Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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PROMENADES À TRAVERS LE PARIS DES MARTYRS
1523 - 1559



CHAPITRE VI

 La Place de Grève
Devant l'Hôtel-de-Ville.

La place de grève. - Origine de ce nom. - Bûchers et feux de joie. - Jacques Pouant. - Luc d'Aillon. - Louis de Berquin. - Milles Regnault. - Pierre du Ponat. - Anne Du Bourg.

« Elle est ainsi nommée, dit un vieil historien de Paris, à cause de sa situation sur le bord de la Seine, qui y laissait autrefois son gravier avant que son lit fût borné par les quais que l'on a fait depuis pour la retenir... La place de Grève est la plus connue de toutes les places de Paris, parce que c'est le lieu où le Prévôt des marchands et les échevins de la ville font faire leurs feux de joie et les autres réjouissances publiques dans les occasions avantageuses à l'État. C'est aussi le lieu où se font les exécutions des criminels, hors celles qui sont ordonnées dans les endroits où les crimes ont été commis. » (1)
L'auteur de ces lignes est trop absolu. Les exécutions, au moins au XVIII siècle, étaient ordonnées dans les endroits les plus divers selon les juridictions en mouvement. La justice de l'évêque par exemple, ne s'exerçant pas au même endroit que celle du roi.
Le point sûr c'est que la place de Grève a vu, en effet, un nombre considérable d'exécutions.

« C'est en 1310 seulement, dit Edouard Fournier (2), que recommence l'histoire de la place de Grève, et par un de ces événements qui ne s'y renouvelleront que trop, par un supplice. Philippe le Bel y fait brûler, le jour de la Pentecôte, un prêtre de Beauvais convaincu d'hérésie, une femme qui propageait des écrits entachés de la même erreur, et un juif relaps. » Nous regrettons de ne pas connaître et de ne pouvoir donner le nom de ces malheureux. D'ailleurs, c'est aux martyrs du XVIe siècle que ce petit volume est consacré. Ils se recrutent surtout alors dans les rangs des premiers protestants.

Louis de Berquin, dit Edouard Fournier, (3) fut le premier qui paya de sa vie, en Grève, ses concessions aux doctrines condamnées. » C'est une erreur. La première victime « luthérienne » que vit la place de Grève, fut un jeune ecclésiastique du diocèse de Meaux que Guillaume Briçonnet, suspect lui-même et menacé, n'osa ou ne put tirer du feu.

Il s'appelait Jacques Pauvant, Pavan, Pavanes, Pouent, on ne sait pas trop (4) et voici sa tragique histoire.
Jacques Pouent avait été entraîné, comme des milliers d'autres par le grand mouvement réformateur provoqué par l'acte de Luther affichant en 1517 ses thèses courageuses, résistant ensuite au pape et à l'empereur à Worms, et brûlant la bulle qui le condamnait. En France aussi, les meilleurs esprits pensaient que l'heure était venue de réformer l'Eglise. Des évêques même comme celui de Meaux, Guillaume Briçonnet s'étaient mis en tête de procéder aux réformes les plus urgentes. Il était dit le Martyrologe de Crespin (5) « fort affectionné tant à connaître la vérité de l'Évangile venant en lumière qu'à la notifier aux autres. »

Trouvant que les cordeliers de son diocèse n'enseignaient « qu'une vieille ânerie » et informé de leurs impostures et tromperies », il leur interdit la chaire et les remplaça par des gens de bien et de savoir : Jacques Lefèvre d'Etaples, Guillaume Farel, Michel d'Arande, Martial Mazurier, Gérard Roussel.... Parmi ceux que l'évêque de Meaux entretenait pour édifier ses diocésains il y avait un jeune clerc qui osa être plus logique et plus courageux que son protecteur lui-même et que beaucoup de ses collègues. Briçonnet n'avait pas tardé à reculer devant les premiers feux allumés. Martial Mazurier de même. Jacques Pouent, lui, fut accusé d'hérésie. Son évêque menacé lui-même n'osa le défendre et il n'est pas sûr qu'il l'aurait pu. Par dérision du Parlement du 29 mars 1525, l'Évêque fut en effet condamné par le Parlement à abandonner ses droits sur son diocésain et à « donner vicariat » à deux conseillers du Parlement et à deux docteurs de Sorbonne pour connaître et décider du crime de Pouent et d'un de ses collègues nommé Saunier. Pendant cette enquête, Pouent était enfermé à la Conciergerie du Palais.

Le Martyrologe de Crespin raconte que dans sa prison il fut sollicité par « des gens devenus froids » à renier ses idées. L'un de ces « refroidis » refroidis par le feu, était Martial Mazurier revenu des idées, hardies pour l'époque, qu'il avait professées quelques mois auparavant. « Vous errez, Jacobé, disait-il à son collègue, vous n'avez pas vu au fond de la mer, mais seulement au-dessus des ondes et des vagues. »

Impressionné par son ami, Jacques Pouent consentit à faire amende honorable devant Notre-Dame de Paris le 23 décembre 1525. Voici comment le Journal d'un bourgeois de Paris raconte la cérémonie.

« Audict an mil cinq cens vingt-cinq, la veille de Noël (6) (le samedi 23 décembre dit Versoris, avec raison) un jeune filz de la ville de Meaulz fist amende honorable, la teste nue et tenant la torche de cire ardente, devant la grande église de Nostre-Dame de Paris, en l'eschelle, criant à Dieu mercy et à Nostre-Dame de ce qu'il avait dit en ensuivant la secte de Luther ; et furent bruslez devant luy aucuns livres qu'il avait translaté de latin en français, tenant le party dudit Luther, lesquels il leust de mot à mot, en déclarant qu'ils étaient faulx et damnables, et furent iceulx bruslez en sa présence ; et de là il fut mené pour estre par long espace de temps prisonnier es prisons des Célestins, au pain et à l'eau. Et fut ce faict par arrest de ladicte cour de Parlement. Et s'il ne se fut desdit des paroles et choses qu'il avait dictes, il eust esté bruslé et se nommait... » (7)

Le crime de Jacques Pouent était donc d'avoir professé les idées de Luther et d'avoir traduit en français quelques-uns de ses livres. Puis il avait eu pitié de sa jeunesse et s'était rétracté. Il n'avait été condamné alors qu'à sept ans de réclusion dans les prisons de Saint-Martin des Champs. Mais sa conviction intérieure fut la plus forte. Dans sa prison, il revint sur ses rétractations et « se repentant avec larmes et soupirs », il fut rempoigné » et brûlé vif place de Grève (8) le 28 août 1526 sans qu'on ait pu obtenir de lui qu'il fît amende honorable. On a conservé une lettre du jeune réformateur, datée du 5 oct. 1524. Il était alors plein d'ardeur. Il racontait à Farel ce qui se passait à Paris et à Meaux. Les idées nouvelles y étaient en grand progrès. « Dieu veuille, s'écriait-il, que la parole de l'Évangile puisse régner ici même et dans toutes les parties du monde ! »

Le bûcher de la place de Grève vint bientôt répondre à ces voeux. « M. Jaques » s'était ressaisi. Il mourut avec une admirable constance et en parlant au peuple, si bien que le théologien Pierre Cornu déclarait « qu'il voudrait avoir coûté à l'église un million d'or et que l'on n'eût jamais laissé parler Jacques Pauvant devant le peuple. » Sa mort, disait-il encore, lui a fait tant d'adhérents qu'il n'est plus possible de les détruire. » (9)

Théodore de Bèze a célébré la constance du jeune luthérien ».

Dieu fait sa grandeur connaître
Et sa sagesse paraître,
Et sa puissance sentir
À ce monde qui l'oublie
Par la faiblesse et folie
Qu'il en tire et fait sortir.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pavanes dedans la flamme,
Triomphe du monde infâme,
De l'erreur et de la mort (10)

Telle fut la première victime protestante que vit brûler la place de Grève et l'Hôtel de Ville naissant de François 1er.

On sait que l'on trouva un bon moyen d'empêcher les martyrs de confesser leur foi et d'appeler des auditeurs à leurs idées. La cour de Parlement sut pourvoir à l'inconvénient. Elle décida que les hérétiques obstinés devaient avoir la langue coupée préalablement. Mais leurs yeux levés au ciel parlaient encore pour eux.

Le second protestant brûlé en Grève s'appelait Luec d'Aillon. C'était un « protonotaire » frère de M. de Lude. On racontait qu'il fréquentait la cour, qu'il avait demeuré à Rome au service du pape Clément et qu'il était « menodour » (11). Il semble bien en effet qu'il ait été quelquefois l'intermédiaire de la correspondance qu'échangeait Marguerite de Valois avec Guillaume Briçonnet (12). Une de ses soeurs, Louise d'Aillon, la grand'mère de Brantôme, était dame d'honneur de Marguerite de Valois.

Mais c'était en 1527, et l'une des clauses du traité de Madrid, signé quelques mois auparavant obligeait François 1er « à se bander contre le Turc et contre l'hérésie de Luther ». Rien ne pouvait sauver Luc d'Aillon qui fut condamné à faire amende honorable devant Notre-Dame. Il s'y refusa énergiquement et l'exécuteur de la haute justice dut le faire en son nom. Il fut ensuite mené en Grève, étranglé à un poteau et brûlé avec son procès (13).
C'était le 4 mars 1527. Luc d'Aillon avait 36 ans.
Mais la plus illustre victime que la place de Grève ait vu sacrifier aux passions de l'intolérance, fut certainement Louis de Berquin.

Louis de Berquin était un gentilhomme de la cour de François 1er. Il descendait d'une famille flamande dont le domaine de Vieux-Berquin (14) était situé près de la frontière de l'Artois et faisait partie de la châtellenie de Cassel en Flandre qui appartenait à Charles-Quint.

On peut bien dire que Berquin était l'honneur de la cour de François 1er. Savant et pieux, ouvert aux bonnes lettres, catholique pratiquant, en relations avec les lettrés de la Renaissance, il leur avait emprunté leur culture sans renoncer à sa vie religieuse. Resté célibataire, il avait gardé une pureté de moeurs à laquelle Érasme qui l'appréciait beaucoup, a rendu un vif hommage (15). François 1er l'aimait, et Marguerite de Valois l'appréciait fort. Dès 1512, son autorité était grande dans les cercles pieux et lettrés d'alors .

Quand le mouvement de la Réforme se dessina, Berquin lui donna un assentiment enthousiaste. Le besoin d'une réforme, de l'Eglise était criant. Berquin ne pouvait pas l'ignorer. S'il souriait avec Érasme de l'ignorance et de la bigoterie des moines et du clergé, il sut apprécier aussi les efforts courageux de Luther ou de Mélanchton pour le relèvement de l'Eglise. Pour faire bénéficier la France du généreux mouvement qui entraînait tant d'esprits excellents, il se mit à traduire en français divers écrits polémiques d'Érasme lui-même, de Luther, de Mélanchton.

Berquin n'était pas seul dans ces idées. De grands personnages comme Briçonnet, l'évêque de Meaux, songeaient à une réforme au moins partielle d'une église vieillie qui avait besoin d'un sang nouveau.

Le plus célèbre professeur de l'Université de Paris, Lefebvre d'Etaples, s'efforçait de remettre en honneur les livres bibliques, les idées d'Augustin sur la justification par la foi. À l'apparition des premiers petits livres de Luther contre les indulgences, la messe ou la Captivité de Babylone, on les avait lus, colportés avec empressement. Des hardiesses nouvelles apparaissaient dans les chaires. Dans les cellules de beaucoup de moines augustins, on trouvait les opuscules du réformateur allemand. La cour paraissait gagnée par le mouvement. La reine-mère Louise de Savoie parut un moment toute anticléricale. François 1er lui-même, s'était mis à la lecture. Sa soeur, Marguerite d'Alençon, protégeait les savants, les esprits hardis, les réformateurs de l'Eglise, les amis de l'Évangile qu'elle lisait elle-même assidûment. Beaucoup de seigneurs et de grandes dames avaient été entraînés, Morelet du Museau, Gaillard de Longjumeau, Madame d'Entragues-Malesherbes, née de Montaigu et bien d'autres.

La Faculté de théologie, la Sorbonne n'avaient pas tardé à s'émouvoir et à entraîner le Parlement où siégeaient d'ailleurs beaucoup de ses membres. Noël Bédier, doyen de la Faculté de théologie, était un des plus fougueux réacteurs.

En 1521 déjà, la Sorbonne avait condamné les écrits et les idées de Luther. Le nom même, de Luther effrayait encore beaucoup des partisans des idées nouvelles. Soumis à des influences contraires, le jeune roi soignait sa popularité en prenant part ostensiblement à des manifestations religieuses éclatantes tout en s'efforçant de contenir la Sorbonne et le Parlement.
Enfin, en janvier 1522, le roi et son conseil décidèrent qu'un concile gallican serait tenu dans toutes les provinces archiépiscopales et qu'on s'y emploierait à « réformer l'église », à « ôter beaucoup d'abus », à pourvoir aux bénéfices vacants et à empêcher enfin que les revenus de ces bénéfices ne sortissent du royaume.
Il y avait dans ce plan de quoi contenter tout le monde.

C'est en vertu de cette disposition générale que le Concile de l'archevêché de Sens se réunit à Paris. On sait que l'évêque de Paris n'était encore à cette époque que le suffragant de l'archevêque de Sens. Le concile se réunit à Paris, à Notre-Dame, le 10 mars 1522, sous la présidence d'Étienne Poncher, archevêque de Sens.


Table des matières

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(1) Les curiosités de Paris, 1719, p. 243.

(2) Paris à travers les âges, de Hoffbauer.

(3) Paris à travers les âges, L'Hôtel de Ville, p. 18.

(4) Au XVIe siècle, les ecclésiastiques et les docteurs s'appellent souvent par leur nom de baptême : maître François, maître Martin, ce sont les appellations courantes de Rabelais ou de Luther. À ce nom de baptême latinisé, on ajoutait souvent le nom d'origine. On s'est aperçu que le martyr appelé longtemps Jean Caturce, Jean de Caturce, se nommait simplement Jean Cahors, du nom de la ville dont il était originaire. Voyez à ce sujet : Léop. Delisle Notice sur un registre des Procès-Verbaux de la Faculté de théologie de Paris, 1889, p. 7, où il cite ce Jean Cahors qu'il n'identifie pas, mais que nous savons d'autre part, être le Jean Caturce du Martyrologe de Crespin.
De même, notre maître Jacques s'appelait Jacobus Pavanus, en français, d'après le même registre : Jacques Pouent (ibid. p. 28). Or, il était originaire de Bohan près Thérouane en Boulonnais. Je crois donc que Jacques se faisait appeler du nom de son village qui fut bien vite déformé, Jaques Bohan = Jacques Pouant. Les autres formes de son nom : Jacques Pauvan, Pauvant, Pavan, Pavanes sont des déformations de la forme latine du nom : Jacobus Pavanus. Rectifions en passant une légère erreur d'Herminjard (Correspondance des Réformateurs, t. I, p. 294) répétée par Doumergue (Calvin, t. I, p. 108). J. Pouant, originaire de Bohan, près Thérouanne, n'était pas de Picardie, mais du pays d'Artois.

(5) Martyrologe, éd. Toulouse, I, 263.

(6) Ce qui veut dire l'avant-veille selon la manière de l'auteur. Cf. Journal d'un bourgeois de Paris, éd. Bourilly, p. 233.

(7) Le nom manque dans le ms., mais il s'agit bien de Jacques Pauvant ou Pouent.

(8) N. Weiss dit place Maubert, mais c'est un lapsus calami, Cf. Bull., 1894, P. 257.

(9) Cf. Herminjard, Corresp. des Réf. t. I, p. 293, 9-94.

(10) Les vrais portraits, 1581 pp. 165-166, cité par N. Weiss, Bull. 1894, p. 257

(11) Minuteur, selon une suggestion de Bourilly, c'est-à-dire chargé de « minuter » les bulles papales. Cf. Journal d'un bourgeois, éd. Bourilly, p. 265.

(12) Cf. Bull., 1894 p. 443.

(13) Voyez journal d'un bourgeois de Paris, éd. Bourilly, p. 265 ; et Chronique parisienne, de Pierre Driart, p. 124.

(14) On a cru longtemps, sur la foi d'un texte mal lu, que Berquin se trouvait dans la Somme près d'Abbeville. M. Paul Beuzart (Les hérésies pendant le moyen-âge et la Réforme dans la région de Douai d'Arras et du pays de l'Alleu, Le Puy, 1912, p. 140), a rectifié ces vues erronées. Il aurait pu citer encore un extrait des délibérations de la Faculté de théologie de Paris, publié par Léopold Delisle et qui constate bien que Berquin était flamand, Flamigius natione (Cf. Notice sur un registre de procès-verbaux de la Faculté de théologie de Paris, p. 47).

(15) Lettre à Uttenhove, du 1er Juillet 1529. Erasmi Opera, t. III p. 1207.

 

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