d'Amiens de faire information au sujet de ceux qui seraient suspects de l'hérésie luthérienne et d'en avertir la cour. En tous cas, les 8 et 10 janvier 1526, le Parlement de Paris s'occupe de nouveau de Berquin à la requête du procureur général et de l'évêque d'Amiens. Il ordonne que Berquin soit saisi au corps etiam in loco sacro et amené à la Conciergerie. Arrêté chez lui (8), Berquin fut amené deux jours après à Paris et enfermé de nouveau, en effet, à la Conciergerie. Le 23 janvier 1526, la cour ordonna au Sénéchal de Ponthieu ou à son lieutenant à Abbeville, de prendre et saisir tous les livres appartenant à Berquin tant dans la maison du sieur de Rambures, à Abbeville que dans le château de Rambures et de les envoyer au greffe de la cour (9). Du 7 au 12 mars, on reprit l'examen de ses oeuvres. Mais Berquin a, malgré tout, conservé des amis à la cour. Par deux fois la Régente mande aux juges de surseoir à son procès jusqu'au retour de François 1er.

Celui-ci était en route. À Bayonne, le 18 mars 1526, il reçut des plus fraîchement le Président du Parlement qui était venu le saluer. Il en veut visiblement à ceux qui se sont montrés si indulgents à ceux qui l'ont publiquement attaqué et qui s'acharnent à poursuivre pour des idées quelques-uns de ses amis. Il se plaint de leur malveillance et il désigne clairement Noël Bédier, syndic de la Faculté de théologie, Guillaume Duchesne, curé de St-Jean en Grève, le prieur des Chartreux, le prieur des Jacobins. Il entend de même qu'on suspende le procès fait aux autres suspects d'hérésie, Gérard Roussel et Lefèvre, entre autres. Berquin rassuré par cette protection, écrit à Érasme, le 17 avril 1526, une lettre, enjouée : « Voilà de nouveau les frelons en colère. Ils m'ont encore accusé d'hérésie parce que, j'ai traduit en français, quelques-uns de vos ouvrages. J'ai flairé ce qu'ils machinaient : c'est de faire, brûler, s'il plaît aux Dieux, les livres d'Érasme et avec eux Berquin, si Berquin ne les désavoue pas. Je n'ai rien abjuré, et j'ai soutenu au contraire que, pour un homme bienveillant et de bonne foi, il n'y a pas l'ombre d'une hérésie dans vos oeuvres. »

Berquin se croyait sûr de sa délivrance, mais les adversaires ne désarmaient pas. À la lettre sévère écrite par le roi, Noël Bédier répondit habilement en prétendant qu'Érasme avait écrit au roi des lettres « fort diffamatoires » (10). Ce qui n'était pas vrai. Érasme était intervenu en faveur de Berquin avec une décision que l'on n'aurait pas attendu d'un homme dont le caractère n'égalait pas l'immense talent. Mais il l'avait fait en termes dignes de sa cause. Bédier se plaignait en outre, de Louis de Berquin et affirmait que les « erreurs de Luther et autres qui pullulent en ce royaume y étaient entrées plus par les livres d'Érasme et de Lefèvre, que par ceux d'aucun autre... au surplus, Bédier se déclarait prêt à obéir.

Pendant ce temps, Berquin restait toujours en prison. Il finit par y tomber malade et le roi se décida à envoyer deux archers pour l'amener au Louvre. À la demande de Marguerite de Valois, le duc Anne de Montmorency, le mit en pleine liberté. Ravie de la délivrance de son protégé, Marguerite écrivit au duc : « Je l'estime autant que moi-même et vous pouvez dire que c'est moi que vous avez tirée de prison. »

Un autre, à la place de Berquin, se le serait tenu pour dit. Mais, persuadé comme il l'était d'être dans la vérité, il reprit la lutte. Pour lui, c'est Bédier qui était l'hérétique. Il réussit à faire envoyer par le roi au Parlement 92 propositions tirées des écrits de Bédier contre Lefèvre, qui n'étaient, disait Berquin, que des impiétés et des faussetés.
Les Magistrats examinèrent les propositions en question, mais, cette fois, ne se prononcèrent pas.

Ce coup d'audace désignait plus que jamais Berquin à la haine de la Sorbonne et du Parlement. Le parti des vieilles fables s'agita autour de François 1er pour l'inquiéter, lui faire peur. On lui montrait que la terrible guerre des Paysans en Allemagne, avait été une conséquence des idées de Luther. Là-dessus quelques exaltés des idées nouvelles mutilèrent le lendemain de la Pentecôte une statue de la Vierge qui se trouvait rue St-Antoine. Ce fut dans le peuple un sursaut de colère contre les blasphémateurs. Obligé de ménager sa popularité, et partageant lui-même, très probablement, les idées du temps sur ce « sacrilège », François 1er s'associa à la procession expiatoire destinée à rétablir l'honneur et le crédit de la statue mutilée.

L'heure était bonne pour reprendre les poursuites suspendues contre Berquin. Les quatre délégués du pape ne laissèrent pas passer l'occasion. L'examen des livres de Berquin se déroula d'abord comme une enquête contradictoire. Le prévenu venait librement au Palais. Mais vers le 7 mars 1529 on le retint tout à coup, et là-dessus, un incident fâcheux pour lui vint aggraver sa situation.
L'un de ses valets qu'il avait envoyé porter chez un ami des livres et des papiers, s'évanouit sur le Pont-au-Change, au pied même d'une statue de la Vierge.
Il y avait là, évidemment, une intervention miraculeuse. La Vierge avait dénoncé l'hérétique. Les livres et les papiers de Berquin recueillis par des passants, furent portés à Bédier. Ils fournissaient à point l'occasion de remettre dans la tour carrée du Palais un hérétique obstiné et dangereux. Et cette fois, le procès avança rapidement. L'arrêt fut prononcé le 16 avril 1529 (11). Berquin, « le plus savant des nobles », était condamné à subir la dégradation de tous ses titres et honneurs, à faire amende honorable en demandant pardon d'avoir tenu la secte de Luther et en criant merci à genoux dans divers endroits de Paris, notamment en Grève où ses livres devaient être solennellement brûlés, et sur la place Notre-Dame où le bourreau devait lui percer la langue d'un fer rouge et le marquer au front d'une fleur de lys. Après quoi, il devait être enfermé pour le restant de ses jours avec défense à quiconque de rien lui donner à lire ou pour écrire (12).

Indigné d'un tel arrêt et sûr d'être dans son bon droit, Berquin, malgré les conseils de ses amis, ouverts ou cachés, malgré l'insistance de Budé qui ne prévoyait que trop ce qui allait arriver, fit appel de la sentence. Le Parlement, avec une hâte, qui marque bien sa passion, se réunit dès le lendemain 17 avril. Il avait hâte de prendre une décision avant que le roi qui était à Blois, pût intervenir.

Berquin fut condamné, cette fois, à être brûlé en place de Grève. L'arrêt prononcé le matin fut exécuté l'après-midi, vers trois heures. Mais avant d'être brûlé, le martyr avait été étranglé contre une potence. Merlin, le pénitencier, répandit le bruit qu'il l'avait entendu en confession et qu'il était mort « bon chrétien », c'est-à-dire catholique. Mais c'est là, quand il s'agit d'un hérétique notoire, une phrase de style à laquelle il est permis de ne pas s'arrêter. Érasme qui eut sur la mort de son ami des renseignements directs, en fait un récit que l'on sera heureux de trouver ici.

ARRESTATION D'ANNE DU BOURG DANS LA MERCURIALE DU 10 JUIN 1559.

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(1) Arch. nat. Parlement, reg. LXIIII, f° 286. Bibi. nat. n. a. fr. n° 2128.

(2) Pierre Driart confirme le fait.

(3) Allusion à l'acte du roi faisant élargir Berquin de sa propre autorité.

(4) Ce bref constitue une des Preuves des libertés de l'Eglise gallicane. Cf. p. 1086.

(5) La Faculté de théologie fait la même demande le 19 août

(6) La traduction française du Psautier par Lefevre avait paru le 17 février 1525, chez Simon de Colines.

(7) 13 octobre 1525. Remontrances au roi touchant Berquin prisonnier.

(8) Je ne crois pas que cette arrestation ait eu lieu le 8 janvier 1526 comme le dit Bordier (art. Berquin, dans la France Protestante), car l'ordre d'arrestation est du 10 janvier.

(9) Arch. nat., XI 1529, f. 94.

(10) Lettre du 7 avril 1526, X1 A 1529 reg. LXVII, f. 198 B. nat. n. a. f. 2130.

(11) En 1529, les juges délégués du pape étaient André Verjus, Jacques de la Barde, Nicolas Leclerc, docteur en théologie et curé de St-André-des-Arcs. Ils étaient assistés du promoteur de la foi Nicolas Danthuile, de dix autres conseillers et d'un avocat....

(12) Cf. Livre de raison de Nicolas Versoris. La France protestante, art. Berquin, de Henri Bordier. Bull. 1902, p. 634 et Le Journal d'un Bourgeois de Paris, éd. Bourilly.

 

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