Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Histoire de Topsy
III

Nous présentons ici, à nos jeunes lecteurs, la fin de l'histoire de Topsy.
Chaque jour Topsy espérait voir arriver grand-papa Fan, mais il ne venait toujours pas. Enfin il annonça par une lettre qu'il serait à la Cité-des-sables la semaine suivante ; mais des jours et des semaines passèrent sans qu'on le vît arriver. L'anxiété augmentait et les Dames étaient en grande peine quand un charretier inconnu se présenta chez elles :
- Je vous apporte un message, dit-il, de la part d'un vieux monsieur du nom de Fan. S'étant mis en route pour vous rejoindre ici, il a été arrêté par des voleurs à la Porte de Jade, dépouillé de tout ce qu'il avait et forcé de rentrer chez lui, bien heureux encore d'avoir la vie sauve. Il vous fait dire de rester où vous êtes, les routes n'étant pas sûres.
- Voilà des nouvelles bien alarmantes, dit la Dame Grise.
- Tranquillisez-vous, maîtresse, dit le messager, pendant les trois derniers jours de notre voyage, nous n'avons pas rencontré un seul brigand.

C'est ce que tout le monde disait et pourtant, peu de jours après, les Dames et Topsy, étant allées faire un tour hors de la ville, furent accostées par un gamin qui leur recommanda de rentrer à la maison aussi vite que possible.
- Le général et son armée sont dans les environs, dit-il, ils peuvent être ici d'un moment à l'autre, et les portes de la ville vont être fermées dans une heure.

On n'en écouta pas davantage. Le charretier fouetta les mules qui, malgré les chemins défoncés, se mirent à trotter bravement. On arriva juste avant la fermeture des portes. Les rues étaient désertes et le maire plaçait des sentinelles sur le mur de la ville. La brigade était prête devant sa maison.
Avant le coucher du soleil déjà, des voix menaçantes se firent entendre derrière la grande porte de la ville, criant que, par ordre du général Ma, on eût à ouvrir cette porte tout de suite.
Le maire, pour éviter des malheurs, se décida à obéir tout en disant aux assaillants :
- Mes seigneurs, nous ne sommes ici que quelques pauvres gens, et rien de ce que nous possédons ne peut avoir de valeur pour vous ; cependant nous sommes très heureux de vous recevoir et espérons que vous venez en amis.
- Nous sommes les amis de ceux qui nous traitent bien, ouvrez immédiatement, fut la réponse.

Et voilà la Cité-des-sables sous le dur gouvernement du général Baby. Lui-même avait établi son quartier général dans une grande ville, à quatre journées de chemin de la Cité-des-sables, mais il avait des espions partout, et ceux-ci l'avaient renseigné sur les fameux greniers de cette ville ; aussi chaque jour pouvait-on voir défiler des charrettes bien chargées de céréales, d'estagnons d'huile et de monceaux de légumes se dirigeant vers le camp du général. Les brigands emmenaient aussi tous les jeunes gens qu'ils pouvaient attraper pour en faire des recrues, mais c'était difficile, car beaucoup d'entre eux se cachaient dans le désert.

Les jeunes gens ne furent pas les seuls à être appelés à partir pour le camp ; un soir, un ordre parvint aux Dames, disant qu'elles eussent à se tenir prêtes pour le lendemain avec Topsy et les serviteurs. Il fallait obéir.

Et c'est ainsi qu'en ce matin de décembre, par un froid rigoureux, elles quittèrent leur maison de la Cité-des-sables pour faire ce long trajet de quatre journées de chemin. Tous les amis chrétiens vinrent leur dire adieu et Topsy était désolée de voir pleurer ses mamans.
- Cependant, disaient les amis, pensez souvent à ce beau passage de l'épître aux Hébreux : « En sorte que, pleins de confiance, nous disions : Le Seigneur est mon aide et je ne craindrai point : que me fera l'homme ? » (Héb. 13, 6).

Au camp, la vie était dure, les repas se composaient uniquement de millet, une bouillie de cette même céréale pour le déjeuner et le soir une soupe claire. Le chef de l'intendance militaire leur avait bien donné des cartes de ravitaillement pour du pain et de la farine mais, quand le cuisinier alla chercher la marchandise, on se moqua de lui en disant qu'on n'avait pas une miche de pain et point du tout de farine à vendre, seulement du millet. Chaque jour, des soldats venaient chercher deux des Dames et les menaient auprès du général Ma. Quand elles revinrent de leur première visite, elles racontèrent qu'il avait reçu une balle dans la jambe et qu'elles avaient dû panser et soigner ses blessures.

Naturellement Topsy n'avait jamais la permission de sortir aussi passait-elle son temps à regarder au travers d'un trou dans la fenêtre de papier de sa chambre. Elle voyait les soldats qui soignaient les chevaux et même un jour elle vit Kara et une autre de leurs mules volées. Elle poussa un petit cri, pensant que c'était peut-être le moment de les reprendre, mais on lui fit comprendre qu'elle ne devait pas montrer qu'elle les reconnaissait.

Les jours passaient et la vie de camp, bruyante et harassante, commençait à peser sur les mamans de Topsy, celle-ci s'en apercevait bien et comprenait leur grand désir de retourner à la Cité-des-sables.

Un matin, un soldat entra à l'improviste dans la chambre, et tendit un billet à la Dame Bleue. Topsy pensait que c'était encore un de ces bons de ravitaillement, mais, si elle avait su lire, elle aurait compris pourquoi tous les visages s'éclairèrent et devinrent si joyeux. Sur le papier étaient écrits ces mots :

« Les missionnaires et leurs serviteurs sont autorisés à retourner à la Cité-des-sables ; permission accordée par le général Ma-Chung-Ying, ce cinquième jour de la onzième lune, de la vingt-deuxième année de la République.
Timbré par ordre militaire. »

Ce fut surprenant de voir la rapidité avec laquelle on fut prêt à partir. On se passa même de dîner, mais la Dame Bleue fut encore appelée à faire une dernière visite au général blessé. En recevant cet ordre, elle et la Dame Grise ouvrirent quelques paquets de livres et choisirent un volume avec une belle couverture de cuir. Sur cette couverture étaient imprimés de grands idéogrammes d'or. L'écriture chinoise se compose de signes représentant des images d'idées et de choses.

En remarquant le soin que les dames prirent pour envelopper le livre, Topsy vit bien qu'il s'agissait d'un cadeau destiné au général. Combien il allait être content ! se dit-elle. Ce livre était une Bible chinoise et, quand la Dame Bleue fut de retour, elle se plut à décrire la façon dont le général ravi reçut le cadeau en saluant.

Pendant qu'on chargeait les charrettes, des soldats s'approchaient et tout bas disaient aux Dames :
- Si vous voyez ma vieille mère, dites-lui que je suis ici et que je ferai mon possible pour rentrer bientôt.

On partit enfin ; les charrettes furent arrêtées bien des fois par des hommes grossiers et féroces, mais qui, à la vue du laissez-passer muni de son cachet, se mettaient au « garde à vous » et disaient : Passez.

Caractères chinois

 

Et l'on se remettait en route pour arriver enfin hors de la zone occupée par les brigands. Puis les voyageurs, cheminant à travers le désert, atteignirent sains et saufs la Cité-des-sables.

C'était en février. Une tempête de sable d'avant-printemps se déchaînait sur la ville.

Les trois Dames étaient dans la pièce qui leur tenait lieu de chambre à manger, de salon et de chambre à coucher. Le kang occupait un des coins de la pièce et comme mobilier il n'y avait qu'un banc de bois, une petite table et une malle.
La Dame Grise, assise sur le kang, faisait un choix de petites feuilles pour les enfants de l'école du dimanche ; la Dame Brune comptait et enfilait des pièces de monnaie de cuivre percées pendant que la Dame Bleue allait et venait dans la chambre.
Topsy, assise sur une chaise, observait attentivement les visages de ses mamans. Elle comprenait qu'on parlait de choses très importantes, soit des aliments qui devenaient de plus en plus rares, soit des brigands qui chaque jour étaient en plus grand nombre.
- Il ne faut en aucun cas entamer notre réserve secrète, disait la Dame Bleue, que ferions-nous si nous n'avions plus rien pour notre voyage ?
- Je ne suis pas aussi inquiète de notre nourriture que de celle des bêtes, disait la Dame Grise, nous pourrions nous contenter de demi-rations pendant longtemps, mais si les mules perdent leurs forces, elles ne pourront jamais nous faire traverser le désert de Gobi. Ce matin, un homme qui vendait du bois, disait que quelques personnes ayant pu fuir par le passage du « Puits des Ânes Sauvages », on y avait beaucoup renforcé la garde.
- Et si nous demandions un laissez-passer ? proposa la Dame Brune.
- Nous pouvons essayer, dit la Dame Grise, mais si on nous le refuse, notre situation sera pire qu'avant, car tout le monde saura que nous avons l'intention de nous enfuir.

Néanmoins, le jour suivant, la Dame Bleue et la Dame Brune allèrent chez le commandant et bravement lui demandèrent un permis pour quitter la Cité-des-sables. Il parut très surpris et répondit qu'il n'avait pas l'autorisation de signer des laissez-passer. Alors la Dame Bleue, s'enhardissant, le pria de bien vouloir en demander un au général Ma.
- Je le ferai, dit-il en hésitant, puis ayant griffonné quelques mots sur une feuille de papier, il la remit à son secrétaire.
- Votre requête partira avec le courrier d'aujourd'hui, cependant, dit-il, je ne vous garantis pas une réponse favorable.

Dix jours plus tard, la réponse vint, contenant un refus catégorique.
On aurait pu croire que les Dames avaient abandonné leurs projets de fuite tant elles se remirent avec entrain à leur tâche journalière.
Deux ou trois fois par semaine, elles faisaient une tournée dans les fermes du voisinage et les habitants de ces campagnes étaient toujours heureux de les voir arriver. Les sentinelles aux portes de la ville étaient si habituées à leurs allées et venues qu'elles ne les inquiétaient jamais et avaient toujours un mot aimable à leur adresse.
Mais la vie devenait de plus en plus pénible, la situation empirait de jour en jour ; dans les rues de la ville, les gens mouraient de faim et de fièvre.

Le général des brigands avait enjoint aux missionnaires de ne pas partir, mais c'est à Quelqu'un de plus puissant que lui qu'elles remettaient tous leurs soucis.
Chaque matin, avant l'ouverture de la porte d'entrée, toute la maisonnée se réunissait dans la chambre commune. On commençait par chanter une hymne, puis chacun se mettait à genoux pour la prière.

Ce matin-là, dans les paroles du cantique, il était question de pèlerins traversant le désert et demandant au grand Dieu Jéhovah de les guider par la colonne de nuée et la colonne de feu.
Comment cela pourrait-il se réaliser pour nos missionnaires et leur suite ? Sauront-elles discerner le chemin à suivre ? Elles demandèrent alors avec instance à Dieu de les guider, en sorte qu'elles ne commettent pas d'erreurs.

Pendant tout le mois de mars, les Dames allèrent ici et là dans les fermes, accomplissant leur mission bénie, mais toujours attentives, elles espéraient voir la colonne de nuée et la colonne de feu.

Au début d'avril, Dieu parla à leurs coeurs, leur faisant comprendre que le moment de partir était arrivé. Elles étaient sûres que c'était Sa volonté, car Il le leur fit savoir séparément, aussi n'osèrent-elles pas tarder.

À la tombée de la nuit, quand la porte d'entrée fut fermée, au lieu d'aller se coucher, on serra dans des sacs toutes les réserves secrètes, puis on les plaça sur les charrettes. Tous les préparatifs se firent sans bruit. À l'aube on fixa encore le reste des bagages à leur place et tout fut prêt.
Au tout dernier moment un léger repas fut servi et l'on partit.
Topsy et deux de ses mamans allèrent à pied jusqu'au fossé en dehors de la muraille de la ville, tandis que la Dame Grise partait en charrette, cachant de son mieux les bagages.

La route à suivre allait directement au nord, mais nos amis, pour plus de sûreté, quittèrent la ville par la porte du sud, firent un grand détour et arrivèrent enfin aux fermes situées tout au nord de l'oasis. Là, devant eux, s'étendait le désert avec le passage du « Puits des Ânes Sauvages » au premier plan. Ils entrèrent dans une ferme et demandèrent de l'eau bouillante pour faire du thé. Tout en le buvant, on échangea quelques paroles.
- Est-ce le « Puits des Ânes Sauvages », là-bas ?
- Oui, répondit le fermier.
- Nous avons entendu dire que la garde y avait été renforcée.
- Oui, jusqu'à aujourd'hui, mais ce matin, ils sont tous partis.

Quelle réponse étonnante ! plus d'un dans la petite troupe pensa à la colonne de nuée et à la colonne de feu qui les conduiraient.
- Où sont-ils allés ? demanda le cuisinier.
- Du côté de la Cité-des-sables, répondit le fermier.
- Mon ami, dit le charretier, pouvez-vous affirmer qu'il n'y aura personne cette nuit au « Puits des Ânes Sauvages » ?
- J'en suis parfaitement sûr, dit le fermier.
- Il se fait tard, dit la Dame Grise, finissons notre thé et partons.

Une heure après, tandis que la lumière grise du crépuscule se changeait tout doucement en obscurité, la petite caravane dépassa le « Puits des Ânes Sauvages » et s'effaça dans l'immense nuit.

Ne sera-t-on jamais débarrassé des brigands et de leurs fusils ? C'est sûrement ce que pensait Topsy quand, deux jours plus tard, au milieu du désert, des hommes armés apparurent tout à coup comme s'ils étaient sortis de terre. Les voilà maintenant posant leurs questions :
- Où allez-vous ? Que faites-vous ici ? Nous avons l'ordre d'arrêter tous ceux qui n'ont pas de laissez-passer !

Topsy se blottit derrière la Dame Grise, au fond de la charrette. De là, elle vit la Dame Bleue déplier et tendre aux soldats une grande feuille de papier couverte d'écriture et de cachets rouges. En examinant la feuille, leurs visages devinrent moins féroces et c'est même d'un air aimable que l'un d'eux la rendit à la Dame Bleue en secouant la tête d'un air d'approbation. Puis, sautant sur leurs montures, les brigands repartirent par le désert.

Topsy ne se doutait guère du grand danger auquel la petite troupe venait d'échapper et combien peu s'en était fallu que toute la caravane ne retournât dans l'affreux camp des brigands.

La Dame Bleue avait risqué beaucoup en montrant son passeport aux soldats. Il était tout à fait en règle, délivré par le gouvernement chinois, mais n'avait aucune valeur aux yeux du général Ma qui était en révolte contre ce gouvernement. Il l'aurait jeté au feu s'il l'avait eu entre les mains, et Topsy et ses mamans auraient été ramenées au camp ; leurs projets de voyage seraient alors restés pendant bien longtemps sans exécution. Mais Dieu intervint. Il se trouva que les soldats qui avaient arrêté nos amis n'avaient jamais été à l'école, ils ne savaient pas lire et ne connaissaient même pas l'équivalent chinois de A, B, C, qui est Ren, Ma, Li. Quand ils virent les grands sceaux rouges sur ce passeport du ministère des affaires étrangères, ils pensèrent que c'était leur chef qui les avait apposés et que ce document important était un permis du général lui-même.

Quand les brigands furent hors de vue, la caravane fit halte et les missionnaires rendirent grâces à Dieu pour cette nouvelle marque de sa puissance en leur faveur.
On se remit en route en pressant extrêmement la marche, pendant des jours et des jours, ne se reposant qu'à la nuit tombée et quelques heures seulement. À mesure que l'on avançait, la fatigue et le sommeil se faisaient de plus en plus sentir.

Combien ce voyage dura-t-il ? Topsy n'aurait su le dire, elle avait perdu la notion du temps à force de voyager jour et nuit ; elle n'aspirait plus qu'à arriver dans un lieu où elle pût dormir.

Enfin voilà quelques personnes dans le lointain. Pendant un moment le coeur de Topsy se glaça de peur quand elle vit que c'étaient des soldats armés, mais l'instant d'après, ayant vu la figure réjouie du charretier, elle comprit que cette fois c'était une troupe amie. Ils entourèrent la charrette, posant des questions et racontant les durs combats qu'ils avaient eus contre les soldats du général Ma. Leurs visages amaigris et leurs habits fripés en faisaient foi.

C'est parmi les murs calcinés des fermes incendiées que nos voyageurs cheminaient maintenant ; partout les arbres étaientcoupés et tous les habitants avaient fui, laissant les champs non ensemencés.
Finalement ils arrivèrent devant la grande ville de Hami dont ils franchirent les portes.

Il y eut encore tout un mois où l'on fut secoué dans la charrette cahotante avant d'arriver à Umruchi, la capitale du Turkestan. Les Mongols l'appellent Umruchi, mais cette cité a plusieurs autres noms, un des plus faciles à retenir est Hung Miao, qui veut dire le Temple Rouge. Dans cette ville les dames avaient des amis et une maison où elles pouvaient demeurer ; cependant elles désiraient rentrer dans leur propre pays aussi vite que possible. Mais elles étaient en souci de savoir ce qu'il fallait faire de leur petite Topsy qui n'avait point de passeport. On ne pouvait pas la renvoyer chez grand-papa et grand-maman Fan, la distance était trop grande et les routes infestées de brigands.
« Si Dieu nous l'a donnée pour que nous en prenions soin, dit la Dame Brune, Il exaucera notre désir de la conserver avec nous. »

Tout en cheminant et devisant, nos amis arrivèrent aux portes de la ville du Temple Rouge. Sur ces entrefaites, ils virent deux cavaliers qui s'approchaient à bride abattue. Les dames reconnurent un de leurs amis missionnaires, avec son serviteur mongol. Après les souhaits de bienvenue, l'ami les informa qu'elles étaient invitées à une réception ce même soir et que là, elles rencontreraient un des consuls britanniques de Kashgar qui était de passage à la ville du Temple Rouge. Les dames échangèrent un regard d'intelligence, car elles savaient que, si quelqu'un avait le pouvoir de leur procurer un passeport pour Topsy, c'était justement ce consul.

Le soir venu, les dames reçurent le plus gracieux accueil de l'hôtesse chinoise qui les avait invitées. Là se trouvaient, en effet, le consul britannique et quelques amis. Tous furent très heureux de les voir saines et sauves après tant de dangers courus.
Le consul se montra plein de bonté ; il voulut savoir tout ce qui concernait Topsy et promit que le lendemain il parlerait d'elle au gouverneur chinois, « mais, dit-il, il faut qu'elle ait un nom et un prénom chrétiens, si elle fait un voyage à travers le monde ».
Topsy n'avait pas de nom de famille, il fallait lui en trouver un. Chacune des dames avait un surnom, celui de la Dame Bleue était « Gai ». Il fut décidé qu'on l'appellerait ainsi, et qu'on changerait son prénom d'Ai-Lien en « Eileen », Eileen Gai serait un fort joli nom pour elle.

Le lendemain les dames reçurent le laissez-passer pour Topsy, mais elles ne pouvaient pas partir avant d'avoir reçu une autorisation de Moscou, leur permettant de traverser la Russie. Quand elle arriva au bout de trois mois, Topsy pleura de joie pour la première fois de sa vie.
Après cela on se hâta de préparer les bagages, d'emballer des vêtements chauds, car on allait traverser la Sibérie où il fait très froid.
Quand on quitta la ville du Temple Rouge, la voiture dans laquelle on monta était toute différente de celles que Topsy avait vues jusqu'ici. Elle était tirée par trois chevaux attelés de front. Celui du milieu avait un arceau de bois au-dessus de la tête, auquel était attaché un grelot qui tintait tout le temps. Le conducteur était un Russe haut de taille qui faisait trotter ses chevaux à l'aide d'un long fouet.
Certains parcours étaient effroyables, à cause des profondes rivières qu'il fallait traverser ; malgré cela, ils arrivaient toujours sains et saufs de l'autre côté. « L'Éternel, ton Dieu, t'a porté comme un homme porte son fils dans tout le chemin » (Deut. 1, 31).
Au bout de trois semaines on arriva à Chuguchak, la Cité des Mouettes, ville pleine de gens extraordinaires et de magnifiques bâtiments.

Jusqu'à présent, Topsy n'avait jamais voyagé aussi rapidement que dans cette « briska » attelée de ses trois chevaux, mais elle vit bientôt une chose plus merveilleuse encore. Il y avait devant elle un immense véhicule dans lequel les voyageurs placèrent leurs bagages, puis montèrent eux-mêmes. Il n'y avait pas de chevaux devant la voiture, cependant le conducteur grimpa sur son siège, puis la machine s'ébranla et se mit à descendre la rue ! Ce fut le premier contact de Topsy avec un autocar, pas très heureux il est vrai. La route étant fort mauvaise, le car était secoué et les voyageurs avaient toutes les peines du monde à maintenir les bagages en place.

Ce fut par une chaude matinée qu'on monta dans le car ; pendant plusieurs heures les passagers furent brûlés par les rayons d'un soleil ardent, puis vint la fraîcheur du soir et le soleil se coucha. Le car roulait toujours quand la lune se leva, seulement maintenant au lieu d'avoir trop chaud, on était transi de froid. La nuit fit place à l'aurore et vers midi les voyageurs engourdis et endoloris purent descendre de voiture.

Après avoir attendu pendant une heure sur le quai de bois avec les dames et d'autres voyageurs, Topsy vit arriver un train aussi long qu'une caravane du désert. Ce fut un nouveau sujet d'étonnement pour elle et quand on l'eut installée près de la fenêtre dans le wagon, il lui sembla qu'elle ne se fatiguerait jamais de regarder tout ce qui s'offrait à ses yeux. Le train tantôt passait au travers d'épaisses forêts, tantôt s'arrêtait dans un endroit où il n'y avait que quelques cabanes habitées par des hommes très grands et barbus. Les femmes portaient sur la tête des fichus aux couleurs voyantes et les enfants avaient les cheveux d'un blond si pâle, que cela faisait penser à l'orge quand il est mûr pour la faucille.

Vers la fin de l'après-midi on arriva en gare d'une grande ville. Topsy vit alors la Dame Grise sortir la théière du sac, y mettre quelques pincées de thé et aussitôt que le train s'arrêta, la donner à la Dame Brune ; celle-ci sauta hors du train suivie de la Dame Bleue qui portait une bouilloire. Topsy les vit courir le long du quai avec beaucoup d'autres personnes, emplir leurs récipients d'eau bouillante à un énorme robinet, et revenir avec un thé délicieux. Après en avoir bu quelques tasses, les voyageurs s'étendirent sur les bancs pour dormir.

Après trois jours de voyage on arriva à la capitale de la Sibérie, Novo-Sibirsk, où tout le monde descendit du train. Pendant tout un jour et la moitié de la nuit on resta assis dans une salle d'attente pleine de gens étendus sur le plancher. Le train qu'on prit ensuite était tellement bondé de voyageurs que les Dames eurent beaucoup de peine à trouver de la place. Il n'y avait point de bancs, aussi devait-on s'asseoir ou se coucher par terre.
Après quelques jours de ce trajet difficile, on atteignit Moscou, la capitale de la Russie.
Quel délassement pour chacun de pouvoir enfin baigner son visage dans de l'eau fraîche après en avoir été privé si longtemps ; mais pour Topsy ce fut une sensation inoubliable de voir jaillir de l'eau du mur rien qu'en touchant le bouton de cuivre au-dessus du bassin, dans la salle d'attente.

À partir de Moscou, le voyage fut plus agréable, les voitures étant de plus en plus confortables. Un jour, roulant aisément et sans secousse, le train atteignit enfin Berlin.

Les lecteurs de cette histoire ne peuvent pas se souvenir de la première fois qu'ils ont vu un lit, ils en ont toujours eu, mais si vous demandiez à Topsy, elle vous dirait que c'est à Berlin qu'elle en vit un vrai, à ressorts, pour la première fois. C'était quelque chose de bien différent des lits de sangle que ses mamans employaient en Asie.

En allant se coucher, elle se promit qu'avant de s'endormir, elle sauterait et danserait dessus, pour le plaisir d'être lancée en l'air, mais par malheur, elle posa la tête sur l'oreiller doux et frais et ferma les yeux.... pour un instant seulement. Quand elle les rouvrit, voici, c'était le matin, un brillant soleil remplissait la chambre. Alors elle se leva. Un peu plus tard, elle prit son déjeuner devant une table recouverte d'une nappe si blanche qu'elle eut peur - car, qu'arriverait-elle si son couteau et sa cuiller déviaient et faisaient sauter quelque chose hors de cette glissante assiette ? Se servir d'un instrument aussi dangereux que le couteau la mettait à une rude épreuve, elle qui depuis sa toute petite enfance prenait sa nourriture à l'aide de bâtonnets qu'elle maniait avec beaucoup de dextérité.
Tout était miracle pour Topsy : l'eau courante, les installations électriques et toutes sortes d'autres choses dont la petite Mongole n'avait jamais soupçonné l'existence.

Topsy allait bientôt arriver au terme de son voyage. Un soir, très tard, elle fut emmenée à la gare et mise dans une couchette dans le train. Le lendemain matin elle descendit sur un quai qui faisait face à la mer. C'était la première fois qu'elle la voyait et elle pensa que cette immense étendue d'eau devait être une rivière très large, plus large que celles qu'elle avait vues jusqu'ici puisqu'on ne pouvait pas voir l'autre bord. Les bateaux à vapeur lui semblaient être d'étranges maisons avec d'énormes cheminées blanches et, bien qu'elle fût habituée maintenant aux choses pouvant se mouvoir sans qu'on les tire ou qu'on les pousse, elle avait de la peine à réaliser que ces maisons flottantes étaient des bateaux. Le seul qu'elle eût vu jusqu'à présent était le bac qu'elle prenait pour traverser la rivière en Mongolie.

On s'embarqua et le navire s'éloigna du rivage avec un léger ballottement. Topsy vit la Dame Grise et la Dame Bleue disparaître au bas d'un escalier, alors elle s'assit auprès de la Dame Brune, sur le pont, se sentant un peu responsable des bagages ; cependant, arrivée à l'autre bord, elle ne fut pas fâchée de sortir de cette maison flottante où elle ne se sentait pas très à son aise. Pour la dernière fois dans ce voyage, les bagages furent exposés et ouverts à la douane. C'était la huitième fois que Topsy assistait indignée, à l'examen du contenu de sa petite valise, par des hommes inconnus. Avec un sourire ils regardaient sa poupée, ils ouvraient son petit étui à ouvrage et, quand ils le lui rendaient, elle ne manquait pas de recompter ses aiguilles pour être sûre qu'ils n'en avaient point pris. Puis ils fermaient la valise et y faisaient une marque à la craie.

Elle fut bientôt de nouveau installée dans le train, se demandant si ce voyage ne voulait jamais finir, et comme elle s'étonnait encore, le train entra dans la gare de Victoria, à Londres, et ce fut la fin de son long, long voyage.

Topsy avait été mal accueillie en entrant dans la vie. Puis elle tomba entre les mains d'une femme qui l'aurait laissée mourir de froid et de faim, mais depuis le jour du « tap, tap, tap » à la porte des missionnaires, elle ne manqua plus d'amis pour prendre soin d'elle. Il y eut d'abord le bon grand-papa Fan qui l'aimait, la grand-maman Fan qui préparait ses repas, le mandarin Lin qui s'occupa de la délivrer de la méchante femme, Madame Lin qui la gâtait, sans parler des trois amies qui l'adoptèrent.

Maintenant qu'elle était en Angleterre, elle se fit de nouveaux amis parmi lesquels se trouvait la dame qui lui apprit à parler, à lire et à écrire. Avec quelle patience elle instruisit la petite sourde-muette ! Topsy aimait beaucoup ses leçons, bientôt elle put lire une histoire et fut capable d'écrire une lettre à une amie, ce dont elle fut très fière.
Elle allait maintenant à l'école du dimanche et, quand les enfants chantaient, elle aurait aimé joindre sa voix aux cantiques ; elle faisait alors entendre de drôles de petits cris joyeux à des moments mal choisis, mais personne ne se moquait d'elle.

À l'issue de l'école du dimanche, il se faisait une petite collecte. Topsy demanda aux dames, à quoi servait cet argent. - S'il est destiné aux pauvres, dit-elle, je donnerai volontiers ma petite pièce, sinon je la garde.

Un dimanche elle fut baptisée. Sa foi était simple et assurée. Elle savait que le bon Berger l'avait amenée dans ce foyer chrétien, auprès d'amis pleins d'affection qui lui avaient appris à Le connaître et à L'aimer, qu'ainsi Il l'avait délivrée de ses peines et de ses chagrins, et l'avait sauvée en donnant sa vie sur la croix. Par le baptême, elle désirait montrer qu'elle appartenait au bon Berger, et que chacun pût le constater. Voilà Topsy maintenant introduite dans la sphère où le Saint-Esprit a son activité.

Quand Topsy et ses mamans résident en Angleterre, elles passent l'hiver à Londres dans un petit appartement, mais elles ne se sentent jamais aussi heureuses qu'à la campagne. Là, loin de la foule de la grande cité, elles passent l'été dans leur petite maison qui s'appelle la « villa des Saules », ainsi nommée à cause de plusieurs de ces arbres qui croissent au bord du ruisseau dans leur prairie.

La maisonnette est entourée d'un jardin où fleurissent à foison les oeillets, les pensées, les roses trémières, le chèvrefeuille, les nigelles bleu pâle et le jasmin. Topsy a son coin qu'elle cultive avec amour.
La fillette se lève chaque matin avec le soleil. Après avoir fait son lit et mis sa chambre en ordre, elle commence son travail journalier, mais auparavant, elle rend grâces à Dieu pour tous ses bienfaits.
Après le déjeuner, la Dame Grise lui donne quelques leçons et l'après-midi elle apprend à coudre et à tricoter.

On demande souvent à Topsy si elle a oublié la tristesse de son enfance. Non, elle n'a rien oublié. Un jour qu'elle était assise au jardin avec ses mamans, elle leur ouvrit son coeur et leur fit comprendre à sa manière, les souffrances qu'elle avait endurées. Elle leur montra les marques sur sa jambe, où la méchante femme l'avait torturée et leva son petit doigt déformé par les mauvais traitements infligés. - Personne ne voulait de moi, à toutes les portes on me disait « va-t-en ! » jusqu'au jour où je vins chez vous et où, pour la première fois, on me dit : « viens ». Les trois Dames écoutaient émues ; elles pensaient à toute la multitude d'enfants solitaires, dans tous les pays, auxquels personne n'a jamais dit : viens ! Le bon Berger les invite aussi à venir à Lui. Il désire que nous le priions afin qu'Il envoie des ouvriers dans Sa moisson.

Et maintenant l'histoire de Topsy est terminée : Gwa-Gwa, la petite solitaire, est une heureuse fillette, l'objet des tendres soins de ses trois mamans. Ce qui est mieux encore, elle aime son Sauveur et cherche « à Lui plaire à tous égards ».


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