LA
PUISSANCE
DE LA PRIÈRE
À SES PAROISSIENS, LECTEURS, ANCIENS
ÉLÈVES ET AMIS
Ouchy, Pâques 1920.
Depuis cinquante-cinq ans notre cher disparu
était à la
brèche.
Brusquement enlevé
à sa tâche quelques semaines avant les
fêtes des Rameaux et de Pâques qu'il
aimait tant et qu'il appelait le printemps
spirituel, par le présent message il
s'adresse une fois encore à ses paroissiens,
à ses catéchumènes, à
ses auditeurs, à son Église, avec
l'autorité de celui qui a subi
l'épreuve de la mort et qui est promu. Une
fois encore il veut encourager, consoler,
affermir.
Parmi les nombreux
travaux
inédits laissés par l'infatigable
ouvrier de la plume que fut Paul Vallotton, ses
proches ont trouvé un manuscrit : La
Puissance de la Prière, vrai testament
spirituel du fidèle pasteur, explication
profonde de la force d'amour et de foi qui anima,
soutint sa vie et qui fit de cet homme, d'une
infinie bonté, un vaillant, un lutteur, un
fort.
Fort, il l'était, par
cette puissance de Dieu dont il entendait
être toujours et partout le serviteur, le
porte-parole.
Fort par la certitude
absolue,
par cette conviction inébranlable qui est la
lumière de chaque jour.
Fort aussi par la
consécration du coeur, par la
dépréoccupation de lui-même,
par l'amour de sa tâche, par
« l'amour des âmes » et
par « l'amour du peuple »,
comme il disait souvent, affections profondes sans
cesse vivifiées par l'amour du Dieu Vivant.
Fort par la belle
vaillance
physique qui lui permettait encore, sans
arrêt, sans défaillance, sous les
cheveux blancs, de se dépenser avec une
juvénile énergie, d'affronter les
vastes édifices et d'adapter sa parole aux
moindres réunions familières ;
de porter, par tous les temps, le message de la
Résurrection et de la Vie au bord des tombes
- ainsi neuf fois en quinze jours, en janvier
1920 ; d'exhorter, d'instruire près de
deux cents catéchumènes ; et
enfin de poursuivre régulièrement,
dans une paroisse très populeuse, tout un
ministère de secours et de
consolation.
Cette vaillance lui
permettait,
au terme de journées pénibles, de
veiller chaque soir bien des heures, souvent
très au delà de minuit, près
de sa petite lampe fidèle, expédiant
vivement, de son écriture rapide,
correspondance de paroisse, messages affectueux,
conseils, affaires de pauvres, avec quelle
touchante sollicitude, ces lettres-là !
Et puis, ce courrier quotidien achevé - dix,
vingt, parfois trente lettres -, méditant,
le crayon à la main, l'Ancien Testament, les
Évangiles, lisant journaux et revues, livres
et brochures, les annotant, y puisant idées
et arguments pour ses discours ou son prochain
volume, car il voulait suivre l'évolution
« de la grande, douloureuse et noble
humanité » - c'étaient les
mots de son coeur - et fonder son message sur les
vérités éternelles tout en
l'adaptant aux temps modernes, aux
préoccupations du jour.
Fort, le pasteur
d'Ouchy
l'était enfin et surtout par son amour de la
justice qui lui fit vivre les cinquante mois de
guerre avec toutes les forces de son coeur ;
par sa transparente sincérité et sa
foncière droiture, par sa profonde, sa
totale humilité d'âme :
- cette humilité
candide
comme celle d'un enfant, jointe à
l'expérience d'un ancien, cette
humilité qui est la grande force puisqu'elle
fait qu'on ne compte pas sur soi-même, mais
que l'on s'appuie tranquillement sur la force et la
sagesse d'En Haut.
Pendant toute une
longue
carrière, par la grâce du Ciel, de
toutes ces forces-là le serviteur de Dieu
fut fort.
... Et voici, à l'heure
marquée, après trois jours de
maladie, - le vendredi 6 février il donnait
encore son catéchisme et faisait
gaîment une longue tournée de visites,
- le mardi 10 février 1920, trente et un
ans, jour pour jour, après son
élection pastorale à Lausanne, ce
courageux était enlevé à
l'affection des siens et de sa
paroisse.
Le dimanche matin, ne
pouvant
plus guère parler, notre cher disparu a eu
ces deux pensées pour ses paroissiens :
l'une, un message de sollicitude pour les
déshérités ; il a pris
grand intérêt à une question
d'assistance, il s'est réjoui d'un secours
accordé sur sa demande, et il a souri. Et
l'autre un message de foi, de louange, d'adoration,
adressé à tous, quand il a
demandé qu'on lui lise les paroles d'un
cantique qu'il aimait :
- Grand Dieu, nous te bénissons,
- Nous célébrons tes
louanges....
- Sauve ton peuple, Seigneur,
- Et bénis ton
héritage !
- Conduis-le, par ton Amour,
- Jusqu'au Céleste
Séjour !...
Peu d'instants avant la fin, il dit :
« La délivrance ! »
Sur la petite table où sa main avait
tracé tant de pages, un
plan d'article pour le journal de la paroisse
était là :
« Coin des
Jeunes : A côté des sommets, les
abîmes. tomber. Danger. Repérer les
marais. Atteindre les cimes !... Quelque chose
de cordial pour les deuils récents.... Les
difficultés.... -- À ceux qui ne sont
plus jeunes : Tirsis, il faut songer à
la retraite, La course de nos jours est plus
qu'à demi faite... Le coin des
hirondelles : L'âme est une hirondelle.
Envol. Des ailes !... Fuir
l'hiver. »
Envol ! Des
ailes !...
Le visage éclairé d'une magnifique
clarté, ayant adressé aux siens ce
sourire qui dit tout, qui est un adieu et une
promesse, le regard dirigé en haut, quatre
heures et demie ayant sonné à
l'horloge qui si longtemps rythma son travail, le
fidèle soldat de Dieu s'en allait à
la promotion suprême, visiblement soutenu,
jusqu'à la dernière seconde, par une
communication de la force d'En Haut.
Tout près, l'unique
inscription biblique de la chambre de travail
disait : Christ est ma vie. Et ces mots
planaient encore sur ce lumineux
départ :
Conduis-le par ton Amour
Jusqu'au Céleste
Séjour.
Les mains jointes, celui qui avait pris son
envol pour fuir l'hiver souriait encore,
transporté de la vie passagère de
l'homme, par la puissance de la prière,
à la clarté de la vie
éternelle.
... Et maintenant, vous
tous
qu'il aimait, ces pages sont pour vous.
CH. V. - B. V.
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