MOODY
PÊCHEUR
D'HOMMES - MILITANT DES U. C. J. G.
CHAPITRE XI
SUR LE SEUIL... (1899)
Ultime
campagne
«Cet hiver, j'ai demandé
à Dieu de me donner une tâche
difficile.. Il a entendu ma prière. J'ai
trouvé ici le champ le plus ardu que j'aie
jamais connu». Ces mots, Moody les
écrivait à son fils, alors qu'il se
trouvait dans le Sud-Ouest, au centre d'une
région minière. Les auditoires
étaient clairsemés. Il fallait
d'abord réveiller l'intérêt
pour les choses religieuses. Situation nouvelle :
ailleurs, les foules accouraient
d'elles-mêmes ; ici, il fallait les
conquérir. Mais que le public fût
nombreux ou rare, Moody mettait à son oeuvre
la même sainte ardeur. Il eut la joie de voir
les coeurs s'ouvrir et les salles se remplir. Ceux
qui l'entendirent alors trouvèrent que sa
puissance n'avait pas faibli.
Pourtant, une ou deux fois, n'arrivant pas
à se débarrasser des suites d'un
refroidissement, il dut se faire remplacer.
À la fin du printemps, après une
campagne en Californie et un séjour à
Chicago pour inspecter l'Institut biblique, il
rentrait à Northfield afin d'y
préparer les conférences
d'été et, la promotion des
élèves.
La saison fut assombrie par la maladie et la
mort de l'une de ses petites-filles,
âgée de quatre ans. Agenouillé
près du lit mortuaire, il donna libre cours
à ses sentiments dans une prière de
reconnaissance, bénissant Dieu pour toute la
joie qu'avait apportée au milieu des siens
la courte vie de l'enfant chérie et pour
l'espérance du revoir. Il Lui demanda
surtout de soutenir les parents
dépouillés. C'était le second
de ses jeunes descendants qui était ainsi
enlevé de ce monde. Le jour des
obsèques, il évoqua son souvenir, la
douce voix, le sourire avec lequel, depuis sa prime
enfance, elle l'accueillait chaque fois qu'il
s'approchait d'elle. «Nous ne voulons pas
la faire revenir... Christ a là-haut quelque
emploi pour elle. Ma vie a été
embellie par sa présence au milieu de nous.
Elle nous a tous rendus meilleurs.»
Le nombre des participants à la
conférence de vacances du mois d'août
fut particulièrement élevé. On
constatait un réel approfondissement de la
vie religieuse. Un souffle
nouveau passait. Des relations
plus intimes s'établissaient entre
frères, une conscience plus nette de
l'unité dans l'obéissance
s'était manifestée.
En novembre, Moody avait accepté de
diriger une série d'assemblées
à Kansas City, la grande métropole
commerciale de l'Ouest. Il partit seul, sa femme
restant, sur le désir qu'il en avait
lui-même exprimé, avec les parents de
la petite Irène, récemment
enlevée à leur affection.
Son ami Wanarnaker, chrétien fort
connu, qui avait été ministre des
Postes des Etats-Unis, put aller le saluer à
son passage en gare de Philadelphie. il revint de
là, disant que Moody. lui était
apparu comme un prophète, lorsque, les yeux
remplis de larmes, il lui avait dit :
- «Oh ! si Dieu voulait me laisser
conquérir Philadelphie cet hiver ! Je
souhaiterais pouvoir le faire avant de mourir, et
peut-être, de cette ville, le réveil
se propagerait-il dans d'autres grandes
cités... ».
«Il me semblait, ajouta
Wanamaker, que j'assistais à une sorte
d'agonie de son âme luttant pour
l'Église dans l'attente d'un réveil.
C'est avec ce poids sur le coeur qu'il entreprenait
ce long voyage».
À Kansas City, l'orateur
commença ses prédications avec
vigueur, comme toujours, mais il eut à
lutter contre une faiblesse croissante
aggravée par des insomnies. Avait-il quelque
pressentiment lorsque, l'un des premiers soirs, il
parla de l'éternité?
«Je n'ai aucune sympathie,
déclarait-il, pour l'idée que nos
meilleurs jours sont derrière nous. On m'a
appelé récemment le. vieux Moody.
Pourquoi ? je n'ai que soixante-deux ans. Je ne
suis qu'un enfant en face de
l'éternité qui est à venir.
Nous disons qu'ici-bas c'est la terre des vivants.
Non ! c'est bien plutôt la terre des
mourants. Qu'est-ce que notre vie ? Une vapeur. La
mort s'avance au milieu de nous d'un pas
dominateur. La mort est devant nous,
derrière nous, à nos
côtés, à droite, à
gauche. Pensez aux hôpitaux, aux asiles
d'aliénés, aux aveugles, aux asiles
de vieillards...
Mais, regardez aussi à l'autre
monde ! Plus de mort, plus de douleur, plus de
chagrin ; plus d'yeux voilés, plus de larmes
! Joie, paix, amour, bonheur ! Ni
décrépitude, ni maladie, ni corps
débiles. Tous sont jeunes ! Le fleuve de la
vie coule pour la guérison des nations.
Pensez à cela : la vie ! la vie ! la vie
sans fin ! Et voici que tant de gens choisissent la
vie d'ici-bas, au lieu de la vie
d'En-haut. Ne fermez donc pas votre coeur à
la vie éternelle ! Acceptez ce don-là
!»
Le mardi, l'un de ses collaborateurs
remarqua sa pâleur. Il ressentait une vive
douleur à la poitrine, mais - imprudent
silence ! - n'en avait point parlé chez lui,
de peur qu'on ne l'empêchât de partir.
Il prêcha six fois encore, mais paraissait
toujours faible. On dut, les deux derniers jours,
le mener en voiture à la salle de
réunions, cependant toute proche de son
hôtel. Dès qu'il commençait
à parler, nul n'aurait pu le croire
souffrant, car il conservait sa flamme habituelle.
Mais une fois dans sa chambre, ses forces
l'abandonnaient. il refusa de prévenir sa
famille avant la date fixée pour le
retour.
Le dernier jour, surmontant sa fatigue, il
parla l'après-midi à trois mille
personnes, et le soir, devant un auditoire plus
grand encore, il reprit un de ses sujets favoris :
la parabole des invités
(Luc XIV), énumérant
les excuses que les hommes opposent si souvent et
facilement à l'appel de Dieu, excuses dont
il disait que ce sont les berceaux dans lesquels le
diable sait endormir les âmes. L'heure de
clore étant venue, il se pencha vers la
foule. S'accompagnant du geste qui lui était
familier, comme à Spurgeon : le bras
étendu, un doigt montrant le ciel, il
lança un vibrant
- Au revoir !
Ce devait être pour la dernière
fois.
À la maison
Sur l'ordre exprès d'un
médecin, bien à contrecoeur, il
partit le lendemain pour faire d'une seule traite
le voyage de retour qui demandait deux nuits et un
jour. Le mécanicien, apprenant qu'il
conduisait le grand évangéliste
sérieusement atteint dans sa santé,
lui fit transmettre ce message :
«Dites-lui que je me suis converti,
grâce à lui, il y a quinze ans et que
Je lui dois tout ! ».
Par bonheur, le voyage se fit sans
accroc.
Mais le retour au foyer n'eut pas l'effet
espéré. Le ressort était
brisé. Dès lors, ses forces
déclinèrent rapidement. Le moindre
effort devint souffrance. Bien que l'inaction lui
ait beaucoup pesé les premiers temps, le
malade ne proféra aucune
plainte. Il avait appris à se laisser
diriger, faisant sien le mot de Gladstone :
«Nos devoirs peuvent prendre soin
d'eux-mêmes lorsque c'est Dieu qui nous en
éloigne».
Chaque année, le 22 décembre
était pour lui un jour de joie :
«L'hiver a les reins cassés
», disait-il volontiers, «les
jours recommencent à grandir, le printemps
sera bientôt là ». Le 22
décembre 1899, le printemps éternel
allait commencer pour lui .
Au matin, Moody sortit d'un court sommeil et
son fils, qui le veillait, l'entendit prononcer
quelques mots distinctement, calmement:
«La terre recule... le ciel s'ouvre
devant moi».
Il crut d'abord que son père
rêvait, mais l'entendit ajouter :
«Non, ce n'est pas un rêve,
c'est splendide ! c'est comme une extase. Si c'est
là la mort, elle est très douce. Il
n'y a pas de sombre vallée. Dieu m'appelle.
Je suis prêt ».
Toute sa famille étant réunie
autour de lui, il s'anima suffisamment pour dire
à chacun une parole d'adieu. Puis,
s'adressant à tous :
«- J'ai toujours été
ambitieux ; j'ai eu l'ambition de ne laisser ni
fortune, ni propriétés, mais de vous
laisser beaucoup de travail à faire ...
»
Un instant, il parut regarder comme
au-delà du voile. «C'est mon triomphe.
Ceci est le jour de mon couronnement. Voilà
des années que je l'attends ». Puis son
visage s'éclaira; d'une voix joyeuse il
appela :
«- Dwight ! Irène !... je
vois la face des enfants. »
Et encore :
«- Dites à tous mon
affection, à tous.»
Et à sa femme : «Maman, tu as
été si bonne pour moi
».
Puis il perdit connaissance.
Un moment plus tard, il revint à
lui.
«- C'est curieux, murmura-t-il, j'ai
dépassé les portes de la mort. J'ai
été jusqu'à la porte du ciel
et me revoici. C'est bien étrange ...
»
Comme sa fille le suppliait de ne pas
abandonner les siens, il répondit :
«- Je ne tiens pas à quitter
la vie. je resterai tant que je pourrai. Mais, si
mon heure est venue, je suis prêt...
»
Puis, très paisiblement, il
s'endormit pour ne se réveiller qu'en
présence de Celui qu'il avait si
fidèlement servi.
Le
nouvel auditorium à Northfield,
édifié en 1894. Lieu de rassemblement
pour les conférences.
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