Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Fictions ou réalités?

CHAPITRE XI
Peut-on croire encore à la vie à venir ?

 

Quand un conférencier abordait autrefois ce sujet, il avait devant lui, à côté des croyants convaincus désireux d'affermir leur foi, deux catégories distinctes de contradicteurs, les matérialistes théoriques qui se plaçaient au point de vue philosophique, et les matérialistes pratiques.
Les premiers n'admettant que la matière avec ses continuelles métamorphoses et niant absolument la réalité de l'esprit, se refusaient à admettre une survivance de la personnalité humaine ; selon eux, cette personnalité est destinée à subir la transformation fatale de tout ce qui est matière, la vie à venir est par conséquent une belle illusion, à laquelle un homme cultivé doit avoir le courage de renoncer.
Quant aux matérialistes pratiques, c'étaient des hommes vivant dans le péché et ayant besoin de la nuit de l'au-delà pour satisfaire leurs passions. Mangeons et buvons, disaient-ils, car demain nous mourrons !

Aujourd'hui si ces deux catégories de négateurs existent encore, et même plus nombreuses que jamais, il en a surgi deux autres chaque jour grandissantes.
Tout d'abord la foule des socialistes athées qui comptent sur la réalisation ici-bas de tous leurs plus beaux rêves : « Trop longtemps, s'écrient-ils, on nous a bercés de la douce illusion d'une vie future par-delà les nuages où chacun, les pauvres surtout, pourraient jouir pleinement de la vie ; on nous a dit qu'on pouvait compter sur Dieu, que le Dieu juste arrangerait tout et rétablirait l'équilibre et la justice au sein d'une humanité désorganisée par le désordre et l'injustice. Nous avons attendu, et rien n'est venu, Dieu n'a rien changé du tout ; par conséquent nous ne croyons plus à son existence, ou, s'Il existe, comme Il ne s'occupe pas de nous, c'est à nous à nous tirer d'affaire tout seuls, en ne comptant plus sur d'autres bras que sur les nôtres et sur d'autre secours que sur celui que nous pourrons mutuellement nous prêter.
Quant au ciel et à l'enfer nous n'y croyons plus, ou plutôt l'enfer c'est la terre actuelle exploitée par la bourgeoisie égoïste, le ciel c'est la terre de demain répartie entre les prolétaires que tous exploitent aujourd'hui. Et si par hasard il y avait une autre vie, eh bien ! nous ne regretterons pas d'avoir joui quelque peu ici-bas avant d'aller jouir là-haut. On a longtemps voulu par l'espérance du ciel et la crainte de l'enfer assurer aux capitalistes une vie de jouissances paisibles en tenant les ouvriers dans la résignation, il est temps d'intervertir les rôles ou plutôt de répartir entre tous le lot commun de peines et de plaisirs qui forme la destinée des pauvres mortels.

Avouons que si nous ne pouvons pas suivre les foules socialistes dans toutes leurs revendications, il en est cependant que tout chrétien de coeur et de conscience a le devoir de réclamer avec eux : il est juste en particulier que l'on diminue le plus possible les souffrances de ceux qui peinent et que l'on fasse régner entre les hommes des rapports de justice et d'équité sociale. Tant que nous sommes sur cette terre, c'est sur cette terre qu'il nous faut vivre, il importe que nous rendions la vie terrestre aussi heureuse et aussi belle que possible. Nul n'a le droit, parce qu'il est heureux, d'oublier les multitudes qui ne le sont pas ; bien au contraire, le droit et le devoir du privilégié est de faire part aux autres de ce qu'il a reçu, car chacun des avantages dont il jouit constitue une dette dont il doit s'acquitter.

Mais ce n'est pas seulement dans la compagnie des socialistes athées que l'on ne croit plus à la vie à venir, c'est aussi dans cette bourgeoisie si conspuée par eux. Si les uns ne croient pas au ciel parce qu'ils n'ont pas assez joui et qu'ils voudraient jouir le plus vite possible pendant qu'ils vivent, les autres n'y croient plus pour un motif directement contraire, ils ont abusé des biens de ce monde, biens matériels et intellectuels ; comme l'Ecclésiaste, ils sont blasés, dégoûtés de tout et volontiers ils s'écrieraient : « Vanité des vanités, tout est vanité ». Aussi la perspective d'une vie à venir, même plus belle que la vie présente ne les tente-t-elle pas, ils aimeraient beaucoup mieux en finir bientôt pour rentrer dans le néant ou dans le grand tout où leur personnalité disparaîtrait. La vie est un mal ; plus vite elle sera épuisée, mieux cela vaudra, car la mort est un bien.

Il existe même des personnes cultivées, honnêtes, qui ne peuvent pardonner à Dieu de les avoir créées : quelle ne sera pas leur révolte, quand on viendra leur démontrer que ce même Dieu les oblige à vivre éternellement ? Je ne puis m'expliquer cet état d'âme que par une dégénérescence de la race, produite par une lassitude très facile à comprendre dans une existence aussi agitée, fiévreuse, troublée que la nôtre. On se demande vraiment si ce que l'homme appelle la vie mérite bien encore ce nom : les hommes existent, se remuent, tourbillonnent comme la poussière d'une machine : est-ce là vivre ? Je ne le crois pas. En tout cas cette excitation factice nuit au plein épanouissement de l'être, aussi n'est-elle pas digne de la créature humaine, et je conçois que la perspective d'une continuation indéfinie de cette existence-là fasse hésiter et même reculer d'horreur d'excellentes âmes.

Quoiqu'il en soit, le nombre de ceux qui nient la vie à venir va grandissant constamment, il en résulte une atmosphère dangereuse à respirer pour ceux qui tiennent à leurs convictions. Petit à petit, on s'habitue à l'idée d'une fin complète après la mort ; ce qui paraissait affreux, inconcevable jadis, parait plus naturel aujourd'hui que l'on rencontre tant de gens honnêtes et laborieux, qui vivent sans cette espérance. Voilà pourquoi il est bon de traiter un sujet pareil en examinant de près si vraiment la foi en une vie à venir est une absurdité ou si elle s'impose à notre intelligence. Je souhaite que, parmi mes lecteurs, il s'en trouve un bon nombre qui, mécontents de leurs doutes et sentant le vide de leurs négations, cherchent à reconquérir la foi qu'ils ont perdue. Mais tout d'abord une remarque générale et deux aveux sont peut-être nécessaires.

La remarque générale concerne le caractère universel de la croyance à une vie future. Si beaucoup de gens aujourd'hui en contestent la probabilité, il n'en a cependant pas toujours été ainsi, il n'en est pas ainsi des peuples jeunes. On peut dire d'une manière générale que tous ont cru à une survivance, même ceux dont la religion n'a pas dépassé une forme rudimentaire. Ainsi la religion chinoise se résume tout entière dans le culte des morts. On connaît les champs Élysées et l'Adès des Grecs et des Romains, et les Égyptiens de l'antiquité avaient à ce sujet des idées très élevées et très positives. Aujourd'hui encore quand on visite les contrées païennes on trouve presque toujours la foi à la survivance de l'être humain, et si cette foi n'existe plus, il en subsiste du moins des traces très significatives, soit dans les moeurs, soit dans le langage.

En d'autres termes, l'homme instinctivement croit à l'au-delà ; pour n'y plus croire, il faut qu'il fasse un effort plus ou moins considérable de raisonnement ou qu'il subisse une influence extérieure. Or c'est un axiome généralement admis qu'il faut se défier de ce qui contredit les instincts naturels ; plus nous nous rapprochons de la nature, plus nous découvrons la vérité. Cela est vrai dans le domaine de l'hygiène et de la médecine : pourquoi serait-ce faux quand il s'agit de l'instinct religieux ?

Et maintenant deux aveux, un aveu que je demande à mes lecteurs et un autre que je ferai moi-même ensuite.
N'y a-t-il pas eu, chers lecteurs, dans votre vie, des heures et peut-être des journées entières où vous vous êtes sentis si heureux que vous auriez voulu que ces moments ne finissent plus ? C'était par exemple par une belle matinée de printemps, alors que le ciel bleu resplendissait sur vos têtes, que les oiseaux remplissaient les campagnes de leurs plus beaux concerts, l'air était pur, une légère brise caressait doucement votre visage, les fleurs étalaient, joyeuses, parfumées, leurs pétales aux rayons du soleil. Vous-mêmes, vous étiez en pleine vigueur, en si bonne santé, que vous en oubliiez votre corps : en un mot vous viviez de toutes les forces de votre être.
N'est-ce pas qu'alors vous avez trouvé la vie splendide ? vous avez trouvé qu'elle valait la peine d'être vécue, vous avez souhaité qu'elle ne finisse jamais ? Ne vous êtes-vous pas écriés avec le poète :

0 temps, suspends ton vol ; et vous, heures propices,
Suspendez votre cours ?

Ou bien, vous veniez de vous fiancer à une jeune fille ardemment aimée ; resté pur à travers toutes les tentations de la jeunesse, vous aviez enfin rencontré une créature pure, elle aussi ; vous lui aviez avoué votre amour, elle y avait répondu ; vous étiez à elle, elle était à vous. Oh ! dans ce tressaillement de deux âmes soeurs, prêtes à prendre ensemble leur vol vers les régions de l'idéal, n'avez-vous pas trouvé la vie magnifique ?

Ou bien encore, parents, quand votre premier enfant, fruit de vos amours, a ébauché un sourire ou, pour la première fois, a laissé sortir de ses lèvres fraîches et roses un joyeux : Papa ! n'avez-vous pas éprouvé une émotion profonde ? Vos yeux sont devenus humides, votre coeur a battu plus fort et vous avez aimé la vie intensément. Auriez-vous accepté à cette heure-là l'idée qu'une mort brutale pouvait anéantir à jamais l'être que vous aimiez ? Avouez que si cette pensée avait traversé votre esprit, elle vous serait apparue insupportable, monstrueuse, impossible ?

N'avez-vous pas tous connu des joies plus pures et plus profondes encore, quand, par exemple, vous avez repoussé au prix de grandes souffrances une tentation presque irrésistible ? ou que vous sacrifiant vous-mêmes, vous avez préféré à votre intérêt celui des autres ? Toutes vos idées sombres se sont alors évanouies, toutes vos théories pessimistes ont disparu comme un mauvais rêve ; vous n'avez eu qu'une pensée : Vivre, vivre le plus longtemps possible, vivre en vous dévouant, vivre en aimant et aimer pour vivre toujours, toujours !...

La vie à venir nous apparaît, n'est-il pas vrai ? dans ces heures-là, comme une nécessité. Il suffit de se laisser porter par la marée qui monte, pour que tout naturellement nous croyions à la vie qui ne finira jamais et pour que nous ne puissions plus prendre notre parti de l'effondrement de la mort.

Voici le second aveu que j'annonçais tout à l'heure. Ainsi que je l'ai dit au cours des précédentes conférences, nous nous trouvons ici sur le terrain moral, donc le terrain de la liberté. Aussi bien tous les arguments que l'on peut avancer pour prouver la réalité de la vie future, n'ont-ils pas avant tout un caractère scientifique, mais bien un caractère moral. On ne pourra pas plus démontrer scientifiquement ou mathématiquement la vie à venir qu'on ne peut prouver de cette manière l'existence de Dieu ou la divinité de Jésus-Christ. Le dernier mot est et restera toujours un acte de foi, donc de volonté qui prouve que notre liberté est pleinement respectée au moment même où nous affirmons ce que nous croyons. Autrement notre liberté serait atteinte et le caractère même de notre foi n'aurait plus son côté moral qui en est l'essence. Après la démonstration la plus serrée, il faudra toujours que l'homme puisse dire : « Et pourtant je ne sais pas convaincu, je ne veux, je ne puis pas croire. » Et Dieu seul peut savoir ce qu'il y a de vrai et de sincère dans ce : Je ne puis pas.

Or si cela est vrai d'une manière générale de tous les sujets que nous avons successivement traités, cela est tout particulièrement vrai de celui que nous examinons ici. Personne n'est revenu de l'au-delà nous expliquer ce qu'est cette vie à laquelle nous croyons ; bien plus, comme cette vie diffère profondément de la vie actuelle, il nous faudrait, pour l'étudier ou seulement pour en démontrer rationnellement la réalité, des organes que nous n'avons pas, que nous n'aurons jamais ici-bas. J'avais donc bien raison d'affirmer tout à l'heure que la foi à la vie à venir est une affaire de volonté et qu'en dernier ressort c'est au moi humain à décider si oui ou non il veut admettre cette vie, en choisissant des arguments affirmatifs et en mettant de côté les arguments négatifs presque aussi nombreux, ainsi que nous allons le voir.

Ces remarques préliminaires étaient nécessaires pour nous faire comprendre pourquoi dans les pages qui suivent, nous allons procéder de l'intérieur à l'extérieur. Autrefois on faisait le contraire, on démontrait la vie future à grand renfort de preuves extérieures, et l'on passait sous silence les intérieures, ou du moins on leur donnait une importance très secondaire. Aujourd'hui les premières sont de plus en plus battues en brèche ; il en est d'elles comme de ces hautes murailles des villes du moyen âge, qui jadis pouvaient résister aux assauts de l'ennemi mais que notre artillerie moderne réduirait facilement en poussière. De là l'architecture des fortifications actuelles : cachées, et comme enfouies dans la terre, elles attirent moins le regard, elles manquent de pittoresque, il est vrai, mais elles n'en sont que plus solides et peuvent défier les efforts les plus redoutables des canons Krupp.

Les défenseurs du christianisme ont été obligés d'abandonner les bastions extérieurs et de se replier de plus en plus, pour se réfugier même dans la forteresse centrale qui est la conscience chrétienne et l'expérience de Christ. D'aucuns s'en plaignent et regrettent ce mouvement de recul qui leur paraît une faute ; nous nous en réjouissons au contraire, car par ce mouvement on en revient au véritable terrain de défense, le terrain moral, et la liberté n'en est que mieux sauvegardée. Il y aura peut-être moins de croyants, c'est possible, mais ces croyants auront beaucoup plus d'influence et seront plus solides, car leur foi reposera non sur le sable mouvant, mais sur le roc inébranlable de l'expérience chrétienne. Tant qu'ils en restaient aux preuves rationnelles, ils risquaient toujours de rencontrer des intellectuels plus sages et plus habiles qu'eux, prêts à réduire en poussière leurs arguments ; maintenant qu'ils doivent se retrancher derrière des conditions toutes morales et personnelles, ils ont toujours une réponse prête, ils peuvent toujours dire : « Je sais une chose, c'est qu'autrefois j'étais aveugle, et maintenant je vois. » Et tant qu'ils se contenteront d'affirmer cela et toujours, ils fermeront sûrement la bouche de leurs adversaires.

L'homme qui réfléchit découvre devant lui trois champs d'observation, correspondant aux trois facultés fondamentales de son esprit :

Sa raison lui révèle le monde de la matière ;
Son coeur, le monde des sentiments ;
Sa conscience, le monde moral.

Or chacun de ces champs d'expérience nous permet d'entrevoir la vie à venir, mais aucun ne nous la révèle d'une manière certaine.

Par le premier, la raison peut croire à la possibilité de cette vie ;
Par le second, le coeur peut en affirmer la probabilité.
Par le troisième, la conscience peut aller jusqu'à la nécessité.

Mais s'il en reste là, l'homme n'arrivera jamais à la certitude.
Écoutez plutôt. Quand l'homme exerce sa raison sur ce premier champ d'observation qui s'appelle la nature, il est tout d'abord frappé de la puissance de vie qui s'y déploie ; on l'a dit : Rien ne meurt, tout se transforme. En hiver, il semble que tout soit mort, les oiseaux se taisent, les arbres se dépouillent, les insectes disparaissent, le froid vient et la neige, en tombant, couvre la terre d'un blanc linceul. Et voici qu'au printemps tout reprend vie ; sous l'action des rayons du soleil, la neige fond, les arbres se couvrent de leur verte parure, les fleurs s'épanouissent, les insectes ressuscitent plus nombreux que jamais et les oiseaux font retentir les bois de leurs merveilleux concerts. Et chaque année ce même phénomène se renouvelle ; plus la terre produit, plus elle paraît capable de produire, elle semble vraiment inépuisable. Or la résurrection générale n'est autre que le résultat d'une multitude, pour ainsi dire incalculable, de résurrections partielles : dans la plus petite semence, dans l'animal le plus infime, il y a une force vitale cachée qui pourra bien se métamorphoser, diminuer et même disparaître à certains moments, mais qui ne peut jamais être détruite. On sait que les plus hautes ou les plus basses températures ne réussissent pas à anéantir certains microbes.

La raison nous poussera donc tout naturellement à conclure de ce phénomène régulier que la vie de l'homme ne doit pas être anéantie plus que celle de la graine ou de l'insecte ; ce que Dieu fait pour un grain de blé ou pour une chenille, Il doit le faire à bien plus forte raison, pour cet être supérieur, créé à son image, qui s'appelle l'homme. Notre vie doit donc se continuer ; les analogies de la nature, cette grande parabole du monde spirituel, sont là pour le prouver.

Cela est vrai, et pourtant en réfléchissant un peu, on doit reconnaître que ces analogies sont tout à fait insuffisantes pour prouver la vie à venir. Que dis-je ? ne semblent-elles pas plutôt en contradiction avec cette vie ? Car enfin ce qui demeure, ce n'est pas l'individu, c'est l'espèce, et même l'espèce peut disparaître, tandis que la vie, elle, survit à tout. Les oiseaux qui chantent aujourd'hui ne sont pas ceux qui chantaient dans notre première jeunesse ; les papillons qui voltigeaient de fleur en fleur au temps de notre enfance sont morts depuis longtemps ; ces fleurs elles-mêmes se sont flétries depuis bien des années ; d'autres leur ont succédé.

La vie subsiste, mais elle se transforme incessamment. Oui, nos bien-aimés vivent, mais ils risquent de n'être plus les mêmes ; ce qui survit d'eux, ce sont les éléments de leur organisme qui ont repris vie, en formant d'autres êtres, inférieurs ou supérieurs, en tout cas différents de ceux que nous avons connus. Et quand l'heure de notre mort sera venue, le même phénomène se produira pour nous ; les particules de notre corps se désagrégeront pour reprendre vie dans d'autres créatures ; les facultés de notre âme, ces forces psychiques qui la constituent disparaîtront à leur tour pour venir animer d'autres êtres qui n'existent pas encore. Quelle preuve y a-t-il donc là de la vie à venir ? L'argument tiré de la nature ne pourrait-il pas être retourné contre les croyants, car une immortalité impersonnelle, consistant dans le retour au grand tout, ne mérite pas le nom d'immortalité. La raison seule, en examinant la nature, ne peut donc arriver qu'à cette conclusion : la vie à venir est une possibilité, rien de plus.

Quand ensuite, par le coeur, l'homme découvre le monde des sentiments, il apprend à connaître une manifestation de vie bien plus réelle et bien plus intense que celle de la nature ; l'homme normal, la grande majorité des hommes vivent par le coeur plus que par la raison. Dieu n'a-t-Il pas gravé, du reste, au fond de l'âme humaine cette loi qui est celle même de son être : tu aimeras ? Nous avons soif d'être aimés, plus soif encore d'aimer ; nous péririons si nous ne pouvions plus aimer. Or que se passe-t-il constamment ? Ces êtres que nous aimons nous seront enlevés d'un moment à l'autre par la mort ; nos affections n'ont aucune base solide, puisqu'elles aboutiront toutes à des séparations et à des déchirements cruels ; et il se trouvera que plus nous aurons aimé, plus grande sera notre souffrance. Les créatures humaines naissent les unes à côté des autres, elles apprennent à se connaître, commencent à s'aimer, s'étreignent un instant dans leur amour, puis brusquement sont séparées par cet ennemi insatiable, toujours aux aguets, qui s'appelle la mort. Et nos beaux rêves de bonheur, d'amour éternel, impérissable ? Envolés comme des feuilles mortes en automne ; évanouis comme la lumière au soir d'une belle journée.

Mais l'homme ne peut en prendre son parti : aussi son coeur lui crie que les séparations ne sont que momentanées, elles ne peuvent pas être définitives; les êtres qui se sont aimés se retrouveront et ils pourront s'aimer désormais sans que rien ne vienne troubler ni détruire leur affection. « Je veux aimer toujours, a dit le Père Gratry, tous ceux que j'aime. Donc ils vivront et je vivrai. » Belle, touchante parole qui s'harmonise admirablement avec le commandement : « Tu aimeras ! » Comment Dieu m'ordonnerait-Il d'aimer, si c'est pour m'enlever les objets de mon affection et pour que je souffre d'autant plus que j'aurai obéi plus scrupuleusement à l'ordre qu'Il m'a donné ? Donc la vie à venir existe puisqu'elle est nécessaire pour que je suive la loi de mon être. D'ailleurs, de toutes les activités de notre âme, l'amour réel est la seule dont nous ne nous lassions jamais et que les années transforment sans réussir à l'épuiser. L'idée de l'éternité n'est acceptable pour nous que dans la pensée de l'amour.

Tout cela est fort beau, et cependant ne prouve de nouveau pas grand chose. Car il semble vraiment que rien ne dirige les coups de la mort cruelle. Elle fauche à tort et à travers ceux que nous aimons. Sans cesse elle paraît faire des erreurs : elle ravit ceux qui sont nécessaires et que de nombreuses âmes voudraient retenir ; elle laisse vivre, au contraire, ceux qui voudraient partir. Elle prend les jeunes en grand nombre qui veulent vivre ; elle oublie les vieillards qui l'appellent à grands cris. Elle frappe en hiver quand tout est triste et froid et que la mort semble naturelle ; elle frappe encore plus au printemps quand tout nous pousse à vivre et que la vie nous apparaît belle et bonne.

Et puis elle est souvent si cruelle dans la manière dont elle nous ôte ceux que nous aimons : parfois elle y met des formes et semble avoir des égards ; bien plus souvent elle frappe brutalement, en pleine force, ou au contraire, lentement en se plaisant à torturer ceux que nous voudrions tant épargner. Nous nous retrouverons ? Ah ! certes, je le veux bien, je ne demande pas mieux, mon coeur le désire ardemment, mais où ? mais quand ? mais comment ? Où sont-ils ces êtres chéris dans cet au-delà mystérieux dont je ne sais rien ? L'univers est si grand ! Comment pourrai-je les retrouver dans cet immense rendez-vous ? Qui sait ? ils auront beaucoup changé, et alors seront-ils encore ceux que je connais et que j'aime ?? Que font-ils là-haut ? À quoi emploient-ils cette éternité que l'on nous promet ? Oh ! que de points d'interrogation angoissants au sujet de cette vie à venir ? Il y en a tant pour le coeur sensible et impressionnable de l'homme que vraiment, on se demande si cette vie, à supposer qu'elle existe, est bien désirable ; et si elle ne l'est pas, est-elle encore réelle ? Ne serait-ce pas une illusion de notre pauvre coeur, fait pour aimer et qui n'est que trop porté à prendre ses désirs pour des réalités ?

Il y a tant de choses que l'on croit possibles quand on est petit, tout petit et auxquelles on renonce à mesure que l'on connaît mieux son impuissance et la naïveté de ses premiers rêves ! Tout enfant commence sa carrière en voulant attraper la lune ou les étoiles avec ses petits doigts roses, et bientôt il reconnaît son erreur sans être plus malheureux pour cela. Pourquoi en serait-il autrement de la vie à venir ? Pour être une chimère ou quelque beau rêve de jeunesse, elle n'en aurait pas moins eu son utilité, en nous aidant à traverser la vie monotone et fatigante d'ici-bas.

De ces objections et de bien d'autres encore qu'il serait facile de multiplier, je conclus que le coeur laissé à lui-même en face de ce champ d'expérience qui s'appelle le monde des sentiments, peut affirmer que la vie à venir est une probabilité, mais rien de plus; car dès qu'il veut aller plus loin, il rencontre des difficultés si grandes et en si grand nombre que cette probabilité même diminue et risque de disparaître.

Enfin reste le troisième et dernier champ d'observation, celui du monde moral dans lequel l'homme pénètre par sa conscience. Or cette conscience lui dévoile d'un côté, le besoin impérieux de justice qui se trouve au fond de toute âme d'homme et qui fait qu'elle se révolte chaque fois qu'elle est l'objet d'une injustice quelconque ; de l'autre, un monde terrestre tout rempli d'injustices et d'injustices souvent criantes. N'arrive-t-il pas sans cesse ici-bas que les bons échouent taudis que les méchants réussissent ? La Bible l'a déclaré depuis bien des siècles déjà : tel qui sert Dieu avec piété et qui évite avec soin de faire du tort à son prochain, traverse de terribles épreuves dans lesquelles il semble vraiment que Dieu l'oublie ; tel autre, impie, qui trompe sans pudeur ses semblables et s'engraisse à leurs dépens, semble être l'objet d'une protection particulière de Dieu. D'autre part, des enfants sont punis et punis sévèrement pour des fautes de leurs parents ou de leurs ancêtres dont on ne peut pourtant pas les rendre responsables. Des peuples tombent dans la décadence grâce à tel de leurs souverains, qui par raison d'état ou haine personnelle, a persécuté ses meilleurs sujets. Le grand Schiller a dit, il est vrai, que « l'histoire est le jugement de Dieu, » ce qui signifie que la justice se fait peu à peu à travers les siècles. C'est fort possible ; mais en attendant les vrais coupables échappent trop souvent et les innocents sont punis à leur place. Est-ce juste ? Non, mille fois non, et par le spectacle que nous avons sous les yeux, notre besoin impérieux de justice est constamment mis de côte ou foulé aux pieds.

De là l'espoir qui s'impose à toute conscience d'homme de nouveaux biens et d'une nouvelle terre où la justice habitera, d'une vie à venir où cette soif de justice sera parfaitement étanchée, parce que l'équilibre sera pleinement rétabli. Cela est tellement vrai que l'on peut se demander si réellement l'idée de Dieu est encore admissible au cas où cette espérance ne serait qu'une illusion. Comment un Dieu d'amour en effet pourrait-Il mettre dans nos coeurs une faim et une soif pareilles, pour nous amener en fin de compte à une formidable déception ?

Il est plus que probable que tous mes lecteurs sont d'accord avec moi sur ce point, et cependant en y regardant de plus près, des doutes se présenteront sûrement à l'esprit, tant il est vrai que la conscience livrée à elle-même ne peut plus aujourd'hui arriver à la certitude de la vie future. En effet si cette justice dont nous avons si grand besoin nous apparaît si peu générale et si peu personnelle sur cette terre, de quel droit oserions-nous prétendre que de suite après la mort, comme par un coup de baguette magique, elle va s'établir d'une manière universelle et pour chacun en particulier ? Pourquoi l'individu ne serait-il pas sacrifié à l'espèce, puisque l'espèce est infiniment plus importante que l'individu ? Il se peut que nous appelions justice quelque chose qui ne mérite pas ce nom ; et que ce qui nous apparaît injuste soit en somme bien plus juste qu'il ne le semblait d'abord. Nos notions les plus élémentaires ne subissent-elles pas de continuelles transformations ? La nature elle-même au milieu de laquelle nous vivons et qui nous donne une perpétuelle leçon de choses nous offre un spectacle où l'injustice est autrement plus réelle et plus triomphante que la justice ; les faibles y sont sacrifiés aux forts, les petits succombent devant les grands, et la mort que l'on nous montre comme introduisant l'homme dans une vie très supérieure au point de vue moral apparaît elle-même trop souvent comme le comble de l'injustice. Comment donc d'un événement pareil pourrait-il résulter le triomphe de ce qui est juste ?

Toute ces questions et d'autres qui viennent encore et en grand nombre se poser à l'esprit de l'homme l'empêchent de conclure avec certitude à la vie à venir. Il se l'est représentée jusqu'ici comme possible, puis probable, il peut maintenant y voir une nécessité : aller plus loin lui est interdit, du moins avec ses seules facultés. De là, le besoin d'un élément nouveau, celui de la révélation en Jésus-Christ ; c'est au seul contact de Christ que la possibilité, la probabilité et la nécessité peuvent se transformer en certitude glorieuse et bénie et amener un homme comme saint Paul à dire : « J'ai le désir de mourir et d'être avec Christ, ce qui de beaucoup est le meilleur. Maintenant comme toujours, Christ sera glorifié dans mon corps avec une pleine assurance, soit par ma vie, soit par ma mort ; car Christ est ma vie, et la mort m'est un gain (Phil. I, 20 à 23). Jésus-Christ a détruit la mort et mis en évidence la vie et l'immortalité par l'Évangile (2 Tim. I, 10). La mort a été engloutie dans la victoire. 0 mort, où est ta victoire ? 0 mort, où est ton aiguillon (1 Cor. XV, 55) ? Nous ne perdons pas courage. Et lors même que notre homme extérieur se détruit, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car nos légères afflictions du moment présent produisent pour nous au-delà de toute mesure un poids éternel de gloire, parce que nous regardons, non point aux choses visibles mais à celles qui sont invisibles ; car les choses visibles sont passagères et les invisibles sont éternelles (2 Cor. IV, 16 à 18). »

Et comment donc parvenons-nous à cette certitude concernant la vie à venir, une fois que nous sommes entrés en contact avec Christ ? C'est ce qui nous reste à examiner.

Tout d'abord Christ nous amène à la certitude parce qu'il la possède lui-même et parce que l'oeuvre qu'il accomplit n'a sa raison d'être que si elle aboutit à la vie éternelle. Observées de près, sa vie et surtout sa mort expiatoire révèlent à celui qui le contemple un être éternel qui apparaît soudain dans le temps ; tout en vivant sur la terre, on sent qu'il n'est pas de la terre ; il n'en vient pas, il ne fait que la traverser ; sa vraie patrie c'est le ciel qu'il aimerait faire descendre sur la terre ; il parle constamment de la vie éternelle, il s'y meut, il se réjouit d'y retourner ; il cherche à chaque instant à y entraîner les multitudes qui l'entourent, il dirige sans cesse leurs yeux de ce côté. D'ordinaire les grands penseurs, les philosophes sentent le besoin, quand ils parlent de la vie future, de justifier leur conviction en l'appuyant d'arguments. Jamais Jésus ne procède de cette manière. Il se contente d'affirmer la vie éternelle, de la poser comme un fait indiscutable. Viendrait-il à un voyant l'idée de discuter l'existence du soleil ? Aussi paraît-il étonné que ses disciples ne se réjouissent pas de son retour auprès du Père, dans la gloire qu'il avait avant que le monde fût fait ; et quand il veut les rassurer, il leur annonce qu'il ne s'en va que pour leur préparer une place, afin de les introduire là où il sera lui-même.

Quant à l'oeuvre qu'il accomplit elle consiste précisément à relever sans cesse l'homme déchu de corps et d'esprit pour le mettre en état de paraître sans crainte devant Dieu. Il attaque la mort dans toutes ses manifestations et s'efforce de reculer les limites de son empire en lui arrachant le plus grand nombre possible de ses victimes : il guérit tous les malades qu'il rencontre, il ressuscite plusieurs morts, pardonne les péchés, affranchit les esclaves du prince de ce monde et se préoccupe constamment de remettre en communion avec Dieu, source de toute vie, ceux qu'il est venu sauver. S'il accepte de mourir à son tour, ce n'est pas pour rester dans les liens de la mort, c'est pour s'en affranchir et « en affranchir en même temps, dit l'Écriture, tous ceux qui étaient retenus toute leur vie par la crainte de la mort (Héb. II, 14 et 15). » Il ne meurt que pour ressusciter et entraîner dans sa résurrection des multitudes altérées de vie et d'immortalité.

De là des paroles comme celles-ci : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra quand même il serait mort (Jean XI, 25, 28). Celui qui vit et qui croit en moi ne mourra jamais. La volonté de mon Père, c'est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour (Jean VI, 40). En vérité je vous le dis, Moïse ne vous a pas donné le pain du ciel, mais mon Père vous donne le vrai pain du ciel ; car le pain de Dieu, c'est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif (Jean VI, 32, 35). Comme le Père ressuscite les morts et donne la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut. Celui qui écoute ma parole, et qui croit à Celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle et ne vient point en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. En vérité je vous le dis, l'heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui l'auront entendue vivront. Car comme le Père a la vie en lui-même, ainsi Il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même (Jean V, 21, 24 à 26). Je suis venu afin que mes brebis aient la vie, et qu'elles soient dans l'abondance. Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis. Je donne ma vie pour mes brebis (Jean X, 10, 11, 15). Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle (Jean III, 16). »

Et d'où vient cette certitude du Sauveur sur la vie éternelle, certitude qu'il cherche à communiquer aux autres ? Uniquement de la pleine conscience de sa filiation divine ; il se sait Fils unique du Père, il se sent en relations intimes et vivantes avec son Père ; il est dans le Père, son Père est en lui. Comment donc ces relations si douces, si continuelles, dans lesquelles il puise force, courage, joie, espérance inébranlable, pourraient-elles tout à coup cesser et cesser pour toujours ? Quand on aime le Père comme il l'aime, quand on en est aimé, il n'est pas concevable que cet amour doive aboutir subitement à une destruction complète. Un amour pareil est plus fort que la mort, car il dépasse de beaucoup les limites si étroites du temps et de la matière. « Moi et le Père nous sommes un » (Jean X, 30) : Si cette parole est vraie, le Fils une fois disparu, le Père devrait disparaître à son tour, ce qui est la négation même de l'idée de Dieu. Il vit dans une communion ininterrompue avec le Père et quand, sur la croix, cette communion semble cesser par suite du mystère de l'expiation, le Fils en reçoit le coup de mort, mais ce n'est que pour un instant ; quand il expire pour entrer dans le mystérieux au-delà, il se sent de nouveau dans les bras de son Père. « Père, s'écrie-t-il, je remets mon esprit entre tes mains. » (Luc XXIII, 46) Il ne mourra pas, il vivra, il ressuscitera, il vaincra la mort, puisqu'il continue à être en communion avec son Père.

Tel est, me semble-t-il, le fondement de la certitude inébranlable du Sauveur en face de la vie à venir. Même lui, le Fils unique, il pouvait, puisqu'il avait revêtu notre nature infirme, traverser des moments d'obscurité, il pouvait comme nous se poser des points d'interrogation, être attristé, scandalisé même par la vue des injustices d'ici-bas, il n'en restait pas moins ferme et inébranlable dans sa foi à l'au-delà glorieux, par la bonne raison qu'il se savait partout et toujours dans les bras de son Père. On ne meurt pas quand on s'endort dans les bras de Dieu, ou si l'on meurt c'est pour entrer dans une vie meilleure, non pas pour être anéanti. Celui qui vit de Dieu et en Dieu tient la mort sous ses pieds comme un ennemi vaincu.

La certitude du Fils de l'homme doit devenir la nôtre, car ce qu'il a été nous devons le devenir ; il nous a laissé un exemple, afin que nous suivions ses traces. Or pour nous comme pour lui la seule condition indispensable à remplir pour parvenir à cette certitude, c'est que nous aussi nous entrions et nous nous maintenions dans une communion filiale avec le Père céleste. Christ en nous réconciliant avec Dieu nous place dans des rapports filiaux vis-à-vis de Dieu ; il veut être notre frère aîné pour que nous devenions des fils et des filles du Père. « Vous n'avez pas reçu, dit saint Paul, un esprit de servitude, pour être encore dans la crainte ; mais un esprit d'adoption, par lequel nous crions : Abba ! Père ! L'Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu (Rom. VIII, 15 et 16). »

Or quiconque est entré dans des relations pareilles avec Dieu, voit tout se transformer pour lui ; et surtout en ce qui concerne la vie à venir, il arrive à une certitude inébranlable qu'il ne connaissait pas autrefois. Il se sent avec Dieu dans des rapports que la mort ne pourra jamais détruire, tant ces rapports sont intimes et vivants. Il a éprouvé quelque chose de l'amour de Dieu, ce qu'il a entrevu n'est que le bord d'un océan immense, infini, mais il en voit assez pour tressaillir d'une joie indicible et ne plus douter de la vie éternelle. Comment la mort serait-elle le dernier mot de relations si douces, voulues de Dieu, établies par lui-même ? « Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car pour lui tous sont vivants. (Luc XX, 38) » Quand on participe à sa vie, rien ne peut la détruire, et si la mort survient, elle devra nécessairement être suivie d'une résurrection qui triomphera d'elle en nous transformant glorieusement.

Mais alors des conséquences magnifiques vont en découler dans le triple champ d'expérience dont nous parlions tout à l'heure, pour changer la possibilité, la probabilité, la nécessité en joyeuse certitude. Et tout d'abord la vue des injustices du monde moral qui révoltent notre conscience nous donne dorénavant la certitude d'une vie à venir où la justice triomphera. Puisque Dieu est amour, puisque Dieu nous aime, Il ne peut pas avoir mis dans nos âmes, cette soif d'équité, sans s'être engagé en même temps à satisfaire cette soif, autrement Il serait cruel, ce que son amour rend impossible. La justice, garantie par l'amour de Dieu se fera pleine, entière, pour tous et pour chacun. Il n'est pas concevable que quelqu'un soit exclu ; les plus pauvres, les plus dénués, les plus méprisés auront leur part de justice comme les autres : que dis-je ? S'il y a une différence entre eux, elle sera en faveur des premiers, car un Dieu d'amour et de justice doit proportionner ses tendresses et ses compensations à la grandeur de la souffrance. Les grandes injustices seront réparées, les petites le seront tout autant, l'amour infini de Dieu l'exige et cet amour est un amour paternel s'adressant à tous. En vertu même de ce principe de justice, fondé sur l'amour de Dieu, la vie à venir sera d'autant plus belle que la vie terrestre aura été plus douloureuse, car la souffrance, développant la sensibilité de l'homme, le met en état de jouir intensément après avoir intensément souffert.

De là cette doctrine du jugement dernier que beaucoup rejettent comme une superstition du moyen âge, que certains redoutent comme quelque chose d'horrible, prouvant plus la colère et la haine de Dieu que son amour, et qui n'en sera pas moins envisagé, cela va sans dire, au point de vue tout spirituel, une bénédiction pour le monde et une manifestation éclatante de l'amour de Dieu tout autant que de sa justice. Car ce sera la fin de toute injustice, la condamnation et la destruction du mal sous toutes ses formes, et le triomphe décisif et définitif du bien. La pensée de l'amour de Dieu entraîne nécessairement celle du jugement, et celle du jugement est la présupposition nécessaire de la vie à venir.

Donc en Christ et par lui, la vie à venir est une certitude, puisque la conscience restaurée par Christ nous laisse entrevoir de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera.

Ensuite la vue du monde des sentiments, dévoilé par le coeur, ne nous amène pas seulement à une probabilité concernant la vie à venir, mais plutôt à une certitude, une fois que notre coeur a été purifié, consolé, régénéré par Jésus-Christ. Comment le Dieu d'amour que Christ nous révèle nous ordonnerait-Il d'aimer, si c'était pour nous enlever ensuite sans pitié les objets de nos affections ? La loi même qu'Il nous impose, qui est la loi de son être, rend nécessaire un monde où les affections s'épanouiront à toujours. Le coeur d'ailleurs se lasse-t-il d'aimer ? Plus il aime, plus il a besoin d'aimer. Plus les objets de son affection sont nombreux, plus il grandit, et la mort devient impossible ; l'amour ne finira jamais, autrement il est une illusion. Entendons-nous cependant, je parle ici de l'amour vrai, de l'amour tout pénétré de Dieu, non pas de l'égoïsme déguisé qui n'est qu'une caricature de l'amour. Je me demande en effet s'il est possible de s'aimer réellement en dehors de Dieu.

J'ai peur que le coeur aime mal quand Dieu est absent, qu'il s'aime lui-même plus qu'il n'aime les autres ; j'ai peur qu'il se cache au fond de tout coeur d'homme pécheur un fond d'égoïsme inépuisable : même dans l'amour le plus passionné, même quand l'on parle d'adoration et d'idolâtrie, est-on bien sûr que ce soit l'amour pur, vrai, inexplicable, désintéressé qui, lui, aime au fond sans raison, qui aime sans savoir pourquoi, tout simplement parce qu'il aime ? Quand le coeur aime en Dieu au contraire, quand c'est Dieu qu'il aime avant tout en aimant la créature, le danger de l'égoïsme et de l'idolâtrie disparaît, l'amour devient pur, il se débarrasse peu à peu de tous les éléments de corruption qui le rongent sourdement, et alors il ne peut pas périr, il est vraiment « plus fort que la mort ».

« La chair et le sang, dit Paul, ne peuvent hériter du royaume de Dieu ; la corruption n'hérite pas l'incorruptibilité. (1 Cor. XV ; 50) »

Qu'est-ce que cela signifie, sinon que les affections accidentelles en quelque sorte, résultant de la naissance ou de circonstances fortuites, ne dureront que si Dieu les pénètre et dans la mesure où Il les pénétrera ; en dehors de Dieu, n'étant que chair, elles subiront le sort de la chair, elles n'ont devant elles que la décomposition, c'est-à-dire la perpétuelle transformation. Pénétrées de Dieu, au contraire, elles reposent sur le roc et rien ne peut désormais les ébranler ou les détruire. Dans ce domaine comme dans tous les autres, la mort ne nous enlève que ce que nous n'avons pas donné et consacré à Dieu.

C'est ce qui explique comment dans la vie à venir, nous pourrons être heureux, même si nous ne retrouvons pas tous ceux que nous avons aimés ici-bas, difficulté qui peut paraître troublante à plus d'un de mes lecteurs (1). Dieu sera alors tellement tout en tous, Il remplira tellement tout de sa vie et de son amour, que tout ce qui ne sera pas en lui disparaîtra ; nous ne l'apercevrons pas, à supposer que cela existe encore. Nous ne voudrons aimer, nous ne pourrons aimer que ceux qui seront les objets de l'amour de Dieu. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. (Luc X, 27) » Dieu doit être le premier et quand Il est mis de côté, nous ne pouvons plus aimer, du moins d'un amour éternel, par la bonne raison que nous ne retrouvons plus dans l'être aimé l'objet divin de notre amour. Ne voyons-nous pas ce phénomène commencer déjà ici-bas, chaque fois qu'un être s'éloigne volontairement de Dieu ?

Voici deux frères dont l'un est chrétien, tandis que l'autre ne l'est pas ; il se creuse entre eux sans qu'ils le cherchent, un fossé toujours plus profond ; leurs goûts, leurs aspirations, leurs espérances ne sont pas les mêmes ; ce qui attire l'un repousse l'autre, ce qui enthousiasme le premier laisse le second froid et indifférent. Le chrétien rencontre un jour un homme qui a les mêmes convictions que lui : immédiatement une sympathie profonde s'établit entre eux, ils parlent le même langage, ils se sentent frères d'une manière beaucoup plus profonde que les deux frères de même sang. Cette fois ce qui les rapproche ce n'est plus la chair et le sang, c'est-à-dire la matière, c'est l'esprit et le coeur, c'est-à-dire Dieu lui-même ; leur amitié n'est plus de l'amitié c'est une communion ; ce sont les deux membres d'un même corps et comme ces deux membres sont étroitement unis à la tête, tant que la tête subsistera, or elle subsistera éternellement puisque c'est Christ ou Dieu, ils ne seront jamais séparés. Le rapprochement accidentel vient de recevoir le sceau du divin, donc de l'immortalité, et désormais l'accident, le corruptible disparaît ; la mort pourra relâcher momentanément ces liens, elle ne pourra jamais les détruire.

En d'autres termes la famille que Christ est venu fonder sur la terre est destinée à l'immortalité, l'union qu'il a établie entre les membres et lui, la communion qui existe entre eux ne peuvent être brisées par rien, donc la vie à venir, grâce à Jésus-Christ, est dorénavant une certitude absolue. J'en appelle à l'expérience de tous ceux qui forment cette famille et qui connaissent cette communion : sans qu'ils puissent toujours se rendre compte pourquoi ni comment, ils sentent très bien qu'ils s'aiment pour toujours et qu'entre eux la mort est vaincue.

Enfin la vue du monde de la nature que nous fournissait notre raison et qui nous avait amenés à une possibilité concernant la vie à venir, nous conduit à une certitude quand nous envisageons la nature non plus en elle-même mais en Christ et comme l'oeuvre que Dieu a créée par son intermédiaire. « Toutes choses ont été faites par lui et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui (Jean I, 3). » Plus nous réfléchissons à ces sujets, plus nous méditons l'Écriture sur ces questions, plus nous arrivons à la certitude que l'univers matériel, notre terre en particulier, participera à l'oeuvre glorieuse de rédemption entreprise par le Christ. Un jour viendra où le royaume de Dieu s'établira partout, sur notre terre déchue tout aussi bien qu'ailleurs. Pourquoi en serait-elle exclue, quand nous la voyons si belle, cette nature, en une radieuse journée de printemps ou sous les rayons du soleil d'automne, alors qu'elle se pare de sa magnifique robe de noce ? N'apparaît-elle pas plus belle encore que l'homme lui-même qui règne sur elle ? N'est-elle pas en face de lui comme une épouse fidèle et malheureuse, en larmes en face de son époux infidèle ? Ne l'attend-elle pas avec une constance touchante, jusqu'au jour où il sera enfin à la hauteur de sa beauté ? N'est-ce pas cette pensée que Paul exprime quand il dit que « la création attend avec ardeur et anxiété la révélation des fils de Dieu ? Car la création, ajoute-t-il, a été soumise à la vanité, - non de son gré mais à cause de celui qui l'y a soumise, - avec l'espérance qu'elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Or nous savons que jusqu'à ce jour, la création tout entière gémit et souffre les douleurs de l'enfantement (Rom. VIII, 19 à 22). »

Quand le Fils de Dieu qui fut aussi le Fils de l'homme, l'homme normal, apparut sur la terre, son pouvoir et sa sollicitude ne se restreignirent pas au domaine de l'âme, il s'occupa tout autant du corps de ses contemporains et à plusieurs reprises manifesta son pouvoir royal au sein de la nature. Que l'on se rappelle plutôt la scène où il apaisa la tempête sur le lac de Génézareth. N'est-ce pas là un symbole et comme une prophétie de ce qu'il fera un jour en faveur de la nature ? Ne pouvons-nous pas y voir un gage de cette restauration magnifique qu'il accomplira pour elle et par laquelle il rétablira l'harmonie, en supprimant le désordre introduit par l'homme déchu ? En tout cas, quiconque connaît par expérience le Seigneur Jésus sait qu'il ne commence pas une oeuvre sans l'achever et qu'il peut mener à bien et pousser jusqu'à la perfection l'oeuvre de son amour. Voilà pourquoi nous disions il y a un instant qu'en entrant en communion intime et vivante avec Christ, en découvrant par lui l'amour infini du Dieu de la grâce, qui est le Dieu de la création, nous arrivons à une certitude absolue sur la vie à venir et que cette certitude remplace la possibilité qu'avait entrevue la raison laissée à elle-même.

C'est ainsi que, grâce à Jésus-Christ, grâce à la position dans laquelle il place tous ceux qui croient en lui, l'homme quitte le sable mouvant et met le pied sur le roc inébranlable. Aussi à la question qui forme le titre de cette étude : Peut-on croire à la vie à venir ? nous répondrons, pour le douteur : Peut-être. Pour le croyant : Certainement.

Voici maintenant quelles seront nos conclusions.

Avant tout, nous dirons aux spiritualistes, qui admettent une vie future, sans accepter la révélation chrétienne, de prendre garde que leur espérance ne devienne de plus en plus vague et obscure à mesure que la science se développe et que l'étude de l'histoire apparaît plus confuse et plus troublante ; les arguments d'autrefois ne tiennent plus debout ; en dehors de Christ, chaque progrès dans un domaine ou dans un autre est un ébranlement nouveau des anciennes croyances. La foi à l'Évangile va donc devenir toujours plus nécessaire pour ceux qui, refusant de se contenter de choses approximatives ou de probabilités, ont besoin de certitudes.

Quant à ceux qui nient toute vie future, qu'ils se demandent si leurs doutes ne viennent pas du péché qui est et restera la grande cause de l'incrédulité : en général l'homme croit ce qu'il a intérêt de croire ; et il est évident que celui qui vit dans le mal a trop intérêt à nier cette vie pour l'admettre. Mais quand il s'écrie : Mangeons et buvons, car demain nous mourrons ! il n'en est pas très sûr ; il se le dit, il le crie même, pour se donner du courage et tranquilliser sa conscience au moment où elle l'accuse. Mon cher lecteur, si c'est là ton attitude, laisse-moi te supplier de faire acte de sincérité, et ta négation ne te paraîtra plus si certaine. Et puis fais un effort pour sortir du mal, fuis le mal, combats-le de toutes tes forces, cherche le bien, attache-toi fortement à lui et la vie te semblera trop belle pour n'être qu'une marche vers la mort.

Enfin aux croyants, qui pourront lire ce qui précède, je dirai de travailler activement à aider les autres à croire à la vie à venir en leur montrant qu'eux-mêmes y comptent avec une joyeuse certitude. Au milieu des doutes et des négations de nos contemporains, il nous faut tout faire pour répandre notre foi, et nous n'y réussirons que si tous s'aperçoivent que nous vivons ce que nous croyons. Qu'ils évitent avec soin par conséquent de se laisser aller au désespoir quand quelqu'un de leurs bien-aimés a pris son vol vers les sommets éternels ; qu'ils ne cherchent plus parmi les morts ceux qui sont vivants, qu'au lieu de tenir leurs yeux fixés vers la terre et le sépulcre, ils les lèvent vers le ciel, baignés de larmes, je le comprends, mais brillants d'une joyeuse espérance.

Et surtout qu'ils évitent avec soin de mettre leur coeur dans les biens de ce monde, comme si ces biens étaient seuls. « Là où est votre trésor, là est votre coeur (Matth. VI, 21) », disait Jésus. Que notre trésor soit dans le ciel et que notre coeur y soit aussi, et le monde recommencera à croire au ciel. « Si donc vous êtes ressuscités avec Christ, dit saint Paul, cherchez les choses d'en-haut, où Christ est assis à la droite de Dieu (Col. III, 1) » et le monde les cherchera avec vous.

Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n'était plus.
Et je vis descendre du ciel, d'auprès de Dieu, la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, préparée comme une épouse qui s'est parée pour son époux.
Et j'entendis du trône une forte voix qui disait: Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes! Il habitera avec eux, et ils seront son peuple, et Dieu lui-même sera avec eux.
Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu. (Apocalypse XXI, 1 à 4)


Table des matières

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1. On m'objectera qu'une mère ne pourra jamais accepter cette idée ? Oui, si elle aime son enfant d'un amour saint, c'est-à-dire si elle aime Dieu dans son enfant. Non, si elle l'aime d'un amour profane, c'est-à-dire idolâtre.

 

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