UN
PROGRAMME DE VIE INDIVIDUELLE ET
COLLECTIVE
VI
Lire Romains
XIV en entier.
Nous abordons maintenant des cas particuliers,
des cas de conscience sur des questions
secondaires. Je me hâte de dire que
l'épithète « secondaire
appliquée à une question religieuse
quelle qu'elle soit ne signifie nullement sans
importance, insignifiante. Dans ce domaine, rien
n'est insignifiant et rien ne doit être
méprisé. Nous sommes appelés
à étudier ces choses et à nous
faire une conviction à leur sujet. Mais il
importe que nous les maintenions fermement à
leur place et que nous ne leur laissions jamais
usurper le premier rang. Sur les doctrines
fondamentales et vitales, nous n'avons pas à
hésiter ; elles sont clairement
révélées. Nous pouvons et nous
devons nous montrer intransigeants à leur
sujet, et ne consentir à aucune concession.
On ne saurait sacrifier ce qui, à proprement
parler, constitue l'Évangile pour
éviter d'étonner ou de scandaliser
les incrédules ou les sceptiques. On ne le
fait que trop, dans notre temps de
piété relâchée.
Deux points sont traités par
l'apôtre : la question des aliments et
celle des jours, et à leur propos il
s'élève aux plus hautes
pensées et aux principes supérieurs,
tant il est vrai que les petites choses bien
comprises et abordées par le bon
côté nous ramènent toujours au
centre et nous portent sur les sommets.
Il existe deux catégories de
chrétiens : les forts, les libres, ceux
qui sont affranchis de toute distinction rabbinique
et de tout joug humain ; qui savent, parce
qu'ils l'ont appris de Jésus lui-même,
que « ce n'est pas ce qui entre dans
l'homme qui souille l'homme, »
(Matth. 15, 11,
16 à 20) ; qui, avec
Paul, peuvent « manger de tout ce qui se
vend au marché sans s'inquiéter pour
leur conscience.
(1 Cor. 10, 25.) À
côté de ces chrétiens qui
n'acceptent d'autre joug que celui de Jésus,
et d'autre loi que celle de l'Esprit de vie, on
voit des faibles, des légalistes, des
timorés préoccupés avant tout
d'observances. Paul nous montre comment les forts
doivent se comporter vis-à-vis des faibles.
Il dit aussi un mot, mais un mot seulement, du
devoir des faibles à l'égard des
forts, mot essentiel du reste. Ce sont surtout les
forts qui ont besoin d'être avertis et
exhortés. Leur qualité de forts les
expose à des dangers spéciaux et leur
impose des obligations
particulières.
Si nous rapprochons de notre chapitre le
huitième de la première
épître aux Corinthiens, nous voyons
que les aliments dont il s'agit étaient
principalement des viandes provenant d'animaux
sacrifiés aux idoles, et dont la chair
servait ensuite à la consommation. Or, nous
savons qu'en réalité il n'y a pas
d'idole dans le monde
(1 Cor. 8, 4) ; l'idole est un
pur néant. Nous savons d'autre part que ce
n'est pas notre attitude vis-à-vis d'un
aliment qui nous rendra agréables à
Dieu
(v, 8) ; si nous en mangeons,
nous ne gagnons rien ; si nous n'en mangeons
pas, nous ne perdons rien. « Le royaume
de Dieu n'est ni aliment ni breuvage, mais justice,
paix et joie par le Saint-Esprit, » Tel
est le principe des forts en ce qui regarde le
premier point.
En ce qui concerne les jours, les
spirituels les regardent tous comme égaux,
sauf le sabbat, le jour du Seigneur, prescrit par
le décalogue, non abrogé, que
l'Eglise a spiritualisé du reste et
christianisé en le plaçant le premier
jour de la semaine, et que le chrétien
reçoit comme un don de la munificence de son
Père céleste et qu'il observe en fils
et non en esclave. Mais, s'élevant plus haut
encore, ils placent tous les jours sur un
pied d'égalité parce que tous sont
une faveur du Seigneur, qu'ils les lui consacrent
tous, servant leur Dieu tout aussi bien un jour
ordinaire, un jour ouvrable, qu'un jour
férié ; d'une autre façon
il est vrai, mais qui n'a pas moins d'importance
que les actes du culte privé ou du culte
public, à savoir l'obéissance dans
tous les détails de la vie, même les
plus vulgaires. « Soit que vous mangiez,
soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque
autre chose, faites tout pour la gloire de
Dieu. »
(1 Cor. 10, 31)
D'autres chrétiens, moins
avancés, attachent une grande importance aux
fêtes établies ; ils tiennent
à les observer scrupuleusement et ils y
trouvent de la joie et de
l'édification.
Une remarque essentielle et qui doit
tracer la ligne de conduite, c'est que les uns
comme les autres sont sincères. S'ils se
comportent comme ils le font, c'est en vue du
Seigneur et pour lui être agréables.
(Rom. 14, 6.) Malheur à celui
qui agirait sans foi, sans conviction, sans
réflexion suffisante, par simple impulsion,
inclination ou habitude inconsciente
(v. 5 et
23). Il commet un véritable
péché ; il risque de se
condamner lui-même dans le parti qu'il prend,
de tomber dans l'angoisse et dans le trouble. Mais
quant à celui qui est convaincu, qui agit en
conscience, s'il mange, il peut rendre grâces
au sujet des choses qu'il mange et au sujet de la
liberté dont il jouit ; s'il ne mange
pas, il se montre aussi reconnaissant de sa maigre
pitance et bénit le Seigneur de ce qu'il le
tient dans l'obéissance. Il en est de
même en ce qui concerne les jours.
Nous montons encore plus haut et nous
arrivons au sommet, à la grande
pensée inspiratrice de toute vie
chrétienne digne de ce nom : Nous ne
nous appartenons pas
(v. 7 et s). Si nous vivons, c'est
pour le Seigneur ; si nous mourons, c'est pour
lui aussi. Nous sommes à lui en tout et pour
tout. Nous relevons de lui comme de notre
Maître ; nous dépendons de lui et
de lui seul. Il s'agit avant tout de le glorifier
et d'agir en toutes choses en vue de son
règne dans les coeurs. De là
découle tout naturellement notre attitude
vis-à-vis de frères qui ne pensent
pas comme nous. Nous ne sommes point appelés
à renoncer à nos lumières et
à nos convictions, ce serait nous demander
une chose impossible ; mais à renoncer
à les faire prévaloir sur ceux qui ne
les partagent pas, à les leur imposer de
force en quelque sorte. Ils arriveront
d'eux-mêmes sous la direction de Dieu au
point où nous en sommes. « Il sera
affermi, dit l'apôtre, car le Seigneur a le
pouvoir de l'affermir. »
(v. 4).
Nous pouvons maintenant déduire
les règles et applications
pratiques :
1° Que le fort ait vis-à-vis
du faible une simple et naturelle ; qu'il
l'accueille avec bonté sans juger et sans
discuter ses opinions, laissant au Seigneur le soin
de l'éclairer toujours davantage, et le lui
demandant.
2° Qu'il se garde de le
mépriser, de lui faire sentir sa
supériorité et de l'humilier au sujet
de ce qu'il est tenté de nommer son
ignorance ou sa superstition
(v. 3).
3° Qu'il se garde aussi de
l'affliger, de l'attrister par ses actes en usant
de sa liberté d'une manière
inconsidérée, sans tact, sans
délicatesse et sans ménagements, avec
cette raideur et cette intransigeance qui heurtent
de suite.
4° Enfin et surtout, qu'il se garde
de le scandaliser en le poussant par ses paroles et
par son exemple à agir contrairement
à sa conscience
(v. 13 à 15).
Scandaliser quelqu'un, c'est mettre sur
son chemin une pierre d'achoppement, quelque chose
qui le fera trébucher et tomber, quelque
chose qui le portera à agir en opposition
avec sa foi, avec sa conviction ; qui
l'induira par suite à la
désobéissance et au
péché. Ce que tu peux manger sans
crainte, mon frère, lui ne le peut pas
(v. 20, 21).
Par condescendance, par charité,
tu dois renoncer à ton droit, à ton
privilège, si en l'exerçant tu
risques de nuire à ton frère. Il est
toutefois des cas où c'est un devoir pour
nous de ne point faire de concessions et de
revendiquer notre pleine indépendance :
c'est quand nous nous trouvons en présence
de doctrines qui, toutes secondaires qu'elles
soient, se montrent subversives et pernicieuses.
(Col. 2, 16 à 19.)
Le faible, celui qui observe les jours
et celui qui ne mange pas de tout a pour devoir de
ne pas juger celui qui jouit d'une plus grande
liberté que lui, de ne pas le traiter comme
un impie ou un infidèle
(v. 3).
Souvenons-nous tous que nos
frères ne sont pas nos serviteurs, qu'ils ne
sont point appelés à obéir
à nos idées et à se soumettre
à nos volontés. Qu'ils demeurent
fermes ou qu'ils tombent, cela regarde leur
Maître
(v. 4.). À lui seul ils auront
à rendre compte. N'ayons pas l'outrecuidance
de vouloir prendre sa place.
Voilà des principes qui sont
actuels au plus haut degré. Sans doute, il
ne s'agit plus aujourd'hui de viandes
sacrifiées aux idoles, mais il existe encore
des gens attachés aux jeûnes ;
des gens qui, par principe, suivent un
régime, - des végétariens par
exemple, - s'abstiennent du sang et des animaux
étouffés, ou s'imposent des
privations. Quant aux jours, il se manifeste des
différences de points de vue et d'habitudes.
On constate aussi des divergences au sujet des
formes du culte, les uns y tenant beaucoup, les
autres n'en faisant guère de cas ; les
uns partisans, les autres adversaires de la
liturgie et de la solennité. Dans toutes ces
questions, parfois si vivement débattues, ne
perdons jamais de vue les préceptes de
tolérance et d'amour fraternel que nous
venons de passer en revue.
Ici se place tout naturellement le vaste
sujet des adiaphora ou choses
appelées à tort
indifférentes, car dans la vie de
l'enfant de Dieu rien n'est
indifférent : danse,
théâtre, jeux, soirées, romans,
distractions, etc. L'examen de l'attitude du
chrétien à l'égard de ces
choses a tenu une grande place dans le
réveil allemand du dix-huitième
siècle, provoqué par Spener.
« Spener, dit Bost dans son Dictionnaire
d'Histoire ecclésiastique, condamne comme
contraires à la sainteté de la vie
tous les plaisirs mondains (Calvin l'avait fait
avant lui avec une rigidité terrible ;
de là les lois somptuaires), les jeux,
danses, théâtres, promenades,
plaisanteries, luxe dans la nourriture et dans les
vêtements. Il n'avait en vue que certains
excès dont il avait été
témoin, mais il y avait de l'excès
dans son jugement trop absolu et ses
adhérents allèrent plus loin encore
que lui.... Les opposants, cependant orthodoxes,
maintinrent qu'il existe des choses
indifférentes et ils en dressèrent la
liste ; mais ils exagérèrent
à leur tour et quelques-uns de leurs
arguments laissent beaucoup à
désirer.... Cette controverse a duré
longtemps, elle n'est même pas
terminée, et par sa nature, elle
échappe à une solution ; c'est
à la conscience chrétienne de chacun
de la résoudre pour son propre
compte. »
(1 Cor. 10, 31.)
Ici encore, évitons de juger nos
frères, et surtout évitons de les
scandaliser, nous souvenant que ce que nous pouvons
faire sans courir aucun danger pour notre vie
spirituelle, eux ne le pourraient pas. Ainsi alors
même que je pourrais sans crainte assister
à telle représentation
théâtrale, (ou lire tel roman), je
dois renoncer à cette jouissance si, m'y
livrant, j'ai l'air d'approuver le
théâtre tel qu'il est compris et
réalisé, et en particulier la
profession d'acteur ; mais surtout si par mon
exemple je risque de pousser des faibles à
faire comme moi, ce qui peut les conduire loin dans
la voie du mal. Je pourrais ainsi devenir
l'instrument de leur perdition, le meurtrier de
l'âme de mon frère.
Un mot sur le vin, en terminant, puisque
l'apôtre lui-même en parle
(v. 21). J'ai tous les droits
à mon verre de vin », pourvu que
je n'en abuse pas. Mais s'il est une occasion de
chute pour d'autres, je dois y renoncer
aussitôt. À plus forte raison si, en
le retranchant de mon ordinaire, je puis devenir un
instrument de relèvement pour mon
frère tombé, je ne dois pas
hésiter à l'apporter sur l'autel et
à l'y offrir joyeusement à mon Dieu.
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