Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Fictions ou réalités?

CHAPITRE VII
Christ est-il Dieu ?

 

Qu'il me soit permis en commençant ce chapitre sur la divinité de Christ de rappeler la parole d'un homme célèbre : « Si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, a dit J.-J. Rousseau, la vie et la mort de Jésus-Christ sont d'un Dieu. »

Il est à peine nécessaire de dire que dans l'étude que nous commençons, je ne prétends nullement élucider le difficile problème de la nature divine ; je ne veux pas parler de ce que l'Eglise a appelé la Trinité, un Dieu unique en trois personnes. Ce sont là des problèmes insolubles pour notre raison bornée, et les formules théologiques les rendent souvent plus insolubles encore. Il me suffira de constater les faits et d'en tirer la conclusion logique, en laissant à d'autres le soin d'expliquer, au point de vue philosophique, ce que ces faits peuvent avoir d'étrange au premier abord. En tout cas, je ne vois pas de quel droit, lorsqu'on se trouve en face d'un problème compliqué, on essaie de le résoudre en supprimant l'un des termes : couper les noeuds est une manière de les dénouer, mais non pas la meilleure. Quand un savant ne réussit pas à concilier certaines expériences contradictoires, il attend patiemment que la lumière se fasse, il continuera ses recherches, en se gardant bien de nier le résultat possible de ces expériences, sous prétexte qu'il ne s'accorde pas avec ce qu'il connaît.

Or il est aujourd'hui une théorie à la mode qui s'efforce de résoudre le problème de la divinité de Christ, et à laquelle pourrait s'appliquer, me semble-t-il, la remarque que je viens de faire. D'après cette théorie, Christ ne serait pas divin par droit de naissance, mais bien par droit de conquête, il ne serait pas né Fils unique de Dieu, il le serait devenu par sa sainteté, c'est-à-dire sa victoire complète sur le péché ; en d'autres termes, sa divinité ne serait pas essentielle, mais morale.

L'idée est intéressante et certes elle vaut la peine d'être examinée de très près, car, nous l'avons vu, la sainteté de Christ constitue le premier et le plus grand des miracles, c'est le miracle par excellence, celui dont découlent tous les autres, et je suis persuadé, pour mon compte, que l'on n'insistera jamais trop sur ce fait extraordinaire. Mais de là à en déduire la divinité du Sauveur, je ne le puis pas, il me semble que c'est dépasser les droits de la logique, car si réellement tout être saint devenait par cela même un être divin, le ciel serait peuplé de dieux, puisque, d'après la Bible, il est rempli de créatures appelées anges, qui n'ont jamais péché. Bien plus, nous-mêmes nous serions destinés à devenir des dieux, puisque nous sommes tous appelés à être saints et que tous les rachetés de Christ le seront sûrement un jour. Mais alors le problème ne se complique-t-il pas bien davantage au moment même où l'on voulait le simplifier ? Non, non, sous son apparence spécieuse, la théorie que nous signalons ne résout pas la question ; il doit y avoir, il y a certainement derrière la divinité de Christ, autre chose que sa parfaite sainteté et c'est cette autre chose que nous allons rechercher ici.

Cela dit, faisons appel à quatre témoignages successifs, dont l'importance va croissant et qui forment autant de cercles concentriques. Ces quatre témoignages entendus, nous en examinerons les conclusions, d'abord à la lumière de la conscience, puis à celle de l'expérience, enfin à celle de la raison, pour chercher s'il n'y aurait pas une explication aux faits constatés. Avant de conclure, nous répondrons à deux ou trois objections qui risquent de s'élever dans l'esprit du lecteur en parcourant ces pages.
Voici les quatre témoignages sur la divinité de Christ.

Le premier, le plus éloigné du centre, c'est celui de l'histoire. À mesure que celle-ci se déroule, à mesure que les générations se succèdent sur notre terre, la figure de Christ grandit et s'impose de plus en plus. Et pourtant quelle obscure origine ! Il appartenait au plus méprisé des peuples, il vécut dans une province d'Asie sans importance, il naquit dans une bourgade de Judée, passa son enfance dans un village inconnu de Galilée ; il grandit au sein de la plus modeste société, gagna sa vie comme ouvrier pendant trente ans, puis parcourut sa petite patrie en accomplissant quelques guérisons, en prononçant quelques discours, il réunit autour de lui douze disciples sans culture, pour finir par une mort ignominieuse, vraie catastrophe aux yeux de la chair, déroute certaine au dire du monde. Il est vrai que cet ouvrier charpentier prononça quelques paroles extraordinaires qui durent le faire considérer comme fou, il s'écria un jour : « Je suis la lumière du monde. Je suis la vérité et la vie. Je suis la résurrection. J'attirerai tous les hommes à moi. » Mais ces paroles semblaient d'autant plus étranges et incompréhensibles que les apparences étaient plus chétives.

Et voici que, en dépit des moqueries et des haines, malgré la formidable opposition qu'il souleva contre lui, ce qu'il a dit est en voie de réalisation. Sa figure grandit chaque jour et attire insensiblement les regards de tous : les uns viennent à lui pour le combattre avec une haine aussi violente qu'aux premiers jours, les autres au contraire pour l'adorer et le servir. Nul ne peut rester indifférent en face de cette personnalité unique dans l'histoire, elle s'impose à tous, et tous doivent se décider pour ou contre elle. Le problème de la personne de Christ qui dans le passé a déjà agité tant d'esprits, devient, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, le problème central, que les autres peuvent voiler mais dont tous dépendent. Les hommes les plus intelligents, les chrétiens les plus ignorants et les moins doués, les riches comme les pauvres sont les uns après les autres obligés de se poser la grande question vis-à-vis de Christ. Une armée de missionnaires tous les jours grandissante travaille avec ardeur à faire connaître le charpentier de Nazareth et le moment approche où nous verrons la réalisation des paroles de Jésus : « Il faut que la bonne nouvelle soit prêchée à toutes les nations (Marc XIII, v. 10). Je le dis en vérité, partout où cette bonne nouvelle sera prêchée, dans le monde entier, on racontera aussi en mémoire de cette femme ce qu'elle a fait (XIV. 3-9). Vous me servirez de témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre (Actes 1. v. 8). »

Comment s'expliquer des paroles comme celles-là et surtout leur réalisation à travers les siècles, si l'humble fils de Marie n'est qu'un fils d'homme comme tous les autres ?

Quand un voyageur contemple pour la première fois du fond de la vallée le Mont-Blanc, ce géant de nos Alpes, il ne lui semble pas extraordinairement élevé : lunette en mains, il suit sans peine du regard les caravanes qui en font l'ascension. Aussi le sommet lui apparaît-il très rapproché, c'est presque un jeu d'enfant que de l'atteindre. Mais comme les idées changent, quand ce même voyageur, quittant la vallée,se met à son tour à gravir l'une ou l'autre des montagnes avoisinantes ! Plus il monte, plus le géant monte avec lui, et quand il a atteint deux ou trois mille mètres, confondu et comme écrasé par l'immensité et par la hauteur vraiment vertigineuse du Mont-Blanc, il le proclame roi des Alpes.

De même lorsque le Christ apparut sur la scène de l'histoire, les contemporains, la plupart tout au moins, s'imaginèrent être à sa hauteur ; que dis-je ? un grand nombre se crurent supérieurs, très supérieurs à lui, c'étaient les moins dignes et les moins capables de le comprendre. Mais à mesure que les générations se succèdent et que l'homme s'efforce d'arriver à la hauteur du Maître, à mesure aussi ce but paraît plus inaccessible. Et ceux qui sont montés le plus haut, ceux qui ont réalisé ici-bas les plus grands progrès dans la vie morale crient à ceux qui les suivent que le sommet est infiniment plus élevé qu'ils ne le pensaient : ce sommet semble les fuir comme l'infini devant le fini qui cherche à l'embrasser.

Comment, je le demande aux lecteurs sincères, s'expliquer un phénomène pareil que tous peuvent constater : Christ est un homme comme nous ? En face d'un effet semblable. il doit y avoir, il y a certainement une cause cachée, proportionnée. C'est précisément cette cause que nous sommes en train de rechercher en étudiant cette question : Christ est-il Dieu ?

Je passe au second témoignage, celui de l'Eglise. De tout temps et dans tous les pays. l'Eglise, du moins la grande majorité de ses membres, a cru et croit encore que son Chef est divin ; elle lui voue un culte, elle lui offre une science qui n'est due qu'à Dieu. Sur ce point, il y a un magnifique accord entre les trois grandes fractions de l'Eglise chrétienne. Bien plus la multitude des vrais croyants à quelque milieu social qu'ils appartiennent et quel que soit leur degré de culture, prétend être actuellement et partout en relations personnelles et intimes avec le Christ ; tous les vrais croyants reconnaissent la vérité de cette parole de Jésus : « Je suis le cep, vous êtes les sarments (Jean XV, 5). » Tous trouvent en lui force, joie, espérance, vie en un mot ; et ce Christ leur est devenu tellement nécessaire, que, si on le leur enlevait, ils tomberaient dans le désespoir ; ce serait leur enlever le soleil qui les éclaire et les réchauffe. C'est lui qui est l'inspirateur de leurs actes comme de leurs paroles on de leurs pensées. Il est tellement vivant en eux que l'on a pu dire que si les Évangiles disparaissaient par un cataclysme impossible à prévoir ou par le fait de la critique moderne, Jésus n'en resterait pas moins la source jaillissante de la vie des croyants.

Le Christ est si bien devenu tout pour eux qu'un grand nombre ont accepté de tout souffrir pour lui ; non seulement ils ont joyeusement quitté patrie, amis, famille, position pour le suivre, mais des milliers ont donné sans hésiter leur vie quand le Maître l'a demandée et, pour le faire, ils ont dû traverser les souffrances les plus terribles, les supplices les plus cruels. Et cela non seulement au début de l'ère chrétienne, mais à toutes les époques, mais aujourd'hui encore, comme le prouvent les événements récents de l'Extrême-Orient dans lesquels, paraît-il, 22 à 25.000 chrétiens chinois ont accepté joyeusement de donner leur vie pour rester fidèles à celui qu'ils considéraient comme leur Roi.

Je le demande de nouveau à mes lecteurs : Est-il concevable que Jésus-Christ inspire de tels enthousiasmes, qu'aujourd'hui encore, après dix-neuf siècles, il soit aussi vivant dans le coeur de ses disciples, s'il n'est qu'un homme ? N'y a-t-il pas dans ce phénomène un fait qui dépasse infiniment la nature humaine ?

Troisième témoignage : celui des premiers disciples, des apôtres surtout. Voilà des hommes qui, derrière l'apparence chétive de l'homme de douleur, ont su pourtant si bien découvrir l'Homme-Dieu, qu'ils se sont livrés à lui corps et âme, acceptant de sa bouche un enseignement qui bouleversait toutes leurs idées. Monothéistes convaincus, eux pour qui l'unité de Dieu était le plus sacré des dogmes, ils n'ont pas craint de proclamer en Christ l'égal du Dieu d'Israël. Sans hésiter le juif Matthieu applique à Jésus la prophétie antique sur le nom du Messie : « Il sera appelé Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous (Matth. I, v. 23). »

Pierre dit à Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant (XVI, v. 16) » ; et il termine son discours le jour de Pentecôte en s'écriant : « David a écrit de Christ : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied. Que toute la maison d'Israël sache donc avec certitude que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié (Actes II, 34 à 36). »

Quant à Jean, celui qui est entré le plus avant dans l'intimité du Maître, il commence ainsi son Évangile : « Au commencement était la Parole et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle. En elle était la vie et la vie était la lumière du monde... La Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père (Jean I, v. 1 à 4, 14). »

L'apôtre Thomas reconnaissant Jésus ressuscité n'hésite pas un instant à s'écrier : « Mon Seigneur et mon Dieu (XX. v. 28) ! »

Paul, aux yeux de qui Jésus n'avait d'abord été qu'un infâme imposteur, après avoir été vaincu par le Christ sur le chemin de Damas, est tellement persuadé de son caractère divin qu'il ose écrire ce qui suit : « Je regarde toutes choses comme une perte à cause de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur, pour lequel j'ai renoncé à tout, et je les regarde comme de la boue, afin de gagner Christ (Phil. III, 8). Christ existant en forme de Dieu. n'a point regardé comme une proie l'égalité avec Dieu, mais il s'est dépouillé lui-même... C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père (Phil, II, v. 6 à 11).

« Christ est l'image du Dieu invisible, le principe de toute créature. Car en lui ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, trônes, dignités, dominations, autorités. Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et toutes choses subsistent en lui. Dieu a voulu que toute plénitude habitât en lui (Col. I, v. 14 à 19)

« En lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité. Vous avez tout pleinement en lui, qui est le chef de toute domination et de toute autorité (Col. Il v. 9 et 10).

« Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu, et la communication du Saint-Esprit, soient avec vous tous (2 Cor. XIII, 13) ! »

Et l'auteur de l'épître aux Hébreux, sans doute Juif converti, comme le prouve sa connaissance de l'Ancien Testament, écrit au début de sa lettre : « Christ est le reflet de la gloire de Dieu et l'empreinte de sa personne ; il soutient toutes choses par sa parole puissante ; aussi est-il devenu d'autant supérieur aux anges qu'il a hérité d'un nom plus excellent que le leur. Car auquel des anges Dieu a-t-il jamais dit : Tu es mon Fils, je t'ai engendré aujourd'hui ? et encore : Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils. Et lorsqu'Il introduit de nouveau dans le monde le premier-né, il dit : Que les anges de Dieu l'adorent !... Il dit au Fils : Ton trône, ô Dieu, est éternel ; ... ton Dieu, ô Dieu, t'a oint d'une huile de joie, par privilège sur tes collègues. Et encore : Toi, Seigneur, tu as au commencement fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains ; ils périront, mais tu subsistes... tu restes le même, et tes années ne finiront point (Hébr. I, v. 1 à 14). »

Étienne, le premier martyr, au moment où ses bourreaux le lapidaient, prie ainsi : « Seigneur Jésus, reçois Mon esprit ! Puis, s'étant mis à genoux, il s'écria d'une voix forte : Seigneur, ne leur impute pas ce péché (Actes VII, v. 59 et 60) ! » Il demande donc à Christ, ce que Christ lui-même avait demandé au Père et ce que Dieu seul peut donner.

Il n'est pas jusqu'aux ennemis qui rendent eux aussi leur témoignage à Jésus-Christ : le centenier romain, qui avait assisté à la mort du Sauveur, s'écrie en se frappant la poitrine : « Certainement cet homme était Fils de Dieu (Matth. XXVII, v. 54). » Enfin, à plusieurs reprises, les démoniaques proclament la divinité de Christ : il semble qu'il y ait en eux une puissance qui les pousse, comme malgré eux, à avouer quel est ce personnage mystérieux : « Qu'y a-t-il entre nous et toi, Fils de Dieu ? s'écrient-ils. Es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps (Matth. VIII, v. 29) ? »

Que le lecteur impartial juge lui-même : est-il possible d'expliquer un pareil témoignage et une unanimité aussi complète à le proclamer Fils de Dieu, chez ceux qui le connurent intimement, s'il n'y a pas autre chose en Christ que son caractère humain ? Un homme mérite-t-il de tels honneurs ?

J'en viens au quatrième témoignage, celui de Jésus-Christ lui-même ; si je l'ai gardé pour la fin, c'est que c'est de beaucoup le plus important et l'argument décisif. S'il est quelqu'un qu'il s'agit d'interroger dans un semblable débat, c'est bien le Christ, car, mieux que personne, il doit savoir ce qu'il est. Or les déclarations du Sauveur sont innombrables et décisives selon nous. Il est vrai que, de préférence, il se désigne comme le Fils de l'homme, car il ne voulait pas imposer aux autres la conviction qu'il avait de son caractère divin ; il voulait les y laisser arriver par eux-mêmes, par le témoignage intérieur, persuadé que leur foi serait alors autrement plus solide et plus efficace. Mais chaque fois qu'il rencontrait chez ses disciples la conviction de son caractère divin, il en tressaillait de joie, preuve en soit ce qu'il dit à Pierre ou à Thomas après leurs exclamations pleines de foi : « Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais c'est mon Père qui est dans les cieux (Matth. XVI, v. 17). « Parce que tu m'as vu, Thomas, tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru (Jean XX, v. 29). »

Rappelons encore quelques-unes des déclarations les plus importantes du Sauveur, je ne cite que les plus catégoriques :

« Tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait pareillement (Jean V, 19). Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre (Matth. XXVIII, 18). »

S'il a la toute-puissance qui n'appartient qu'à Dieu, il a aussi la toute-présence que Dieu seul possède : « Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde (Matth. XXVIII, 20). Là où deux ou trois sont assemblés en mon Nom, je suis au milieu d'eux (Matth. XVIII, 20). »

Il est éternel comme Dieu : « Maintenant donne-moi, Père, la gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût fait (Jean XVII, 5). En vérité je vous le dis : Avant qu'Abraham fût, je suis (Jean VIII, 58). »

En conséquence, il réclame pour lui les honneurs mêmes qui sont dûs à Dieu, et l'on sait pourtant s'il était humble et dépréoccupé de lui-même : « Que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Celui qui n'honore pas le Fils, n'honore pas le Père qui l'a envoyé (Jean V, 23).

« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. Celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi. Celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera (Matth. X, 37-39). »

Il éclaire le monde : « Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie (Jean VIII, 12). »

Il est comme Dieu la source de la vie, tandis que nous, nous ne sommes que des canaux de cette vie : « Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi Il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même (Jean V, 26).

« Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra quand même il serait mort. Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais (Jean XI, 25 et 26).

« La volonté de mon Père, c'est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour (Jean VI, 40). »

Aussi le Fils possède tout ce que le Père possède « Tout ce que le Père a est à moi (Jean XVI, 15).

« Le royaume de Dieu c'est son royaume ; il est le Roi (Jean XVIII, 36-37) ; il sera bientôt le Juge (Matth. XXV, 31). »

L'Eglise chrétienne a maintenu fidèlement les deux sacrements du baptême et de la Sainte-Cène institués par le Maître ; or le premier est accompagné de cette formule, que tous répètent sans toujours admettre la divinité qu'elle implique cependant : « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Christ ose donc se placer ici entre le Père et le Saint-Esprit, et il veut que de siècles en siècles l'Eglise proclame qu'il occupe cette position absolument unique. Or on sait combien il avait blâmé Jacques et Jean qui avaient demandé d'être assis à sa droite et à sa gauche dans le ciel. Il faut donc bien que le Christ soit infiniment au-dessus de nous, car nous serions scandalisés si une créature, même supérieure, eût prétendu à cette place. Qu'on se représente saint Paul ou saint Jean nous disant de baptiser au nom du Père, de Paul ou de Jean et du Saint-Esprit ! Et quant à l'institution de la Cène, que signifie-t-elle, sinon que Christ se communique de siècles en siècles, de générations en générations, à tous ceux qui veulent bien entrer en rapport avec lui ? À dix-neuf siècles de distance, nous pouvons donc recevoir Christ en notre âme, au même titre que notre corps s'assimile un morceau de pain ou une goutte de vin ! Quelle prétention !

Je termine cette énumération déjà bien longue par la déclaration formelle de Jésus au moment de sa condamnation. En face de la mort, toute créature humaine s'efforce de dire la vérité et de la dire seule, surtout quand ce qu'elle va dire peut avoir une influence décisive sur son sort. Or tandis que Jésus comparaissait devant le sanhédrin, accusé par de faux témoins qui ne parvenaient pas à se mettre d'accord, le souverain sacrificateur, prenant la parole, lui dit : « Je t'adjure par le Dieu vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu. » Jésus lui répondit : « Tu l'as dit. De plus, je vous le déclare, vous verrez désormais le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel. Alors le grand prêtre déchira ses vêtements, disant : Il a blasphémé ! Qu'avons-nous encore besoin de témoins ? Voici, vous venez d'entendre son blasphème. Que vous en semble ? Ils répondirent : Il mérite la mort ( Matth. XXVI, 63 à 66). »

La cause légale de la mort du Christ a donc été uniquement le fait qu'il s'est déclaré Fils de Dieu, non pas comme nous le sommes tous, mais d'une manière absolument unique. Or d'après la loi « quiconque blasphémait contre le nom de Dieu méritait la mort (Lév. XXIV, 16) » et c'était un blasphème de se dire l'égal de Dieu, son Fils unique partageant son pouvoir et sa gloire. De sorte que, en face de cette déclaration du Christ, nous nous trouvons devant ce dilemme solennel :

Ou bien il a dit vrai, il est bien réellement le Fils unique de Dieu, il mérite l'adoration comme Dieu, et alors les Juifs ont eu tort de le mettre à mort ; ses bourreaux sont d'odieux meurtriers qui ont commis le pire des crimes, le crime de lèse-divinité. Le devoir des disciples de Christ est donc de le justifier à la face du monde en lui disant comme Thomas : Mon Seigneur et mon Dieu ! et en lui consacrant toute leur vie.

Oui bien, au contraire, le Christ a dit faux, il n'est pas le Fils unique de Dieu, il ne mérite pas l'adoration comme Dieu : que mérite-t-il donc ? Les Juifs nous le disent : La mort par la croix. Car c'est un illuminé, un fou, le plus dangereux de tous, puisqu'il se proclame Dieu, ignorant tant sa propre nature que celle de Dieu, et il risque d'entraîner et de fanatiser les foules. À moins que ce ne soit l'être le plus ambitieux de l'histoire, qui tente de détrôner Dieu et de renverser avec Dieu toute autre autorité que la sienne propre. Il faut donc approuver ses bourreaux, du moins dans leur acte de condamnation, car ils nous ont débarrassé d'un extrême péril. Comment, quand on croit cela, s'appeler encore disciple du Christ, et surtout comment monter en chaire pour proclamer devant le monde un ambitieux qui a mérité la mort, ou un fou qu'il faudrait enfermer ?

Voilà pourquoi l'étude approfondie de la vie et du caractère de Jésus-Christ oblige la conscience morale à s'incliner et à dire : Certainement cet homme était plus qu'un homme ; cet homme était, cet homme fait chair, ne pouvait être qu'un Dieu.

Et la conscience parlera ainsi d'autant plus haut qu'elle sera plus pure et plus morale ; elle s'est toujours en effet révoltée devant la conduite d'un Hérode, se laissant adorer par la foule en délire :

« Voix d'un Dieu et non d'un homme (Actes XII, 22) ! » tandis qu'elle applaudit à la protestation indignée d'un saint Paul déchirant ses vêtements, parce que la population de Lystre le prenait pour une divinité et s'apprêtait à lui offrir des sacrifices (Act. XIV, 14) ; elle approuve l'ange de l'Apocalypse, qui, surprenant à son égard un mouvement d'adoration chez l'apôtre Jean, lui dit : « Garde-toi de le faire ! Je suis ton compagnon de service, celui de tes frères les prophètes, et de ceux qui gardent les paroles de ce livre. Adore Dieu (Apoc. XXII, 9). »

La conscience, en d'autres termes, considère comme un péché de toute gravité le fait de dérober à Dieu une gloire qui ne revient qu'à Lui. Or, comme elle n'a découvert en Christ aucune faiblesse, elle ne peut lui attribuer le crime de lèse-divinité, elle accepte donc avec respect le mystère de l'incarnation et proclame Dieu celui qui s'est laissé appeler de ce nom.

Et voici que bientôt, au verdict de la conscience, vient s'ajouter celui de l'expérience intime qui est à la portée de chacun. Comment se fait-il donc que tant de millions d'hommes de toutes catégories se déclarent prêts à saluer Jésus pour leur Seigneur et leur Maître ? C'est qu'ils ont constaté son autorité divine en face de trois faits de première importance : le péché, la vie, la mort.

Pendant de longues années peut-être, ils ont souffert profondément de se sentir coupables devant Dieu et devant leur conscience. Tandis qu'ils progressaient dans la connaissance d'eux-mêmes, le poids de leurs péchés leur a paru de plus en plus écrasant. Ils ont souvent essayé de le secouer ou d'expier leurs fautes. Tout a été vain ; le poids a augmenté en raison même de leurs efforts. Enfin ils ont rencontré sur leur chemin la figure douce et sympathique du Christ, ils l'ont entendu leur dire : « Venez à moi vous tous qui êtes travaillés et chargés et je donnerai le repos à vos âmes. Va-t'en en paix, tes péchés te sont pardonnés. » Et comme ils n'osaient croire à ce qu'ils entendaient, comme ils n'osaient croire à leur bonheur, le Seigneur leur a montré ses mains, ses pieds, son côté percés pour eux et leur a dit que dans ses meurtrissures se trouvaient le pardon et la guérison. Alors, comme des enfants, ils ont cru tout simplement, et leur vie a été transformée : ils ont commencé à respirer, car le poids énorme qui opprimait leur coeur avait entièrement disparu.

Or quand un homme vous offre le pardon de Dieu, c'est qu'il est plus qu'un homme, car Dieu seul a le droit de pardonner les péchés, et quiconque, après avoir confessé ses fautes, a connu par expérience le pardon que donne le Christ, ne peut plus voir en lui un homme ordinaire : le don est trop divin pour que le donateur ne soit pas divin aussi. Les adversaires de Jésus ne s'y trompèrent pas quand ils entendirent Jésus dire au paralytique « Tes péchés sont pardonnés », ils murmurèrent, disant que Dieu seul avait le droit de pardonner les péchés. Et il faut avouer qu'ils avaient parfaitement raison.

Mais il y a plus : la plupart des croyants ont fait une autre expérience morale du Christ-Sauveur, qui les a convaincus davantage encore, s'il est possible : ils se sont aperçus que Jésus possédait non seulement la puissance de pardonner le péché, mais encore celle de le détruire. Ils avaient autrefois de terribles habitudes dont ils étaient esclaves ; longtemps ils essayèrent, hélas ! en vain, de s'affranchir, ils n'y parvenaient pas, plus ils faisaient d'efforts, plus ils se sentaient liés, désespérément vaincus. Et voici que tout a changé depuis le jour où, ne comptant plus sur eux-mêmes, ils apportèrent leurs chaînes au Christ, en le suppliant de les affranchir. Sans être encore parfaits, ils ont reçu de lui une force, un secours tel que le péché leur est apparu vaincu. Cette expérience leur a fait découvrir en Christ plus et mieux qu'un modèle parfait : un principe de vie sainte et pure qui ne peut venir que de Dieu. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que plus ils ont fait l'expérience de leur faiblesse et de la puissance de Satan, leur ancien tyran, plus ils ont été convaincus de l'infinie grandeur de leur Libérateur. En d'autres termes, c'est sur une base morale, toute d'expérience, qu'est fondée leur certitude concernant le caractère divin du Christ ; tant il est vrai que la question du péché est la clef de toutes les autres et que plus un homme croit à sa réalité tragique et douloureuse, moins il a de peine à saluer en Christ son Dieu-Sauveur.

Nous pouvons donc aujourd'hui encore, après dix-huit siècles, faire une expérience analogue à celle dont parlent les Évangiles, qui mettent dans la bouche des démoniaques ces mots : « Qu'y a-t-il entre nous et toi, Fils de Dieu ? Es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps ? » Les puissances diaboliques qui appartiennent au monde invisible reconnaissent donc que le Christ a même sur elles une autorité souveraine, et chaque fois qu'un disciple du prophète de Nazareth veut se confier pleinement en lui pour obtenir la délivrance du mal, il constate qu'effectivement Jésus règne dans ce domaine comme dans les autres. Voilà pourquoi, par une expérience toute personnelle, il arrive, lui aussi, à saluer en Christ plus et mieux qu'un être humain : le Dieu fait chair dont sa conscience a besoin.

Mais il est un autre fait, capital lui aussi, accessible aux chrétiens de tous les temps : depuis qu'ils l'ont rencontré et qu'ils ont trouvé en lui le pardon et la délivrance, ils ont compris qu'ils devaient lui donner toute leur vie, cette vie ne leur appartient plus, lui seul en doit être le Maître, lui seul y a des droits, puisqu'il l'a rachetée. Aussi n'ont-ils pas hésité à placer sous son contrôle leur activité jusque dans ses moindres détails. Et désormais leur vie a un but, elle a une valeur ignorée autrefois, elle est devenue réellement digne d'être vécue. Dorénavant les disciples du Christ sont résolus à vivre pour lui et à le servir jusqu'à leur dernier soupir. Quoi d'étonnant qu'à la suite de cette expérience, le Christ leur apparaisse infiniment plus grand qu'un homme ordinaire ? Ce n'est donc pas en vertu d'une argumentation métaphysique ou philosophique qu'ils sont arrivés à croire à la divinité de leur Maître ; ils n'ont peut-être jamais discuté ni réfléchi philosophiquement parlant sur ce sujet ; cette divinité est la conséquence d'une expérience profonde : comment ne pas y croire puisque le Christ est devenu tout pour eux ?

Enfin, il est un troisième fait capital, c'est l'expérience que, en face de la mort, les chrétiens font de la puissance et de la présence de Christ. Tandis qu'autrefois elle était considérée comme le roi des épouvantements, tandis que jadis l'homme se sentait seul au moment d'entrer dans la sombre vallée et que souvent il tremblait en s'en approchant, aujourd'hui qu'il a rencontré Christ et qu'il s'est donné à lui tout entier, cette crainte a disparu. Oh ! certes, il aime encore la vie terrestre et il ne souhaite pas toujours la voir cesser, mais quand il envisage la perspective du départ, c'est sans amertume, sans désespoir, que dis-je ? c'est avec douceur, c'est rempli d'une espérance suprême, car il sait que Jésus a vaincu la mort comme le péché, il sait que Jésus « qui était mort, est vivant aux siècles des siècles et qu'il tient les clefs de la mort et du séjour des morts (Apoc. I, 18). » Il ne sera donc pas seul à cette heure solennelle. Christ sera là près de lui, comme il est près de tous ceux qui l'invoquent, fût-ce même au moment de quitter cette vie. Puisque Christ est le même de l'autre côté du voile, il peut s'endormir tranquille dans les bras de son Sauveur ; il peut dire comme Paul : « Christ est ma vie et la mort m'est un gain. Il m'est avantageux de mourir pour être avec Christ (Phil. I, 21, 23). » Ou encore, comme Étienne, le premier martyr : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit (Actes VII, 60). » Or une expérience semblable qui se répète de siècle en siècle par des milliers et des millions d'êtres de tous pays et de toutes conditions est une démonstration de la divinité de Jésus-Christ plus convaincante que tous les raisonnements théologiques; elle ne peut s'expliquer que par le caractère divin du Sauveur, elle devient une rêverie, elle est un mensonge, presque un blasphème, si Christ est un homme comme un autre, disparu depuis longtemps de la surface de la terre.

Je reconnais que les pages qui précèdent, se rapportant à des expériences personnelles, n'ont peut-être pas grande valeur au point de vue de la logique pure, elles ne convaincront jamais quelqu'un qui ne veut pas croire, parce qu'il n'a pas fait lui-même ces expériences : ces dernières étant à la portée de chacun, elles n'en ont que plus d'importance dans ce domaine, la raison pure ne pouvant jamais à elle seule atteindre à une certitude.
Et cependant je m'empresse d'ajouter que pour celui qui réfléchit, même au point de vue de la raison, il y a des motifs de croire à la divinité de Christ, qui ne sont certes pas à dédaigner. Ceci m'amène à examiner cette question à la lumière de l'intelligence ; la conscience, puis l'expérience ont parlé, écoutons maintenant la voix de la raison.

Avant tout, j'avoue qu'au point de vue intellectuel, la divinité de Christ est un mystère, un grand mystère que, probablement, ici-bas, nous ne comprendrons jamais tout à fait ; je me demande même si le mystère ne grandira pas à mesure que nous nous en approcherons davantage, en vertu même de son objet : le Christ, être infini, puisque divin. Mais il n'y a pas là pour nous de motif à rejeter ce fait parce qu'il demeure obscur. Nous sommes tout environnés de mystères ; au fond tout est obscurité dès que nous réfléchissons, la vie comme la mort, la plante comme l'animal, le corps de l'homme, son âme et surtout les rapports entre l'un et l'autre ; nous ne nous connaissons pas nous-mêmes et nous prétendrions connaître Dieu ? Nous sommes pour nous-mêmes un perpétuel problème et nous voudrions comprendre parfaitement la personne du Christ qui se présente à nous à la fois divine et humaine ? Mais comment ne comprend-on pas que l'élément même du mystère, ainsi que l'a dit Pascal, augmente notre confiance, car il est une preuve de la vérité du fait. Si tout à coup, comme par magie, disparaissait le mystère qui entoure la personne du Christ, il y aurait lieu de nous étonner et surtout de nous défier très sérieusement. « Le mystère de piété est grand, dit l'apôtre : Christ manifesté en chair (1 Tim, III, 16). »

Mais je me hâte d'ajouter que ce mystère n'a rien, ne doit rien avoir de contraire à la raison, tant au point de vue de la nature divine qu'à celui de la nature humaine. Dieu n'est-Il pas tout-puissant ? Ne peut-Il pas faire ce que bon lui semble ? De quel droit oserait-on limiter son pouvoir et lui dire : Tu iras jusqu'ici, mais tu n'iras pas plus loin ? En même temps, Dieu est amour, amour infini, amour parfait. Or l'essence de l'amour, ce qui le constitue, c'est le don de soi. Aimer c'est se donner, et se donner parfaitement, c'est aimer à la perfection. Le Dieu tout-puissant, qui est amour, ne pouvait-Il donc s'incarner dans un être humain pour accomplir le salut de sa créature tombée ? Le Fils unique du Père s'est fait chair, la Parole divine s'est incarnée pour se donner, le Christ éternel est entré dans le temps par amour pour les pécheurs, y a-t-il là quelque chose de déraisonnable ?

D'autre part, la nature humaine nous apparaît comme indéfiniment perfectible ; on ne peut pas dire d'elle qu'elle ira jusqu'à un certain point et qu'il lui sera interdit de le jamais dépasser. Si donc le Dieu infini petit, par amour, s'abaisser infiniment et que, d'autre part l'homme fini a la capacité de s'élever indéfiniment, ne peut-on pas concevoir un point de rencontre entre le Dieu qui se dépouille et l'homme qui se revêt ? Or ce point de rencontre existe, c'est précisément le Christ-Sauveur, qui n'est compréhensible que s'il est à la fois Homme et Dieu.

Ce mystère de l'incarnation qui n'a rien de déraisonnable est nécessaire à cause même de l'oeuvre que le Christ est venu accomplir, une oeuvre de médiation ; il est le grand médiateur, le seul parfait intermédiaire entre l'homme et Dieu. Or pour être un médiateur entre deux êtres, il faut appartenir à l'un et à l'autre. Si le Christ n'avait été qu'un homme, il aurait bien pu être notre représentant devant Dieu, il lui eût été impossible d'être le représentant de Dieu auprès de nous, et par là même son oeuvre de médiateur n'eût pu être accomplie. Avant de réconcilier l'homme et Dieu en dehors de lui dans le monde, il les a réconciliés pleinement en lui-même. Mais pour cela, il faut admettre les deux termes du problème et se garder, sous prétexte de difficultés, de vouloir le simplifier par la suppression de l'un des termes : la divinité du Christ. 

OBJECTIONS.

Avant de terminer cette étude, il ne sera sans doute pas inutile de répondre à trois objections qui se seront peut-être élevées dans l'esprit de mes lecteurs.

Pourquoi, se seront-ils dit tout d'abord, si le Christ est réellement un être d'essence divine, son oeuvre se fait-elle si lentement ?
Pourquoi son règne est-il encore si peu répandu sur la terre ? Pourquoi le Prince de ce monde a-t-il encore tant de pouvoir et paraît-il par moments l'emporter sur son adversaire ? Dernièrement encore j'entendais des socialistes proclamer bien haut dans une conférence publique que le christianisme avait échoué, après avoir tout essayé en vain.

L'objection est grave, et nous sommes les tout premiers à reconnaître que l'état actuel du monde est de nature à nous troubler et à nous faire douter de l'Évangile. Mais aussi n'oublions pas que nous sommes ici dans le domaine de la liberté, si réellement en Christ nous avons affaire à un Dieu ; le Christ laisse actuellement les hommes libres d'adopter ou de rejeter son autorité ; il leur a confié le soin de proclamer son nom jusqu'aux extrémités de la terre ; mais il se garderait bien de les y forcer et de les tourmenter. car il veut un peuple de libre de franche volonté. Il y a longtemps que la terre lui serait soumise si l'effort missionnaire des trois premiers siècles de notre ère et du XIX, avait été ininterrompu dans l'histoire.

Et puis, ne l'oublions pas, si Christ est Dieu, il est éternel, son règne est éternel comme lui ; « mille ans sont, à ses yeux, comme un jour, » il a le temps et il diffère en ceci des souverains de la terre ou même de son grand adversaire qui se hâte et se démène, « sachant qu'il a peu de temps. » Pourquoi Jésus-Christ s'agiterait-il ? Il a l'éternité pour lui, il sait que tôt ou tard la victoire, une victoire complète, lui est assurée. Il l'a du reste annoncé dans plus d'une parole : le levain doit faire lever peu à peu toute la pâte, la semence doit croître lentement et devenir un grand arbre, le voyage qu'entreprend le Roi est un lointain voyage, l'Époux doit tarder à venir. Il va même jusqu'à se demander s'il trouvera encore de la foi sur la terre quand il reviendra !

Ainsi donc cette objection de la lenteur des progrès du royaume de Christ peut même se tourner en sa faveur.

Il y a plus : si le règne de Christ n'est pas encore venu sur la terre, c'est plus aux disciples qu'au Maître qu'il faut s'en prendre : avouons-le franchement, sauf de magnifiques exceptions, le Christ est mal, très mal servi par ses Églises. Celles-ci donnent bien souvent au monde de tristes spectacles, je crois même que les représentants du christianisme lui ont fait plus de mal que ses ennemis. J'irai plus loin et je dirai qu'il est extraordinaire qu'avec d'aussi faibles et misérables instruments, le Christ ait obtenu dans le monde de pareils succès et je comprends cet incrédule du moyen âge qui, s'étant rendu à Rome pour étudier le christianisme au centre même de l'Église chrétienne, fut tellement étonné, bouleversé, scandalisé par les horreurs qu'il vit dans la capitale du monde chrétien, qu'il se convertit immédiatement, pensant qu'une religion aussi mal servie, à ce point déshonorée, devait être divine, pour pouvoir, malgré cela, subsister sur la terre. Il y a longtemps, se dit-il, que de pareilles abominations l'auraient fait disparaître si son fondateur n'était pas un Dieu.

Cette objection peut donc être retournée contre ceux qui la font : pour peu qu'ils veuillent bien sonder leur propre coeur et celui de leurs semblables, ils pourront sans peine deviner ce que serait devenu le monde si le Christ divin n'avait pas déjà, en une réelle mesure, enrayé le mal.

Voici la seconde objection que je tiens à signaler : Si Christ est Dieu, il devient un être trop élevé au-dessus de nous pour rester encore notre modèle.
C'est un Christ surhumain, métaphysique, que nous ne pourrons plus appeler notre frère et que nous ne pourrons jamais imiter. Le fini ne doit pas se comparer à l'infini, faire de Christ un être infini, c'est nous l'enlever et nous laisser seuls dans le désert que nous devons traverser ici-bas.

Je comprends cette objection, et je confesse de mon côté que, si la divinité de Christ faisait disparaître son humanité et qu'il me fallût choisir entre l'une et l'autre, je choisirais son humanité, car moi aussi je réclame un Christ tout près de moi, un Christ qui me ressemble et surtout auquel je puisse avec son secours ressembler un jour. Il me faut un Christ os de mes os et chair de ma chair, qui me comprenne, auquel je puisse tout dire, qui pleure avec moi, qui travaille, se réjouisse, souffre, lutte, meure avec moi, un Christ véritable Fils de l'homme, mon frère en un mot. Mais je ne crois pas que ce Christ humain soit en contradiction avec le Christ divin, les opposer l'un à l'autre c'est oublier que l'homme a été créé à l'image de Dieu et que plus il sera semblable à Dieu, plus, autrement dit, il sera divin, plus il sera homme dans le vrai, dans le plein sens du mot. Et puis c'est précisément parce qu'il me faut un Christ humain, vivant près de moi, que ce Christ doit être assez puissant, assez infini pour pouvoir être partout en même temps ; il me faut un homme réellement homme vivant tout près de chaque créature humaine ; luttant, souffrant, marchant avec toutes, sans qu'aucune soit exceptée ; il me faut un Christ qui soit pour moi tout entier en quelque sorte, mais en même temps tout entier pour les autres ; un Christ homme pour tous et pour chacun, un Christ homme pour tous les temps et pour tous les pays. Or cette idée du Christ déborde de beaucoup la notion restreinte d'un fils d'homme ordinaire, il faut qu'il soit un fils d'homme extraordinaire, un fils d'homme divin, un Homme-Dieu, autrement il échappe à mon étreinte. En d'autres termes je réclame le caractère divin du Christ en vue précisément de son caractère humain : pour que Christ soit réellement le frère de tous les hommes, il faut qu'il soit le Fils unique de Dieu, qu'il soit Dieu comme Dieu. Christ sera l'Homme-Dieu, ou bien il ne sera ni homme ni Dieu.

Enfin la troisième et dernière objection, plus spécieuse encore que les autres, a pour but de défendre les droits imprescriptibles de Dieu.
On nous reproche, en mettant Christ trop en avant, de rejeter dans l'ombre Dieu le Père. Vous éclipsez le Père, nous dit-on, vous le détrônez avec votre Christolâtrie.

Évidemment il peut y avoir exagération dans nos conceptions sur le Christ ; le Fils est et doit toujours rester subordonné au Père et le Saint-Esprit sait parfaitement donner à chacun sa place et son rôle. Qu'on relise à cet égard les épîtres de saint Paul, et l'on s'en convaincra sans peine. Mais qu'a-t-on remarqué d'ordinaire chez ceux qui saluent en Christ leur Maître divin ? C'est que tout ce qu'ils donnent au Fils en fait d'adoration, d'amour et de consécration, va directement au Père. On peut dire à un homme : Aime Christ de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée, ce n'est pas lui seul que tu aimeras de la sorte, c'est Dieu même. Tandis que les affections humaines aboutissent à l'idolâtrie quand elles deviennent absolues, parce qu'elles prennent alors un caractère exclusif des plus dangereux, l'amour absolu pour Christ, la consécration de tout notre être à son service ne mènent, ou plutôt ne devraient jamais mener à cette erreur. Le Père est le tout premier à bénéficier des hommages que reçoit le Fils et la Parole de Jésus se réalise : « Que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Nul n'honore le Père, s'il n'honore pas le Fils qu'Il a envoyé (Jean V, 23) ». J'en atteste pour preuve le spectacle que nous donne l'histoire : les hommes qui ont été les plus dévoués à la cause de Dieu, ceux qui ont servi et aimé Dieu avec le plus d'ardeur et de fidélité sont les mêmes qui ont le mieux servi et le mieux aimé Christ, saint Paul, les apôtres et en général tous les héros de l'Église chrétienne.

Si donc honorer, adorer Christ, c'est honorer Dieu, cela ne signifie-t-il pas qu'il y a, non pas identification, mais du moins parenté spéciale, parenté d'essence entre Christ et Dieu ?

Voilà pourquoi Christ a le droit de demander à ses disciples de montrer leur foi à sa divinité par une vie de pleine consécration à son service. S'ils veulent persuader les autres de la divinité de leur Maître, il faut qu'ils agissent constamment comme s'ils y croyaient : il faut qu'ils lui vouent une parfaite obéissance et une inébranlable confiance ; il faut qu'ils identifient à tel point leur vie à la sienne que le monde puisse le découvrir, le contempler, l'aimer dans leur existence de chaque jour.

Quant à ceux de mes lecteurs qui ne veulent pas admettre le caractère divin de Christ, je les avertis d'une chose: S'ils ne veulent pas y croire, ils n'y croiront jamais, car le Christ ne veut pas s'imposer par la force, et la volonté est nécessaire à la foi. « Si quelqu'un veut faire la volonté de mon Père, il connaîtra si ma doctrine est de Dieu, ou si je parle de mon chef (Jean VII, 17) ».
Et pour aider ceux qui veulent croire, je leur donne un conseil : N'écoutez pas tant les arguments de droite et de gauche, ne discutez pas tant, ne recherchez pas au dehors des raisons de croire, mais rentrez en vous-mêmes, retirez-vous dans le lieu très saint de votre sanctuaire intime où seul Dieu a le droit de pénétrer avec vous ; là faites silence et bientôt vous entendrez la voix de votre conscience parlant avec amour, parlant avec émotion du Seigneur Jésus-Christ ; et vous ne tarderez pas à vous apercevoir que cette voix n'est autre que la sienne même. Christ a donc, comme Dieu, le droit d'entrer dans le sanctuaire. Christ parle en vous comme le fait votre conscience : la conscience et lui, c'est une seule et même voix ; il est donc la conscience de votre conscience. Que dis-je ? il était là avant qu'elle parle et dès qu'elle a parlé, elle vous a dit de lui obéir à lui comme vous lui obéissez à elle sans hésitation, sans murmure. Comment chose pareille est-elle possible ?

Uniquement parce que Christ est Dieu, et que « Dieu était en Christ réconciliant le monde avec soi-même (2 Cor. V, 19) ».


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