PROMENADES À TRAVERS LE
PARIS DES MARTYRS
1523 -
1559
CHAPITRE VI
La Place de
Grève
Devant l'Hôtel-de-Ville.
La place de grève. - Origine de ce
nom. - Bûchers et feux de joie. - Jacques
Pouant. - Luc d'Aillon. - Louis de Berquin. -
Milles Regnault. - Pierre du Ponat. - Anne Du
Bourg.
« Elle est ainsi
nommée, dit un vieil historien de Paris,
à cause de sa situation sur le bord de la
Seine, qui y laissait autrefois son gravier avant
que son lit fût borné par les quais
que l'on a fait depuis pour la retenir... La place
de Grève est la plus connue de toutes les
places de Paris, parce que c'est le lieu où
le Prévôt des marchands et les
échevins de la ville font faire leurs feux
de joie et les autres réjouissances
publiques dans les occasions avantageuses à
l'État. C'est aussi le lieu où se
font les exécutions des criminels, hors
celles qui sont ordonnées dans les endroits
où les crimes ont été
commis. » (1)
L'auteur de ces lignes est trop absolu.
Les exécutions, au moins au XVIII
siècle, étaient ordonnées dans
les endroits les plus divers selon les juridictions
en mouvement. La justice de l'évêque
par exemple, ne s'exerçant pas au même
endroit que celle du roi.
Le point sûr c'est que la place de
Grève a vu, en effet, un nombre
considérable d'exécutions.
« C'est en 1310 seulement, dit
Edouard Fournier (2),
que recommence l'histoire de la
place de Grève, et par un de ces
événements qui ne s'y renouvelleront
que trop, par un supplice. Philippe le Bel y fait
brûler, le jour de la Pentecôte,
un prêtre de Beauvais convaincu
d'hérésie, une femme qui propageait
des écrits entachés de la même
erreur, et un juif relaps. » Nous
regrettons de ne pas connaître et de ne
pouvoir donner le nom de ces malheureux.
D'ailleurs, c'est aux martyrs du XVIe siècle
que ce petit volume est consacré. Ils se
recrutent surtout alors dans les rangs des premiers
protestants.
Louis de Berquin, dit Edouard Fournier,
(3) fut le
premier qui paya de sa vie, en Grève, ses
concessions aux doctrines
condamnées. » C'est une erreur. La
première victime
« luthérienne » que vit
la place de Grève, fut un jeune
ecclésiastique du diocèse de Meaux
que Guillaume Briçonnet, suspect
lui-même et menacé, n'osa ou ne put
tirer du feu.
Il s'appelait Jacques Pauvant, Pavan,
Pavanes, Pouent, on ne sait pas
trop (4) et voici
sa tragique histoire.
Jacques Pouent avait été
entraîné, comme des milliers d'autres
par le grand mouvement réformateur
provoqué par l'acte de Luther affichant en
1517 ses thèses courageuses,
résistant ensuite au pape et à
l'empereur à Worms, et brûlant la
bulle qui le condamnait. En France aussi, les
meilleurs esprits pensaient que l'heure
était venue de réformer l'Eglise. Des
évêques même comme celui de
Meaux, Guillaume Briçonnet s'étaient
mis en tête de procéder aux
réformes les plus urgentes. Il était
dit le Martyrologe de
Crespin (5)
« fort
affectionné tant à connaître la
vérité de l'Évangile venant en
lumière qu'à la notifier aux
autres. »
Trouvant que les cordeliers de son
diocèse n'enseignaient « qu'une
vieille ânerie » et informé
de leurs impostures et tromperies », il
leur interdit la chaire et les remplaça par
des gens de bien et de savoir : Jacques
Lefèvre d'Etaples, Guillaume Farel, Michel
d'Arande, Martial Mazurier, Gérard
Roussel.... Parmi ceux que l'évêque de
Meaux entretenait pour édifier ses
diocésains il y avait un jeune clerc qui osa
être plus logique et plus courageux que son
protecteur lui-même et que beaucoup de ses
collègues. Briçonnet n'avait pas
tardé à reculer devant les premiers
feux allumés. Martial Mazurier de
même. Jacques Pouent, lui, fut accusé
d'hérésie. Son évêque
menacé lui-même n'osa le
défendre et il n'est pas sûr qu'il
l'aurait pu. Par dérision du Parlement du 29
mars 1525, l'Évêque fut en effet
condamné par le Parlement à
abandonner ses droits sur son diocésain et
à « donner vicariat »
à deux conseillers du Parlement et à
deux docteurs de Sorbonne pour connaître et
décider du crime de Pouent et d'un de ses
collègues nommé Saunier. Pendant
cette enquête, Pouent était
enfermé à la Conciergerie du
Palais.
Le Martyrologe de Crespin raconte
que dans sa prison il fut sollicité par
« des gens devenus froids »
à renier ses idées. L'un de ces
« refroidis » refroidis par le
feu, était Martial
Mazurier revenu des idées, hardies pour
l'époque, qu'il avait professées
quelques mois auparavant. « Vous errez,
Jacobé, disait-il à son
collègue, vous n'avez pas vu au fond de la
mer, mais seulement au-dessus des ondes et des
vagues. »
Impressionné par son ami, Jacques
Pouent consentit à faire amende honorable
devant Notre-Dame de Paris le 23 décembre
1525. Voici comment le Journal d'un bourgeois de
Paris raconte la cérémonie.
« Audict an mil cinq cens
vingt-cinq, la veille de Noël (6) (le
samedi 23 décembre dit Versoris, avec
raison) un jeune filz de la ville de Meaulz fist
amende honorable, la teste nue et tenant la torche
de cire ardente, devant la grande église de
Nostre-Dame de Paris, en l'eschelle, criant
à Dieu mercy et à Nostre-Dame de ce
qu'il avait dit en ensuivant la secte de
Luther ; et furent bruslez devant luy aucuns
livres qu'il avait translaté de latin en
français, tenant le party dudit Luther,
lesquels il leust de mot à mot, en
déclarant qu'ils étaient faulx et
damnables, et furent iceulx bruslez en sa
présence ; et de là il fut
mené pour estre par long espace de temps
prisonnier es prisons des Célestins, au pain
et à l'eau. Et fut ce faict par arrest de
ladicte cour de Parlement. Et s'il ne se fut desdit
des paroles et choses qu'il avait dictes, il eust
esté bruslé et se
nommait... » (7)
Le crime de Jacques Pouent était donc
d'avoir professé les idées de Luther
et d'avoir traduit en français quelques-uns
de ses livres. Puis il avait eu pitié de sa
jeunesse et s'était rétracté.
Il n'avait été condamné alors
qu'à sept ans de réclusion dans les
prisons de Saint-Martin des Champs. Mais sa
conviction intérieure fut la plus forte.
Dans sa prison, il revint sur ses
rétractations et « se repentant
avec larmes et soupirs », il fut
rempoigné » et brûlé
vif place de Grève (8)
le 28 août 1526 sans qu'on
ait pu obtenir de lui qu'il fît amende
honorable. On a conservé une lettre du jeune
réformateur, datée du 5 oct. 1524. Il
était alors plein d'ardeur. Il racontait
à Farel ce qui se passait à Paris et
à Meaux. Les idées nouvelles y
étaient en grand progrès.
« Dieu veuille, s'écriait-il, que
la parole de l'Évangile puisse régner
ici même et dans toutes les parties du
monde ! »
Le bûcher de la place de
Grève vint bientôt répondre
à ces voeux. « M.
Jaques » s'était ressaisi. Il
mourut avec une admirable constance et en parlant
au peuple, si bien que le théologien Pierre
Cornu déclarait « qu'il voudrait
avoir coûté à l'église
un million d'or et que l'on n'eût jamais
laissé parler Jacques Pauvant devant le
peuple. » Sa mort, disait-il encore, lui
a fait tant d'adhérents qu'il n'est plus
possible de les détruire. »
(9)
Théodore de Bèze a
célébré la constance du jeune
luthérien ».
- Dieu fait sa grandeur connaître
- Et sa sagesse paraître,
- Et sa puissance sentir
- À ce monde qui l'oublie
- Par la faiblesse et folie
- Qu'il en tire et fait sortir.
- . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Pavanes dedans la flamme,
- Triomphe du monde infâme,
- De l'erreur et de la mort
(10)
Telle fut la première victime protestante
que vit brûler la place de Grève et
l'Hôtel de Ville naissant de François
1er.
On sait que l'on trouva un bon moyen
d'empêcher les martyrs de confesser leur foi
et d'appeler des auditeurs à leurs
idées. La cour de Parlement sut pourvoir
à l'inconvénient. Elle décida
que les hérétiques obstinés
devaient avoir la langue coupée
préalablement. Mais leurs yeux levés
au ciel parlaient encore pour eux.
Le second protestant brûlé
en Grève s'appelait Luec d'Aillon.
C'était un
« protonotaire » frère
de M. de Lude. On racontait qu'il
fréquentait la cour, qu'il avait
demeuré à Rome au service du pape
Clément et qu'il était
« menodour »
(11). Il semble
bien en effet qu'il ait été
quelquefois
l'intermédiaire de la correspondance
qu'échangeait Marguerite de Valois avec
Guillaume Briçonnet (12).
Une de ses soeurs, Louise
d'Aillon, la grand'mère de Brantôme,
était dame d'honneur de Marguerite de
Valois.
Mais c'était en 1527, et l'une
des clauses du traité de Madrid,
signé quelques mois auparavant obligeait
François 1er « à se bander
contre le Turc et contre l'hérésie de
Luther ». Rien ne pouvait sauver Luc
d'Aillon qui fut condamné à faire
amende honorable devant Notre-Dame. Il s'y refusa
énergiquement et l'exécuteur de la
haute justice dut le faire en son nom. Il fut
ensuite mené en Grève,
étranglé à un poteau et
brûlé avec son procès
(13).
C'était le 4 mars 1527. Luc
d'Aillon avait 36 ans.
Mais la plus illustre victime que la
place de Grève ait vu sacrifier aux passions
de l'intolérance, fut certainement Louis de
Berquin.
Louis de Berquin était un
gentilhomme de la cour de François 1er. Il
descendait d'une famille flamande dont le domaine
de Vieux-Berquin (14)
était situé
près de la
frontière de l'Artois et
faisait partie de la châtellenie de Cassel en
Flandre qui appartenait à
Charles-Quint.
On peut bien dire que Berquin
était l'honneur de la cour de
François 1er. Savant et pieux, ouvert aux
bonnes lettres, catholique pratiquant, en relations
avec les lettrés de la Renaissance, il leur
avait emprunté leur culture sans renoncer
à sa vie religieuse. Resté
célibataire, il avait gardé une
pureté de moeurs à laquelle
Érasme qui l'appréciait beaucoup, a
rendu un vif hommage (15).
François 1er l'aimait, et
Marguerite de Valois l'appréciait fort.
Dès 1512, son autorité était
grande dans les cercles pieux et lettrés
d'alors .
Quand le mouvement de la Réforme
se dessina, Berquin lui donna un assentiment
enthousiaste. Le besoin d'une réforme, de
l'Eglise était criant. Berquin ne pouvait
pas l'ignorer. S'il souriait avec Érasme de
l'ignorance et de la bigoterie des moines et du
clergé, il sut apprécier aussi les
efforts courageux de Luther ou de Mélanchton
pour le relèvement de l'Eglise. Pour faire
bénéficier la France du
généreux mouvement qui
entraînait tant d'esprits excellents, il se
mit à traduire en français divers
écrits polémiques d'Érasme
lui-même, de Luther, de
Mélanchton.
Berquin n'était pas seul dans ces
idées. De grands personnages comme
Briçonnet, l'évêque de Meaux,
songeaient à une réforme au moins
partielle d'une église vieillie qui avait
besoin d'un sang nouveau.
Le plus célèbre professeur
de l'Université de Paris, Lefebvre
d'Etaples, s'efforçait de remettre en
honneur les livres bibliques, les idées
d'Augustin sur la justification par la foi.
À l'apparition des premiers petits livres de
Luther contre les indulgences, la messe ou la
Captivité de Babylone, on les avait lus,
colportés avec empressement. Des hardiesses
nouvelles apparaissaient dans les chaires. Dans les
cellules de beaucoup de moines augustins, on
trouvait les opuscules du réformateur
allemand. La cour paraissait gagnée par le
mouvement. La reine-mère Louise de Savoie
parut un moment toute anticléricale.
François 1er lui-même, s'était
mis à la lecture. Sa soeur, Marguerite
d'Alençon, protégeait les savants,
les esprits hardis, les réformateurs de
l'Eglise, les amis de l'Évangile qu'elle
lisait elle-même assidûment. Beaucoup
de seigneurs et de grandes dames avaient
été entraînés, Morelet
du Museau, Gaillard de Longjumeau, Madame
d'Entragues-Malesherbes, née de Montaigu et
bien d'autres.
La Faculté de théologie,
la Sorbonne n'avaient pas tardé à
s'émouvoir et à entraîner le
Parlement où siégeaient d'ailleurs
beaucoup de ses membres. Noël Bédier,
doyen de la Faculté de théologie,
était un des plus fougueux
réacteurs.
En 1521 déjà, la Sorbonne
avait condamné les écrits et les
idées de Luther. Le nom même, de
Luther effrayait encore beaucoup des partisans des
idées nouvelles. Soumis à des
influences contraires, le jeune roi soignait sa
popularité en prenant part ostensiblement
à des manifestations religieuses
éclatantes tout en s'efforçant de
contenir la Sorbonne et le Parlement.
Enfin, en janvier 1522, le roi et son
conseil décidèrent qu'un concile
gallican serait tenu dans toutes les provinces
archiépiscopales et qu'on s'y emploierait
à « réformer
l'église », à
« ôter beaucoup d'abus »,
à pourvoir aux bénéfices
vacants et à empêcher enfin que les
revenus de ces bénéfices ne
sortissent du royaume.
Il y avait dans ce plan de quoi
contenter tout le monde.
C'est en vertu de cette disposition
générale que le Concile de
l'archevêché de Sens se réunit
à Paris. On sait que l'évêque
de Paris n'était encore à cette
époque que le suffragant de
l'archevêque de Sens. Le concile se
réunit à Paris, à Notre-Dame,
le 10 mars 1522, sous la présidence
d'Étienne Poncher, archevêque de Sens.
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