DES RAYONS
ET DES OMBRES
CHAPITRE XIII
Dieu répond aux prières
Malgré les soins entendus qui lui
étaient prodigués, malgré la
tendresse qui l'entourait, l'état du petit
Jean ne faisait qu'empirer toujours. Une expression
de profonde tristesse s'était
répandue sur le visage si patient de Mme
Merton. La bonne faisait son travail avec des yeux
bouffis par les larmes et Nelly allait d'une
chambre à l'autre, cherchant, avec un calme
extraordinaire chez une enfant, à accomplir
les petits devoirs que l'on attendait d'elle. Mais
il lui semblait faire un rêve affreux qu'elle
secouerait bientôt au réveil.
Un certain soir pourtant, elle n'y tint
plus. Bébé avait terriblement
souffert toute la journée et ses
gémissements faisaient mal à
entendre. Nelly, à bout de forces et de
courage, arrêta le docteur qui sortait de la
chambre du petit malade.
- S'il vous plaît, monsieur,
demanda-t-elle d'une voix tremblante, me
diriez-vous si mon petit frère va
mourir ?
Le bon vieux docteur abaissa des yeux
très doux et très bienveillants sur
le visage pâle et hagard de
la fillette ; il vit son regard qui cherchait
le sien avec tant de confiance qu'il en fut
ému malgré lui.
- Ma petite, nous ne pouvons pas dire
d'avance comment iront les choses avec ces
très jeunes enfants. Tu sais que tant qu'il
y a de la vie, il y a de l'espoir.
Nelly, malgré son manque absolu
d'expérience, sentit qu'il lui cachait la
vérité.
- Oh ! docteur, insista-t-elle, ne
pouvez-vous plus rien faire pour lui ? Ne
pouvez-vous pas guérir notre
chéri ?
- Chère enfant, répondit
gravement le docteur, je te dirai exactement ce qui
en est. Ton petit frère est très,
très malade ; il y aura une crise cette
nuit, et je ne puis te dire comme cela tournera,
mais je crains...
Il ne termina pas sa phrase. Nelly avait
compris.
- L'enfant ne dort pas,
continua-t-il ; si seulement son pauvre
cerveau pouvait se reposer, ne fût-ce que
pendant une heure, j'aurais quelque espoir.
Puis, se penchant vers Nelly, il ajouta
très doucement :
- Petite, va demander au Seigneur
d'envoyer le sommeil à ton petit
frère. Il peut tout et Il est plein
d'amour.
Nelly se glissa dans sa chambrette et
s'agenouilla auprès de la
fenêtre ouverte. Au dehors tout était
calme et paisible. « Oh ! sanglota
l'enfant, comment la nuit peut-elle être si
belle quand nous sommes si malheureux ? Papa,
papa, où donc es-tu maintenant ! Tu es
bien loin et tu ne sais pas que ton petit
garçon est mourant. » Et Nelly se
figurait le désespoir de son père,
rentrant à la maison, pour trouver que son
fils avait cessé de vivre.
Nelly
arrêta le docteur qui sortait...
Alors les pensées de l'enfant s'en
allèrent au-delà des étoiles,
vers Celui qui leur avait envoyé ce chagrin
affreux. Elle savait qu'Il est encore aujourd'hui
Celui qui jadis avait ressuscité le fils de
la veuve et qui avait rendu Lazare à ses
soeurs désolées. Oui, c'est à
Lui qu'elle irait ; c'est à Lui qu'elle
demanderait de sauver son frère.
Et là, environnée par le
grand silence de la nuit étoilée, la
fillette, pleine de confiance, dit au Seigneur son
grand souci ; elle le supplia d'arrêter
l'affreuse maladie et de donner à
Bébé le sommeil dont il avait tant
besoin. Tandis qu'elle priait ainsi, il lui sembla
qu'un lourd fardeau lui était
enlevé.
Elle ne sut jamais combien de temps elle
resta à genoux. Peut-être le sommeil
la gagna-t-il ; elle était si lasse.
Quand elle se releva, il devait être
près de minuit. À pas feutrés,
Nelly descendit l'escalier. Dieu avait-il
déjà exaucé sa
prière ? Jean dormait-il ? Dans ce
cas, il y avait de l'espoir. Le docteur l'avait
dit.
Sans bruit, Nelly ouvrit la porte de la
chambre. Son coeur se serra. Sur l'oreiller, la
pauvre petite tête s'agitait sans
trêve ; dans les yeux grands ouverts, le
délire mettait sa détresse et le
gémissement, sans cesse le même,
sortait des lèvres desséchées
par la fièvre. Nelly
regarda sa mère ; son visage, toujours
calme, était tiré et pâli par
la douleur. Le docteur, qui était revenu, se
penchait anxieusement sur le petit malade.
Tout à coup une pensée
frappa Nelly. Se glissant auprès de sa
mère, elle murmura :
- Maman, chante notre chant à
Bébé je suis sûre que cela le
fera dormir.
- Que dit-elle ? demanda le
docteur.
Mme Merton sourit tristement en
répondant :
- Nelly me demande le petit cantique que
j'ai toujours eu l'habitude de chanter à mes
enfants pour les endormir. Pour eux, quand ils sont
en bonne santé, l'effet en est magique, mais
mon chéri n'entendrait plus rien
maintenant.
- Je n'en suis pas si sûr que
vous, fit le docteur. Il se pourrait fort bien que
la mélodie bien connue atteigne le cerveau
et calme l'enfant. Mais pouvez-vous
chanter ?
- Une mère peut n'importe quoi
pour son enfant, docteur.
- En effet, fit-il, elle le
peut.
Au fond de son coeur, Mme Merton pensait
que son enfant s'en allait ; mais
malgré tout elle commença à
chanter. Les premières notes
s'élevèrent si douces, mais si
inexprimablement tristes, que les yeux du
docteur se remplirent de larmes
et que Nelly cacha sa tête dans les
couvertures pour étouffer ses sanglots. Que
de fois la mère n'avait-elle pas
chanté ce petit cantique, les bras
potelés de son chéri autour de son
cou, et sa voix ensommeillée cherchant
à suivre la sienne !
Tandis que la mélodie
s'élevait et s'abaissait en cadence, le
docteur observait attentivement l'enfant.
L'harmonie familière semblait se frayer un
passage à travers les brumes de
l'inconscience et peu à peu la petite
tête resta immobile, les gémissements
s'arrêtèrent et une pâleur de
cire remplaça la rougeur de la
fièvre. La mère s'imagina que le
dernier moment arrivait ; elle continua de
chanter et les simples paroles du cantique, parlant
toutes du tendre amour de Jésus, semblaient
tomber sur son propre coeur ulcéré
comme une rosée bienfaisante, et lui donner
la force d'aller jusqu'au bout. Plus tard, elle
pleurerait ; maintenant elle voulait chanter
jusqu'à ce que l'âme de son petit
enfant eût été recueillie par
le Sauveur. Dans son coeur, elle pensait :
« Seigneur, prends mon enfant ; je
te le rends ! »
- Donnez-moi votre main, dit enfin le
docteur lorsque le chant se tut. Il la prit et la
plaça sur le front du petit qui était
tiède et moite. Mme Merton
leva vers le docteur des yeux
étonnés. Elle vit sur son visage une
expression de vraie joie.
- La crise est passée,
chère Madame, la fièvre est
tombée. Le Seigneur vous rend votre
enfant.
C'en était trop pour la pauvre
mère. Épuisée par l'angoisse
et la fatigue, elle ne put supporter la joie
soudaine qui venait remplacer la douleur et elle
serait tombée à terre si des bras
vigoureux ne l'avaient soutenue. Lorsqu'elle
rouvrit les yeux, elle rencontra ceux de son mari
qui la regardaient avec
anxiété.
M. Merton était revenu. Il
était entré dans la chambre tandis
que sa femme chantait et était arrivé
précisément à l'instant voulu
pour recevoir la pauvre mère dans ses
bras.
Le docteur s'était retiré
et ils étaient seuls maintenant.
- Regarde, ma chérie, fit M.
Merton en tirant le rideau qui masquait la
fenêtre et en montrant à sa femme les
lueurs de l'aube qui illuminaient le ciel :
« le soir, les pleurs viennent loger avec
nous, et le matin, il y a un chant de
joie ».
Et maintenant que le soleil se
lève, annonçant un nouveau jour, et
que son premier rayon vient caresser le front de
l'enfant endormi, nous laisserons les heureux
parents et la petite Nelly à genoux, disant
toute leur reconnaissance au Père des
miséricordes dont les compassions sont
infinies et dont l'amour ne tarit Jamais.
La convalescence de l'enfant fut
très longue. Il y eut encore bien des jours
pénibles' à traverser. Mme Merton,
fatiguée par les longues veilles et
l'anxiété, dut à son tour
s'aliter. Nelly fut une infatigable petite
garde-malade, entourant de soins et de tendresse ce
petit frère qu'elle avait cru perdu, et sa
mère qui apprit ainsi à s'appuyer sur
elle. Quand les malades lui laissaient un instant
de repos, au lieu de courir à la lecture
qu'elle aimait tant, comme elle l'aurait fait
autrefois, Nelly s'occupait de ses petites soeurs,
qui sans elle se seraient senties bien
abandonnées.
C'est ainsi que Nelly apprit qu'au lieu
de « mourir pour Jésus »
comme elle l'avait pensé, le Seigneur lui
demandait de vivre pour Lui, et que quelque chose
qu'elle fît en paroles ou en oeuvres, elle
pouvait le faire pour le Seigneur Jésus.
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