Cellule 33
Septuagésime, 28
janvier 1945.
QUE LA GRÂCE ET LA PAIX VOUS SOIENT
DONNÉES DE LA PART DE DIEU NOTRE PÈRE
ET DU SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST !
AMEN.
Nous lisons l'Évangile de ce dimanche
de septuagésime,
Matthieu 20 : 1-16 :
Car le
royaume des cieux est semblable à un
maître de maison qui sortit dès le
matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne. Il
convint avec eux d'un denier par jour, et il les
envoya à sa vigne. Il sortit vers la
troisième heure, et il en vit d'autres qui
étaient sur la place sans rien faire. Il
leur dit : Allez aussi à ma vigne, et
je vous donnerai ce qui sera raisonnable. Et ils y
allèrent. Il sortit de nouveau vers la
sixième heure et vers la neuvième, et
il fit de même. Étant sorti vers la
onzième heure, il en trouva d'autres qui
étaient sur la place, et il leur dit :
Pourquoi vous tenez-vous ici toute la
journée sans rien faire ? Ils lui
répondirent : C'est que personne ne
nous a loués. Allez aussi à ma vigne,
leur dit-il.
Quand le soir fat
venu, le maître de la vigne dit à son
intendant : Appelle les ouvriers, et paie-leur
le salaire, en allant des derniers aux premiers.
Ceux de la onzième heure vinrent, et
reçurent chacun un denier. Les premiers
vinrent ensuite, croyant recevoir davantage ;
mais ils reçurent aussi chacun un denier. En
le recevant, ils murmurèrent contre le
maître de la maison, et dirent : Ces
derniers n'ont travaillé qu'une heure, et tu
les traites à l'égal de nous, qui
avons supporté la fatigue du jour et la
chaleur. Il répondit à l'un
d'eux : Mon ami, je ne te fais pas tort ;
n'es-tu pas convenu avec moi d'un denier ?
Prends ce qui te revient, et va-t'en. Je veux
donner à ce dernier autant qu'à toi.
Ne m'est-il pas permis de faire de mon bien ce que
je veux ? Ou vois-tu de mauvais oeil que je
sois bon ? - Ainsi les derniers seront les
premiers, et les premiers seront les derniers.
Lorsque, dans notre dernier culte de l'an
dernier, le soir de Sylvestre, la figure du
vieillard Siméon fut placée devant
nos yeux, tous nous nous sommes sentis directement
intéressés, parce que nous sommes
tous de ceux qui attendent, et tout
particulièrement dans notre
captivité. Ce rapport avec notre situation
n'apparaît guère dans
l'Évangile de ce jour. Il ne semble pas
à première vue contenir un message
qui puisse s'appliquer directement à nos
circonstances. Il y est question d'embauche, de
travail et de salaire, tout autant de choses fort
éloignées de notre inaction
forcée. Les douze disciples, auxquels
Jésus adressa cette parabole, avaient
été engagés par lui à
son service ; ils avaient déjà
fait leurs premières expériences
d'apôtres et ne devaient pas tarder -
après le Vendredi-Saint, Pâques et
Pentecôte - à entreprendre leur grande
mission mondiale.
Mais nous, nous ignorons si le Seigneur
Jésus-Christ nous réserve une
tâche, s'il nous accordera encore un temps de
libre activité, ou si pour nous la
onzième heure n'est pas déjà
dépassée. À cet égard
cet Évangile rend pour nous un autre son que
pour nos frères aujourd'hui réunis
dans les églises et qui ont devant jeux une
abondance de tâches urgentes, ou que pour
nous-mêmes lorsque, dans nos paroisses, nous
étions sollicités par mille
activités.
La Parole de Dieu, toutefois, a ceci de
particulier qu'elle s'adresse à nous en tout
temps et dans n'importe quelle situation, parce
qu'en toute circonstance elle a à nous dire
ce dont nous avons le plus besoin.
Cette parabole nous dit tout d'abord que la
venue du Royaume de Dieu comporte un
enrôlement. Le père de famille sort le
matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne.
Lors donc que le Seigneur Jésus-Christ
annonce : « Le Royaume de Dieu est
proche », il ne veut pas parler d'un
événement qui survient à la
manière d'un phénomène
météorologique ou d'un cataclysme de
la nature que subit bon gré mal gré
quiconque se trouve dans son rayon. La nouvelle
de la venue du Royaume met
plutôt chacun en demeure de prendre position
personnellement : « Le Royaume des
cieux est proche, repentez-vous donc et
convertissez-vous ». Après quoi
vient l'appel :
« Allez à ma
vigne ».
Cela signifie clairement que notre foi ne
peut et ne doit jamais être un oreiller de
paresse, comme Jésus le dit d'ailleurs
explicitement : « Ceux qui
disent : Seigneur, Seigneur, n'entreront pas
tous au royaume des cieux, mais ceux-là
seulement qui font la volonté de mon
père qui est aux cieux », ou
encore : « Tout homme qui entend mes
paroles et les met en pratique, sera comparé
à un homme prudent qui a bâti sa
maison sur le roc ».
C'est pourquoi un christianisme qui s'isole,
qui laisse un monde mauvais suivre son cours et se
contente d'espérer un au-delà
meilleur, n'est rien de plus qu'une caricature
insensée. La vie terrestre de Jésus,
ainsi que l'activité des apôtres,
montrent assez que l'Évangile est une
puissance de Dieu qui sans cesse pousse en avant,
à l'action, aussi longtemps qu'il fait jour,
et partout où la foi chrétienne a
été réelle et vivante, elle a
été agissante. Témoins les
apôtres dont parle le livre des Actes,
l'apôtre Paul, par exemple, qui a pu
dire : « J'ai travaillé plus
qu'eux tous » jusqu'à ce pasteur
Bodelschwingh qui aiguillonnait le zèle de
ses missionnaires et les exhortait :
« Pas si lentement, sinon ils en mourront
tous », par quoi il entendait
désigner les nègres de l'Afrique
orientale auprès desquels il les
envoyait.
Mais c'est là qu'est pour nous la
difficulté : par
« vigne » de Dieu nous
entendons avec raison l'Eglise terrestre, qui
existe et qui se renouvelle constamment par la
vertu de la prédication de la Bonne
Nouvelle. L'image de la vigne se trouve avec cette
signification déjà dans l'Ancien
Testament et c'est sans aucun doute dans ce sens
que Jésus l'a employée dans sa
parabole.
Dans cette vigne du Seigneur il y a toujours
du travail en abondance : des affligés
à consoler, des malades
à soigner, des indécis à
fortifier, des égarés à
ramener dans le droit chemin. Nous seuls sommes
exclus de ces activités, parce que, contre
notre gré, notre foi chrétienne subit
la contrainte de l'isolement et que le lot que Dieu
nous a attribué s'appelle solitude. Le
Seigneur Jésus-Christ nous engage-t-il,
même ici à son service ou bien
devons-nous dire avec les chômeurs de la
onzième heure : « Personne ne
nous a loués ? » Rien ne
serait plus fatal que de nous fourvoyer dans cette
conviction et de nous dérober à toute
responsabilité en la rejetant sur Dieu qui
nous a mis dans cette situation.
En réalité, Dieu nous appelle
tous, sans exception, à son service et
à tous s'adresse. la parole :
« Allez à la
vigne ! » Nous ne sommes tout de
même pas isolés au point de ne pas
avoir à nos côtés des
frères chrétiens en qui le
commandement de Dieu nous montre notre prochain,
afin que nous soyons un encouragement pour sa foi
et non un obstacle. Et même si nous
étions en réclusion
sévère, l'appel de Dieu n'en serait
pas moins catégorique.
L'apôtre Paul écrit dans la
première lettre aux Corinthiens :
« Vous êtes le champ que Dieu
cultive, l'édifice de Dieu ».
Vous, c'est-à-dire tous, mais aussi chacun
en particulier, comme il est écrit dans la
même épître :
« Ne savez-vous pas que votre corps est
un temple du Saint-Esprit et que vous ne vous
appartenez pas à
vous-mêmes ? » Nous ne nous
appartenons pas, mais Dieu, par le baptême,
nous a revendiqués comme sa
propriété. Il y a donc du travail
pour nous au service de Dieu, pour que nous ayons
des oreilles pour entendre son appel. Il y a donc
un service de Dieu dont nous nous acquittons
vis-à-vis de nous-mêmes, si toutefois
nous sommes prêts à le servir comme
lui appartenant. Et les instruments dont nous
disposons pour ce travail au service de Dieu, c'est
la parole de Dieu et la prière.
Chers amis, que d'heures tranquilles dans la
vie que nous menons ici ; mais il ne faut pas
que ce soient des heures creuses.
Il n'est certainement pas dans les intentions de
Dieu que la solitude où il nous place nous
appauvrisse quant aux biens éternels, ni que
ces mois et ces années s'écoulent
sans porter des fruits.
Assurément, il veut qu'on le prie,
toujours à nouveau et avec toujours plus de
fidélité. C'est bien là le
travail urgent auquel il nous appelle. Nous lisons
dans l'épître de Jacques :
« La religion pure et sans tache devant
Dieu notre Père consiste à visiter
les orphelins et les veuves dans leurs afflictions,
et à se préserver des souillures du
monde ». La première partie de ce
service, celui que réclame le prochain qui a
besoin de nous, nous est interdite ; mais le
second, qui consiste à se préserver
des souillures du monde, exige que nous nous y
donnions corps et âmes afin de donner
à Dieu accès à son temple,
afin de lui préparer le champ de notre
coeur, de manière que sa semence puisse y
pousser des racines, croître et mûrir.
Et si même la onzième heure a
déjà sonné, s'il ne nous reste
que quelques semaines à passer dans le
silence, il est encore temps d'entendre l'appel et
de nous mettre à l'oeuvre à laquelle
le Seigneur Jésus-Christ nous destine.
Ce service, que Dieu attend de nous, a sa
récompense. C'est le second point que notre
Évangile traite avec toute la clarté
désirable : le père de famille
convient avec les ouvriers d'un denier par jour.
Même à ceux qui ne furent à son
service que la dernière heure, il dit :
« Je vous donnerai ce qui est
juste ».
Il y eut un temps, pas, très
éloigné, où l'idée de
récompense en matière religieuse et
morale était honnie et conspuée. Un
soi-disant idéalisme prétendait
qu'il fallait faire le bien par
amour pour le bien et que la seule pensée
d'un salaire dépouillait toute bonne action
de sa vertu. Mais cette théorie n'a rendu
les gens ni meilleurs ni plus
désintéressés. La Bible ne
connaît pas cette notion idéale d'un
homme qui fait le bien pour lui-même et
s'abstient du mal parce que c'est le mal. Cet
homme-là n'existe pas, n'a jamais
existé et n'existera jamais.
La Bible s'adresse à l'homme
réel, qui veut se rendre compte de
l'efficacité de ses actes et qui organise
son activité de manière à ce
qu'elle le rapproche de son ou de ses buts. Nous
autres prisonniers, nous savons bien qu'à la
longue il est tout simplement impossible de se
livrer à un travail inutile, à une
activité privée de tout
rendement.
Aussi la Parole de Dieu revient-elle
à tout bout de champ à la notion de
récompense. Et ce n'est pas une sorte de
survivance de l'Ancien Testament, que le message de
Jésus aurait abolie et
écartée. Jésus lui-même
parle très librement d'une récompense
du travail de l'homme, tantôt dans ses
paraboles, comme dans celle de notre
Évangile du jour ou dans celle des talents,
tantôt ouvertement, comme dans le Sermon sur
la montagne ou dans le discours sur le jugement
dernier. Dieu ne se fait pas servir pour rien comme
un marchand d'esclaves ou comme un tyran, mais
à tout travail honnête accompli
à son service, il attribue sa
récompense appropriée.
Notre parabole ne dit pas avec
précision en quoi consiste cette
récompense. Elle fait ressortir un seul
point : à savoir que chaque ouvrier
reçoit un denier, quelle que soit la
durée de son travail. C'est dire que le
Seigneur ne fait pas de différence dans la
rétribution. Cela ne semble pas s'accorder
aisément avec la parabole des talents
où le premier serviteur reçut le
gouvernement de dix villes, le second de cinq
villes, chacun selon son travail, tandis que le
serviteur paresseux se vit dépouillé
de son unique talent qui fut
encore ajouté aux dix du premier. Ici, au
contraire, chacun obtient la même somme,
c'est-à-dire le denier convenu, Par
là, Jésus ne peut pas avoir voulu
dire autre chose que ceci : à quiconque
s'est mis au service de Dieu et y a
persévéré jusqu'au soir, quel
que soit le moment où il a été
appelé, Dieu donne le salaire complet. Et
d'après tout ce que nous dit le Nouveau
Testament, notre récompense est d'avoir Dieu
pour Père, nous tous qui avons
répondu à l'appel de Jésus,
depuis le premier du cercle des douze disciples
jusqu'au brigand sur la croix. La récompense
est dans le fait que tous bénéficient
totalement de l'oeuvre rédemptrice de
Jésus-Christ, qu'ils aient été
appelés tôt ou tard à le suivre
et à le servir, un pauvre péager et
pécheur, comme le fut Matthieu, aussi bien
que le pieux zélateur de la loi, comme le
fut Paul avant l'événement du chemin
de Damas.
Il est vrai que cette interprétation de
la parabole n'est pas tout à fait
adéquate. Le don de l'amour de Dieu et du
pardon des péchés, le sacrifice de
Jésus sur la croix, consommé pour
nous : ce ne serait là rien de plus
qu'un denier, un salaire pour notre modeste travail
d'une journée ? Mais, le terme de
récompense ou de salaire prend ici un sens
nouveau et tout autre. Nous entendons par
là, d'habitude, une sorte de contre-valeur
pour la peine que nous avons
dépensée. Or, ici, il n'est pas
question de cela. Dieu fait pour nous infiniment
plus que tout ce que nous demandons ou pensons,
à plus forte raison : que ce que nous
méritons. Il ne procède pas par
échange de prestations, comme le ferait un
patron ; mais il agit comme un père
dont le coeur débordant d'amour et de
miséricorde divine s'ouvre au fils prodigue
repentant aussi bien qu'au fils obéissant,
sans rien perdre de la
plénitude de sa richesse. Car il est et
demeure riche pour tous ceux qui l'invoquent.
Dirons-nous : « Personne ne
nous a loués » parce que,
enfermés derrière les barbelés
et les grillages, nous sommes réduits
à une vie solitaire ? Non, amis, Dieu
nous appelle à tendre nos coeurs par la
prière vers cet amour qui est sa
récompense. Il nous l'a promis :
« Quiconque invoque le nom de
l'Éternel sera sauvé ». Et
le Seigneur Jésus-Christ l'a
confirmé, en disant :
« Heureux ceux qui ont faim et soif de la
justice, car ils seront
rassasiés ». Dieu
récompense le service auquel il nous
appelle, et il le récompense au delà
de toute intelligence. Heureux sommes-nous d'avoir
un tel Maître.
Il se trouve dans la parole des ouvriers de la
vigne que les premiers embauchés murmurent
de ce que les autres, venus plus tard et même
ceux qui furent à l'ouvrage tout juste une
heure, reçoivent le même salaire
qu'eux-mêmes. Et certes il faut convenir
qu'en jugeant selon cette norme humaine les gens
ont raison. Un employeur humain qui agirait ainsi
ne serait pas seulement un mauvais homme
d'affaires, mais il saperait toute morale du
travail et toutes les bases d'une justice
sociale.
Ici, toutefois, nous n'avons pas un
épisode de notre vie commune, mais une
parabole du Royaume de Dieu ; non pas un
entrepreneur terrestre, mais le Père
céleste ; non pas une récompense
correspondant à nos efforts, mais la
surabondance du don de Dieu à ses enfants ;
non de l'argent ou une valeur monétaire,
mais l'amour de Dieu, sa grâce et sa
miséricorde, qui sauve le pécheur de
la perdition et l'introduit au Royaume des cieux.
Il est des hommes qui, dès le matin
de leur vie, sont appelés par Dieu et
entrent à son service. D'autres, que son
appel n'atteint que plus tard ; et d'autres
encore qui ne le perçoivent qu'au dernier
moment. Ce sont là, assurément, des
différences, voire de notables
différences, humainement parlant.
Toutefois, même ceux qui sont venus
les premiers ne sauraient considérer le don
immense de Dieu comme un dû pour leur
travail, car l'amour n'est jamais quelque chose de
mérité. Un père peut dire,
sans doute, à son fils
égaré : « Bien, je
veux te pardonner, mais il te faudra mériter
mon amour tout à nouveau ». En
réalité le père veut seulement
avoir la preuve que son fils tient vraiment
à l'amour paternel, et s'il voit cette
preuve, il rend au jeune homme son affection ;
il la lui donne tout à nouveau.
Nous pouvons mériter
rétribution, éloge,
considération, mais l'amour est toujours un
don, et cela est vrai tout particulièrement
de l'amour de. Dieu.
Lors donc que des gens pieux, appelés
dès leur jeune âge, regardent avec
mépris ceux qui ont passé la plus
grande partie de leur vie loin de Dieu et n'ont
entendu son appel que tardivement, peut-être
même à la dernière heure, et
n'ont pu lui consacrer que les misérables
restes de leur vie et de leur force - lorsque ces
gens pieux se mettent à récriminer de
ce que de tels retardataires sont traités
par Dieu comme ses enfants et mis également
au bénéfice de ses promesses - s'ils
s'imaginent avoir par leur fidélité
et leur constance mérité quelque
chose de plus et de mieux par rapport à ces
rescapés - il arrive alors que le Seigneur
Jésus-Christ donne à ses disciples
comme un avertissement : Les premiers seront les
derniers et les derniers les remplaceront.
C'est l'amour de Dieu qui nous est
donné - c'est sa miséricorde qui fait
de nous ses enfants ; et comme tels, nous
sommes les premiers, si près de son coeur
paternel, que rien ni personne ne peut nous
séparer de lui, à moins que
nous-mêmes nous le quittions. Aussi longtemps
que nous prenons son amour pour ce qu'il est,
c'est-à-dire pour le don ineffable et
incommensurable qui, par la foi, donne à
notre vie son fondement, imprime à notre
activité, par l'amour, sa bonne direction
et, par l'espérance, arrache à la
mort son aiguillon, aussi longtemps, dis-je, nous
restons dans la communion de notre Père
céleste et ne pouvons faire autrement
qu'aimer Dieu et notre prochain comme
nous-mêmes.
Si, en revanche, il arrive que nous ne
puissions plus regarder notre prochain avec amour,
comme celui que Dieu a aimé au même
titre que nous, puisque, pour lui aussi, Dieu a
donné son Fils unique, c'est que nous ne
sommes plus dans l'amour de Dieu, nous ne sommes
plus les premiers, les plus proches de son
coeur.
Nous nous mettons alors à critiquer
Dieu, à opposer notre notion de la justice
à l'amour infini et insondable de Dieu par
lequel seul, pourtant, nous pouvons vivre. Tout est
à recommencer : des premiers nous
sommes devenus les derniers, n'étant plus
enfants de Dieu, mais des hommes qui
prétendent calculer avec Dieu et le mettre
au service de leur volonté, au lieu de le
servir par amour et par reconnaissance.
Vaine tentative, car à cela Dieu a
toujours la réponse de sa
toute-puissance : « Ne m'est-il pas
permis de faire de mon bien ce que je
veux ? » Puis :
« Prends ce qui est à toi et
va-t'en ». Nous n'avons alors dans la
main rien de plus qu'un denier et le soleil
disparaît de notre vie, parce que nous devons
reconnaître que le salaire que nous avons
mérité n'est rien, que l'amour de
Dieu était tout, cet amour
de Dieu que nous voulions
régenter au nom de nos principes de justice,
derrière lesquels se cachaient notre manque
d'amour et notre recherche de nous-mêmes.
Mes chers amis, tout cela n'est pas une fade
théorie. Sans quoi le Seigneur Jésus
n'aurait pas eu besoin de donner cet avertissement
à ses disciples et les apôtres
n'auraient pas eu à le conserver et à
le consigner à notre intention. Le vieil
Adam qui est en nous n'a jamais fini de faire des
comparaisons et de se croire supérieur
à son compagnon de service. Il nous faut
donc le discipliner sérieusement. Car
là où il prend la haute main, c'en
est fait du service de Dieu et la parole :
« Prends ce qui est à toi et
va-t'en » devient un licenciement. Ce
qu'ensuite nous croyons encore faire pour servir
Dieu perd toute signification et toute valeur.
Plusieurs diront ce jour-là :
« Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas
prophétisé en ton nom, chassé
les démons en ton nom : n'avons-nous
pas fait beaucoup d'actions en ton
nom ? » Mais je leur
répondrai : « Je ne vous ai
jamais connus, ouvriers
d'iniquité ».
Si, dans cette parabole, le Seigneur
Jésus-Christ nous fait toucher du doigt que
le service de Dieu est incompatible avec l'absence
d'amour pour le prochain, il ne nous reste qu'une
chose à faire. Non pas nous contraindre
à l'amour fraternel, car l'amour n'est pas
plus objet de contrainte qu'il ne peut être
objet de mérite. Le seul moyen de combattre
en nous le vieil Adam, c'est de prier Dieu qu'il
veuille faire croître en nous son amour afin
qu'il remplisse notre coeur. Notre amour du
prochain en recevra une vigueur nouvelle et, dans
notre compagnon de travail, nous
reconnaîtrons le frère avec lequel
nous glorifierons la miséricorde et la
bonté de notre Père qui est au ciel,
oui, nous le glorifierons dans la communion de ses
enfants rachetés. C'est là ce que
nous voulons faire. « Grâces soient
rendues à Dieu pour son don
ineffable. »
Amen.
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