Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XXIV

UNE FEMME PROTESTANTE ET UN CURÉ ÉVANGÉLIQUE.

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En écrivant cette lettre, Mme Schlatter ignorait que Boos fût détenu. Dès qu'elle l'apprend, son coeur saigne ; elle veut connaître l'état de son vénérable ami : dans ce but, elle écrit, sous la date du 24 décembre 1815, au chanoine Hasslinger :

« Que je voudrais pouvoir vous exprimer, haut et noble seigneur, ma profonde reconnaissance pour la bonté que vous avez eue de me donner des nouvelles sur mon toujours cher ami Boos.
Que le Dieu, rémunérateur de tout ce qui est bien, réjouisse votre coeur !

Bien que votre lettre ne me dise rien sur l'issue du procès intenté à notre cher Boos, elle contient divers passages qui m'ont beaucoup tranquillisée. Vous voudriez, dites-vous, (ainsi que je le présumais de vous), pouvoir le sauver, si cela était possible, sans le concours de l'Eglise. Je vous remercie de tout mon coeur de ce simple souhait. Votre Seigneurie daigne m'apprendre que M. le pasteur Boos jouit d'une bonne santé, et qu'il est en paix par les consolations, du Saint-Esprit.

Je ne crains pas qu'il éprouve de l'ennui, car un chrétien confiant en Dieu, ne peut en être atteint, même dans le plus sombre cachot ; mais sa séparation de sa chère communauté, le sentiment de l'injustice ou de l'imprudence dont ses adversaires, le rendent victime, pourraient lui être beaucoup plus sensibles que le sacrifice, fort dur d'ailleurs pour lui, de tout ce qu'il possède, pour subvenir aux frais de son incarcération et de son procès. C'est ce sentiment, je le crains, qui remplit d'amertume son coeur doux et tendre. Que je suis heureuse d'apprendre par votre lettre que le Seigneur a attiré ses regards en haut sur Jésus-Christ ; car ce n'est que là qu'il pourra toujours trouver le courage et la paix.

Je sais maintenant mieux me représenter sa véritable situation et ce que je dois demander avant tout pour lui, savoir, la prudence. Il me semble, autant du moins que je puis en juger dans ma faiblesse, que c'est là la seule qualité dont ce cher frère et ami en Christ n'a pas toujours fait preuve. Vous remarquez avec raison que si Boos avait eu la prudence de Sailer, les choses n'en seraient pas venues à ce point. À la place de Sailer, Boos n'aurait pas pu obtenir les mêmes résultats. Mais si Sailer eut été pasteur à Gallneukirch, aurait-il amené autant d'âmes à la connaissance de Christ ? C'est une autre question à laquelle Dieu seul peut répondre.

Il n'y a qu'un seul Seigneur, mais il y a diversité de dons ; Christ les distribue par le Saint-Esprit dans les divers membres de son corps. Tout comme dans notre corps la bouche n'a pas le même office que la main, ainsi Boos et Sailer ont des oeuvres diverses à accomplir. Étant l'un et l'autre des membres humains du corps de l'Eglise, ils offriront peut-être quelques variétés dans leurs formes ; mais dans le temps et dans l'éternité, chacun d'eux conservera, comme saint Jean et saint Paul, ce qui lui appartient en propre. Je crois, ainsi que Votre Seigneurie, que Sailer eût prêché d'un autre ton à Gallneukirch ; mais je crois aussi que Sailer aurait jugé Boos bien différemment.

Votre Seigneurie m'a fait sourire en comparant Boos à un homme malade de la jaunisse et qui voit tout en jaune. Ce n'est pas la faute du premier d'avoir la jaunisse ; Boos, ce me semble ne pouvait pas non plus agir autrement. Il était naturel qu'il eût toujours devant les yeux et au fond du coeur ce qui, depuis 1796, lui a causé tant de peine ou de joie.
La vérité a été tellement enracinée chez lui par toutes les épreuves où il a passé, qu'il ne peut pas l'abandonner.

Bien que je sois convaincue que Boos n'ait pas toujours annoncé d'une manière convenable l'Évangile, ni le pur catholicisme, et qu'il l'ait quelquefois présenté faiblement et avec une certaine rudesse je suis intimément persuadée que, quant aux doctrines fondamentales, Christ et ses Apôtres, Ignace et Augustin, lui auraient donné pleinement raison et l'auraient embrassé, comme un ami et un frère.
Je ne puis comprendre qu'on ait accusé notre cher Boos d'avoir, par la foi en Christ, voulu anéantir les bonnes oeuvres. Les lettres qu'il m'a écrites prouvent tout le contraire. Les difficultés élevées à ce sujet par les membres les moins instruits de sa paroisse proviennent sans doute de la fausse idée qu'ils se sont faite des bonnes oeuvres ; ils prennent pour bonnes oeuvres les moyens qui doivent les produire. Ainsi la confession, la communion, la prière, la fréquentation du service divin sont, à leurs yeux, les bonnes oeuvres que le chrétien doit faire.
Il me semble alors entendre Boos combattre vigoureusement une telle erreur et leur dire : « Vos confessions, vos prières, vos pèlerinages, vos messes né vous servent de rien, si vous n'avez pas la foi en Christ, dont l'amour seul est efficace ; voyez ce que dit Jésus dans Matthieu, VI, 5-7, et Esaïe, au chapitre I, v 15. - Le Seigneur n'a-t-il pas déclaré que « si notre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, nous n'entrerons pas dans le royaume de Dieu ? » Jésus et ses Apôtres insistent sur l'esprit des Commandements ; ils en exigent la stricte observation. Mais il n'y a que la foi qui puisse nous rendre capables de les accomplir.

Il est vrai, comme le remarque Votre Seigneurie, qu'il est plus facile pour la multitude de croire que de faire ; mais, ceci n'est pas croire : c'est seulement dire que l'on croit. Or, c'est précisément contre ces personnes-là que Boos s'élève avec le plus de force. D'après les faibles connaissances que j'ai de la parole de Dieu rien n'est plus difficile que la véritable foi. Dès qu'un homme croit réellement que ses péchés ont porté Jésus-Christ sur la croix, que le Sauveur a souffert un tel supplice volontairement et par amour, et qu'il veut être tout pour le croyant et lui donner tout, le repentir et l'amour s'emparent de son âme ; il ne veut plus vivre pour lui-même, ni selon les convoitises de son coeur ; mais pour Celui qui l'a tant aimé : c'est ainsi qu'il remporte la victoire sur le monde (1 Jean, V, 4).
Telle est la nature de la foi. Si Votre Seigneurie rencontrait un pauvre homme accablé de dettes ; et que, touché de sa misère, elle lui dit : Je vais payer tes dettes et te prendre à mon service ; tu seras mon serviteur pendant un an et tu vivras, non point selon tes caprices, mais selon mes directions, et tu t'efforceras de suivre mon exemple ; si au bout de l'année tu te conduis à ma satisfaction, je te donne la moitié de mon bien, et tu seras mon fils et mon frère. Quelle sera la conduite de cet homme, s'il croit à votre parole ? Ne fera-t-il pas, ne souffrira-t-il pas tout, entièrement tout par amour pour vous ?
Pardonnez-moi, je vous prie, cette comparaison.

Toute ignorante que je suis, je sais que la réconciliation par Christ est prêchée dans l'église romaine, ainsi que cela se fait aussi dans l'église luthérienne et réformée ; mais précisément parce qu'il y a dans chaque église tant d'hommes qui tiennent à l'écorce et oublient et rejettent le noyau, tout chrétien éclairé en est vivement affligé, comme l'était Boos, qui a parlé si souvent avec feu et trop peut-être, du peu de valeur de l'enveloppe et qui a tant insisté sur l'excellence du noyau. C'est ce qui a cause une vive peine à ceux qui ne tiennent qu'à l'écorce. Son intention n'était sûrement pas de les affliger, mais de les convertir.

De tout temps, il y eut des gens qui criaient à Jésus : Tu es un insensé, tu séduis le peuple, et qui disaient à saint Paul : Tu es hors de sens. (Act., XXIV.) Ces gens-là appelaient sectaires ceux qui enseignaient la doctrine du Rédempteur, du Roi, du Juge et de l'Ami des hommes. Il y aura toujours de tels aveugles ; mais, ils ne feront jamais rien de plus que ce que faisaient les adversaires dès premiers Apôtres, savoir, de contribuer, sans s'en douter, à la propagation de l'Évangile de Christ.

« J'ai l'honneur d'être, etc.
« Anna SCHLATTER. »

C'est ainsi qu'une femme, attachée à l'Eglise réformée, plaidait la cause d'un curé catholique. l'un et l'autre avaient compris ces mots d'un apôtre. Qui a le Fils a la vie. Prenez part aux nécessités des Saints. La même foi avait renouvelé et sanctifié lé coeur de la pieuse chrétienne de St-Gall et celui du prisonnier de Lintz: placés sur le même fondement, ces deux enfants de Dieu, sans s'être jamais vus ni entendus, confessent avec une égale joie, le Dieu de leur délivrance.
L'un et l'autre restent dans leur communion extérieure, mais n'ont-ils pas la véritable communion, celle que fait naître et qu'alimente sans cesse l'esprit de paix et de charité !

Sans examiner si Boos n'aurait pas mieux fait de sortir d'une église infidèle sous tant de rapports aux saines doctrines de l'Évangile, et si, en secouant le joug des commandements d'hommes, ses travaux n'eussent pas été plus bénis, plus efficaces encore, admirons la puissance de l'Esprit du Seigneur, brisant tous les obstacles qui s'opposent à son coeur, et respectons les scrupules d'un serviteur de Christ qui aima mieux souffrir sous la main de fer d'un clergé intolérant que de briser les chaînes dont on l'avait chargé.

Boos crut de son devoir de rester dans l'église où il était né ; il y avait annoncé le salut gratuit par Christ : le Seigneur avait béni ses travaux ; bien des âmes crurent à Celui qui justifie le pécheur : c'en fut assez pour lui. Il ne vit pas qu'en demeurant fidèle à Rome, il s'embarrassait lui-même dans des difficultés inextricables et que son exemple entraînait de plus en plus ses enfants en la foi dans un sol tout hérissé d'erreurs. Quelque spirituel que puisse devenir un catholique romain, n'a-t-il pas toujours sous les yeux le triste tableau d'une idolâtrie christianisée ? Aura-t-il toujours un Boos à ses côtés pour lui dire que les pèlerinages, les messes, la confession auriculaire, l'adoration de la Vierge et des Saints ne sont pas des voies de salut ?
Les regards de son âme ne seront-ils pas à chaque instant détournés de Golgotha pour les fixer sur les folles traditions humaines ? Ne s'assied-il pas au bord d'un abîme où il pourrait facilement s'engloutir ?

Nous ne sommes pas à même de nous assurer si ce qu'Anna Schlatter dit du manque de prudence dans les prédications de Boos, est fondé ou non. A-t-elle prêté une oreille trop docile aux clameurs des adversaires ? Fait-elle sur ce point des concessions au chanoine Hasslinger pour obtenir davantage sur d'autres points ? La manière franche de Boos lui a-t-elle en effet paru trop rude, trop acerbe ? Nous ignorons ce qui en est exactement. Mais nous ne serions pas surpris que cette brave chrétienne n'eût pas toujours su se tenir en garde contre les bruits mensongers qu'on faisait courir sur le compte du vénérable pasteur.

Le jugement du professeur Sailer est pour nous d'un plus grand poids. On se souvient qu'en 1811 (1) il écrivait à Bertgen que Boos avait déployé une grande prudence dans les persécutions que lui suscitaient ses ennemis. D'un autre côté, combien n'y a-t-il pas de gens qui taxent d'imprudence un zèle ardent et pourtant contenu dans de sages limites ! De nos jours surtout, combien n'en voit-on pas qui s'effraient de la moindre déviation de formes indifférentes par leur nature ou de l'emploi de certaines expressions bibliques auxquelles leurs oreilles trop délicates ne sont pas accoutumées ! Pour eux presque tout, dans le prédicateur évangélique, est scandale et folie.

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CHAPITRE XXV.

DURE CAPTIVITÉ. - TENDRES SOINS DE DEUX JEUNES MOINES

ET

D'UN ANCIEN CATÉCHUMÈNE DE BOOS. PRÉCIEUX ADOUCISSEMENTS À SES MAUX.


Boos était prisonnier dans un couvent à Lintz. Entrons dans son cachot que ses ennemis appellent du nom de cellule. Cachot ou cellule n'importe : il y est détenu comme un malfaiteur. On lui a interdit toute correspondance avec qui que ce soit. Bien qu'on n'ait pu le trouver coupable d'aucun crime ni même dune simple infraction aux lois ecclésiastiques, on l'a arraché violemment à ses ouailles et déclaré indigne de remplir aucune fonction pastorale ; on lui fait subir une détention préventive, en attendant le dernier mot de l'empereur. Que fait-il dans sa prison ? Ce que faisaient les apôtres dans les cachots de Jérusalem, et Paul et Silas sous les verrous de la ville de Philippes. Il prie pour ses persécuteurs ; il s'entretient avec son Dieu ; il implore sur ses frères en la foi les grâces du St-Esprit.

Quelques officiers, étrangers à la piété, mais indignés des mauvais traitements que le clergé lui faisait endurer, obtiennent la permission d'aller le voir ; quelques amis se joignent secrètement à eux et lui procurent ce dont il a besoin pour écrire. Mais ses gardiens lui enlèvent bientôt cette consolation et s'opposent à toute espèce de visite. Sa prison est fermée sous de triples verrous. Cependant, deux jeunes moines, dont il s'était auparavant concilié l'affection en les amenant à une foi vivante, brûlent du désir d'adoucir sa captivité. Ils sollicitent en vain l'entrée dans sa prison ; ils voudraient partager ses douleurs, mais ils ne peuvent que prier leur commun Père céleste de le consoler et de le remplir du doux sentiment de sa paix.

Un jour, Boos voit descendre de l'étage supérieur, sur le bord de son étroite fenêtre, un objet dont il distingue avec peine au premier instant la nature ; il ouvre sa croisée, et voit une dinde rôtie attachée à une ficelle ; il comprend que c'est une main amie qui la lui fait parvenir ; il la détache, la prend ; mais qu'elle n'est pas sa joie de trouver dans ce mets inattendu, soigneusement cachés, du papier, des plumes et de l'encre. Il connut bientôt ses ingénieux bienfaiteurs : c'étaient les deux jeunes moines.
Plus d'une fois ils employèrent cette voie pour communiquer avec lui : la même ficelle reportait ses lettres que les fidèles amis expédiaient à leurs adresses.

Ce fut ainsi que Boos correspondit pendant plusieurs mois avec ses frères. Mais il découvrit un moyen encore plus court : on le devinerait difficilement : ayant remarqué dans sa cellule des souris qui entraient et sortaient chaque jour, par une petite issue qu'elles s'étaient pratiquées dans le mur, il conçut l'idée de faire passer ses lettres par cette ouverture. Ses amis profitant des courts instants où il ne se trouvait personne dans le corridor lui transmettaient ainsi les leurs. Mais que de précautions pour ne pas être surpris ! Il ne pouvait écrire que la nuit, de jour ses surveillants l'auraient aisément découvert. À la faible clarté d'une lampe, il jetait précipitamment sur le papier des paroles pleines de vie et de chaleur qui allaient fortifier ses amis alarmés sur son sort : son encrier était posé sous son lit ; il allait y puiser l'encre goutte à goutte, et dès que le moindre bruit frappait son oreille, il cachait plume et papier sous sa paillasse. Ce fut alors qu'il écrivit à Anna Schlatter.

Septembre 1815.

« Celui qui est de nouveau couvert de l'opprobre du monde et retenu en prison, veut t'informer que contre toute attente il a bien reçu ta lettre datée de V... Que ta lumière, ta charité, ta vie chrétienne brillent d'un éclat tel que je puisse voir que Dieu est aussi le Dieu du Samaritain !

J'ai toute confiance en lui. - L'évêque lit tes lettres avec plaisir. Tu vois que tu as une belle occasion pour ouvrir les yeux de ceux qui ne voient pas la brillante lumière de l'Évangile. Ils taxent notre réveil d'illusion, de folie, d'exaltation de femme, et cependant, ils vont s'en prendre à toi, à toi qui n'es qu'une faible femme ! Tu es la seule qui ait trouvé grâce devant eux.
Montre-leur toute ta force ; montre-leur que ni toi, ni nous, ne sommes trompés par la foi que nous avons en Christ, mais que ce sont eux qui sont plongés dans l'aveuglement. Montre-leur par l'exemple de Marie, d'Elisabeth, d'Anne, de Madelaine, de la Samaritaine, des femmes qui coururent au tombeau de Jésus, et par celui de Lydie, que Dieu choisit souvent les choses faibles pour confondre les fortes ; rappelle-leur comment Jésus reprocha aux onze apôtres leur incrédulité et la dureté de leur coeur, parce qu'ils n'avaient pas cru les saintes femmes. Montre-leur que si nous sommes en rapport l'un avec l'autre, ce n'est point parce que nous faisons partie d'une société secrète et politique. »

« Je te remercie avec larmes, » écrivait-il quelques jours après à la même personne, « de l'affection que tu me témoignes en me proposant de me recevoir sous ton toit. Cette offre si consolante pour moi vient de m'être apportée dans ma prison. Le messager allant repartir, Je n'ai que le temps de t'exprimer ma vive gratitude et de te dire : Espère avec moi ; car les prisonniers tels que moi ne peuvent pas s'envoler comme ils le voudraient : un autre les conduit où ils ne veulent pas.

J'attendrai que l'empereur ait examiné mon affaire et ait prononcé définitivement sur mon sort. Je causerais un profond chagrin à ma fidèle communauté, si je n'attendais l'arrêt du monarque à qui ils ont adressé une supplique en ma faveur. J'aimerais mieux mourir dans ma prison qu'affliger mes frères. Mais si je suis condamné, je te demanderai de m'accueillir comme un proscrit : on ne peut ravir au malheureux exilé le droit de recourir à la bienveillance d'autrui. Je répugnerais toutefois à rester dans l'inaction et à manger le pain de la charité ; je voudrais travailler et ne vivre que du fruit de mon labeur. Cherchez-moi donc une retraite ou seulement une chambre où je puisse me livrer au travail. Je suis condamné ici à une inaction complète ; voilà près de trois mois que j'en goûte les douceurs ! Il y a dix-huit ans que je suis en Autriche ; j'y ai acquis le droit de bourgeoisie, mais je n'y séjournerai pas plus longtemps, parce que j'y serais ou prisonnier ou sans rien faire, ou surveillé comme un esclave : j'y mourrais ; mon Adam ne pourrait s'y résigner. Aussi ta lettre a-t-elle été pour moi comme un baume délicieux. »

Boos écrivait, le 2 octobre 1815, à un de ses frères (Jungson) :
« Tu n'ignores sans doute pas que je suis étroitement détenu en prison. Que cela ne te cause aucune inquiétude ; au reste tu peux être appelé à la même épreuve, si tu persévères dans la foi et dans la charité. Celui qui trace ces lignes, est pour la troisième fois renfermé comme un malfaiteur ; son crime est le même que le tien ; sa croyance est la tienne ; il a prêché ce qu'il a cru et le Seigneur a daigné ouvrir par son moyen le coeur et les yeux de plusieurs, comme il l'a fait en bénissant ton ministère. Est-il possible qu'une doctrine aussi sainte, aussi propre à nous conduire au bonheur éternel ne puisse être tolérée au milieu de la chrétienté ? Il en est cependant ainsi dans un pays où l'on compte beaucoup de chrétiens pieux. Voilà plus de dix semaines que je suis en fermé dans une prison froide, et j'ai été détenu à Augsbourg pendant près d'un an et demi.

Frère, c'est une chose sérieuse : Satan en fait jeter encore en prison quelques-uns comme aux jours des apôtres (Act., XII, 4). Il nous faut encore abandonner, pour le nom de Jésus, nos demeures et nos champs. Nous voyons clairement que nous sommes frères en Christ, puisqu'à cause de lui nous endurons les mêmes outrages et jouissons des mêmes bénédictions. Nous nous tendons, à l'exemple de Pierre et de Paul (Gal., II, 9), la main d'association en signe d'une parfaite union. Si cela m'est possible, j'aurai la joie de vous voir encore ; car mon coeur soupire après vous tous.
Priez pour moi, je vous en conjure, ma croyance et la vôtre sont vivement attaquées de toutes parts, depuis les régions les plus basses jusqu'au sein de la cour. Partout on vous regarde comme des sectaires, des gens bizarres et rêveurs, des mystiques, des hypocrites, des partisans de sociétés secrètes. Qui est-ce qui nous juge ainsi ? Les personnes qui passent pour les plus pieuses et les plus sages. Quant à moi, ils disent que je ne sais que pleurer et prier. Priez donc tous pour moi, pour que mon flambeau ne s'éteigne point. »

Cependant la captivité de Boos reçut : quelque adoucissement par les procédés d'un homme qui, par sa vocation, semblait ne devoir prendre que peu d'intérêt au sort de notre prisonnier.
Il se trouvait dans la garnison de Lintz un officier qui avait été un de ses catéchumènes à Unterthingan, en 1790. Ce brave militaire n'avait pu oublier les pieux travaux de son curé et l'affection qu'il lui avait témoignée vingt-six ans auparavant. Dès qu'il apprit l'incarcération de Boos, il courut au couvent des Carmélites et sollicita la permission de le voir. Heureux de l'avoir obtenue, il se précipita dans les bras du détenu. Celui-ci eut d'abord quelque peine à recueillir ses souvenirs; mais il ne tarda pas long-temps à se rappeler son cher catéchumène. Avec quelle joie il le serra contre son coeur ! Le capitaine lui offrit tous ses services. Mais quels services peut-on rendre à un homme retenu en prison ? Boos nous l'apprend dans une de ses lettres : « Mon capitaine, autrefois mon élève, est mieux disposé envers moi que ne l'étaient Lysias et Julien envers l'apôtre Paul. Il m'envoie trois fois par jour son domestique. Son coeur n'est pas encore converti ; cependant il verse des larmes toutes les fois qu'il me remet vos lettres. Puisse le Seigneur lui faire, ainsi qu'à sa femme, grâce et miséricorde, tout comme il est plein de compassion envers moi. »

Cet officier écrivait, le 26 juin 1816, à l'un de ses amis : « Nous sommes désolés, moi et les miens, de tout ce que souffre maintenant mon premier maître Martin Boos, dont l'excellent caractère est tout amour. Je me souviens dès mon enfance combien de larmes il a séchées à Unterthingan, mon lieu natal, où il était chapelain, et avec quelle infatigable charité il consolait jour et nuit les malades. Je me souviens combien il y avait d'âme et de chaleur dans ses enseignements et avec quel zèle il s'acquittait de ses fonctions de prédicateur. Je pense souvent au jour où Boos, ayant rendu les derniers devoirs à mon bienheureux père, me donna sa dernière pièce de monnaie, en m'encourageant à redoubler d'assiduité dans mes études. »

Ne pourrait-on pas appliquer ici ces paroles de l'Écriture : « Leurs oeuvres les suivent ? » Le capitaine ne pouvait oublier cette pièce d'argent. Chaque fois que Boos le priait de ne pas lui prodiguer ses soins, le reconnaissant officier lui répliquait : « Vous m'avez donné votre dernière pièce. »

24 novembre 1815.

À Anna Schlatter.
« Notre cher capitaine a prié l'évêque de me laisser aller dîner chez cet officier le jour de la St-Martin. Le prélat y ayant consenti, je pus, pour la première fois depuis long-temps, respirer un air libre et pur. Bien que je n'eusse que cinq cents pas à faire, je suai comme si j'eusse fait cinq cents lieues. L'air frais ne me convient plus depuis qu'on me retient dans ma cellule.
Je bénis Dieu de ce qu'il me conserve la santé et la paix du coeur. Je l'attribue à tes prières et à celles de vous tous. Il y a eu, il est vrai, depuis le 24 juillet, des heures inégales dans cette prison solitaire ; quelques-unes ont été brûlantes, d'autres sereines et douces comme au ciel. Ah ! oui, je suis un pauvre pécheur, et l'amour divin trouve en moi beaucoup de choses qui doivent être brûlées, aiguisées, polies ou réprimées.

La consolation n'a pas toujours rempli mon coeur ; bien des fois je ne voyais que mes péchés, ma prison et ma condamnation éternelle et ne pouvais pas croire ce que je prêchais aux autres. Bien souvent Je ne pouvais pas dire avec saint Paul : Je suis assuré que ni la mort, ni la vie, etc. (Rom., VIII, 35.) ; car je ne découvrais en moi que des souillures et des chaînes, et alors toute assurance de salut s'écroulait. Mais je n'en saisissais que plus vivement le Sauveur, mon unique refuge, et ce n'était qu'après avoir versé beaucoup de larmes que je retrouvais la paix. Tu as lu dans mon coeur et tu as bien vu ce qui s'y passe. Le prince des ténèbres m'a non-seulement fixé sous les yeux mes péchés couverts des couleurs les plus noires, mais il me dépeignait le bien que j'ai pu faire par la grâce et par la foi comme un fruit de l'esprit du malin. Je me trouvais ainsi battu de tous côtés ; mais je me tournai vers le Seigneur ; je recourus à son pardon et il déchargea mon coeur du poids qui l'écrasait. Alléluia ! C'est dans les larmes et dans la repentance que le Seigneur nous fait goûter là vraie consolation ! »

« Il s'en faut bien que je sois malheureux, comme le pensent les adversaires, » écrivait Boos, sous date du 3 décembre, à B. ; car le royaume de Dieu, la vraie joie, le véritable bonheur a son siège en nous. Ils ont cru m'enlever ma paix ; mais ils n'ont pu réussir : au sein de ma captivité et tout couvert d'outrages, je suis plus heureux que je ne l'étais autrefois. Je sens mieux le prix de la seule chose nécessaire, et l'ai plus habituellement devant les yeux.
Le sang de Christ est notre vêtement d'honneur ; mais à la vue de l'abus qu'on a fait de la foi, souvenons-nous que d'un côté nous devons rechercher la sanctification avec autant de soins que si elle pouvait nous acquérir la félicité céleste, et de l'autre que nous devons croire et mourir comme ceux qui mettent en Jésus toute leur assurance de salut. C'est ainsi que nous réunirons la justification dont parle saint Paul (Rom., III, 23 ; V, 1) à la manifestation des oeuvres sur laquelle l'apôtre Jacques (Jacq., II, 14, 20) insiste avec tant de force. Selon ces deux serviteurs de Dieu, les hommes les plus saints ne doivent point s'appuyer sur leurs vertus (Gal, III, 10), ni dans la vie, ni dans la mort ; et chacun de nous doit prier en ces termes : O mon Dieu ! pardonne-moi mes vertus et mes bonnes oeuvres, qui toutes sont couvertes de mille et mille souillures. »

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(1) Voyez page 133
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