Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Fictions ou réalités?

CHAPITRE X
Qui peut croire encore au Diable ?

 Décidément c'est trop fort ! se sera dit plus d'un de mes lecteurs en voyant le titre de cette conférence ; on veut se moquer de nous... à moins que la question posée ne soit résolue dans le sens de la négative. En effet, aujourd'hui, nul homme intelligent n'ira s'abaisser jusqu'à croire au diable, reste superstitieux d'un autre âgé.

Eh bien ! au risque d'étonner les lecteurs, j'avoue humblement que je suis de ces gens rares qui croient encore à l'existence personnelle du prince des démons et qui ont de bonnes raisons pour y croire.

Entendons-nous bien cependant : je n'admets évidemment pas l'existence d'un diable grotesque, de chair et d'os comme nous le représentait le moyen âge, mais bien celle d'un être tout spirituel, un esprit du mal redoutable, car il est très puissant, qui réussit à entraîner nos premiers parents dans le péché après y être tombé lui-même, par une chute mystérieuse, résultant d'un abus de sa liberté. Car autant qu'il nous est permis de percer le mystère, nous devons affirmer qu'il n'a pas été créé mauvais, mais bon, comme tout ce qui sort de la main du Créateur, et que c'est volontairement, librement, qu'il s'est précipité dans le mal : pourquoi ? comment ? il nous est impossible de le dire dans l'état actuel de nos connaissances. Je serais porté à croire qu'elle est vraie l'hypothèse du grand poète Milton, en vertu de laquelle Satan aurait été un ange de lumière, éblouissant de gloire, pris en quelque sorte du vertige des hauteurs : en succombant à la tentation de l'orgueil, il aurait entraîné avec lui dans sa chute toute une armée d'anges qui devinrent les démons. À cet ange déchu est due la désobéissance d'Adam et d'Eve et c'est de lui qu'aujourd'hui encore proviendraient ces initiations au mal que nous ne connaissons que trop par expérience.

Je n'ignore pas qu'une hypothèse pareille soulève des objections qui peuvent paraître insolubles au premier abord, En voici quelques-unes, la franchise me fait un devoir de les énumérer loyalement et d'examiner si réellement elles sont et demeurent insolubles.

L'idée de Satan, nous dit-on, doit être un reste de ces temps d'ignorance où l'homme, à l'état d'enfant, ne connaissant aucune des lois de la nature, cherchait partout des causes extraordinaires aux phénomènes qu'il avait sous les yeux. Le mal était là avec la souffrance et le péché, il fallait bien chercher à se les expliquer : ne voyant aucune cause rapprochée et naturelle, il devait forcément en chercher une dans le monde de l'invisible et du mystère, de là l'idée de Satan que l'homme conçut pour s'expliquer l'origine du mal. Mais aujourd'hui que nous avons plus de lumière, l'hypothèse du diable n'est plus nécessaire, la cause première du mal ne doit plus être cherchée dans l'inconnu, mais bien dans le coeur de l'homme, sans qu'il soit besoin de faire intervenir aucun agent mystérieux et puissant

Mals, demanderons-nous à notre tour, comment le mal est-il né dans le coeur de l'homme, si ce coeur en recèle l'origine ? Le coeur de l'homme ayant été créé par Dieu, nous ne pouvons pourtant pas attribuer à Dieu l'origine du mal : alors qui donc a introduit dans le coeur humain cette chose odieuse qui s'appelle le péché ? Et puis, que ceux qui font cette objection y prennent garde s'ils ont la foi en Dieu, car elle peut parfaitement être retournée contre cette foi.

On s'en est même servi pour nier l'existence du Créateur. Tant qu'on ne savait rien du monde matériel, il fallait bien supposer une cause première, origine de tout ce qui existe, mais maintenant que nous connaissons mieux le mécanisme des causes et des effets, l'engrenage des forces qui constituent l'univers, l'hypothèse d'une cause première n'est plus nécessaire, nous pouvons nous passer de l'idée de Dieu : voilà ce que les athées nous disent aujourd'hui.

On nous objecte en second lieu que la raison humaine se refuse à croire à une puissance ennemie qui serait égale on à peu près à celle de Dieu lui même. Ne serait-ce pas revenir au dualisme du parsisme avec ses deux principes Ahriman et Ormuzd ? Or notre raison et notre conscience modernes ont beaucoup de peine à accepter l'idée d'un dualisme, tout nous pousse vers le monisme et, pour ceux qui croient en Dieu, vers le monothéisme.

Mais qui donc a prétendu que le diable était tout-puissant ? Ni l'Écriture ni Jésus-Christ, en tout cas. En nous appuyant sur la Parole de Dieu, nous devons dire que Satan est une créature peut-être immortelle, en tout cas pas éternelle comme Dieu ; il n'a pas toujours existé, il a dû commencer avec le temps, ce qui implique qu'il pourra aussi finir avec lui. Quant à sa puissance, si elle est grande, elle n'est nullement infinie ; le jour où Dieu voudra la détruire, Il le pourra de suite. Dieu lui a donné un grand pouvoir, un pouvoir qui parfois nous étonne et nous fait trembler, Il ne lui a pas donné le pouvoir absolu. Un jour viendra où Il lui dira, comme aux flots de la mer : « Tu iras jusqu'ici et tu n'iras pas plus loin ! » et immédiatement Satan lui-même se verra obligé de s'incliner devant l'autorité souveraine du Tout-Puissant.

Mais alors, nous réplique-t-on, pourquoi donc Dieu ne détruit-Il pas plus vite le pouvoir de Satan ? Est-Il bon, est-Il sage, est-Il vraiment tout-puissant ce Dieu qui laisse subsister à travers les siècles un être qui se plaît à tourmenter les hommes en les entraînant sans cesse dans le péché, la souffrance et la mort ? Comme ce serait plus juste et plus digne de Dieu, plus pratique aussi, d'arrêter de suite son ennemi et de l'empêcher de compromettre sans cesse l'oeuvre de notre sanctification et la réalisation de notre glorieuse destinée !

Cette objection, je le reconnais sans peine, est autrement plus sérieuse et plus difficile à réfuter que les autres. Elle n'est pourtant pas sans réponse. Supprimer son ennemi quand on a la toute-puissance ce n'est pas le vaincre, or Dieu veut vaincre Satan et cela avec et par nous, car alors sa victoire sera autrement plus réelle et plus complète que s'Il triomphait de lui, seul, par un acte souverain de sa toute-puissance.

D'ailleurs dans les tentations mêmes que l'adversaire met sur notre chemin, n'y a-t-il pas un admirable moyen de développement et d'affranchissement ? Pour qu'un soldat devienne solide et courageux, il faut qu'il passe par le feu de la bataille, s'il reste toujours loin de l'ennemi il ne s'aguerrit pas et il n'a pas l'occasion de prouver ce qu'il vaut. Les dangers et les difficultés du combat par contre sont les meilleures écoles pour former son caractère et développer son énergie. Dieu dans sa sagesse sait tirer du mal un admirable parti ; quand nous serons de l'autre côté du voile, nous verrons à quel point notre grand adversaire nous a rendu service et a contribué à notre salut et à notre sanctification avec ses assauts parfois terribles et si souvent renouvelés.

Ajoutons qu'il existe une maturité dans le mal comme il en existe une dans le bien et cette maturité du mal est nécessaire pour qu'il se détruise en quelque sorte lui-même en se développant. Le mal étant un principe de division et de décomposition, porte en lui son principe destructeur et dans la mesure où il se développe, il travaille à sa propre destruction. Pour que le mal soit détruit, il faut qu'il ait produit toutes ses conséquences et pris toutes les formes dont il est susceptible, qu'il s'exaspère lui-même en quelque sorte en se développant, car alors si Dieu le détruit, ce ne sera pas arbitrairement, mais avec une pleine justice, et pour parler avec l'Écriture, « toute bouche pourra être fermée », la justice de Dieu apparaissant souveraine et parfaite.

Mais alors ne peut-on pas nous demander comment il se fait que Satan ait encore une personnalité si forte après s'être livré au péché depuis tant de siècles ? Si vraiment le péché se détruit lui-même en se développant, s'il diminue d'ordinaire ceux qui se livrent à lui, comment se fait-il que le diable ait encore un tel prestige et qu'aujourd'hui il remporte des victoires qui paraissent plus importantes qu'aux premiers jours de l'humanité ? C'est vrai.

Voici pourtant ce que nous répondrons. Le mal peut fort bien, momentanément tout au moins, augmenter la personnalité de celui qui l'accomplit, elle peut lui fournir une certaine énergie, une certaine audace capable de donner le change quant à la faiblesse réelle cachée derrière cette apparence. Il y a des hommes d'affaires malhonnêtes, il y a des buveurs et même des débauchés qui, pour tromper leur prochain ou parvenir à la satisfaction de leurs passions, déploient une ardeur, une persévérance, une force de volonté vraiment extraordinaires. Je crois que tout cela est factice et que la catastrophe sera ensuite d'autant plus terrible qu'elle se sera fait davantage attendre.

Au reste nous reconnaissons sans peine qu'aux yeux d'un observateur superficiel et distrait, l'état du monde semble prouver que la puissance de Satan est plus grande et plus redoutable que jamais, de tous côtés cette puissance s'affirme écrasante et impossible à vaincre. Mais quand on regarde les choses de plus près, quand surtout on se donne la peine de comparer l'humanité d'autrefois avec celle d'aujourd'hui, l'état des peuples civilisés avec celui des peuples païens, on est obligé de constater de nombreux, et indiscutables progrès. De tous côtés l'édifice élevé par Satan craque et se lézarde ; le mal est encore aimé d'une multitude de gens, mais le nombre de ceux qui, le haïssant, sont résolus à le combattre et à le faire entièrement disparaître de notre terre va sans cesse grandissant ; l'injustice révolte de plus en plus la conscience moderne ; certains actes individuels ou sociaux qui semblaient tout naturels autrefois apparaissent aujourd'hui comme de véritables scandales ; la guerre, par exemple, va devenir de plus en plus odieuse et insupportable à la conscience. Cela est tellement vrai qu'aujourd'hui le mal est obligé souvent de prendre hypocritement une apparence honnête pour se faire accepter ; il doit se dissimuler pour pouvoir mieux se maintenir. N'est-ce pas la preuve que son empire recule, que son pouvoir diminue ?

Ayons d'ailleurs le courage de l'avouer : si Satan est encore si puissant dans le monde, ce n'est pas qu'il le soit en réalité, c'est qu'aujourd'hui il trouve trop souvent des hommes qui se laissent séduire et persuader qu'il est encore le plus fort et que Christ a échoué en essayant de le détruire. Manquant de foi, nous n'osons pas croire à la victoire complète que le Sauveur a remportée il y a dix-neuf siècles sur la croix, quand lui, le descendant de la femme, il a, suivant l'antique prophétie, écrasé la tête du serpent. Cette tête est écrasée depuis le drame de Golgotha et nous ne voulons pas le croire, nous laissant toujours influencer et impressionner par l'apparence au lieu de voir par la foi la glorieuse réalité et de nous y attacher fermement. Le pouvoir de Satan le menteur et le père du mensonge, ne subsiste que par une incessante supercherie. Le jour où il y aura sur la terre un peuple nombreux, décidé à se confier à la puissance supérieure de l'Esprit du Christ, ce jour-là Satan sera vaincu et son pouvoir paralysé. Chacun de mes lecteurs a pu en faire pour son propre compte la bienfaisante expérience.

C'est possible, nous dira-t-on, et cependant nous ne pouvons croire à l'existence actuelle de cet être méchant assez puissant pour être en contact avec chacun de nous et nous induire en tentation : Il existe dans le monde un milliard et demi d'hommes, il en a vécu des multitudes innombrables sur la terre, comment se représenter que le diable ait pu et puisse encore s'approcher de chacun d'eux pour le pousser au mal ? Croire une chose pareille, N'est-ce pas croire en un être aussi puissant que Dieu, peut-être même plus puissant que lui ?

Mais, répondrons-nous, il y a eu dans l'histoire des hommes dont l'influence sur leurs semblables a été colossale, presque incalculable. Pourquoi le diable auquel nous attribuons, non pas encore une fois la toute-puissance, mais une très grande puissance, ne pourrait-il pas avoir une influence proportionnée à ce pouvoir ? Tout le monde sait le mal que peut faire une seule parole lancée comme une flèche empoisonnée au moment psychologique, ou simplement l'exemple donné par une personne en vue.

D'ailleurs je n'oserais pas dire que pour chaque tentation spéciale, Satan soit là derrière sa victime pour la pousser au mal ; il suffit qu'il l'ait séduite une ou deux fois à des heures particulièrement importantes, pour que l'entraînement une fois produit ait pu durer et continuer ses effets. On connaît la puissance de l'habitude ; une fois prise n'agit-elle pas d'elle-même comme par une force d'inertie irrésistible ? Je vais même plus loin et je n'aurais pas d'objection à admettre que l'action directe et personnelle de Satan ne se soit exercée qu'à certains moments décisifs de l'histoire humaine en général, au début de telles périodes importantes ou au berceau de telle race appelée à jouer un rôle capital. On nous prouverait même que la séduction du diable ne s'est exercée qu'à l'aurore de l'humanité dans le jardin d'Eden, (* Note de "Regard") réel ou symbolique, lors de la chute primitive seulement, que cela ne m'empêcherait pas de croire à l'existence personnelle du prince de ce monde et à son influence déplorable dans le monde.

Car enfin, il faut bien le reconnaître : à côté des passages de l'Écriture qui nous parlent du diable et de son action directe sur nous comme les suivants : « Votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il dévorera. Résistez-lui avec une foi ferme, sachant que les mêmes souffrances sont imposées à vos frères dans le monde (1 Pi. V. 8). Ne donnez pas accès au diable (Eph. IV, 27). Pourquoi, dit Pierre à Ananias, Satan a-t-il rempli ton coeur (Actes V, 3) ? Nous voulions aller vers vous, du moins moi Paul, une et même deux fois ; mais Satan nous en a empêchés (1 Thess. Il, 17-18) ; » il en est d'autres où le péché semble se produire indépendamment de cette influence diabolique : « C'est du dedans, c'est du coeur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les impudicités, les meurtres, les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l'orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans, et souillent l'homme (Marc VII, 21 à 23). Chacun est tenté quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise. Puis la convoitise, lorsqu'elle a conçu, enfante le péché ; et le péché étant consommé, produit la mort (Jacq. I, 14 et 15) »

Ces versets peuvent précisément servir à formuler une nouvelle objection contre l'existence personnelle de Satan : N'est-il pas plus simple et plus psychologique en même temps d'admettre comme source du péché le coeur de l'homme et ce coeur seul ? Le péché est en nous, il n'est pas nécessaire de lui chercher une autre source.

Nous répondrons en faisant remarquer avant tout que ces deux paroles ont pour auteur, l'une Jésus-Christ lui-même, l'autre Jacques, frère du Seigneur ; or l'un et l'autre croyaient à la personnalité du diable, il n'y a pas à en douter. Nous allons le voir pour Jésus-Christ, et quant à Jacques il écrit dans cette même épître : « Résistez au diable, et il fuira loin de vous (Jacq. IV, 7). » Faut-il pour cela dire qu'il y a contradiction entre ces déclarations diverses ? Nous ne le pensons pas ; le péché peut bien avoir maintenant son siège et même sa source dans le coeur de l'homme, sans que ce coeur l'ait produit primitivement ; le mal ne peut-il pas lui avoir été communiqué et comme inoculé, pour être ensuite, par lui, transmis à d'autres ? Le péché est bien en nous, mais il ne vient pas de nous, encore qu'ayant été empoisonnés par lui, nous pouvons, à notre tour, devenir poison pour d'autres.

C'est possible, mais alors cette théorie ne décharge-t-elle pas trop aisément notre responsabilité ? Il est fort commode de rejeter la faute sur autrui et ainsi de chercher à se justifier comme si nous n'avions rien à nous reprocher.

Mais nous n'avons jamais prétendu cela, je crois à la pleine culpabilité de l'homme, parce que je crois à sa réelle responsabilité ; la conscience est là qui nous accuse, dès que nous l'écoutons sérieusement. Cela n'empêche pas cependant que nous ayons été entraînés au mal comme malgré nous, presque d'une manière inconsciente, puisque nous sommes nés d'une race déchue, et qu'avant même que nous ayons pu discerner le bien du mal, nous étions comme fatalement voués à ce dernier. Nos premières expériences sur nous-mêmes ont été des expériences de péché ; quand nous avons appris à nous connaître, nous nous sommes aperçus que nous étions déjà malades. Nous ne sommes donc pas seuls responsables, nos parents l'ont été avant nous, et, comme, à leur tour, ils ont fait une expérience analogue, il doit y avoir quelqu'un d'antérieur à eux qui partage la responsabilité avec eux et qui doit même la porter plus qu'eux.

Plus l'on réfléchit à cette question si grave du péché, plus, ainsi que nous l'avons vu précédemment, on arrive à la conviction qu'elle renferme deux parts, l'une de responsabilité pleine et entière qui fait que notre conscience nous accuse et a le droit de nous accuser, car nous nous sentons coupables, l'autre d'irresponsabilité qui provient de ce que notre première chute était en quelque sorte fatale, du fait même que nous appartenons à une race déchue, séduite par un autre. C'est précisément ce double élément de liberté et de déterminisme qui rend le problème du mal si complexe ; il serait fort commode de supprimer l'un des termes du problème pour ne maintenir que l'autre, mais ce ne serait ni moral ni scientifique.

Or je crois que l'hypothèse d'un être personnel puissant, exerçant une influence malfaisante et décisive sur l'homme, tel que la Bible nous dépeint le prince de ce monde, nous aide à résoudre le problème ou tout au moins nous apporte une lumière des plus précieuses. À une condition toutefois : c'est que nous n'en prenions jamais prétexte pour secouer notre responsabilité en nous en déchargeant sur cet être.

Or je ne sache pas que d'ordinaire les croyants qui ont le plus affirmé l'existence du diable aient méconnu leur culpabilité. Que l'on se rappelle plutôt le témoignage d'un saint Paul ou celui d'un Luther. Le premier, après avoir dit aux Éphésiens : « Vous êtes morts par vos offenses et par vos péchés, dans lesquels vous marchiez autrefois, selon le train de ce monde, selon le prince de la puissance de l'air, l'esprit qui agit maintenant dans les fils de la rebellion, » ajoute : « Nous tous aussi nous étions de leur nombre, et nous vivions autrefois selon les convoitises de notre chair, accomplissant les volontés de la chair et de nos pensées, et nous étions des enfants de colère comme les autres (Eph. II, 1 à 3). » Quant à Luther, il était si convaincu de l'existence du diable que, nous dit la tradition, il crut le voir un jour et lui lança son encrier ; de plus, dans son célèbre cantique : C'est un rempart, il parle au moins deux fois de Satan :

L'ennemi contre nous Redouble de courroux ;
V
aine colère! Que pourrait l'adversaire ?
L'Éternel détourne ses coups.

Constant dans son effort En vain avec la mort
S
atan conspire : Pour ruiner son empire,
Il suffit d'un mot du Dieu fort.

Et c'est ce même Luther qui, avant sa conversion, s'écriait dans le couvent d'Erfurt avec une profonde douleur : « Mes péchés ! mes péchés ! qui me délivrera de mes péchés ? »

On objecte enfin à l'existence personnelle du diable le fait que cette idée n'a pas grande importance au point de vue de la vie chrétienne ; c'est, nous dit-on, une question secondaire que l'on peut sans inconvénient mettre de côté, puisque l'essentiel est que nous nous sentions pécheurs et que nous nous efforcions de nous affranchir du joug odieux du péché.

Je reconnais sans peine que la foi à l'existence du diable n'est pas l'une de ces questions vitales qu'il est impossible de mettre de côté sans ébranler l'édifice tout entier. Il est des pasteurs et des laïques qui ne peuvent pas l'admettre et qui n'en sont pas moins de vrais chrétiens. Il en est d'autres qui le sont beaucoup moins tout en gardant cette croyance. Cela ne signifie pas du tout pourtant que celle-ci soit sans importance au point de vue pratique. J'aurai bien plus de courage pour lutter contre le mal si je sais qu'il n'est pas essentiel à ma nature, qu'il vient d'ailleurs et surtout que celui qui l'introduit dans le monde a été vaincu par mon Sauveur. Le caractère concret de la tentation si elle provient d'une personnalité distincte, me deviendra une aide pour la combattre. Et la victoire me sera possible et même certaine, si je la considère comme un triomphe sur un ennemi réel et un affranchissement de son pouvoir maudit.

Telles sont, exposées en toute loyauté, les principales objections que l'on peut faire à l'hypothèse de l'existence personnelle de Satan. J'ajoute que si nous avons affaire à un être menteur, il n'est pas étonnant qu'il suggère aux hommes des objections et qu'il les amène à nier son existence en se caricaturant. La remarque n'est pas de moi, mais du grand Dorner, et il faut avouer qu'elle ne manque pas d'à-propos, quand il s'agit du père du mensonge dont le pouvoir ne subsiste que par la fausseté. Il est du reste des raisons nombreuses qui nous poussent à y croire, nous allons les passer en revue, du moins les quatre plus importantes.

Il est avant tout une raison a priori qui n'est pas sans valeur : beaucoup se plaisent à nier l'existence du diable, de quel droit ? Connaissent-ils par expérience le monde invisible qui nous entoure ? Savent-ils exactement les êtres qui le peuplent ? Et s'il me plaît à moi, et à d'autres, d'affirmer que le diable existe, comment réussiront-ils à me réfuter d'une manière certaine ? À priori, indépendamment de tout fait d'expérience et de tout enseignement révélé, pourquoi n'y aurait-il pas dans l'immense univers une multitude innombrable d'êtres variés ? Pourquoi parmi ces êtres ne s'en trouverait-il pas de mauvais ? Notre race compte tant de scélérats ! Pourquoi parmi ces êtres mauvais n'y en aurait-il pas de plus élevés et de plus importants que d'autres, ayant par conséquent une influence plus grande ? Par analogie ne voyons-nous pas cela constamment dans l'humanité ? Pourquoi parmi les êtres méchants supérieurs, n'y en aurait-il pas un plus élevé encore que les autres qui les dominerait par le fait même de son génie et se servirait d'eux pour exercer sa funeste influence ? Pourquoi, en d'autres termes, les démons n'auraient-ils pas à leur tête un chef appelé le diable ou Satan ? Nous voyons si souvent dans l'histoire des individualités prendre une prépondérance que personne ne conteste sur les autres. Qu'on se souvienne de l'influence funeste d'un Voltaire ou d'un Napoléon ou l'influence profonde et bénie d'un Kant ou d'un Washington. Donc a priori rien ne nous empêche de croire à l'existence personnelle du diable ; par analogie au contraire tout nous porterait à l'admettre.

Mais il y a plus : il existe un témoignage puissant en faveur de l'existence du diable, un témoignage que personne ne peut contester, à savoir celui de l'humanité. L'humanité est là, vieille de plusieurs milliers d'années, et son histoire étudiée impartialement nous confond et, disons le mot, nous scandalise. C'est une histoire de sang et de larmes ; constamment le mal l'a emporté sur le bien, l'injustice sur la justice, la haine sur l'amour ; sans cesse les choses bonnes introduites dans le cours des événements ont été tournées et transformées et sont devenues des choses mauvaises ; et plus elles paraissaient désirables au bien de l'humanité, plus elles sont devenues dangereuses et repoussantes. On dirait d'un mauvais génie occupé sans cesse avec un malin plaisir à gâter tout ce qu'il touche.

Qu'on songe seulement au christianisme : jamais sur la terre n'a paru religion meilleure, plus élevée et plus aimable, jamais homme n'a parlé, agi, aimé comme Jésus-Christ, jamais il n'y eut ici-bas de manifestation plus éclatante de la miséricorde divine ; on peut bien dire qu'en Christ le ciel a visité la terre. Il ne tenait qu'aux hommes d'arriver à ce ciel et d'inaugurer avec le Fils de l'homme et sur ses traces une ère nouvelle qui aurait transformé l'histoire et transfiguré notre planète. Vous savez comment les hommes acceptèrent l'offre de Dieu ; jamais il n'y eut ici-bas tant de haine et de colère soulevées contre un homme, jamais il ne se produisit de coalition pareille pour anéantir l'oeuvre entreprise.

Il est vrai le mot de Vinet : « En Golgotha, l'humanité a sué toute sa méchanceté. »
Et depuis, combien n'a-t-elle pas été défigurée cette religion de l'amour ! Que d'horreurs inventées en son nom, que d'iniquités, de guerres sanglantes, d'oppression, de cruautés, de massacres ! Qui pourrait reconnaître dans la plupart des formes d'églises chrétiennes de l'histoire et des temps modernes cette institution toute faite de liberté, de dévouement et d'amour qui s'appelle l'Eglise de Jésus-Christ ? De même les plus belles inventions du génie humain inspirées par Dieu, ont été détournées de leur but et l'homme les a fait servir contre lui-même ou contre ses frères.

Eh bien ! je le demande à tout lecteur impartial, y a-t-il moyen d'expliquer ce phénomène si fréquent qu'il en est devenu comme fatal, sans l'intervention d'une puissance malfaisante, puissante et très active, qui s'efforce de jeter l'ivraie partout où Dieu a semé le bon grain ? Je parlais d'un mauvais génie gâtant tout ce qu'il touche : n'est-ce pas cela que nous voyons constamment ? Si nous admettons l'hypothèse de Satan si mystérieuse qu'elle nous paraisse, nous entrevoyons dans ce chaos un rayon de lumière. Si nous le rejetons, ce rayon disparaît.

Mais si laissant le témoignage de l'humanité en général, si détournant nos regards du spectacle du monde, nous les tournons sur nous-mêmes, si nous entrons dans le sanctuaire intime de la vie intérieure, que sommes-nous obligés d'avouer pour peu que nous soyons sincères ? quelle est l'expérience que nous avons tous faite, non pas une fois, dix fois, mais des centaines, des milliers de fois ? C'est qu'au moment où nous allions faire le bien pour obéir à notre conscience, une autre voix non moins claire, parfois plus claire, s'est fait entendre à nous et nous a proposé le mal. Quand nous avons su lui imposer silence, elle a bientôt perdu de son autorité et nous avons pu remporter la victoire. Quand, au contraire, nous avons hésité, prêtant une oreille plus ou moins attentive à ses suggestions, sa puissance a grandi, elle est devenue irrésistible et bon gré malgré, il nous a fallu céder aux appels qu'elle nous adressait, nous avons succombé à la tentation.

Encore une fois d'où cela vient-il ? d'où provient cette voix ? Si les appels au bien viennent d'un être personnel qui est Dieu, je ne vois pas trop comment les appels au mal peuvent être sans origine supérieure. Ne serait-ce pas plus simple d'admettre qu'au moment de la tentation un être tout aussi personnel a parlé ? Si Satan existe, tout s'explique ; s'il n'est qu'un rêve d'une imagination maladive, tout redevient obscur et nous nous trouvons en face d'une énigme aussi angoissante que ténébreuse.

Mais il est un quatrième témoignage qui, pour nous, prime tous les autres et que nul homme sincère n'a le droit de passer sous silence, le témoignage de Jésus-Christ qui, d'après les Évangiles, semble avoir cru de la façon le plus catégorique à l'existence personnelle du diable. Il avait pu trouver cette idée dans l'Ancien Testament qu'il avait appris à connaître dès son enfance. N'était-ce pas déjà un instrument de Satan que ce « serpent ancien, qui avait séduit nos premiers parents et dont il nous est dit qu'il était le plus rusé de tous les animaux des champs (Genèse III, 1) ? » C'est Satan qui d'après les Chroniques incite David à faire le dénombrement du peuple. Dans le prologue de l'histoire de Job, il est question de Satan qui se présente devant l'Éternel pour tenter le patriarche. Dans le prophète Zacharie, Satan apparaît de nouveau devant l'Éternel pour accuser Josué le grand prêtre. Mais dans l'Ancien Testament la figure de Satan n'est pas encore très précise, il semble qu'il y ait comme un voile mis intentionnellement par l'Esprit-Saint pour nous empêcher de voir notre adversaire dans toute sa puissance et dans toute sa laideur. Il en est tout autrement du Nouveau, des paroles de Jésus-Christ en particulier ; Dieu peut désormais nous laisser voir l'ennemi, car il est vaincu, le serpent ancien a perdu de sa puissance, il a la tête écrasée et si nous sommes unis au vainqueur nous pouvons nous avancer sans crainte au devant de lui, la victoire est à nous.

Voici du reste les déclarations positives du Sauveur sur ce sujet mystérieux : « J'ai vu Satan tomber du ciel (Luc X, 18). » Sans doute parce qu'en Christ il avait rencontré son vainqueur. On se souvient, en effet, de la tentation terrible du début du ministère ; Jésus agit, Jésus parle absolument comme s'il avait affaire à un adversaire réel : « Retire-toi, Satan (Mt IV, 10) » ! lui dit-il au troisième assaut. « Vous dites ce que vous avez vu chez votre père, dit-il aux Pharisiens, et moi je dis ce que j'ai vu chez mon Père... Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu'il n'y a point de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fonds ; car il est menteur et le père du mensonge (Jean VIII, 38 à 44). Tout royaume divisé contre lui-même, dit-il une autre fois, est dévasté, et toute ville ou maison divisée contre elle-même ne peut subsister. Si Satan chasse Satan, il est divisé contre lui-même ; comment donc mon royaume subsistera-t-il (Mt XII, 25 et 26) ? Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors (Jean XII, 32). Le prince de ce monde vient, mais il n'a rien en moi (Jean XIV, 30). Le prince de ce monde est déjà jugé (XVI, 11). Satan a demandé à vous cribler comme on crible le blé (Luc XXII, 31). »

En face de telles déclarations, il me semble qu'une conclusion s'impose à nous : Christ a cru à l'existence personnelle de Satan, il a cru qu'il était venu combattre ce redoutable adversaire, détruire, comme dit saint Jean, les oeuvres du diable; on ne peut comprendre ses actes, ses paroles, sa manière d'être tout entière qu'en admettant cela, autrement sa vie et le but de cette vie deviennent absolument incompréhensibles. Je sais bien que l'on tourne la difficulté en disant que le Sauveur s'est trompé, il a trouvé cette idée comme une idée courante chez ses contemporains, et il l'a admise sans essayer de la discuter, comme beaucoup d'autres qui s'expliquent par son admirable humilité : n'oubliez pas, nous dit-on, que dans son amour, il a consenti à revêtir une nature frêle et fragile et par conséquent à ignorer beaucoup de choses.

Évidemment dans son état d'abaissement le Christ ignorait beaucoup de choses que nous savons aujourd'hui, mais peut-on croire qu'il en fut ainsi sur le terrain spirituel et moral qui était son vrai terrain ? J'en doute pour ma part, car il me faut un Sauveur infaillible dans ce domaine et j'estime que s'il y a une question ressortissant à ce dernier, c'est bien celle de la personnalité du diable. Nul ne connaît le monde invisible comme Christ puisqu'il en vient ; je me sens trop ignorant sur ce point pour ne pas m'en remettre entièrement à ce qu'il m'affirme de la façon la plus catégorique.

À moins que, ajoute-t-on, il ait su que cette idée courante n'était qu'un préjugé et qu'il se la soit appropriée, parlant comme s'il l'admettait pour être mieux compris de ses contemporains ? Telle est la pensée de beaucoup sur l'enseignement de Jésus-Christ. J'avoue humblement qu'une supposition pareille, qui voit en Christ de la feinte et du mensonge, me paraît indigne de celui qui était la vérité même. Rien n'eût été plus facile pour lui que de combattre ce préjugé et d'affirmer la vérité. Une telle hypothèse qui touche à l'arche sacrée de la sainteté parfaite du Sauveur me semble être un blasphème que Satan seul, le père du mensonge, déguisé en ange de lumière, a su mettre sur les lèvres d'hommes qui se disent disciples du Christ.

Le témoignage positif du prophète de Nazareth suffirait à lui seul à me faire croire à l'existence du diable : puisque Jésus y a cru, je ne vois pourquoi ni comment moi-même je n'y croirais pas.

Si maintenant, résumant les pages qui précèdent, je cherche un argument direct qui confirme tous les autres, voici ce que je dirai, sous forme de conclusion. L'hypothèse de l'existence personnelle du diable est devenue pour moi une certitude parce que, si elle est fausse, ou l'homme ou Dieu sont perdus ; or si je veux croire, je dois à tout prix les maintenir l'un et l'autre.

L'homme est perdu, ai-je dit, par la bonne raison qu'il est l'inventeur du mal, il est donc un démon, comment pourrait-il être sauvé ? Si le mal ne vient pas du diable, il faut bien qu'il vienne de moi... à moins que Dieu n'en soit l'auteur. Ce qui m'obligerait à nier Dieu, car Dieu doit être saint, parfaitement saint ou Il n'est pas ; les divinités païennes sont mortes ou mourront bientôt, précisément parce qu'elles sont entachées de péchés ; mais il m'est impossible de nier Dieu, tout me crie qu'Il existe. Je dois donc nier la réalité du péché et croire que le péché n'est qu'un moindre bien, sans réalité profonde, or ma conscience m'affirme que le péché est la plus tragique et la plus douloureuse des réalités.

Me voici donc acculé en quelque sorte et forcé, malgré les difficultés, malgré les objections, malgré les négations des moqueurs, de croire que Satan existe, qu'il est mon plus redoutable ennemi et que mon devoir est de le combattre de toutes mes forces si je ne veux pas être vaincu d'abord, puis détruit par lui.
Je me garderai donc bien dorénavant de rire ou de sourire en parlant de ce sujet ou en l'entendant discuter, car ce serait déjà lui donner prise sur moi et d'ailleurs la question est trop grave et trop solennelle pour être traitée à la légère.
D'autre part j'aurai soin de ne pas me laisser effrayer outre mesure, car si l'ennemi est redoutable il n'est pas tout-puissant, Dieu l'est infiniment plus que lui et surtout c'est un ennemi vaincu et, si je suis en communion intime avec son vainqueur, Jésus-Christ, je suis sûr de le vaincre à mon tour.


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* Note de "Regard": Jésus étant aussi appelé le "dernier Adam" (par opposition au premier), le récit de la chute ne saurait être une parabole. En effet, il serait incompréhensible que Jésus se charge des conséquences des fautes d'un personnage fictif dont sa descendance (nous) subirait le contrecoup d'une désobéissance imaginaires! La suite de ce livre nous montrera d'ailleurs que l'auteur ne prend pas Adam et Eve pour des personnages fictifs.

 

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